Alors, sans se décourager, Tamango, étreignant son adversaire de toute sa
force, le mordit à la gorge avec tant de violence, que le sang jaillit comme
sous la dent d'un lion. Le sabre échappa de la main défaillante du capitaine.
Tamango s'en saisit ; puis, se relevant, la bouche sanglante, et poussant un
cri de triomphe, il perça de coups redoublés son ennemi déjà demi−mort.
La victoire n'était plus douteuse. Le peu de matelots qui restaient
essayèrent d'implorer la pitié des révoltés ; mais tous, jusqu'à l'interprète,
qui ne leur avait jamais fait de mal, furent impitoyablement massacrés. Le
lieutenant mourut avec gloire. Il s'était retiré à l'amère, auprès d'un de ces
petits canons qui tournent sur un pivot, et que l'on charge de mitraille. De
la main gauche, il dirigea la pièce, et, de la droite, armé d'un sabre, il se
défendit si bien qu'il attira autour de lui une foule de Noirs. Alors, pressant
la détente du canon, il fit au milieu de cette masse serrée une large rue
pavée de morts et de mourants. Un instant après il fut mis en pièces.
Lorsque le cadavre du dernier Blanc, déchiqueté et coupé par morceaux,
eut été jeté à la mer, les Noirs, rassasiés de vengeance, levèrent les yeux
vers les voiles du navire, qui, toujours enflées par un vent frais, semblaient
obéir encore à leurs oppresseurs et mener les vainqueurs, malgré leur
triomphe, vers la terre de l'esclavage.
“ Rien n'est donc fait, pensèrent−ils avec tristesse ; et ce grand fétiche des
Blancs voudra−t−il nous ramener dans notre pays, nous qui avons versé le
sang de ses maîtres ? ” Quelques−uns dirent que Tamango saurait le faire
obéir Aussitôt on appelle Tamango à grands cris.
Il ne se pressait pas de se montrer. On le trouva dans la chambre de poupe,
debout, une main appuyée sur le sabre sanglant du capitaine ; l'autre, il la
tendait d'un air distrait à sa femme Ayché, qui la baisait à genoux devant
lui. La joie d'avoir vaincu ne diminuait pas une sombre inquiétude qui se
trahissait dans toute sa contenance. Moins grossier que les autres, il sentait
mieux la difficulté de sa position.
Il parut enfin sur le tillac, affectant un calme qu'il n'éprouvait pas. Pressé
par cent voix confuses de diriger la course du vaisseau, il s'approcha du
gouvernail à pas lents, comme pour retarder un peu le moment qui allait,
pour lui−même et pour les autres, décider de l'étendue de son pouvoir.
Dans tout le vaisseau, il n'y avait pas un Noir, si stupide qu'il fût, qui n'eût
remarqué l'influence qu'une certaine roue et la boîte placée en face
Tamango
Tamango 15