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Molière
Amphitryon
− Collection Théâtre −
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Table des matières
Amphitryon.................................................................................................1
Adresse................................................................................................2
Introduction.........................................................................................4
Prologue...............................................................................................5
Acte I.................................................................................................11
Acte II................................................................................................36
Acte III...............................................................................................73
i
Amphitryon
Auteur : Molière
Catégorie : Théâtre
Licence : Domaine public
1
Adresse
A son Altesse Sérénissime
Monseigneur le Prince
Monseigneur,
N'en déplaise à nos beaux esprits, je ne vois rien de plus ennuyeux que les
épîtres dédicatoires ; et Votre Altesse Sérénissime trouvera bon, s'il lui
plaît, que je ne suive point ici le style de ces messieurslà, et refuse de me
servir de deux ou trois misérables pensées qui ont été tournées et
retournées tant de fois, qu'elles sont usées de tous les côtés. Le nom du
GRAND CONDE est un nom trop glorieux pour le traiter comme on fait
de tous les autres noms. Il ne faut l'appliquer, ce nom illustre, qu'à des
emplois qui soient dignes de lui et, pour dire de belles choses, je voudrois
parler de le mettre à la tête d'une armée plutôt qu'à la tête d'un livre ; et je
conçois bien mieux ce qu'il est capable de faire en l'opposant aux forces
des ennemis de cet Etat qu'en l'opposant à la critique des ennemis d'une
comédie.
Ce n'est pas, MONSEIGNEUR, que la glorieuse approbation de VOTRE
ALTESSE SERENISSIME ne fût une puissante protection pour toutes ces
sortes d'ouvrages, et qu'on ne soit persuadé des lumières de votre esprit
autant que de l'intrépidité de votre coeur et de la grandeur de votre âme.
On sait, par toute la terre, que l'éclat de votre mérite n'est point renfermé
dans les bornes de cette valeur indomptable qui se fait des adorateurs chez
ceux même qu'elle surmonte ; qu'il s'étend, ce mérite, jusques aux
connoissances les plus fines et les plus relevées, et que les décisions de
votre jugement sur tous les ouvrages d'esprit ne manquent point d'être
suivies par le sentiment des plus délicats. Mais on sait aussi, Monseigneur,
que toutes ces glorieuses approbations dont nous nous vantons en public ne
nous coûtent rien à faire imprimer ; et que ce sont des choses dont nous
disposons comme nous voulons. On sait, disje, qu'une épître dédicatoire
dit tout ce qu'il lui plaît, et qu'un auteur est en pouvoir d'aller saisir les
Adresse 2
personnes les plus augustes, et de parer de leurs grands noms les premiers
feuillets de son livre ; qu'il a la liberté de s'y donner, autant qu'il le veut,
l'honneur de leur estime, et de se faire des protecteurs qui n'ont jamais
songé à l'être.
Je n'abuserai, MONSEIGNEUR, ni de votre nom, ni de vos bontés, pour
combattre les censeurs de l'Amphitryon et m'attribuer une gloire que je n'ai
peutêtre pas méritée, et je ne prends la liberté de vous offrir ma comédie
que pour avoir lieu de vous dire que je regarde incessamment, avec une
profonde vénération, les grandes qualités que vous joignez au sang auguste
dont vous tenez le jour, et que je suis, Monseigneur, avec tout le respect
possible, et tout le zèle imaginable,
DE VOTRE ALTESSE SERENISSIME,
Le très humble, très obéissant, et très obligé serviteur,
J.B.P. MOLIERE.
Amphitryon
Adresse 3
Introduction
Comédie
Représentée pour la première fois à Paris sur le Théâtre du PalaisRoyal,
le 13e janvier 1668 par la Troupe du Roi
Personnages
Mercure.
La Nuit.
Jupiter, sous la forme d'Amphitryon.
Amphitryon, général des Thébains.
Alcmène, femme d'Amphitryon.
Cléanthis, suivante d'Alcmène et femme de Sosie.
Sosie, valet d'Amphitryon.
Argatiphontidas, capitaine thébain.
Naucratès, capitaine thébain.
Polidas, capitaine thébain.
Posiclès, capitaine thébain.
La scène est à Thèbes, devant la maison d'Amphitryon.
Introduction 4
Prologue
Mercure, sur un nuage, La Nuit, dans un char, traîné par deux chevaux.
Mercure
Tout beau ! charmante Nuit ; daignez vous arrêter :
Il est certain secours que de vous on desire,
Et j'ai deux mots à vous dire
De la part de Jupiter.
La Nuit
Ah ! ah ! c'est vous, seigneur Mercure !
Qui vous eût deviné là, dans cette posture.
Mercure
Ma foi ! me trouvant las, pour ne pouvoir fournir
Aux différents emplois où Jupiter m'engage,
Je me suis doucement assis sur ce nuage,
Pour vous attendre venir.
La Nuit
Vous vous moquez, Mercure, et vous n'y songez pas :
Siedil bien à des Dieux de dire qu'ils sont las ?
Mercure
Les Dieux sontils de fer ?
La Nuit
Non ; mais il faut sans cesse
Garder le decorum de la divinité. Il est de certains mots dont l'usage
rabaisse
Cette sublime qualité,
Prologue 5
Et que, pour leur indignité,
Il est bon qu'aux hommes on laisse.
Mercure
A votre aise vous en parlez,
Et vous avez, la belle, une chaise roulante,
Où par deux bons chevaux, en dame nonchalante,
Vous vous faites traîner partout où vous voulez.
Mais de moi ce n'est pas de même ;
Et je ne puis vouloir, dans mon destin fatal
Aux poètes assez de mal
De leur impertinence extrême,
D'avoir, par une injuste loi,
Dont on veut maintenir l'usage,
A chaque Dieu, dans son emploi,
Donné quelque allure en partage,
Et de me laisser à pied, moi,
Comme un messager de village,
Moi, qui suis, comme on sait, en terre et dans les cieux,
Le fameux messager du souverain des Dieux,
Et qui, sans rien exagérer,
Par tous les emplois qu'il me donne,
Aurois besoin, plus que personne,
D'avoir de quoi me voiturer.
La Nuit
Que voulezvous faire à cela ?
Les poètes font à leur guise :
Ce n'est pas la seule sottise
Qu'on voit faire à ces Messieurslà.
Mais contre eux toutefois votre âme à tort s'irrite,
Et vos ailes aux pieds sont un don de leurs soins.
Mercure
Oui ; mais, pour aller plus vite,
Estce qu'on s'en lasse moins ?
Amphitryon
Prologue 6
La Nuit
Laissons cela, seigneur Mercure,
Et sachons ce dont il s'agit.
Mercure
C'est Jupiter, comme je vous l'ai dit,
Qui de votre manteau veut la faveur obscure,
Pour certaine douce aventure
Qu'un nouvel amour lui fournit.
Ses pratiques, je crois, ne vous sont pas nouvelles :
Bien souvent pour la terre il néglige les cieux ;
Et vous n'ignorez pas que ce maître des Dieux
Aime à s'humaniser pour des beautés mortelles,
Et sait cent tours ingénieux,
Pour mettre à bout les plus cruelles.
Des yeux d'Alcmène il a senti les coups ;
Et tandis qu'au milieu des béotiques plaines, Amphitryon, son époux,
Commande aux troupes thébaines,
Il en a pris la forme, et reçoit làdessous
Un soulagement à ses peines
Dans la possession des plaisirs les plus doux.
L'état des mariés à ses feux est propice :
L'hymen ne les a joints que depuis quelques jours ;
Et la jeune chaleur de leurs tendres amours
A fait que Jupiter à ce bel artifice
S'est avisé d'avoir recours.
Son stratagème ici se trouve salutaire ;
Mais, près de maint objet chéri,
Pareil déguisement seroit pour ne rien faire,
Et ce n'est pas partout un bon moyen de plaire
Que la figure d'un mari.
La Nuit
J'admire Jupiter, et je ne comprends pas
Amphitryon
Prologue 7
Tous les déguisements qui lui viennent en tête.
Mercure
Il veut goûter par là toutes sortes d'états,
Et c'est agir en dieu qui n'est pas bête.
Dans quelque rang qu'il soit des mortels regardé,
Je le tiendrois fort misérable,
S'il ne quittoit jamais sa mine redoutable,
Et qu'au faîte des cieux il fût toujours guindé.
Il n'est point, à mon gré, de plus sotte méthode
Que d'être emprisonné toujours dans sa grandeur ; Et surtout aux transports
de l'amoureuse ardeur
La haute qualité devient fort incommode.
Jupiter, qui sans doute en plaisirs se connaît,
Sait descendre du haut de sa gloire suprême ;
Et pour entrer dans tout ce qu'il lui plaît
Il sort tout à fait de luimême,
Et ce n'est plus alors Jupiter qui paraît.
La Nuit
Passe encor de le voir, de ce sublime étage,
Dans celui des hommes venir,
Prendre tous les transports que leur coeur peut fournir,
Et se faire à leur badinage,
Si, dans les changements où son humeur l'engage,
A la nature humaine il s'en vouloit tenir ;
Mais de voir Jupiter taureau,
Serpent, cygne, ou quelque autre chose,
Je ne trouve point cela beau,
Et ne m'étonne pas si parfois on en cause.
Mercure
Laissons dire tous les censeurs :
Tels changements ont leurs douceurs
Qui passent leur intelligence.
Amphitryon
Prologue 8
Ce dieu sait ce qu'il fait aussi bien là qu'ailleurs ;
Et dans les mouvements de leurs tendres ardeurs,
Les bêtes ne sont pas si bêtes que l'on pense.
La Nuit
Revenons à l'objet dont il a les faveurs.
Si par son stratagème il voit sa flamme heureuse,
Que peutil souhaiter ? et qu'estce que je puis ?
Mercure
Que vos chevaux, par vous au petit pas réduits,
Pour satisfaire aux voeux de son âme amoureuse,
D'une nuit si délicieuse
Fassent la plus longue des nuits ;
Qu'à ses transports vous donniez plus d'espace,
Et retardiez la naissance du jour
Qui doit avancer le retour
De celui dont il tient la place.
La Nuit
Voilà sans doute un bel emploi
Que le grand Jupiter m'apprête,
Et l'on donne un nom fort honnête
Au service qu'il veut de moi.
Mercure
Pour une jeune déesse,
Vous êtes bien du bon temps !
Un tel emploi n'est bassesse.
Que chez les petites gens.
Lorsque dans un haut rang on a l'heur de paroître,
Tout ce qu'on fait est toujours bel et bon ;
Et suivant ce qu'on peut être, Les choses changent de nom.
La Nuit
Sur de pareilles matières
Amphitryon
Prologue 9
Vous en savez plus que moi ;
Et pour accepter l'emploi,
J'en veux croire vos lumières.
Mercure
Hé ! la, la, Madame la Nuit,
Un peu doucement, je vous prie.
Vous avez dans le monde un bruit
De n'être pas si renchérie.
On vous fait confidente, en cent climats divers,
De beaucoup de bonnes affaires ;
Et je crois, à parler à sentiments ouverts,
Que nous ne nous en devons guères.
La Nuit
Laissons ces contrariétés,
Et demeurons ce que nous sommes :
N'apprêtons point à rire aux hommes
En nous disant nos vérités.
Mercure
Adieu : je vais làbas, dans ma commission,
Dépouiller promptement la forme de Mercure
Pour y vêtir la figure
Du valet d'Amphitryon.
La Nuit
Moi, dans cet hémisphère, avec ma suite obscure
Je vais faire une station.
Mercure
Bon jour, la Nuit.
La Nuit
Adieu, Mercure.
(Mercure descend de son nuage en terre, et la Nuit passe dans son char.)
Amphitryon
Prologue 10
Acte I
Scène I
Sosie
Qui va là ? Heu ? Ma peur, à chaque pas, s'accroît.
Messieurs, ami de tout le monde.
Ah ! quelle audace sans seconde
De marcher à l'heure qu'il est !
Que mon maître, couvert de gloire,
Me joue ici d'un vilain tour !
Quoi ? si pour son prochain il avoit quelque amour,
M'auroitil fait partir par une nuit si noire ?
Et pour me renvoyer annoncer son retour.
Et le détail de sa victoire,
Ne pouvoitil pas bien attendre qu'il fût jour ?
Sosie, à quelle servitude
Tes jours sontils assujettis !
Notre sort est beaucoup plus rude
Chez les grands que chez les petits.
Ils veulent que pour eux tout soit, dans la nature,
Obligé de s'immoler.
Jour et nuit, grêle, vent, péril, chaleur, froidure,
Dès qu'ils parlent, il faut voler.
Vingt ans d'assidu service
N'en obtiennent rien pour nous ;
Le moindre petit caprice
Nous attire leur courroux.
Cependant notre âme insensée
S'acharne au vain honneur de demeurer près d'eux,
Et s'y veut contenter de la fausse pensée Qu'ont tous les autres gens que
nous sommes heureux.
Acte I 11
Vers la retraite en vain la raison nous appelle ;
En vain notre dépit quelquefois y consent :
Leur vue a sur notre zèle
Un ascendant trop puissant,
Et la moindre faveur d'un coup d'oeil caressant
Nous rengage de plus belle.
Mais enfin, dans l'obscurité,
Je vois notre maison, et ma frayeur s'évade.
Il me faudroit, pour l'ambassade,
Quelque discours prémédité.
Je dois aux yeux d'Alcmène un portrait militaire
Du grand combat qui met nos ennemis à bas ;
Mais comment diantre le faire,
Si je ne m'y trouvai pas ?
N'importe, parlonsen et d'estoc et de taille,
Comme oculaire témoin :
Combien de gens fontils des récits de bataille
Dont ils se sont tenus loin ?
Pour jouer mon rôle sans peine,
Je le veux un peu repasser.
