Et j'allai me cacher au fond de mon jardin, dans un massif de lauriers.
Comme ce fut long ! comme ce fut long ! Tout était noir, muet, immobile ;
pas un souffle d'air, pas une étoile, des montagnes de nuages qu'on ne
voyait point, mais qui pesaient sur mon âme si lourds, si lourds.
Je regardais ma maison, et j'attendais. Comme ce fut long ! Je croyais déjà
que le feu s'était éteint tout seul, ou qu'il l'avait éteint, lui, quand une des
fenêtres d'en bas creva sous la poussée de l'incendie, et une flamme, une
grande flamme rouge et jaune, longue, molle, caressante, monta le long du
mur blanc et le baisa jusqu'au toit. Une lueur courut dans les arbres, dans
les branches, dans les feuilles, et un frisson, un frisson de peur aussi ! Les
oiseaux se réveillaient j un chien se mit à hurler ; il me sembla que le jour
se levait ! Deux autres fenêtres éclatèrent aussitôt, et je vis que tout le bas
de ma demeure n'était plus qu'un effrayant brasier, Mais un cri, un cri
horrible, suraigu, déchirant, un cri de femme passa dans la nuit, et deux
mansardes s'ouvrirent ! J'avais oublié mes domestiques ! Je vis leurs faces
affolées, et leurs bras qui s'agitaient !...
Alors, éperdu d'horreur, je me mis à courir vers le village en hurlant : “ Au
secours ! au secours ! au feu ! au feu ! ” Je rencontrai des gens qui s'en
venaient déjà et je retournai avec eux, pour voir ! La maison, maintenant,
n'était plus qu'un bûcher horrible et magnifique, un bûcher monstrueux,
éclairant toute la terre, un bûcher où brûlaient des hommes, et où il brûlait
aussi, Lui, Lui, mon prisonnier, l'Etre nouveau, le nouveau maître, le
Horla ! Soudain le toit entier s'engloutit entre les murs, et un volcan de
flammes jaillit jusqu'au ciel. Par toutes les fenêtres ouvertes sur la
fournaise, je voyais la cuve de feu, et je pensais qu'il était là, dans ce four,
mort...
− Mort ? Peut−être ?... Son corps ? son corps que le jour traversait
n'était−il pas indestructible par les moyens qui tuent les nôtres ?
S'il n'était pas mort ?... seul peut−être le temps a prise sur l'Etre Invisible et
Redoutable. Pourquoi ce corps transparent, ce corps inconnaissable, ce
corps d'Esprit, s'il devait craindre, lui aussi, les maux, les blessures, les
infirmités, la destruction prématurée ?
La destruction prématurée ? toute l'épouvante humaine vient d'elle ! Après
l'homme le Horla.
− Après celui qui peut mourir tous les jours, à toutes les heures, à toutes les
Le Horla (1887)
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