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textuelles Frantextalisée par l'Institut National de
la Langue Fraaise (INaLF)
Satire X [Document électronique] / Nicolas Boileau-Despreaux
AU LECTEUR
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Voici enfin la satire qu' on me demande depuis si
long-temps. Si j' ai tant tardé à la mettre au jour,
c' est que j' ai esté bien aise qu' elle ne parust
qu' avec la nouvelle édition qu' on faisoit de mon
livre, où je voulois qu' elle fust inserée. Plusieurs
de mes amis à qui je l' ai luë, en ont parlé
dans le monde avec de grands éloges, et ont publié
que c' estoit la meilleure de mes satires. Ils ne
m' ont pas en cela fait plaisir. Je connois le public.
Je sçai que naturellement il se revolte contre ces
loüanges outrées qu' on donne aux ouvrages avant
qu' ils ayent paru ; et que la pluspart des lecteurs
ne lisent ce qu' on leur a élevé si haut, qu' avec un
dessein formé de le rabbaisser.
Je declare donc que je ne veux point profiter de ces
discours avantageux : et non seulement je laisse au
public son jugement libre, mais je donne plein
pouvoir à tous ceux qui ont tant critiqué mon ode sur
Namur, d' exercer aussi contre ma satire toute la
rigueur de leur critique. J' espere qu' ils le feront
avec le mesme succès : et je puis les assurer que
tous leurs discours ne m' obligeront point à rompre
l' espece de voeu que j' ai fait de ne jamais défendre
mes ouvrages, quand on n' en attaquera que les mots
et les syllabes. Je sçaurai fort bien soûtenir contre
ces censeurs, Homere, Horace, Virgile, et tous
ces autres grands personnages dont j' admire les
écrits : mais pour
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mes écrits que je n' admire point, c' est à ceux qui
les approuveront à trouver des raisons pour les
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deffendre. C' est tout l' avis que j' ai à donner au
lecteur.
La bienseance neanmoins voudroit, ce me semble, que
je fisse icy quelque excuse au beau sexe, de la
liberté que je me suis donnée de peindre ses vices.
Mais au fond, toutes les peintures que je fais dans
ma satire sont si generales, que bien loin
d' apprehender que les femmes s' en offensent, c' est
sur leur approbation et sur leur curiosité que je
fonde la plus grande esperance du succés de mon
ouvrage. Une chose au moins dont je suis certain
qu' elles me loüeront, c' est d' avoir trouvé moyen dans
une matiere aussi délicate que celle que j' y traite,
de ne pas laisser échaper un seul mot qui pust le
moins du monde blesser la pudeur. J' espere donc que
j' obtiendrai aisément ma grace et qu' elles ne
seront pas plus choquées des predications que je
fais contre leurs defauts dans cette satire, que des
satires que les predicateurs font tous les jours en
chaire contre ces mesmes defauts.
SATIRE 10
Enfin bornant le cours de tes galanteries,
Alcippe, il est donc vrai, dans peu tu te maries.
Sur l' argent, c' est tout dire, on est déjà d' accord.
Ton beaupere futur vuide son coffre fort :
et déja le notaire a, d' un stile energique,
griffonde ton joug l' instrument authentique.
C' est bien fait. Il est temps de fixer tes desirs.
Ainsi que ses chagrins l' hymen a ses plaisirs.
Quelle joye en effet, quelle douceur extrême !
De se voir carressé d' une epouse qu' on aime :
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de s' entendre appeller petit coeur , ou mon
bon ;
de voir autour de soy croistre dans sa maison,
sous les paisibles loix d' une agreable mere,
de petits citoyens dont on croit estre pere !
Quel charme ! Au moindre mal qui nous vient
menacer,
de la voir aussi-tost accourir, s' empresser,
s' effrayer d' un peril qui n' a point d' apparence,
et souvent de douleur se pasmer par avance.
Car tu ne seras point de ces jaloux affreux,
habiles à se rendre inquiets, malheureux,
qui tandis qu' une epouse à leurs yeux se désole,
pensent toûjours qu' un autre en secret la console.
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Mais quoy, je voy déja que ce discours t' aigrit.
" char de Juvenal, et plein de son esprit
venez-vous, diras-tu, dans une piece outrée,
comme luy nous chanter : que dès le temps de Rhée
la chasteté déja, la rougeur sur le front,
avoit cs les humains receu plus d' un affront :
qu' on vit avec le fer naistre les injustices,
l' impieté, l' orgueil, et tous les autres vices,
mais que la bonne foy dans l' amour conjugal
n' alla point jusqu' au temps du troisième métal ?