Voici la chambre où j'entre en courrier que l'on mène,
Et cette lanterne est Alcmène,
A qui je me dois adresser.
(Il pose sa lanterne à terre et lui adresse son compliment.)
"Madame, Amphitryon, mon maître, et votre époux... (Bon ! beau début ! )
l'esprit toujours plein de vos
charmes, M'a voulu choisir entre tous,
Pour vous donner avis du succès de ses armes,
Et du desir qu'il a de se voir près de vous."
"Ha ! vraiment, mon pauvre Sosie,
A te revoir j'ai de la joie au coeur."
"Madame, ce m'est trop d'honneur,
Et mon destin doit faire envie."
(Bien répondu ! ) "Comment se porte Amphitryon ? "
"Madame, en homme de courage,
Amphitryon
Acte I 12
Dans les occasions où la gloire l'engage."
(Fort bien ! belle conception ! )
"Quand viendratil, par son retour charmant,
Rendre mon âme satisfaite ? "
"Le plus tôt qu'il pourra, Madame, assurément,
Mais bien plus tard que son coeur ne souhaite."
(Ah ! ) "Mais quel est l'état où la guerre l'a mis ?
Que ditil ? que faitil ? Contente un peu mon âme."
"Il dit moins qu'il ne fait, Madame,
Et fait trembler les ennemis."
(Peste ! où prend mon esprit toutes ces gentillesses ? )
"Que font les révoltés ? dismoi, quel est leur sort ? "
"Ils n'ont pu résister, Madame, à notre effort :
Nous les avons taillés en pièces,
Mis Ptérélas leur chef à mort,
Pris Télèbe d'assaut, et déjà dans le port
Tout retentit de nos prouesses."
"Ah ! quel succès ! ô Dieux ! Qui l'eût pu jamais croire ?
Racontemoi, Sosie, un tel événement".
"Je le veux bien, Madame ; et, sans m'enfler de gloire, Du détail de cette
victoire
Je puis parler trèssavamment.
Figurezvous donc que Télèbe,
Madame, est de ce côté :
(Il marque les lieux sur sa main, ou à terre.)
C'est une ville, en vérité,
Aussi grande quasi que Thèbe,
La rivière est comme là.
Ici nos gens se campèrent ;
Et l'espace que voilà,
Nos ennemis l'occupèrent :
Sur un haut, vers cet endroit,
Etoit leur infanterie ;
Et plus bas, du côté droit,
Etoit la cavalerie.
Amphitryon
Acte I 13
Après avoir aux Dieux adressé les prières,
Tous les ordres donnés, on donne le signal.
Les ennemis, pensant nous tailler des croupières,
Firent trois pelotons de leurs gens à cheval ;
Mais leur chaleur par nous fut bientôt réprimée,
Et vous allez voir comme quoi.
Voilà notre avantgarde à bien faire animée ;
Là, les archers de Créon, notre roi ;
Et voici le corps d'armée,
(On fait un peu de bruit.)
Qui d'abord... Attendez : " le corps d'armée a peur.
J'entends quelque bruit, ce me semble.
Scène II
Mercure, Sosie
Mercure, sous la forme de Sosie.
Sous ce minois qui lui ressemble,
Chassons de ces lieux ce causeur,
Dont l'abord importun troubleroit la douceur
Que nos amants goûtent ensemble.
Sosie
Mon coeur tant soit peu se rassure,
Et je pense que ce n'est rien.
Crainte pourtant de sinistre aventure,
Allons chez nous achever l'entretien.
Mercure
Tu seras plus fort que Mercure,
Ou je t'en empêcherai bien.
Sosie
Cette nuit en longueur me semble sans pareille
Il faut, depuis le temps que je suis en chemin,
Amphitryon
Acte I 14
Ou que mon maître ait pris le soir pour le matin,
Ou que trop tard au lit le blond Phébus sommeille,
Pour avoir trop pris de son vin.
Mercure
Comme avec irrévérence Parle des Dieux ce maraut !
Mon bras saura bien tantôt
Châtier cette insolence,
Et je vais m'égayer avec lui comme il faut,
En lui volant son nom, avec sa ressemblance.
Sosie
Ah ! par ma foi, j'avois raison :
C'est fait de moi, chétive créature !
Je vois devant notre maison
Certain homme dont l'encolure
Ne me présage rien de bon.
Pour faire semblant d'assurance,
Je veux chanter un peu d'ici.
(Il chante ; et lorsque Mercure parle, sa voix s'affaiblit peu à peu.)
Mercure
Qui donc est ce coquin qui prend tant de licence,
Que de chanter et m'étourdir ainsi ?
Veutil qu'à l'étriller ma main un peu s'applique ?
Sosie
Cet homme assurément n'aime pas la musique ?
Mercure
Depuis plus d'une semaine,
Je n'ai trouvé personne à qui rompre les os ;
La vertu de mon bras se perd dans le repos, Et je cherche quelque dos,
Pour me remettre en haleine.
Amphitryon
Acte I 15
Sosie
Quel diable d'homme estce ci ?
De mortelles frayeurs je sens mon âme atteinte.
Mais pourquoi trembler tant aussi ?
Peutêtre atil dans l'âme autant que moi de crainte,
Et que le drôle parle ainsi
Pour me cacher sa peur sous une audace feinte ?
Oui, oui, ne souffrons point qu'on nous croie un oison :
Si je ne suis hardi, tâchons de le paraître.
Faisonsnous du coeur par raison ;
Il est seul, comme moi ; je suis fort, j'ai bon maître.
Et voilà notre maison.
Mercure
Qui va là ?
Sosie
Moi.
Mercure
Qui, moi ?
Sosie
Moi. Courage, Sosie !
Mercure
Quel est ton sort, dismoi ?
Sosie
D'être homme, et de parler.
Mercure
Estu maître ou valet ?
Sosie
Comme il me prend envie.
Amphitryon
Acte I 16
Mercure
Où s'adressent tes pas ?
Sosie
Où j'ai dessein d'aller.
Mercure
Ah ! ceci me déplaît.
Sosie
J'en ai l'âme ravie.
Mercure
Résolument, par force ou par amour,
Je veux savoir de toi, traître,
Ce que tu fais, d'où tu viens avant jour,
Où tu vas, à qui tu peux être.
Sosie
Je fais le bien et le mal tour à tour ;
Je viens de là, vais là ; j'appartiens à mon maître.
Mercure
Tu montres de l'esprit, et je te vois en train
De trancher avec moi de l'homme d'importance.
Il me prend un desir, pour faire connoissance,
De te donner un soufflet de ma main.
Sosie
A moimême ?
Mercure
A toimême : et t'en voilà certain.
(Il lui donne un soufflet.)
Amphitryon
Acte I 17
Sosie
Ah ! ah ! c'est tout de bon !
Mercure
Non : ce n'est que pour rire,
Et répondre à tes quolibets.
Sosie
Tudieu ! l'ami, sans vous rien dire,
Comme vous baillez des soufflets !
Mercure
Ce sont là de mes moindres coups,
De petits soufflets ordinaires.
Sosie
Si j'étois aussi prompt que vous,
Nous ferions de belles affaires.
Mercure
Tout cela n'est encor rien,
Pour y faire quelque pause :
Nous verrons bien autre chose,
Poursuivons notre entretien.
Sosie
Je quitte la partie.
(Il veut s'en aller.)
Mercure
Où vastu ?
Sosie
Que t'importe ?
Mercure
Amphitryon
Acte I 18
Je veux savoir où tu vas.
Sosie
Me faire ouvrir cette porte.
Pourquoi retienstu mes pas ?
Mercure
Si jusqu'à l'approcher tu pousses ton audace,
Je fais sur toi pleuvoir un orage de coups.
Sosie
Quoi ? tu veux, par ta menace,
M'empêcher d'entrer chez nous ?
Mercure
Comment, chez nous ?
Sosie
Oui, chez nous.
Mercure
O le traître !
Tu te dis de cette maison ?
Sosie
Fort bien. Amphitryon n'en estil pas le maître ?
Mercure
Hé bien ! que fait cette raison ?
Sosie
Je suis son valet.
Mercure
Toi ?
Sosie
Amphitryon
Acte I 19
Moi.
Mercure
Son valet ?
Sosie
Sans doute.
Mercure
Valet d'Amphitryon ?
Sosie
D'Amphitryon, de lui.
Mercure
Ton nom est... ?
Sosie
Sosie.
Mercure
Heu ? comment ?
Sosie
Sosie.
Mercure
Ecoute :
Saistu que de ma main je t'assomme aujourd'hui ?
Sosie
Pourquoi ! De quelle rage est ton âme saisie ?
Mercure
Qui te donne, dismoi, cette témérité
De prendre le nom de Sosie ?
Amphitryon
Acte I 20
Sosie
Moi, je ne le prends point, je l'ai toujours porté.
Mercure
O le mensonge horrible ! et l'imprudence extrême !
Tu m'oses soutenir que Sosie est ton nom ?
Sosie
Fort bien : je le soutiens, par la grande raison
Qu'ainsi l'a fait des Dieux la puissance suprême,
Et qu'il n'est pas en moi de pouvoir dire non,
Et d'être un autre que moimême.
(Mercure le bat.)
Mercure
Mille coups de bâton doivent être le prix
D'une pareille effronterie.
Sosie
Justice, citoyens ! Au secours ! je vous prie.
Mercure
Comment, bourreau, tu fais des cris ?
Sosie
De mille coups tu me meurtris,
Et tu ne veux pas que je crie ?
Mercure
C'est ainsi que mon bras...
Sosie
L'action ne vaut rien :
Tu triomphes de l'avantage
Que te donne sur moi mon manque de courage ;
Amphitryon
Acte I 21
Et ce n'est pas en user bien.
C'est pure fanfaronnerie
De vouloir profiter de la poltronnerie
De ceux qu'attaque notre bras.
Battre un homme à jeu sûr n'est pas d'une belle âme ;
Et le coeur est digne de blâme
Contre les gens qui n'en ont pas.
Mercure
Hé bien ! estu Sosie à présent ? qu'en distu ?
Sosie
Tes coups n'ont point en moi fait de métamorphose ;
Et tout le changement que je trouve à la chose,
C'est d'être Sosie battu.
Mercure
Encor ? Cent autres coups pour cette autre impudence.
Sosie
De grâce, fais trêve à tes coups.
Mercure
Fais donc trêve à ton insolence.
Sosie
Tout ce qu'il te plaira ; je garde le silence :
La dispute est par trop inégale entre nous.
Mercure
Estu Sosie encor ? dis, traître !
Sosie
Hélas ! je suis ce que tu veux ;
Dispose de mon sort tout au gré de tes voeux :
Ton bras t'en a fait le maître.
Amphitryon
Acte I 22
Mercure
Ton nom étoit Sosie, à ce que tu disois ?
Sosie
Il est vrai, jusqu'ici j'ai cru la chose claire ;
Mais ton bâton, sur cette affaire,
M'a fait voir que je m'abusois.
Mercure
C'est moi qui suis Sosie, et tout Thèbes l'avoue :
Amphitryon jamais n'en eut d'autre que moi.
Sosie
Toi, Sosie ?
Mercure
Oui, Sosie ; et si quelqu'un s'y joue,
Il peut bien prendre garde à soi.
Sosie
Ciel ! me fautil ainsi renoncer à moimême,
Et par un imposteur me voir voler mon nom ?
Que son bonheur est extrême
De ce que je suis poltron !
Sans cela, par la mort... !
Mercure
Entre tes dents, je pense,
Tu murmures je ne sais quoi ?
Sosie
Non. Mais, au nom des Dieux, donnemoi la licence
De parler un moment à toi.
Mercure
Parle.
Amphitryon
Acte I 23
Sosie
Mais prometsmoi, de grâce,
Que les coups n'en seront point.
Signons une trêve.
Mercure
Passe ;
Va, je t'accorde ce point.
Sosie
Qui te jette, dismoi, dans cette fantaisie ?
Que te reviendratil de m'enlever mon nom ?
Et peuxtu faire enfin, quand tu serois démon,
Que je ne sois pas moi ? que je ne sois Sosie ?
Mercure
Comment, tu peux...
Sosie
Ah ! tout doux :
Nous avons fait trêve aux coups.
Mercure
Quoi ? pendard, imposteur, coquin...
Sosie
Pour des injures,
Dism'en tant que tu voudras :
Ce sont légères blessures,
Et je ne m'en fâche pas.
Mercure
Tu te dis Sosie ?
Sosie
Amphitryon
Acte I 24
Oui. Quelque conte frivole...
Mercure
Sus, je romps notre trêve, et reprends ma parole.
Sosie
N'importe, je ne puis m'anéantir pour toi,
Et souffrir un discours si loin de l'apparence.
Etre ce que je suis estil en ta puissance ?
Et puisje cesser d'être moi ?
S'avisaton jamais d'une chose pareille ?
Et peuton démentir cent indices pressants ?
Rêvéje ? estce que je sommeille ?
Aije l'esprit troublé par des transports puissants ?
Ne sensje pas bien que je veille ? Ne suisje pas dans mon bon sens ?
Mon maître Amphitryon ne m'atil pas commis
A venir en ces lieux vers Alcmène sa femme ?
Ne lui doisje pas faire, en lui vantant sa flamme,
Un récit de ses faits contre nos ennemis ?
Ne suisje pas du port arrivé tout à l'heure ?
Ne tiensje pas une lanterne en main ?
Ne te trouvéje pas devant notre demeure ?
Ne t'y parléje pas d'un esprit tout humain ?
Ne te tienstu pas fort de ma poltronnerie
Pour m'empêcher d'entrer chez nous ?
N'astu pas sur mon dos exercé ta furie ?
Ne m'astu pas roué de coups ?
Ah ! tout cela n'est que trop véritable,
Et plût au Ciel le fûtil moins !
Cesse donc d'insulter au sort d'un misérable,
Et laisse à mon devoir s'acquitter de ses soins.
Mercure
Arrête, ou sur ton dos le moindre pas attire
Un assommant éclat de mon juste courroux.
Amphitryon
Acte I 25
Tout ce que tu viens de dire
Est à moi, hormis les coups.
C'est moi qu'Amphitryon députe vers Alcmène,
Et qui du port Persique arrive de ce pas ;
Moi qui viens annoncer la valeur de son bras
Qui nous fait remporter une victoire pleine,
Et de nos ennemis a mis le chef à bas ;
C'est moi qui suis Sosie enfin, de certitude, Fils de Dave, honnête berger ;
Frère d'Arpage, mort en pays étranger ;
Mari de Cléanthis la prude,
Dont l'humeur me fait enrager ;
Qui dans Thèbe ai reçu mille coups d'étrivière,
Sans en avoir jamais dit rien,
Et jadis en public fus marqué par derrière,
Pour être trop homme de bien.
Sosie
Il a raison. A moins d'être Sosie,
On ne peut pas savoir tout ce qu'il dit ;
Et dans l'étonnement dont mon âme est saisie,
Je commence, à mon tour, à le croire un petit.
En effet, maintenant que je le considère,
Je vois qu'il a de moi taille, mine, action.
Faisonslui quelque question,
Afin d'éclaircir ce mystère,
Parmi tout le butin fait sur nos ennemis,
Qu'estce qu'Amphitryon obtient pour son partage ?
Mercure
Cinq fort gros diamants, en noeud proprement mis,
Dont leur chef se paroit comme d'un rare ouvrage.
Sosie
A qui destinetil un si riche présent ?
Mercure
Amphitryon
Acte I 26
A sa femme ; et sur elle il le veut voir paraître.
Sosie
Mais où, pour l'apporter, estil mis à présent ?
Mercure
Dans un coffret, scellé des armes de mon maître.
Sosie
Il ne ment pas d'un mot à chaque repartie,
Et de moi je commence à douter tout de bon.
Près de moi, par la force, il est déjà Sosie ;
Il pourroit bien encor l'être par la raison.
Pourtant, quand je me tâte et que je me rappelle,
Il me semble que je suis moi.
Où puisje rencontrer quelque clarté fidèle,
Pour démêler ce que je voi ?
Ce que j'ai fait tout seul, et que n'a vu personne,
A moins d'être moimême, on ne le peut savoir.
Par cette question il faut que je l'étonne :
C'est de quoi le confondre, et nous allons le voir.
Lorsqu'on étoit aux mains, que fistu dans nos tentes,
Où tu courus seul te fourrer ?
Mercure
D'un jambon...
Sosie
L'y voilà !
Mercure
Que j'allai déterrer,
Je coupai bravement deux tranches succulentes,
Dont je sus fort bien me bourrer ;
Et joignant à cela d'un vin que l'on ménage,
Et dont, avant le goût, les yeux se contentoient,
Amphitryon
Acte I 27
Je pris un peu de courage
Pour nos gens qui se battoient.
Sosie
Cette preuve sans pareille
En sa faveur conclut bien ;
Et l'on n'y peut dire rien,
S'il n'étoit dans la bouteille.
Je ne saurois nier, aux preuves qu'on m'expose,
Que tu ne sois Sosie, et j'y donne ma voix.
Mais si tu l'es, dismoi qui tu veux que je sois ?
Car encor fautil bien que je sois quelque chose.
Mercure
Quand je ne serai plus Sosie,
Soisle, j'en demeure d'accord ;
Mais tant que je le suis, je te garantis mort,
Si tu prends cette fantaisie.
Sosie
Tout cet embarras met mon esprit sur les dents,
Et la raison à ce qu'on voit s'oppose.
Mais il faut terminer enfin par quelque chose ;
Et le plus court pour moi, c'est d'entrer là dedans.
Mercure
Ah ! tu prends donc, pendard, goût à la bastonnade ?
Sosie
Ah ! qu'estce ci ? grands Dieux ! il frappe un ton plus fort,
Et mon dos, pour un mois, en doit être malade.
Laissons ce diable d'homme, et retournons au port.
O juste Ciel ! j'ai fait une belle ambassade !
Mercure
Enfin, je l'ai fait fuir ; et sous ce traitement
Amphitryon
Acte I 28
De beaucoup d'actions il a reçu la peine.
Mais je vois Jupiter, que fort civilement
Reconduit l'amoureuse Alcmène.
Scène III
Jupiter, Alcmène, Cléanthis, Mercure
Jupiter
Défendez, chère Alcmène, aux flambeaux d'approcher.
Ils m'offrent des plaisirs en m'offrant votre vue ;
Mais ils pourroient ici découvrir ma venue,
Qu'il est à propos de cacher.
Mon amour, que gênoient tous ces soins éclatants
Où me tenoit lié la gloire de nos armes,
Au devoir de ma charge a volé les instants
Qu'il vient de donner à vos charmes.
Ce vol qu'à vos beautés mon coeur a consacré
Pourroit être blâmé dans la bouche publique,
Et j'en veux pour témoin unique
Celle qui peut m'en savoir gré.
Alcmène
Je prends, Amphitryon, grande part à la gloire
Que répandent sur vous vos illustres exploits ;
Et l'éclat de votre victoire
Sait toucher de mon coeur les sensibles endroits ;
Mais quand je vois que cet honneur fatal
Eloigne de moi ce que j'aime,
Je ne puis m'empêcher, dans ma tendresse extrême,
De lui vouloir un peu de mal,
Et d'opposer mes voeux à cet ordre suprême
Qui des Thébains vous fait le général. C'est une douce chose, après une
victoire,
Que la gloire où l'on voit ce qu'on aime élevé ;
Mais parmi les périls mêlés à cette gloire,
Amphitryon
Acte I 29
Un triste coup, hélas ! est bientôt arrivé.
De combien de frayeurs aton l'âme blessée,
Au moindre choc dont on entend parler !
Voiton, dans les horreurs d'une telle pensée,
Par où jamais se consoler
Du coup dont on est menacée ?
Et de quelque laurier qu'on couronne un vainqueur,
Quelque part que l'on ait à cet honneur suprême,
Vautil ce qu'il en coûte aux tendresses d'un coeur
Qui peut, à tout moment, trembler pour ce qu'il aime ?
Jupiter
Je ne vois rien en vous dont mon feu ne s'augmente :
Tout y marque à mes yeux un coeur bien enflammé ;
Et c'est, je vous l'avoue, une chose charmante
De trouver tant d'amour dans un objet aimé.
Mais, si je l'ose dire, un scrupule me gêne
Aux tendres sentiments que vous me faites voir ;
Et pour les bien goûter, mon amour, chère Alcmène,
Voudroit n'y voir entrer rien de votre devoir :
Qu'à votre seule ardeur, qu'à ma seule personne,
Je dusse les faveurs que je reçois de vous,
Et que la qualité que j'ai de votre époux
Ne fût point ce qui me les donne.
Alcmène
C'est de ce nom pourtant que l'ardeur qui me brûle
Tient le droit de paroître au jour,
Et je ne comprends rien à ce nouveau scrupule
Dont s'embarrasse votre amour.
Jupiter
Ah ! ce que j'ai pour vous d'ardeur et de tendresse
Passe aussi celle d'un époux,
Et vous ne savez pas, dans des moments si doux,
Quelle en est la délicatesse.
Amphitryon
Acte I 30
Vous ne concevez point qu'un coeur bien amoureux
Sur cent petits égards s'attache avec étude,
Et se fait une inquiétude
De la manière d'être heureux.
En moi, belle et charmante Alcmène,
Vous voyez un mari, vous voyez un amant ;
Mais l'amant seul me touche, à parler franchement,
Et je sens, près de vous, que le mari le gêne.
Cet amant, de vos voeux jaloux au dernier point,
Souhaite qu'à lui seul votre coeur s'abandonne,
Et sa passion ne veut point
De ce que le mari lui donne.
Il veut de pure source obtenir vos ardeurs,
Et ne veut rien tenir des noeuds de l'hyménée,
Rien d'un fâcheux devoir qui fait agir les coeurs,
Et par qui, tous les jours, des plus chères faveurs
La douceur est empoisonnée.
Dans le scrupule enfin dont il est combattu, Il veut, pour satisfaire à sa
délicatesse,
Que vous le sépariez d'avec ce qui le blesse,
Que le mari ne soit que pour votre vertu,
Et que de votre coeur, de bonté revêtu,
L'amant ait tout l'amour et toute la tendresse.
Alcmène
Amphitryon, en vérité,
Vous vous moquez de tenir ce langage,
Et j'aurois peur qu'on ne vous crût pas sage,
Si de quelqu'un vous étiez écouté.
Jupiter
Ce discours est plus raisonnable,
Alcmène, que vous ne pensez ;
Mais un plus long séjour me rendroit trop coupable,
Et du retour au port les moments sont pressés.
Amphitryon
Acte I 31
Adieu : de mon devoir l'étrange barbarie
Pour un temps m'arrache de vous ;
Mais, belle Alcmène, au moins, quand vous verrez l'époux,
Songez à l'amant, je vous prie.
Alcmène
Je ne sépare point ce qu'unissent les Dieux,
Et l'époux et l'amant me sont fort précieux.
Cléanthis
O Ciel ! que d'aimables caresses
D'un époux ardemment chéri ! Et que mon traître de mari
Est loin de toutes ces tendresses !
Mercure
La Nuit, qu'il me faut avertir,
N'a plus qu'à plier tous ces voiles ;
Et, pour effacer les étoiles,
Le Soleil de son lit peut maintenant sortir.
Scène IV
Cléanthis, Mercure
(Mercure veut s'en aller.)
Cléanthis
Quoi ? c'est ainsi que l'on me quitte ?
Mercure
Et comment donc ? Ne veuxtu pas
Que de mon devoir je m'acquitte ?
Et que d'Amphitryon j'aille suivre les pas ?
Cléanthis
Mais avec cette brusquerie,
Amphitryon
Acte I 32
Traître, de moi te séparer !
Mercure
Le beau sujet de fâcherie !
Nous avons tant de temps ensemble à demeurer.
Cléanthis
Mais quoi ? partir ainsi d'une façon brutale,
Sans me dire un seul mot de douceur pour régale !
Mercure
Diantre ! où veuxtu que mon esprit
T'aille chercher des fariboles ? Quinze ans de mariage épuisent les paroles,
Et depuis un long temps nous nous sommes tout dit.
Cléanthis
Regarde, traître, Amphitryon,
Vois combien pour Alcmène il étale de flamme,
Et rougis làdessus du peu de passion
Que tu témoignes pour ta femme.
Mercure
Hé ! mon Dieu ! Cléanthis, ils sont encore amants.
Il est certain âge où tout passe ;
Et ce qui leur sied bien dans ces commencements,
En nous, vieux mariés, auroit mauvaise grâce.
Il nous feroit beau voir, attachés face à face
A pousser les beaux sentiments !
Cléanthis
Quoi ? suisje hors d'état, perfide, d'espérer
Qu'un coeur auprès de moi soupire ?
Mercure
Non, je n'ai garde de le dire ;
Amphitryon
Acte I 33
Mais je suis trop barbon pour oser soupirer,
Et je ferois crever de rire.
Cléanthis
Méritestu, pendard, cet insigne bonheur
De te voir pour épouse une femme d'honneur ?
Mercure
Mon Dieu ! tu n'es que trop honnête :
Ce grand honneur ne me vaut rien.
Ne sois point si femme de bien,
Et me romps un peu moins la tête.
Cléanthis
Comment ? de trop bien vivre on te voit me blâmer ?
Mercure
La douceur d'une femme est tout ce qui me charme ;
Et ta vertu fait un vacarme
Qui ne cesse de m'assommer.
Cléanthis
Il te faudroit des coeurs pleins de fausses tendresses,
De ces femmes aux beaux et louables talents,
Qui savent accabler leurs maris de caresses,
Pour leur faire avaler l'usage des galants.
Mercure
Ma foi ! veuxtu que je te dise ?
Un mal d'opinion ne touche que les sots ;
Et je prendrois pour ma devise :
"Moins d'honneur, et plus de repos."
Cléanthis
Comment ? tu souffrirois, sans nulle répugnance,
Que j'aimasse un galant avec toute licence ?
Amphitryon
Acte I 34
Mercure
Oui, si je n'étois plus de tes cris rebattu,
Et qu'on te vît changer d'humeur et de méthode.
J'aime mieux un vice commode
Qu'une fatigante vertu.
Adieu, Cléanthis, ma chère âme :
Il me faut suivre Amphitryon.
(Il s'en va.)
Cléanthis
Pourquoi, pour punir cet infâme,
Mon coeur n'atil assez de résolution ?
Ah ! que dans cette occasion,
J'enrage d'être honnête femme !
Amphitryon
Acte I 35
Acte II
Scène I
Amphitryon, Sosie
Amphitryon
Viens çà, bourreau, viens çà. Saistu, maître fripon,
Qu'à te faire assommer ton discours peut suffire ?
Et que pour te traiter comme je le desire,
Mon courroux n'attend qu'un bâton ?
Sosie
Si vous le prenez sur ce ton,
Monsieur, je n'ai plus rien à dire,
Et vous aurez toujours raison.
Amphitryon
Quoi ? tu veux me donner pour des vérités, traître,
Des contes que je vois d'extravagance outrés ?
Sosie
Non : je suis le valet, et vous êtes le maître ;
Il n'en sera, Monsieur, que ce que vous voudrez.
Amphitryon
Çà, je veux étouffer le courroux qui m'enflamme,
Et tout du long t'ouïr sur ta commission.