Ces mots ont dans sa bouche une emphâze admirable :
mais je vous dirai, moi, sans alleguer la fable,
que si sous Adam mesme, et loin avant Noé,
le vice audacieux des hommes avoüé
à la triste innocence en tous lieux fit la guerre,
il demeura pourtant de l' honneur sur la terre :
qu' aux temps les plus féconds en Phrynés, en Lays,
plus d' une Penelope honora son pays ;
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et que mesme aujourd' hui, sur ces fameux modeles,
on peut trouver encor quelques femmes fideles. "
-sans doute ; et dans Paris, si je sçay bien
compter,
il en est jusqu' à trois, que je pourois citer.
Ton epouse dans peu sera la quatrième.
Je le veux croire ainsi : mais la chasteté mesme,
sous ce beau nom d' epouse, entrast-t-elle chés toy ;
de retour d' un voyage en arrivant, croy moy,
fais toûjours du logis avertir la maistresse.
Tel partit tout baigné des pleurs de sa Lucrece ;
qui faute d' avoir pris ce soin judicieux,
trouva. Tu sçais... -" je sçay que d' un conte odieux
vous avez comme moi sali vostre memoire.
Mais laissons là, dis-tu, Joconde et son histoire.
Du projet d' un hymen déja fort avancé,
devant vous aujourd' hui criminel dénoncé,
et mis sur la sellette aux piés de la critique,
je voy bien tout de bon qu' il faut que je m' explique.
Jeune autrefois par vous dans le monde conduit,
j' ay trop bien proffité, pour n' estre pas instruit
à quels discours malins le mariage expose.
Je sçai, que c' est un texte où chacun fait sa glose :
que de maris trompez tout rit dans l' univers,
epigrammes, chansons, rondeaux, fables en vers,
satire, comedie ; et sur cette matiere
j' ay veu tout ce qu' on fait La Fontaine et
Moliere :
j' ay leu tout ce qu' ont dit Villon et Saint-Gelais,
Arioste, Marot, Bocace, Rabelais,
et tous ces vieux recueils de satires naïves,
des malices du sexe immortelles archives.
Mais tout bien balancé, j' ay pourtant reconnu,
que de ces contes vains, le monde entretenu
n' en a pas de l' hymen moins veu fleurir l' usage ;
que sous ce joug mocqué tout à la fin s' engage :
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qu' à ce commun filet les railleurs mesmes pris,
ont esté tres-souvent de commodes maris ;
et que pour estre heureux sous ce joug salutaire.
Tout dépend en un mot du bon choix qu' on sçait faire.
Enfin, il faut icy parler de bonne foy,
je vieillis, et ne puis regarder sans effroy,
ces neveux affamez, dont l' importun visage
de mon bien à mes yeux faitjà le partage.
Je croisjà les voir au moment annoncé
qu' à la fin, sans retour, leur cher oncle est passé,
sur quelques pleurs forcez qu' ils auront soin qu' on
voye,
se faire consoler du sujet de leur joye.
Je me fais un plaisir, à ne vous rien celer,
de pouvoir, moi vivant, dans peu les desoler ;
et, trompant un espoir pour eux si plein de charmes,
arracher de leurs yeux de veritables larmes.
Vous dirai-je encor plus ? Soit foiblesse, ou raison,
je suis las de me voir les soirs en ma maison
seul avec des valets, souvent voleurs et traistres,
et toûjours, à coup seur, ennemis de leurs maistres.
Je ne me couche point, qu' aussi-tost dans mon lit
un souvenir fascheux n' apporte à mon esprit
ces histoires de morts lamentables, tragiques,
dont Paris tous les ans peut grossir ses
chroniques.
Dépoüillons-nous icy d' une vaine fierté.
Nous naissons, nous vivons pour la société.
à nous-mesmes livrez dans une solitude,
nostre bonheur bien-tost fait nostre inquietude ;
et si, durant un jour, nostre premier ayeul
plus riche d' une côte avoit vescu tout seul,
je doute, en sa demeure alors si fortunée,
s' il n' eust point prié Dieu d' abreger la journée.
N' allons donc point icy reformer l' univers,
ni par de vains discours, et de frivoles vers
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etalant au public nostre misanthropie,
censurer le lien le plus doux de la vie.
Laissons-là, croyez-moy, le monde tel qu' il est.
L' hymee est un joug, et c' est ce qui m' en plaist.