Il faut, avant que voir ma femme,
Que je débrouille ici cette confusion.
Rappelle tous tes sens, rentre bien dans ton âme,
Et réponds, mot pour mot, à chaque question.
Acte II 36
Sosie
Mais, de peur d'incongruité,
Ditesmoi, de grâce, à l'avance,
De quel air il vous plaît que ceci soit traité.
Parleraije, Monsieur, selon ma conscience,
Ou comme auprès des grands on le voit usité ?
Fautil dire la vérité,
Ou bien user de complaisance ?
Amphitryon
Non : je ne te veux obliger
Qu'à me rendre de tout un compte fort sincère.
Sosie
Bon, c'est assez ; laissezmoi faire :
Vous n'avez qu'à m'interroger.
Amphitryon
Sur l'ordre que tantôt je t'avois su prescrire... ?
Sosie
Je suis parti, les cieux d'un noir crêpe voilés,
Pestant fort contre vous dans ce fâcheux martyre,
Et maudissant vingt fois l'ordre dont vous parlez.
Amphitryon
Comment, coquin ?
Sosie
Monsieur, vous n'avez rien qu'à dire,
Je mentirai, si vous voulez.
Amphitryon
Voilà comme un valet montre pour nous du zèle.
Passons. Sur les chemins que t'estil arrivé ?
Sosie
Amphitryon
Acte II 37
D'avoir une frayeur mortelle,
Au moindre objet que j'ai trouvé.
Amphitryon
Poltron !
Sosie
En nous formant Nature a ses caprices ;
Divers penchants en nous elle fait observer :
Les uns à s'exposer trouvent mille délices ;
Moi, j'en trouve à me conserver.
Amphitryon
Arrivant au logis... ?
Sosie
J'ai devant notre porte,
En moimême voulu répéter un petit
Sur quel ton et de quelle sorte
Je ferois du combat le glorieux récit.
Amphitryon
Ensuite ?
Sosie
On m'est venu troubler et mettre en peine.
Amphitryon
Et qui ?
Sosie
Sosie, un moi, de vos ordres jaloux,
Que vous avez du port envoyé vers Alcmène,
Et qui de nos secrets a connoissance pleine,
Comme le moi qui parle à vous.
Amphitryon
Acte II 38
Amphitryon
Quels contes !
Sosie
Non, Monsieur, c'est la vérité pure.
Ce moi plutôt que moi s'est au logis trouvé ;
Et j'étois venu, je vous jure,
Avant que je fusse arrivé.
Amphitryon
D'où peut procéder, je te prie,
Ce galimatias maudit ?
Estce songe ? estce ivrognerie ?
Aliénation d'esprit ? Ou méchante plaisanterie ?
Sosie
Non : c'est la chose comme elle est,
Et point du tout conte frivole.
Je suis homme d'honneur, j'en donne ma parole,
Et vous m'en croirez, s'il vous plaît.
Je vous dis que, croyant n'être qu'un seul Sosie,
Je me suis trouvé deux chez nous ;
Et que de ces deux moi, piqués de jalousie,
L'un est à la maison, et l'autre est avec vous ;
Que le moi que voici, chargé de lassitude
A trouvé l'autre moi frais, gaillard, et dispos,
Et n'ayant d'autre inquiétude
Que de battre et casser des os.
Amphitryon
Il faut être, je le confesse,
D'un esprit bien posé, bien tranquille, bien doux,
Pour souffrir qu'un valet de chansons me repaisse.
Sosie
Amphitryon
Acte II 39
Si vous vous mettez en courroux,
Plus de conférence entre nous :
Vous savez que d'abord tout cesse.
Amphitryon
Non : sans emportement je te veux écouter ;
Je l'ai promis. Mais dis, en bonne conscience, Au mystère nouveau que tu
me viens conter
Estil quelque ombre d'apparence ?
Sosie
Non : vous avez raison, et la chose à chacun
Hors de créance doit paroître.
C'est un fait à n'y rien connoître,
Un conte extravagant, ridicule, importun :
Cela choque le sens commun ;
Mais cela ne laisse pas d'être.
Amphitryon
Le moyen d'en rien croire, à moins qu'être insensé ?
Sosie
Je ne l'ai pas cru, moi, sans une peine extrême :
Je me suis d'être deux senti l'esprit blessé,
Et longtemps d'imposteur j'ai traité ce moimême.
Mais à me reconnoître enfin il m'a forcé :
J'ai vu que c'étoit moi, sans aucun stratagème ;
Des pieds jusqu'à la tête, il est comme moi fait,
Beau, l'air noble, bien pris, les manières charmantes ;
Enfin deux gouttes de lait
Ne sont pas plus ressemblantes ;
Et n'étoit que ses mains sont un peu trop pesantes,
J'en serois fort satisfait.
Amphitryon
A quelle patience il faut que je m'exhorte !
Amphitryon
Acte II 40
Mais enfin n'estu pas entré dans la maison ?
Sosie
Bon, entré ! Hé ! de quelle sorte ?
Aije voulu jamais entendre de raison ?
Et ne me suisje pas interdit notre porte ?
Amphitryon
Comment donc ?
Sosie
Avec un bâton :
Dont mon dos sent encore une douleur trèsforte.
Amphitryon
On t'a battu ?
Sosie
Vraiment.
Amphitryon
Et qui ?
Sosie
Moi.
Amphitryon
Toi, te battre ?
Sosie
Oui, moi : non pas le moi d'ici,
Mais le moi du logis, qui frappe comme quatre.
Amphitryon
Te confonde le Ciel de me parler ainsi !
Amphitryon
Acte II 41
Sosie
Ce ne sont point des badinages.
Le moi que j'ai trouvé tantôt
Sur le moi qui vous parle a de grands avantages :
Il a le bras fort, le coeur haut ;
J'en ai reçu des témoignages,
Et ce diable de moi m'a rossé comme il faut :
C'est un drôle qui fait des rages.
Amphitryon
Achevons. Astu vu ma femme ?
Sosie
Non.
Amphitryon
Pourquoi ?
Sosie
Par une raison assez forte.
Amphitryon
Qui t'a fait y manquer, maraud ? expliquetoi.
Sosie
Fautil le répéter vingt fois de même sorte ?
Moi, vous disje, ce moi plus robuste que moi,
Ce moi qui s'est de force emparé de la porte,
Ce moi qui m'a fait filer doux,
Ce moi qui le seul moi veut être,
Ce moi de moimême jaloux,
Ce moi vaillant, dont le courroux
Au moi poltron s'est fait connaître,
Enfin ce moi qui suis chez nous,
Ce moi qui s'est montré mon maître,
Ce moi qui m'a roué de coups.
Amphitryon
Acte II 42
Amphitryon
Il faut que ce matin, à force de trop boire,
Il se soit troublé le cerveau.
Sosie
Je veux être pendu si j'ai bu que de l'eau :
A mon serment on m'en peut croire.
Amphitryon
Il faut donc qu'au sommeil tes sens se soient portés ? Et qu'un songe
fâcheux, dans ses confus mystères,
T'ait fait voir toutes les chimères
Dont tu me fais des vérités ?
Sosie
Tout aussi peu. Je n'ai point sommeillé,
Et n'en ai même aucune envie.
Je vous parle bien éveillé ;
J'étois bien éveillé ce matin, sur ma vie !
Et bien éveillé même étoit l'autre Sosie,
Quand il m'a si bien étrillé.
Amphitryon
Suismoi. Je t'impose silence :
C'est trop me fatiguer l'esprit ;
Et je suis un vrai fou d'avoir la patience
D'écouter d'un valet les sottises qu'il dit.
Sosie
Tous les discours sont des sottises,
Partant d'un homme sans éclat ;
Ce seroit paroles exquises
Si c'étoit un grand qui parlât.
Amphitryon
Acte II 43
Amphitryon
Entrons, sans davantage attendre.
Mais Alcmène paroît avec tous ses appas.
En ce moment sans doute elle ne m'attend pas
Et mon abord la va surprendre.
Scène II
Alcmène, Cléanthis, Amphitryon, Sosie
Alcmène
Allons pour mon époux, Cléanthis, vers les Dieux
Nous acquitter de nos hommages,
Et les remercier des succès glorieux
Dont Thèbes, par son bras, goûte les avantages.
O dieux !
Amphitryon
Fasse le Ciel qu'Amphitryon vainqueur
Avec plaisir soit revu de sa femme,
Et que ce jour favorable à ma flamme
Vous redonne à mes yeux avec le même coeur,
Que j'y retrouve autant d'ardeur
Que vous en rapporte mon âme !
Alcmène
Quoi ? de retour si tôt ?
Amphitryon
Certes, c'est en ce jour
Me donner de vos feux un mauvais témoignage,
Et ce "Quoi ? si tôt de retour ? "
En ces occasions n'est guère le langage
D'un coeur bien enflammé d'amour.
J'osois me flatter en moimême Que loin de vous j'aurois trop demeuré.
L'attente d'un retour ardemment desiré
Amphitryon
Acte II 44
Donne à tous les instants une longueur extrême,
Et l'absence de ce qu'on aime,
Quelque peu qu'elle dure, a toujours trop duré.
Alcmène
Je ne vois...
Amphitryon
Non, Alcmène, à son impatience
On mesure le temps en de pareils états ;
Et vous comptez les moments de l'absence
En personne qui n'aime pas.
Lorsque l'on aime comme il faut,
Le moindre éloignement nous tue,
Et ce dont on chérit la vue
Ne revient jamais assez tôt.
De votre accueil, je le confesse,
Se plaint ici mon amoureuse ardeur,
Et j'attendois de votre coeur
D'autres transports de joie et de tendresse.
Alcmène
J'ai peine à comprendre sur quoi
Vous fondez les discours que je vous entends faire ;
Et si vous vous plaignez de moi,
Je ne sais pas, de bonne foi,
Ce qu'il faut pour vous satisfaire, Hier au soir, ce me semble, à votre
heureux retour,
On me vit témoigner une joie assez tendre,
Et rendre aux soins de votre amour
Tout ce que de mon coeur vous aviez lieu d'attendre.
Amphitryon
Comment ?
Amphitryon
Acte II 45
Alcmène
Ne fisje pas éclater à vos yeux
Les soudains mouvements d'une entière allégresse ?
Et le transport d'un coeur peutil s'expliquer mieux,
Au retour d'un époux qu'on aime avec tendresse ?
Amphitryon
Que me ditesvous là ?
Alcmène
Que même votre amour
Montra de mon accueil une joie incroyable ;
Et que, m'ayant quittée à la pointe du jour,
Je ne vois pas qu'à ce soudain retour
Ma surprise soit si coupable.
Amphitryon
Estce que du retour que j'ai précipité
Un songe, cette nuit, Alcmène, dans votre âme
A prévenu la vérité ?
Et que m'ayant peutêtre en dormant bien traité
Votre coeur se croit vers ma flamme
Assez amplement acquitté ?
Alcmène
Estce qu'une vapeur, par sa malignité,
Amphitryon, a dans votre âme
Du retour d'hier au soir brouillé la vérité ?
Et que du doux accueil duquel je m'acquittai
Votre coeur prétend à ma flamme
Ravir toute l'honnêteté ?
Amphitryon
Cette vapeur dont vous me régalez
Est un peu, ce me semble, étrange.
Alcmène
Amphitryon
Acte II 46
C'est ce qu'on peut donner pour change
Au songe dont vous me parlez.
Amphitryon
A moins d'un songe, on ne peut pas sans doute
Excuser ce qu'ici votre bouche me dit.
Alcmène
A moins d'une vapeur qui vous trouble l'esprit,
On ne peut pas sauver ce que de vous j'écoute.
Amphitryon
Laissons un peu cette vapeur, Alcmène.
Alcmène
Laissons un peu ce songe, Amphitryon.
Amphitryon
Sur le sujet dont il est question,
Il n'est guère de jeu que trop loin on ne mène.
Alcmène
Sans doute ; et pour marque certaine,
Je commence à sentir un peu d'émotion.
Amphitryon
Estce donc que par là vous voulez essayer
A réparer l'accueil dont je vous ai fait plainte ?
Alcmène
Estce donc que par cette feinte
Vous désirez vous égayer ?
Amphitryon
Ah ! de grâce, cessons, Alcmène, je vous prie,
Et parlons sérieusement.
Amphitryon
Acte II 47
Alcmène
Amphitryon, c'est trop pousser l'amusement :
Finissons cette raillerie.
Amphitryon
Quoi ? vous osez me soutenir en face
Que plus tôt qu'à cette heure on m'ait ici pu voir ?
Alcmène
Quoi ? vous voulez nier avec audace
Que dès hier en ce lieux vous vîntes sur le soir ?
Amphitryon
Moi ! je vins hier ?
Alcmène
Sans doute ; et dès devant l'aurore,
Vous vous en êtes retourné.
Amphitryon
Ciel ! un pareil débat s'estil pu voir encore ?
Et qui de tout ceci ne seroit étonné ?
Sosie ?
Sosie
Elle a besoin de six grains d'ellébore.
Monsieur, son esprit est tourné.
Amphitryon
Alcmène, au nom de tous les Dieux !
Ce discours a d'étranges suites :
Reprenez vos sens un peu mieux,
Et pensez à ce que vous dites.
Alcmène
Amphitryon
Acte II 48
J'y pense mûrement aussi,
Et tous ceux du logis ont vu votre arrivée. J'ignore quel motif vous fait agir
ainsi ;
Mais si la chose avoit besoin d'être prouvée,
S'il étoit vrai qu'on pût ne s'en souvenir pas,
De qui puisje tenir, que de vous, la nouvelle
Du dernier de tous vos combats ?
Et les cinq diamants que portoit Ptérélas,
Qu'a fait dans la nuit éternelle
Tomber l'effort de votre bras ?
Et pourroiton vouloir un plus sûr témoignage ?
Amphitryon
Quoi ? je vous ai déjà donné
Le noeud de diamants que j'eus pour mon partage,
Et que je vous ai destiné ?
Alcmène
Assurément. Il n'est pas difficile.
De vous en bien convaincre.
Amphitryon
Et comment ?
Alcmène
Le voici.
Amphitryon
Sosie !
Sosie
Elle se moque, et je le tiens ici ;
Monsieur, la feinte est inutile.
Amphitryon
Le cachet est entier.
Amphitryon
Acte II 49
Alcmène
Estce une vision ?
Tenez. Trouverezvous cette preuve assez forte ?
Amphitryon
Ah Ciel ! ô juste Ciel !
Alcmène
Allez, Amphitryon,
Vous vous moquez d'en user de la sorte,
Et vous en devriez avoir confusion.
Amphitryon
Romps vite ce cachet.
Sosie, ayant ouvert le coffret.
Ma foi, la place est vide.
Il faut que par magie on ai su le tirer,
Ou bien que de luimême il soit venu, sans guide,
Vers celle qu'il a su qu'on en vouloit parer.
Amphitryon
O Dieux, dont le pouvoir sur les choses préside, Quelle est cette aventure ?
et qu'en puisje augurer
Dont mon amour ne s'intimide !
Sosie
Si sa bouche dit vrai, nous avons même sort,
Et de même que moi, Monsieur, vous êtes double.
Amphitryon
Taistoi.
Alcmène
Sur quoi vous étonner si fort ?
Amphitryon
Acte II 50
Et d'où peut naître ce grand trouble ?
Amphitryon
O Ciel ! quel étrange embarras !
Je vois des incidents qui passent la nature ;
Et mon honneur redoute une aventure
Que mon esprit ne comprend pas.
Alcmène
Songezvous, en tenant cette preuve sensible,
A me nier encor votre retour pressé ?
Amphitryon
Non ; mais à ce retour daignez, s'il est possible,
Me conter ce qui s'est passé.
Alcmène
Puisque vous demandez un récit de la chose.
Vous voulez dire donc que ce n'étoit pas vous ?
Amphitryon
Pardonnezmoi ; mais j'ai certaine cause
Qui me fait demander ce récit entre nous,
Alcmène
Les soucis importants qui vous peuvent saisir,
Vous ontils fait si vite en perdre la mémoire ?
Amphitryon
Peutêtre ; mais enfin vous me ferez plaisir
De m'en dire toute l'histoire.
Alcmène
L'histoire n'est pas longue. A vous je m'avançai,
Pleine d'une aimable surprise ;
Tendrement je vous embrassai,
Amphitryon
Acte II 51
Et témoignai ma joie à plus d'une reprise.
Amphitryon, en soimême.
Ah ! d'un si doux accueil je me serois passé.
Alcmène
Vous me fîtes d'abord ce présent d'importance,
Que du butin conquis vous m'aviez destiné.
Votre coeur, avec véhémence, M'étala de ses feux toute la violence,
Et les soins importuns qui l'avoient enchaîné,
L'aise de me revoir, les tourments de l'absence,
Tout le souci que son impatience
Pour le retour s'étoit donné ;
Et jamais votre amour, en pareille occurrence,
Ne me parut si tendre et si passionné.
Amphitryon, en soimême.
Peuton plus vivement se voir assassiné ?
Alcmène
Tous ces transports, toute cette tendresse,
Comme vous croyez bien, ne me déplaisoient pas ;
Et s'il faut que je le confesse,
Mon coeur, Amphitryon, y trouvoit mille appas.
Amphitryon
Ensuite, s'il vous plaît.
Alcmène
Nous nous entrecoupâmes
De mille questions qui pouvoient nous toucher.
On servit. Tête à tête ensemble nous soupâmes ;
Et le souper fini, nous nous fûmes coucher.
Amphitryon
Amphitryon
Acte II 52
Ensemble ?
Alcmène
Assurément. Quelle est cette demande ?
Amphitryon
Ah ! c'est ici le coup le plus cruel de tous,
Et dont à s'assurer trembloit mon feu jaloux.
Alcmène
D'où vous vient à ce mot une rougeur si grande ?
Aije fait quelque mal de coucher avec vous ?
Amphitryon
Non, ce n'étoit pas moi, pour ma douleur sensible :
Et qui dit qu'hier ici mes pas se sont portés,
Dit de toutes les faussetés
La fausseté la plus horrible.
Alcmène
Amphitryon !
Amphitryon
Perfide !
Alcmène
Ah ! quel emportement !
Amphitryon
Non, non : plus de douceur et plus de déférence,
Ce revers vient à bout de toute ma constance ; Et mon coeur ne respire, en
ce fatal moment,
Et que fureur et que vengeance.
Alcmène
De qui donc vous venger ? et quel manque de foi
Amphitryon
Acte II 53
Vous fait ici me traiter de coupable !
Amphitryon
Je ne sais pas, mais ce n'étoit pas moi ;
Et c'est un désespoir qui de tout rend capable.
Alcmène
Allez, indigne époux, le fait parle de soi,
Et l'imposture est effroyable.
C'est trop me pousser làdessus.
Et d'infidélité me voir trop condamnée.
Si vous cherchez, dans ces transports confus,
Un prétexte à briser les noeuds d'un hyménée
Qui me tient à vous enchaînée,
Tous ces détours sont superflus ;
Et me voilà déterminée
A souffrir qu'en ce jour nos liens soient rompus.
Amphitryon
Après l'indigne affront que l'on me fait connoître,
C'est bien à quoi sans doute il faut vous préparer :
C'est le moins qu'on doit voir, et les choses peutêtre
Pourront n'en pas là demeurer.
Le déshonneur est sûr, mon malheur m'est visible, Et mon amour en vain
voudroit me l'obscurcir ;
Mais le détail encor ne m'en est pas sensible,
Et mon juste courroux prétend s'en éclaircir.
Votre frère déjà peut hautement répondre
Que jusqu'à ce matin je ne l'ai point quitté :
Je m'en vais le chercher, afin de vous confondre
Sur ce retour qui m'est faussement imputé.
Après, nous percerons jusqu'au fond d'un mystère
Jusques à présent inouï ;
Et dans les mouvements d'une juste colère,
Malheur à qui m'aura trahi !
Amphitryon
Acte II 54
Sosie
Monsieur...
Amphitryon
Ne m'accompagne pas,
Et demeure ici pour m'attendre.
Cléanthis
Fautil ? ...
Alcmène
Je ne puis rien entendre :
Laissemoi seule et ne suis point mes pas.
Scène III
Cléanthis, Sosie
Cléanthis
Il faut que quelque chose ait brouillé sa cervelle ;
Mais le frère surlechamp
Finira cette querelle.
Sosie
C'est ici, pour mon maître, un coup assez touchant.
Et son aventure est cruelle.
Je crains fort pour mon fait quelque chose approchant,
Et je m'en veux tout doux éclaircir avec elle.
Cléanthis
Voyez s'il me viendra seulement aborder !
Mais je veux m'empêcher de rien faire paroître.
Sosie
La chose quelquefois est fâcheuse à connoître,
Amphitryon
Acte II 55
Et je tremble à la demander.
Ne vaudroitil point mieux, pour ne rien hasarder,
Ignorer ce qu'il en peut être ?
Allons, tout coup vaille, il faut voir,
Et je ne m'en saurois défendre.
La foiblesse humaine est d'avoir
Des curiosités d'apprendre
Ce qu'on ne voudroit pas savoir.
Dieu te gard', Cléanthis !
Cléanthis
Ah ! ah ! tu t'en avises,
Traître, de t'approcher de nous !
Sosie
Mon Dieu ! qu'astu ? toujours on te voit en courroux,
Et sur rien tu te formalises.
Cléanthis
Qu'appellestu sur rien, dis ?
Sosie
J'appelle sur rien
Ce qui sur rien s'appelle en vers ainsi qu'en prose ;
Et rien, comme tu le sais bien,
Veut dire rien, ou peu de chose.
Cléanthis
Je ne sais qui me tient, infâme,
Que je ne t'arrache les yeux,
Et ne t'apprenne où va le courroux d'une femme.
Sosie
Holà ! d'où te vient donc ce transport furieux ?
Cléanthis
Amphitryon
Acte II 56
Tu n'appelles donc rien le procédé, peutêtre,
Qu'avec moi ton coeur a tenu ?
Sosie
Et quel ?
Cléanthis
Quoi ? tu fais l'ingénu ?
Estce qu'à l'exemple du maître
Tu veux dire qu'ici tu n'es pas revenu ?
Sosie
Non, je sais fort bien le contraire ;
Mais je ne t'en fais pas le fin :
Nous avions bu de je ne sais quel vin,
Qui m'a fait oublier tout ce que j'ai pu faire.
Cléanthis
Tu crois peutêtre excuser par ce trait...
Sosie
Non, tout de bon, tu m'en peux croire.
J'étois dans un état où je puis avoir fait
Des choses dont j'aurois regret,
Et dont je n'ai nulle mémoire.
Cléanthis
Tu ne te souviens point du tout de la manière
Dont tu m'as su traiter, étant venu du port ?
Sosie
Non plus que rien. Tu peux m'en faire le rapport :
Je suis équitable et sincère,
Et me condamnerai moimême, si j'ai tort.
Cléanthis
Comment ? Amphitryon m'ayant su disposer,
Amphitryon
Acte II 57
Jusqu'à ce que tu vins j'avois poussé ma veille ;
Mais je ne vis jamais une froideur pareille :
De ta femme il fallut moimême t'aviser ;
Et lorsque je fus te baiser,
Tu détournas le nez, et me donnas l'oreille.
Sosie
Bon !
Cléanthis
Comment, bon ?
Sosie
Mon Dieu ! tu ne sais pas pourquoi,
Cléanthis, je tiens ce langage :
J'avois mangé de l'ail, et fis en homme sage
De détourner un peu mon haleine de toi.
Cléanthis
Je te sus exprimer des tendresses de coeur ;
Mais à tous mes discours tu fus comme une souche ; Et jamais un mot de
douceur
Ne te put sortir de la bouche.
Sosie
Courage !
Cléanthis
Enfin ma flamme eut beau s'émanciper,
Sa chaste ardeur en toi ne trouva rien que glace ;
Et dans un tel retour, je te vis la tromper,
Jusqu'à faire refus de prendre au lit la place
Que les lois de l'hymen t'obligent d'occuper.
Sosie
Amphitryon
Acte II 58
Quoi ? je ne couchai point...
Cléanthis
Non, lâche.
Sosie
Estil possible ?
Cléanthis
Traître, il n'est que trop assuré.
C'est de tous les affronts l'affront le plus sensible ;
Et loin que ce matin ton coeur l'ait réparé,
Tu t'es d'avec moi séparé
Par des discours chargés d'un mépris tout visible.
Sosie
Vivat Sosie !
Cléanthis
Hé quoi ? ma plainte a cet effet ?
Tu ris après ce bel ouvrage ?
Sosie
Que je suis de moi satisfait !
Cléanthis
Exprimeton ainsi le regret d'un outrage ?
Sosie
Je n'aurois jamais cru que j'eusse été si sage.
Cléanthis
Loin de te condamner d'un si perfide trait,
Tu m'en fais éclater la joie en ton visage !
Sosie
Amphitryon
Acte II 59
Mon Dieu, tout doucement ! Si je parois joyeux,
Crois que j'en ai dans l'âme une raison trèsforte,
Et que, sans y penser, je ne fis jamais mieux
Que d'en user tantôt avec toi de la sorte.
Cléanthis
Traître, te moquestu de moi ?
Sosie
Non, je te parle avec franchise.
En l'état où j'étois, j'avois certain effroi,
Dont avec ton discours mon âme s'est remise.
Je m'appréhendois fort, et craignois qu'avec toi
Je n'eusse fait quelque sottise.
Cléanthis
Quelle est cette frayeur ? et sachons donc pourquoi.
Sosie
Les médecins disent, quand on est ivre,
Que de sa femme on se doit abstenir,
Et que dans cet état il ne peut provenir
Que des enfants pesants et qui ne sauroient vivre.
Vois, si mon coeur n'eût su de froideur se munir,
Quels inconvénients auroient pu s'en ensuivre !
Cléanthis
Je me moque des médecins,
Avec leurs raisonnements fades :
Qu'ils règlent ceux qui sont malades,
Sans vouloir gouverner les gens qui sont bien sains.
Ils se mêlent de trop d'affaires,
De prétendre tenir nos chastes feux gênés ;
Et sur les jours caniculaires
Ils nous donnent encore, avec leurs lois sévères,
De cent sots contes par le nez.
Amphitryon
Acte II 60
Sosie
Tout doux !
Cléanthis
Non : je soutiens que cela conclut mal :
Ces raisons sont raisons d'extravagantes têtes.
Il n'est ni vin ni temps qui puisse être fatal
A remplir le devoir de l'amour conjugal ;
Et les médecins sont des bêtes.
Sosie
Contre eux, je t'en supplie, apaise ton courroux :
Ce sont d'honnêtes gens, quoi que le monde en dise.
Cléanthis
Tu n'es pas où tu crois ; en vain tu files doux :
Ton excuse n'est point une excuse de mise ;
Et je me veux venger tôt ou tard, entre nous,
De l'air dont chaque jour je vois qu'on me méprise.
Des discours de tantôt je garde tous les coups,
Et tâcherai d'user, lâche et perfide époux,
De cette liberté que ton coeur m'a permise.
Sosie
Quoi ?
Cléanthis
Tu m'a dit tantôt que tu consentois fort,
Lâche, que j'en aimasse un autre.
Sosie
Ah ! pour cet article, j'ai tort.