L' homme en ses passions toûjours errant sans guide,
a besoin qu' on lui mette et le mors et la bride.
Son pouvoir malheureux ne sert qu' à le gesner,
et pour le rendre libre, il le faut enchaîner.
C' est ainsi que souvent la main de Dieu l' assiste. "
-ha bon ! Voila parler en docte janseniste,
Alcippe, et sur ce point si sçavamment touché,
Desmâres, dans Saint-Roch, n' auroit pas mieux
prêc.
Mais c' est trop t' insulter. Quittons la raillerie.
Parlons sans hyperbole et sans plaisanterie.
Tu viens de mettre icy l' hymen en son beau-jour.
Entens donc : et permets que je prêche à mon tour.
L' epouse que tu prens, sans tache en sa conduite,
aux vertus, m' a-t-on dit, dans Port-Royal
instruite,
aux loix de son devoir regle tous ses desirs.
Mais qui peut t' asseurer, qu' invincible aux plaisirs
chez toy dans une vie ouverte à la licence,
elle conservera sa premiere innocence ?
Par toi-mesme bien-tost conduite à l' opera,
de quel air penses-tu, que ta sainte verra
d' un spectacle enchanteur la pompe harmonieuse,
ces danses, ces heros à voix luxurieuse ;
entendra ces discours sur l' amour seul roulans,
ces doucereux Renauds, ces insensez Rolands ;
sçaura d' eux qu' à l' amour comme au seul Dieu
suprême,
on doit immoler tout, jusqu' à la vertu même :
qu' on ne sçauroit trop tost se laisser enflammer :
qu' on n' a receu du ciel un coeur que pour aimer ;
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et tous ces lieux communs de morale lubrique,
que Lully rechauffa des sons de sa musique ?
Mais de quels mouvemens dans son coeur excités
sentira-t-elle alors tous ses sens agités ?
Je ne te répons pas, qu' au retour moins timide,
digne ecoliere enfin d' Angelique et d' Armide,
elle n' aille à l' instant pleine de ces doux sons,
avec quelque Médor pratiquer ces leçons.
Supposons toutefois, qu' encor fidelle et pure,
sa vertu de ce choc revienne sans blessure :
bien-tost dans ce grand monde, où tu vas l' entraîner,
au milieu des écueils qui vont l' environner,
crois-tu que toujours ferme aux bords du précipice
elle pourra marcher sans que le pluy glisse ?
Que toûjours insensible aux discours enchanteurs
d' un idolatre amas de jeunes seducteurs,
sa sagesse jamais ne deviendra folie ?
D' abord tu la verras, ainsi que dans Clélie,
recevant ses amans sous le doux nom d' amis,
s' en tenir avec eux aux petits soins permis :
puis, bien-tost en grande eau sur le fleuve du tendre,
naviger à souhait, tout dire, et tout entendre.
Et ne présume pas que Venus, ou Satan
souffre qu' elle en demeure aux termes du roman.
Dans le crime il suffit qu' une fois on débute,
une chûte toûjours attire une autre chûte.
L' honneur est comme une isle escarpée et sans bords.
On n' y peut plus rentrer dés qu' on en est dehors.
Peut-estre, avant deux ans ardente à te déplaire,
eprise d' un cadet, yvre d' un mousquetaire,
nous la verrons hanter les plus honteux brelans,
donner chez la Cornu rendez-vous aux galans ;
de Phèdre dédaignant la pudeur enfantine,
suivre à front découvert Z et Messaline ;
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conter pour grands exploits vingt hommes ruis,
blessés, battus pour elle, et quatre assassinés ;
trop heureux ! Si toûjours femme sordonnée,
sans mesure et sans regle au vice abandonnée,
par cent traits d' impudence aisés à ramasser,
elle t' acquiert au moins un droit pour la chasser.
Mais que deviendras-tu ? Si, folle en son caprice,
n' aimant que le scandale et l' éclat dans le vice,
bien moins pour son plaisir, que pour t' inquiéter,
au fond peu vicieuse elle aime à coqueter ?
Entre nous, verras-tu, d' un esprit bien tranquille,
chez ta femme aborder et la cour et la ville ?
Tout, hormis toy, chés toy, rencontre un doux accueil.
L' un est payé d' un mot, et l' autre d' un coup d' oeil.
Ce n' est que pour toy seul qu' elle est fiere et
chagrine.
Aux autres elle est douce, agreable, badine :
c' est pour eux qu' elle étale et l' or, et le brocard ;
que chez toi se prodigue et le rouge et le fard,
et qu' une main sçavante, avec tant d' artifice,
bastit de ses cheveux le galant édifice.