Je m'en dédis, il y va trop du nôtre :
Gardetoi bien de suivre ce transport.
Cléanthis
Amphitryon
Acte II 61
Si je puis une fois pourtant
Sur mon esprit gagner la chose...
Sosie
Fais à ce discours quelque pause :
Amphitryon revient, qui me paroît content.
Scène IV
Jupiter, Cléanthis, Sosie
Jupiter
Je viens prendre le temps de rapaiser Alcmène,
De bannir les chagrins que son coeur veut garder,
Et donner à mes feux, dans ce soin qui m'amène,
Le doux plaisir de se raccommoder.
Alcmène est làhaut, n'estce pas ?
Cléanthis
Oui, pleine d'une inquiétude
Qui cherche de la solitude,
Et qui m'a défendu d'accompagner ses pas.
Jupiter
Quelque défense qu'elle ait faite,
Elle ne sera pas pour moi.
Cléanthis
Son chagrin, à ce que je voi,
A fait une prompte retraite.
Scène V
Cléanthis, Sosie
Sosie
Que distu, Cléanthis, de ce joyeux maintien,
Amphitryon
Acte II 62
Après son fracas effroyable ?
Cléanthis
Que si toutes nous faisions bien,
Nous donnerions tous les hommes au diable.
Et que le meilleur n'en vaut rien.
Sosie
Cela se dit dans le courroux ;
Mais aux hommes par trop vous êtes accrochées ;
Et vous seriez, ma foi ! toutes bien empêchées,
Si le diable les prenoit tous.
Cléanthis
Vraiment...
Sosie
Les voici. Taisonsnous.
Scène VI
Jupiter, Alcmène, Cléanthis, Sosie
Jupiter
Voulezvous me désespérer
Hélas ! arrêtez, belle Alcmène.
Alcmène
Non, avec l'auteur de ma peine
Je ne puis du tout demeurer.
Jupiter
De grâce...
Alcmène
Laissezmoi.
Amphitryon
Acte II 63
Jupiter
Quoi... ?
Alcmène
Laissezmoi, vous disje.
Jupiter
Ses pleurs touchent mon âme, et sa douleur m'afflige.
Souffrez que mon coeur...
Alcmène
Non, ne suivez point mes pas.
Jupiter
Où voulezvous aller ?
Alcmène
Où vous ne serez pas.
Jupiter
Ce vous est une attente vaine.
Je tiens à vos beautés par un noeud trop serré,
Pour pouvoir un moment en être séparé :
Je vous suivrai partout, Alcmène.
Alcmène
Et moi, partout je vous fuirai.
Jupiter
Je suis donc bien épouvantable ?
Alcmène
Plus qu'on ne peut dire, à mes yeux.
Oui, je vous vois comme un monstre effroyable,
Un monstre cruel, furieux,
Amphitryon
Acte II 64
Et dont l'approche est redoutable,
Comme un monstre à fuir en tous lieux.
Mon coeur souffre, à vous voir, une peine incroyable ;
C'est un supplice qui m'accable ; Et je ne vois rien sous les cieux
D'affreux, d'horrible, d'odieux,
Qui ne me fût plus que vous supportable.
Jupiter
En voilà bien, hélas ! que votre bouche dit.
Alcmène
J'en ai dans le coeur davantage ;
Et pour s'exprimer tout, ce coeur a du dépit
De ne point trouver de langage.
Jupiter
Hé ! que vous a donc fait ma flamme,
Pour me pouvoir, Alcmène, en monstre regarder ?
Alcmène
Ah ! juste Ciel ! cela peutil se demander ?
Et n'estce pas pour mettre à bout une âme ?
Jupiter
Ah ! d'un esprit plus adouci...
Alcmène
Non, je ne veux du tout vous voir, ni vous entendre.
Jupiter
Avezvous bien le coeur de me traiter ainsi ?
Estce là cet amour si tendre, Qui devoit tant durer quand je vins hier ici ?
Alcmène
Non, non, ce ne l'est pas ; et vos lâches injures
Amphitryon
Acte II 65
En ont autrement ordonné.
Il n'est plus, cet amour tendre et passionné ;
Vous l'avez dans mon coeur, par cent vives blessures,
Cruellement assassiné.
C'est en sa place un courroux inflexible,
Un vif ressentiment, un dépit invincible.
Un désespoir d'un coeur justement animé,
Qui prétend vous haïr, pour cet affront sensible,
Autant qu'il est d'accord de vous avoir aimé :
Et c'est haïr autant qu'il est possible.
Jupiter
Hélas ! que votre amour n'avoit guère de force,
Si de si peu de chose on le peut voir mourir !
Ce qui n'étoit que jeu doitil faire un divorce ?
Et d'une raillerie aton lieu de s'aigrir ?
Alcmène
Ah ! c'est cela dont je suis offensée,
Et que ne peut pardonner mon courroux.
Des véritables traits d'un mouvement jaloux
Je me trouverois moins blessée.
La jalousie a des impressions
Dont bien souvent la force nous entraîne ;
Et l'âme la plus sage, en ces occasions, Sans doute avec assez de peine
Répond de ses émotions ;
L'emportement d'un coeur qui peut s'être abusé
A de quoi ramener une âme qu'il offense ;
Et dans l'amour qui lui donne naissance
Il trouve au moins, malgré toute sa violence,
Des raisons pour être excusé ;
De semblables transports contre un ressentiment
Pour défense toujours ont ce qui les fait naître,
Et l'on donne grâce aisément
A ce dont on n'est pas le maître.
Amphitryon
Acte II 66
Mais que, de gayeté de coeur,
On passe aux mouvements d'une fureur extrême,
Que sans cause l'on vienne, avec tant de rigueur,
Blesser la tendresse et l'honneur
D'un coeur qui chèrement nous aime,
Ah ! c'est un coup trop cruel en luimême,
Et que jamais n'oubliera ma douleur.
Jupiter
Oui, vous avez raison, Alcmène, il se faut rendre :
Cette action, sans doute, est un crime odieux ;
Je ne prétends plus le défendre ;
Mais souffrez que mon coeur s'en défende à vos yeux,
Et donne au vôtre à qui se prendre
De ce transport injurieux.
A vous en faire un aveu véritable,
L'époux, Alcmène, a commis tout le mal ;
C'est l'époux qu'il vous faut regarder en coupable. L'amant n'a point de part
à ce transport brutal,
Et de vous offenser son coeur n'est point capable :
Il a pour vous, ce coeur, pour jamais y penser,
Trop de respect et de tendresse ;
Et si de faire rien à vous pouvoir blesser
Il avoit eu la coupable foiblesse,
De cent coups à vos yeux il voudroit le percer.
Mais l'époux est sorti de ce respect soumis
Où pour vous on doit toujours être ;
A son dur procédé l'époux s'est fait connoître,
Et par le droit d'hymen il s'est cru tout permis ;
Oui, c'est lui qui sans doute est criminel vers vous.
Lui seul a maltraité votre aimable personne :
Haïssez, détestez l'époux,
J'y consens, et vous l'abandonne.
Mais, Alcmène, sauvez l'amant de ce courroux
Qu'une telle offense vous donne ;
Amphitryon
Acte II 67
N'en jetez pas sur lui l'effet,
Démêlezle un peu du coupable ;
Et pour être enfin équitable,
Ne le punissez point de ce qu'il n'a pas fait.
Alcmène
Ah ! toutes ces subtilités
N'ont que des excuses frivoles,
Et pour les esprits irrités
Ce sont des contretemps que de telles paroles.
Ce détour ridicule est en vain pris par vous :
Je ne distingue rien en celui qui m'offense, Tout y devient l'objet de mon
courroux,
Et dans sa juste violence
Sont confondus et l'amant et l'époux.
Tous deux de même sorte occupent ma pensée,
Et des mêmes couleurs, par mon âme blessée,
Tous deux ils sont peints à mes yeux :
Tous deux sont criminels, tous deux m'ont offensée,
Et tous deux me sont odieux.
Jupiter
Hé bien ! puisque vous le voulez,
Il faut donc me charger du crime.
Oui, vous avez raison lorsque vous m'immolez
A vos ressentiments en coupable victime ;
Un trop juste dépit contre moi vous anime,
Et tout ce grand courroux qu'ici vous étalez
Ne me fait endurer qu'un tourment légitime ;
C'est avec droit que mon abord vous chasse,
Et que de me fuir en tous lieux
Votre colère me menace :
Je dois vous être un objet odieux,
Vous devez me vouloir un mal prodigieux ;
Il n'est aucune horreur que mon forfait ne passe,
Amphitryon
Acte II 68
D'avoir offensé vos beaux yeux.
C'est un crime à blesser les hommes et les dieux,
Et je mérite enfin, pour punir cette audace,
Que contre moi votre haine ramasse
Tous ses traits les plus furieux. Mais mon coeur vous demande grâce ;
Pour vous la demander je me jette à genoux,
Et la demande au nom de la plus vive flamme,
Du plus tendre amour dont une âme
Puisse jamais brûler pour vous.
Si votre coeur, charmante Alcmène,
Me refuse la grâce où j'ose recourir,
Il faut qu'une atteinte soudaine
M'arrache, en me faisant mourir,
Aux dures rigueurs d'une peine
Que je ne saurois plus souffrir.
Oui, cet état me désespère :
Alcmène, ne présumez pas
Qu'aimant comme je fais vos célestes appas,
Je puisse vivre un jour avec votre colère.
Déjà de ces moments la barbare longueur
Fait sous des atteintes mortelles
Succomber tout mon triste coeur ;
Et de mille vautours les blessures cruelles
N'ont rien de comparable à ma vive douleur.
Alcmène, vous n'avez qu'à me le déclarer :
S'il n'est point de pardon que je doive espérer,
Cette épée aussitôt, par un coup favorable,
Va percer à vos yeux le coeur d'un misérable,
Ce coeur, ce traître coeur, trop digne d'expirer,
Puisqu'il a pu fâcher un objet adorable :
Heureux, en descendant au ténébreux séjour,
Si de votre courroux mon trépas vous ramène,
Et ne laisse en votre âme, après ce triste jour, Aucune impression de haine
Au souvenir de mon amour !
C'est tout ce que j'attends pour faveur souveraine.
Amphitryon
Acte II 69
Alcmène
Ah ! trop cruel époux !
Jupiter
Dites, parlez, Alcmène.
Alcmène
Fautil encor pour vous conserver des bontés,
Et vous voir m'outrager par tant d'indignités ?
Jupiter
Quelque ressentiment qu'un outrage nous cause,
Tientil contre un remords d'un coeur bien enflammé ?
Alcmène
Un coeur bien plein de flamme à mille morts s'expose,
Plutôt que de vouloir fâcher l'objet aimé.
Jupiter
Plus on aime quelqu'un, moins on trouve de peine...
Alcmène
Non, ne m'en parlez point : vous méritez ma haine.
Jupiter
Vous me haïssez donc ?
Alcmène
J'y fais tout mon effort ;
Et j'ai dépit de voir que toute votre offense
Ne puisse de mon coeur jusqu'à cette vengeance
Faire encore aller le transport.
Jupiter
Mais pourquoi cette violence,
Amphitryon
Acte II 70
Puisque pour vous venger je vous offre ma mort ?
Prononcezen l'arrêt, et j'obéis sur l'heure.
Alcmène
Qui ne sauroit haïr peutil vouloir qu'on meure ?
Jupiter
Et moi, je ne puis vivre, à moins que vous quittiez
Cette colère qui m'accable,
Et que vous m'accordiez le pardon favorable
Que je vous demande à vos pieds.
Résolvez ici l'un des deux :
Ou de punir, ou bien d'absoudre.
Alcmène
Hélas ! ce que je puis résoudre
Paroît bien plus que je ne veux.
Pour vouloir soutenir le courroux qu'on me donne, Mon coeur a trop su me
trahir :
Dire qu'on ne sauroit haïr,
N'estce pas dire qu'on pardonne ?
Jupiter
Ah ! belle Alcmène, il faut que, comblé d'allégresse...
Alcmène
Laissez : je me veux mal de mon trop de foiblesse.
Jupiter
Va, Sosie, et dépêchetoi,
Voir, dans les doux transports dont mon âme est charmée,
Ce que tu trouveras d'officiers de l'armée,
Et les invite à dîner avec moi.
Tandis que d'ici je le chasse,
Mercure y remplira sa place.
Amphitryon
Acte II 71
Scène VII
Cléanthis, Sosie
Sosie
Hé bien ! tu vois, Cléanthis, ce ménage.
Veuxtu qu'à leur exemple ici
Nous fassions entre nous un peu de paix aussi,
Quelque petit rapatriage ?
Cléanthis
C'est pour ton nez, vraiment ! Cela se fait ainsi.
Sosie
Quoi ? tu ne veux pas ?
Cléanthis
Non.
Sosie
Il ne m'importe guère :
Tant pis pour toi.
Cléanthis
La, la, revien.
Sosie
Non, morbleu ! je n'en ferai rien, Et je veux être, à mon tour, en colère.
Cléanthis
Va, va, traître, laissemoi faire :
On se lasse parfois d'être femme de bien.
Amphitryon
Acte II 72
Acte III
Scène I
Amphitryon
Oui, sans doute le sort tout exprès me le cache,
Et des tours que je fais à la fin je suis las.
Il n'est point de destin plus cruel, que je sache :
Je ne saurois trouver, portant partout mes pas,
Celui qu'à chercher je m'attache,
Et je trouve tous ceux que je ne cherche pas.
Mille fâcheux cruels, qui ne pensent pas l'être,
De nos faits avec moi, sans beaucoup me connoître,
Viennent se réjouir, pour me faire enrager.
Dans l'embarras cruel du souci qui me blesse,
De leurs embrassements et de leur allégresse
Sur mon inquiétude ils viennent tous charger.
En vain à passer je m'apprête,
Pour fuir leurs persécutions,
Leur tuante amitié de tous côtés m'arrête ;
Et tandis qu'à l'ardeur de leurs expressions
Je réponds d'un geste de tête,
Je leur donne tout bas cent malédictions.
Ah ! qu'on est peu flatté de louange, d'honneur,
Et de tout ce que donne une grande victoire,
Lorsque dans l'âme on souffre une vive douleur !
Et que l'on donneroit volontiers cette gloire,
Pour avoir le repos du coeur !
Ma jalousie, à tout propos,
Me promène sur ma disgrâce ; Et plus mon esprit y repasse,
Moins j'en puis débrouiller le funeste chaos.
Le vol des diamants n'est pas ce qui m'étonne :
Acte III 73
On lève les cachets, qu'on ne l'aperçoit pas ;
Mais le don qu'on veut qu'hier j'en vins faire en personne
Est ce qui fait ici mon cruel embarras.
La nature parfois produit des ressemblances
Dont quelques imposteurs ont pris droit d'abuser ;
Mais il est hors de sens que sous ces apparences
Un homme pour époux se puisse supposer,
Et dans tous ces rapports sont mille différences
Dont se peut une femme aisément aviser.
Des charmes de la Thessalie,
On vante de tout temps les merveilleux effets ;
Mais les contes fameux qui partout en sont faits,
Dans mon esprit toujours ont passé pour folie ;
Et ce seroit du sort une étrange rigueur,
Qu'au sortir d'une ample victoire
Je fusse contraint de les croire,
Aux dépens de mon propre honneur.
Je veux la retâter sur ce fâcheux mystère,
Et voir si ce n'est point une vaine chimère
Qui sur ses sens troublés ait su prendre crédit.
Ah ! fasse le Ciel équitable
Que ce penser soit véritable,
Et que pour mon bonheur elle ait perdu l'esprit !
Scène II
Mercure, Amphitryon
Mercure
Comme l'amour ici ne m'offre aucun plaisir,
Je m'en veux faire au moins qui soient d'autre nature.
Et je vais égayer mon sérieux loisir
A mettre Amphitryon hors de toute mesure.
Cela n'est pas d'un dieu bien plein de charité ;
Mais aussi n'estce pas ce dont je m'inquiète,
Et je me sens par ma planète
Amphitryon
Acte III 74
A la malice un peu porté.
Amphitryon
D'où vient donc qu'à cette heure on ferme cette porte ?
Mercure
Holà ! tout doucement ! Qui frappe ?
Amphitryon
Moi.
Mercure
Qui, moi ?
Amphitryon
Ah ! ouvre.
Mercure
Comment, ouvre ? Et qui donc estu, toi,
Qui fais tant de vacarme et parles de la sorte ?
Amphitryon
Quoi ? tu ne me connois pas ?
Mercure
Non.
Et n'en ai pas la moindre envie.
Amphitryon
Tout le monde perdil aujourd'hui la raison ?
Estce un mal répandu ? Sosie, holà ! Sosie !
Mercure
Hé bien ! Sosie : oui, c'est mon nom ;
Astu peur que je ne l'oublie ?
Amphitryon
Acte III 75
Amphitryon
Me voistu bien ?
Mercure
Fort bien. Qui peut pousser ton bras
A faire une rumeur si grande ?
Et que demandestu làbas ?
Amphitryon
Moi, pendard ! ce que je demande ?
Mercure
Que ne demandestu donc pas ?
Parle, si tu veux qu'on t'entende.
Amphitryon
Attends, traître : avec un bâton
Je vais làhaut me faire entendre,
Et de bonne façon t'apprendre,
A m'oser parler sur ce ton.
Mercure
Tout beau ! si pour heurter tu fais la moindre instance,
Je t'envoirai d'ici des messagers fâcheux.
Amphitryon
O Ciel ! viton jamais une telle insolence ?
La peuton concevoir d'un serviteur, d'un gueux ?
Mercure
Hé bien ! qu'estce ? M'astu tout parcouru par ordre ?
M'astu de tes gros yeux assez considéré ?
Comme il les écarquille, et paroît effaré !
Si des regards on pouvait mordre,
Il m'auroit déjà déchiré.
Amphitryon
Amphitryon
Acte III 76
Moimême je frémis de ce que tu t'apprêtes,
Avec ces impudents propos.
Que tu grossis pour toi d'effroyables tempêtes !
Quels orages de coups vont fondre sur ton dos !
Mercure
L'ami, si de ces lieux tu ne veux disparaître,
Tu pourras y gagner quelque contusion.
Amphitryon
Ah ! tu sauras, maraud, à ta confusion,
Ce que c'est qu'un valet qui s'attaque à son maître.
Mercure
Toi, mon maître ?
Amphitryon
Oui, coquin. M'osestu méconnaître ?
Mercure
Je n'en reconnois point d'autre qu'Amphitryon.
Amphitryon
Et cet Amphitryon, qui, hors moi, le peut être ?
Mercure
Amphitryon ?
Amphitryon
Sans doute.
Mercure
Ah ! quelle vision !
Disnous un peu : quel est le cabaret honnête
Où tu t'es coiffé le cerveau ?
Amphitryon
Acte III 77
Amphitryon
Comment ? encore ?
Mercure
Etoitce un vin à faire fête ?
Amphitryon
Ciel !
Mercure
Etoitil vieux, ou nouveau ?
Amphitryon
Que de coups !
Mercure
Le nouveau donne fort dans la tête,
Quand on le veut boire sans eau.
Amphitryon
Ah ! je t'arracherai cette langue sans doute.
Mercure
Passe, mon cher ami, croismoi :
Que quelqu'un ici ne t'écoute.
Je respecte le vin : vat'en, retiretoi,
Et laisse Amphitryon dans les plaisirs qu'il goûte.
Amphitryon
Comment Amphitryon est là dedans ?
Mercure
Fort bien :
Qui, couvert des lauriers d'une victoire pleine,
Est auprès de la belle Alcmène,
A jouir des douceurs d'un aimable entretien.
Amphitryon
Acte III 78
Après le démêlé d'un amoureux caprice,
Ils goûtent le plaisir de s'être rajustés,
Gardetoi de troubler leurs douces privautés,
Si tu ne veux qu'il ne punisse
L'excès de tes témérités.
Scène III
Amphitryon
Ah ! quel étrange coup m'atil porté dans l'âme !
En quel trouble cruel jettetil mon esprit !
Et si les choses sont comme le traître dit,
Où voisje ici réduits mon honneur et ma flamme ?
A quel partir me doit résoudre ma raison ?
Aije l'éclat ou le secret à prendre ?
Et doisje, en mon courroux, renfermer ou répandre
Le déshonneur de ma maison ?
Ah ! fautil consulter dans un affront si rude ?
Je n'ai rien à prétendre et rien ménager ;
Et toute mon inquiétude
Ne doit aller qu'à me venger.
Scène IV
Sosie, Naucratès, Polidas, Amphitryon
Sosie
Monsieur, avec mes soins tout ce que j'ai pu faire,
C'est de vous amener ces Messieurs que voici.
Amphitryon
Ah ! vous voilà ?
Sosie
Monsieur.
Amphitryon
Amphitryon
Acte III 79
Insolent ! téméraire.
Sosie
Quoi ?
Amphitryon
Je vous apprendrai de me traiter ainsi.
Sosie
Qu'estce donc ? qu'avezvous ?
Amphitryon
Ce que j'ai, misérable ?
Sosie
Holà, Messieurs, venez donc tôt.
Naucratès
Ah ! de grâce, arrêtez.
Sosie
De quoi suisje coupable ?
Amphitryon
Tu me le demande, maraud ?
Laissezmoi satisfaire un courroux légitime.
Sosie
Lorsque l'on pend quelqu'un, on lui dit pourquoi c'est.
Naucratès
Daignez nous dire au moins quel peut être son crime.
Sosie
Messieurs, tenez bon, s'il vous plaît.
Amphitryon
Acte III 80
Amphitryon
Comment ? il vient d'avoir l'audace
De me fermer ma porte au nez,
Et de joindre encor la menace
A mille propos effrénés !
Ah, coquin !
Sosie
Je suis mort.
Naucratès
Calmez cette colère.
Sosie
Messieurs.
Polidas
Qu'estce ?
Sosie
M'atil frappé ?
Amphitryon
Non, il faut qu'il ait le salaire
Des mots où tout à l'heure il s'est émancipé.
Sosie
Comment cela se peutil faire,
Si j'étois par votre ordre autre part occupé ?
Ces Messieurs sont ici pour rendre témoignage
Qu'à dîner avec vous je les viens d'inviter.
Naucratès
Il est vrai qu'il nous vient de faire ce message,
Et n'a point voulu nous quitter.
Amphitryon
Amphitryon
Acte III 81
Qui t'a donné cet ordre ?
Sosie
Vous.
Amphitryon
Et quand ?
Sosie
Après votre paix faite,
Au milieu des transports d'une âme satisfaite
D'avoir d'Alcmène apaisé le courroux.
Amphitryon
O Ciel ! chaque instant, chaque pas
Ajoute quelque chose à mon cruel martyre ;
Et dans ce fatal embarras,
Je ne sais plus que croire, ni que dire.
Naucratès
Tout ce que de chez vous il vient de nous conter
Surpasse si fort la nature,
Qu'avant que de rien faire et de vous emporter,
Vous devez éclaircir toute cette aventure.
Amphitryon
Allons : vous y pourrez seconder mon effort, Et le Ciel à propos ici vous a
fait rendre.
Voyons quelle fortune en ce jour peut m'attendre :
Débrouillons ce mystère, et sachons notre sort.
Hélas ! je brûle de l'apprendre,
Et je le crains plus que la mort.
Scène V
Jupiter, Amphitryon, Naucratès, Polidas, Sosie
Amphitryon
Acte III 82
Jupiter
Quel bruit à descendre m'oblige ?
Et qui frappe en maître où je suis ?
Amphitryon
Que voisje ? justes dieux !
Naucratès
Ciel ! quel est ce prodige ?
Quoi ? deux Amphitryons ici nous sont produits !
Amphitryon
Mon âme demeure transie ;
Hélas ! je n'en puis plus : l'aventure est à bout,
Ma destinée est éclaircie,
Et ce que je vois me dit tout.
Naucratès
Plus mes regards sur eux s'attachent fortement,
Plus je trouve qu'en tout l'un à l'autre est semblable.
Sosie
Messieurs, voici le véritable ;
L'autre est un imposteur digne de châtiment.
Polidas
Certes, ce rapport admirable
Suspend ici mon jugement.
Amphitryon
C'est trop être éludés par un fourbe exécrable :
Il faut, avec ce fer, rompre l'enchantement.
Naucratès
Arrêtez.
Amphitryon
Acte III 83
Amphitryon
Laissezmoi.
Naucratès
Dieu ! que voulezvous faire ?
Amphitryon
Punir d'un imposteur les lâches trahisons.
Jupiter
Tout beau ! l'emportement est fort peu nécessaire ;
Et lorsque de la sorte on se met en colère,
On fait croire qu'on a de mauvaises raisons.
Sosie
Oui, c'est un enchanteur qui porte un caractère
Pour ressembler aux maîtres des maisons.
Amphitryon
Je te ferai, pour ton partage,
Sentir par mille coups ces propos outrageants.
Sosie
Mon maître est homme de courage,
Et ne souffrira point que l'on batte ses gens.
Amphitryon
Laissezmoi m'assouvir dans mon courroux extrême,
Et laver mon affront au sang d'un scélérat.
Naucratès
Nous ne souffrirons point cet étrange combat
D'Amphitryon contre luimême.
Amphitryon
Amphitryon
Acte III 84
Quoi ? mon honneur de vous reçoit ce traitement ?
Et mes amis d'un fourbe embrassent la défense ?
Loin d'être les premiers à prendre ma vengeance,
Euxmêmes font obstacle à mon ressentiment ?
Naucratès
Que voulezvous qu'à cette vue
Fassent nos résolutions,
Lorsque par deux Amphitryons
Toute notre chaleur demeure suspendue ?
A vous faire éclater notre zèle aujourd'hui,
Nous craignons de faillir et de vous méconnoître. Nous voyons bien en
vous Amphitryon paroître,
Du salut des Thébains le glorieux appui ;
Mais nous le voyons tous aussi paroître en lui,
Et ne saurions juger dans lequel il peut être.
Notre parti n'est point douteux,
Et l'imposteur par nous doit mordre la poussière ;
Mais ce parfait rapport le cache entre vous deux ;
Et c'est un coup trop hasardeux
Pour l'entreprendre sans lumière.
Avec douceur laisseznous voir
De quel côté peut être l'imposture ;
Et dès que nous aurons démêlé l'aventure,
Il ne nous faudra point dire notre devoir.
Jupiter
Oui, vous avez raison ; et cette ressemblance
A douter de tous deux vous peut autoriser.
Je ne m'offense point de vous voir en balance :
Je suis plus raisonnable, et sais vous excuser.
L'oeil ne peut entre nous faire de différence,
Et je vois qu'aisément on s'y peut abuser.
Vous ne me voyez point témoigner de colère,
Point mettre l'épée à la main :
Amphitryon
Acte III 85
C'est un mauvais moyen d'éclaircir ce mystère,
Et j'en puis trouver un plus doux et plus certain.
L'un de nous est Amphitryon ;
Et tous deux à vos yeux nous le pouvons paraître.
C'est à moi de finir cette confusion ;
Et je prétends me faire à tous si bien connaître, Qu'aux pressantes clartés
de ce que je puis être,
Luimême soit d'accord du sang qui m'a fait naître,
Il n'ait plus de rien dire aucune occasion.
C'est aux yeux des Thébains que je veux avec vous
De la vérité pure ouvrir la connoissance ;
Et la chose sans doute est assez d'importance,
Pour affecter la circonstance
De l'éclaircir aux yeux de tous.
Alcmène attend de moi ce public témoignage :
Sa vertu, que l'éclat de ce désordre outrage ;
Veut qu'on la justifie, et j'en vais prendre soin.
C'est à quoi mon amour envers elle m'engage ;
Et des plus nobles chefs je fais un assemblage
Pour l'éclaircissement dont sa gloire a besoin.
Attendant avec vous ces témoins souhaités,
Ayez, je vous prie, agréable
De venir honorer la table
Où vous a Sosie invités.
Sosie
Je ne me trompois pas. Messieurs, ce mot termine
Toute l'irrésolution :
Le véritable Amphitryon
Est l'Amphitryon où l'on dîne.
Amphitryon
O Ciel ! puisje plus bas me voir humilié ?
Quoi ? fautil que j'entende ici, pour mon martyre,
Tout ce que l'imposteur à mes yeux vient de dire, Et que, dans la fureur
Amphitryon
Acte III 86
que ce discours m'inspire,
On me tienne le bras lié ?
Naucratès
Vous vous plaignez à tort. Permetteznous d'attendre
L'éclaircissement qui doit rendre
Les ressentiments de saison.
Je ne sais pas s'il impose ;
Mais il parle sur la chose
Comme s'il avoit raison.
Amphitryon
Allez, foibles amis, et flattez l'imposture :
Thèbes en a pour moi de tout autres que vous ;
Et je vais en trouver qui, partageant l'injure,
Sauront prêter la main à mon juste courroux.
Jupiter
Hé bien ! je les attends, et saurai décider
Le différend en leur présence.
Amphitryon
Fourbe, tu crois par là peutêtre t'évader ;
Mais rien ne te sauroit sauver de ma vengeance.
Jupiter
A ces injurieux propos
Je ne daigne à présent répondre :
Et tantôt je saurai confondre Cette fureur, avec deux mots :
Amphitryon
Le Ciel même, le Ciel ne t'y sauroit soustraire,
Et jusques aux Enfers j'irai suivre tes pas.
Jupiter
Amphitryon
Acte III 87
Il ne sera pas nécessaire,
Et l'on verra tantôt que je ne fuirai pas.
Amphitryon
Allons, courons, avant que d'avec eux il sorte,
Assembler des amis qui suivent mon courroux,
Et chez moi venons à main forte,
Pour le percer de mille coups.
Jupiter
Point de façons, je vous conjure,
Entrons vite dans la maison.
Naucratès
Certes, toute cette aventure
Confond le sens et la raison.
Sosie
Faites trêve, Messieurs, à toutes vos surprises,
Et pleins de joie, allez tabler jusqu'à demain.
Que je vais m'en donner, et me mettre en beau train De raconter nos
vaillantises !
Je brûle d'en venir aux prises,
Et jamais je n'eus tant de faim.
Scène VI
Mercure, Sosie
Mercure
Arrête. Quoi ! tu viens ici mettre ton nez,
Impudent fleureur de cuisine ?
Sosie
Ah ! de grâce, tout doux !
Amphitryon
Acte III 88
Mercure
Ah ! vous y retournez !
Je vous ajusterai l'échine.
Sosie
Hélas ! brave et généreux moi,
Modèretoi, je t'en supplie.
Sosie, épargne un peu Sosie.
Et ne te plais point tant à frapper dessus toi.
Mercure
Qui de t'appeler de ce nom
A pu te donner la licence ?
Ne t'en aije pas fait une expresse défense,
Sous peine d'essuyer mille coups de bâton ?
Sosie
C'est un nom que tous deux nous pouvons à la fois
Posséder sous un même maître.
Pour Sosie en tous lieux on sait me reconnaître ;
Je souffre bien que tu le sois :
Souffre aussi que je le puisse être.
Laissons aux deux Amphitryons
Faire éclater des jalousies :
Et parmi leurs contentions,
Faisons en bonne paix vivre les deux Sosies.
Mercure
Non : c'est assez d'un seul, et je suis obstiné
A ne point souffrir de partage.
Sosie
Du pas devant sur moi tu prendras l'avantage ;
Je serai le cadet, et tu seras l'aîné.
Mercure
Amphitryon
Acte III 89
Non : un frère incommode, et n'est pas de mon goût,
Et je veux être fils unique.
Sosie
O coeur barbare et tyrannique !
Souffre qu'au moins je sois ton ombre
Mercure
Point du tout.
Sosie
Que d'un peu de pitié ton âme s'humanise ;
En cette qualité souffremoi près de toi :
Je te serai partout une ombre si soumise,
Que tu seras content de moi.
Mercure
Point de quartier : immuable est la loi.
Si d'entrer là dedans tu prends encor l'audace,
Mille coups en seront le fruit.
Sosie
Las ! à quelle étrange disgrâce,
Pauvre Sosie, estu réduit !
Mercure
Quoi ? ta bouche se licencie
A te donner encore un nom que je défends ?
Sosie
Non, ce n'est pas moi que j'entends.
Et je parle d'un vieux Sosie
Qui fut jadis de mes parents,
Qu'avec trèsgrande barbarie,
A l'heure du dîner, l'on chassa de céans.
Amphitryon
Acte III 90
Mercure
Prends garde de tomber dans cette frénésie,
Si tu veux demeurer au nombre des vivants.
Sosie
Que je te rosserois, si j'avois du courage,
Double fils de putain, de trop d'orgueil enflé !
Mercure
Que distu ?
Sosie
Rien.
Mercure
Tu tiens, je crois, quelque langage.
Sosie
Demandez : je n'ai pas soufflé.
Mercure
Certain mot de fils de putain
A pourtant frappé mon oreille,
Il n'est rien de plus certain.
Sosie
C'est donc un perroquet que le beau temps réveille.
Mercure
Adieu. Lorsque le dos pourra te démanger,
Voilà l'endroit où je demeure.
Sosie
O Ciel ! que l'heure de manger
Pour être mis dehors est une maudite heure !
Allons, cédons au sort dans notre affliction,
Suivonsen aujourd'hui l'aveugle fantaisie ;
Amphitryon
Acte III 91
Et par une juste union,
Joignons le malheureux Sosie
Au malheureux Amphitryon.
Je l'aperçois venir en bonne compagnie.
Scène VII
Amphitryon, Argatiphontidas, Posiclès, Sosie
Amphitryon
Arrêtez là, Messieurs ; suivonsnous d'un peu loin,
Et n'avancez tous, je vous prie,
Que quand il en sera besoin.
Posiclès
Je comprends que ce coup doit fort toucher votre âme.
Amphitryon
Ah ! de tous les côtés mortelle est ma douleur,
Et je souffre pour ma flamme
Autant que pour mon honneur.
Posiclès
Si cette ressemblance est telle que l'on dit,
Alcmène, sans être coupable...
Amphitryon
Ah ! sur le fait dont il s'agit,
L'erreur simple devient un crime véritable,
Et, sans consentement, l'innocence y périt.
De semblables erreurs, quelque jour qu'on leur donne,
Touchent des endroits délicats,
Et la raison bien souvent les pardonne,
Que l'honneur et l'amour ne les pardonnent pas.
Argatiphontidas
Je n'embarrasse point là dedans ma pensée ;
Amphitryon
Acte III 92
Mais je hais vos Messieurs de leurs honteux délais ;
Et c'est un procédé dont j'ai l'âme blessée,
Et que les gens de coeur n'approuveront jamais.
Quand quelqu'un nous emploie, on doit, tête baissée,
Se jeter dans ses intérêts.
Argatiphontidas ne va point aux accords.
Ecouter d'un ami raisonner l'adversaire
Pour des hommes d'honneur n'est point un coup à faire :
Il ne faut écouter que la vengeance alors.
Le procès ne me sauroit plaire ;
Et l'on doit commencer toujours, dans ses transports,
Par bailler, sans autre mystère,
De l'épée au travers du corps.
Oui, vous verrez, quoi qu'il advienne,
Qu'Argatiphontidas marche droit sur ce point ;
Et de vous il faut que j'obtienne
Que le pendard ne meure point
D'une autre main que de la mienne.
Amphitryon
Allons.
Sosie
Je viens, Monsieur, subir, à vos genoux,
Le juste châtiment d'une audace maudite.
Frappez, battez, chargez, accablezmoi de coups,
Tuezmoi dans votre courroux : Vous ferez bien, je le mérite,
Et je n'en dirai pas un seul mot contre vous.
Amphitryon
Lèvetoi. Que faiton ?
Sosie
L'on m'a chassé tout net ;
Et croyant à manger m'aller comme eux ébattre,
Amphitryon
Acte III 93
Je ne songeois pas qu'en effet
Je m'attendois là pour me battre.
Oui, l'autre moi, valet de l'autre vous, a fait
Tout de nouveau le diable à quatre.
La rigueur d'un pareil destin,
Monsieur, aujourd'hui nous talonne ;
Et l'on me désSosie enfin
Comme on vous désAmphitryonne.
Amphitryon
Suismoi.
Sosie
N'estil pas mieux de voir s'il vient personne ?
Scène VIII
Cléanthis, Naucratès, Polidas, Sosie, Amphitryon, Argatiphontidas,
Posiclès
Cléanthis
O ciel !
Amphitryon
Qui t'épouvante ainsi ?
Quelle est la peur que je t'inspire ?
Cléanthis
Las ! vous êtes làhaut, et je vous vois ici !
Naucratès
Ne vous pressez point : le voici.
Pour donner devant tous les clartés qu'on desire,
Et qui, si l'on peut croire à ce qu'il vient de dire,
Sauront vous affranchir de trouble et de souci.
Scène IX
Amphitryon
Acte III 94
Mercure, Cléanthis, Naucratès, Polidas, Sosie, Amphitryon,
Argatiphontidas, Posiclès
Mercure
Oui, vous l'allez voir tous ; et sachez par avance
Que c'est le grand maître des dieux
Que, sous les traits chéris de cette ressemblance,
Alcmène a fait du ciel descendre dans ces lieux ;
Et quant à moi, je suis Mercure,
Qui, ne sachant que faire, ai rossé tant soit peu
Celui dont j'ai pris la figure :
Mais de s'en consoler il a maintenant lieu ;
Et les coups de bâton d'un dieu
Font honneur à qui les endure.
Sosie
Ma foi ! Monsieur le dieu, je suis votre valet :
Je me serois passé de votre courtoisie.
Mercure
Je lui donne à présent congé d'être Sosie :
Je suis las de porter un visage si laid,
Et je m'en vais au ciel, avec de l'ambrosie,
M'en débarbouiller tout à fait.
(Il vole dans le ciel.)
Sosie
Le Ciel de m'approcher t'ôte à jamais l'envie !
Ta fureur s'est par trop acharnée après moi
Et je ne vis de ma vie
Un dieu plus diable que toi.
Scène X
Jupiter, Cléanthis, Naucratès, Polidas, Sosie, Amphitryon,
Argatiphontidas, Posiclès
Amphitryon
Acte III 95
Jupiter dans une nue.
Regarde, Amphitryon, quel est ton imposteur,
Et sous tes propres traits vois Jupiter paroître :
A ces marques tu peux aisément le connoître ;
Et c'est assez, je crois, pour remettre ton coeur
Dans l'état auquel il doit être,
Et rétablir chez toi la paix et la douceur.
Mon nom, qu'incessamment toute la terre adore,
Etouffe ici les bruits qui pouvoient éclater.
Un partage avec Jupiter
N'a rien du tout qui déshonore ;
Et sans doute il ne peut être que glorieux
De se voir le rival du souverain des dieux.
Je n'y vois pour ta flamme aucun lieu de murmure :
Et c'est moi, dans cette aventure,
Qui, tout dieu que je suis, dois être le jaloux.
Alcmène est toute à toi, quelque soin qu'on emploie ;
Et ce doit à tes feux être un objet bien doux
De voir que pour lui plaire il n'est point d'autre voie
Que de paroître son époux,
Que Jupiter, orné de sa gloire immortelle,
Par luimême n'a pu triompher de sa foi,
Et que ce qu'il a reçu d'elle
N'a par son coeur ardent été donné qu'à toi.
Sosie
Le seigneur Jupiter sait dorer la pilule.
Jupiter
Sors donc des noirs chagrins que ton coeur a soufferts.
Et rends le calme entier à l'ardeur qui te brûle :
Chez toi doit naître un fils qui, sous le nom d'Hercule,
Remplira de ses faits tout le vaste univers.
L'éclat d'une fortune en mille biens féconde
Fera connoître à tous que je suis ton support,
Amphitryon
Acte III 96
Et je mettrai tout le monde
Au point d'envier ton sort.
Tu peux hardiment te flatter
De ces espérances données ;
C'est un crime que d'en douter :
Les paroles de Jupiter
Sont des arrêts des destinées.
(Il se perd dans les nues.)
Naucratès
Certes, je suis ravi de ces marques brillantes...
Sosie
Messieurs, voulezvous bien suivre mon sentiment ?
Ne vous embarquez nullement
Dans ces douceurs congratulantes :
C'est un mauvais embarquement,
Et d'une et d'autre part, pour un tel compliment, Le phrases sont
embarrassantes.
Le grand dieu Jupiter nous fait beaucoup d'honneur,
Et sa bonté sans doute est pour nous sans seconde ;
Il nous promet l'infaillible bonheur
D'une fortune en mille biens féconde,
Et chez nous il doit naître un fils d'un trèsgrand coeur :
Tout cela va le mieux du monde :
Mais enfin coupons aux discours,
Et que chacun chez soi doucement se retire.
Sur telles affaires, toujours
Le meilleur est de ne rien dire.
FIN
Amphitryon
Acte III 97
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