Dans sa chambre, croy-moi, n' entre point tout le jour.
Si tu veux posseder ta Lucrece à son tour,
atten, discret mari, que la belle en cornette
le soir ait étalé son teint sur la toilete,
et dans quatre mouchoirs, de sa beauté salis,
envoye au blanchisseur ses roses et ses lys.
Alors, tu peux entrer : mais sage en sa presence
ne va pas murmurer de sa folle dépense.
D' abord l' argent en main paye et viste et comptant.
Mais non, fay mine un peu d' en estrecontent,
pour la voir aussi-tost, sur ses deux pieds haussée,
déplorer sa vertu si mal récompene.
Un mari ne veut pas fournir à ses besoins !
Jamais femme après tout a-t-elle cousté moins ?
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à cinq cents louis d' or, tout au plus, chaque année,
sa pense en habits n' est-elle pas bornée ?
Que répondre ? Je voy, qu' à de si justes cris,
toi-mesme convaincu déjà tu t' attendris,
tout prest à la laisser, pourveu qu' elle s' appaise,
dans ton coffre en pleins sacs puiser tout à son
aise.
à quoi bon en effet t' allarmer de si peu ?
! Que seroit-ce donc, si le démon du jeu
versant dans son esprit sa ruineuse rage,
tous les jours mis par elle à deux doigts du naufrage
tu voyois tous tes biens au sort abandonnés
devenir le butin d' un pique ou d' un sonnés !
Le doux charme pour toi ! De voir chaque journée
de nobles champions ta femme environnée,
sur une table longue et façonnée exprés,
d' un tournois de bassette ordonner les apprests :
ou, si par un arrest la grossiere police
d' un jeu si necessaire interdit l' exercice,
ouvrir sur cette table un champ au lansquenet,
ou promener trois dez chassés de son cornet :
puis sur une autre table, avec un air plus sombre,
s' en aller mediter une vole au jeu d' ombre ;
s' écrier sur un as mal à propos jetté :
se plaindre d' un gâno qu' on n' a point écouté ;
ou, querellant tout bas le ciel qu' elle regarde,
à la beste gemir d' un roy venu sans garde.
Chés elle en ces emplois, l' aube du lendemain
souvent la trouve encor les cartes à la main.
Alors, pour se coucher les quittant, non sans peine,
elle plaint le malheur de la nature humaine
qui veut qu' en un sommeil, où tout s' ensevelit,
tant d' heures, sans joüer, se consument au lit.
Toutefois en partant la trouppe la console,
et d' un prochain retour chacun donne parole.
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C' est ainsi qu' une femme en doux amuzemens
sçait du temps qui s' envôle employer les momens ;
c' est ainsi que souvent par une forcenée,
une triste famille à l' hospital traînée,
voit ses biens en decret sur tous les murs écrits,
de sa déroute illustre effrayer tout Paris.
Mais que plûtost son jeu mille fois te ruine,
que si la famelique et honteuse Lézine,
venant, mal à propos, la saisir au collet,
elle te reduisoit à vivre sans valet,
comme ce magistrat de hideuse memoire
dont je veux bien ici te crayonner l' histoire.
Dans la robbe on vantoit son illustre maison.
Il estoit plein d' esprit, de sens, et de raison.
Seulement pour l' argent un peu trop de foiblesse
de ces vertus en lui ravaloit la noblesse.
Sa table toutefois, sans superfluité,
n' avoit rien que d' honneste en sa frugalité :
chés lui deux bons chevaux de pareille encolûre
trouvoient dans l' écurie une pleine pasture,
et du foin, que leur bouche au ratelier laissoit,
de surcroist une mule encor se nourrissoit.
Mais cette soif de l' or qui le brusloit dans l' âme
le fit enfin songer à choisir une femme ;
et l' honneur dans ce choix ne fut point regardé.
Vers son triste penchant son naturel guidé
le fit dans une avare et sordide famille
chercher un monstre affreux sous l' habit d' une fille,
et sans trop s' enquerir d' la laide venoit,
il sçût, ce fut assés, l' argent qu' on lui donnoit.
Rien ne le rebutta ; ni sa veuë éraillée,
ni sa masse de chair bizarrement taillée ;
et trois cens mille francs avec elle obtenus
la firent à ses yeux plus belle que Vénus.
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Il l' épouze, et bien-tost son hostesse nouvelle
le preschant, lui fit voir qu' il estoit au prix d' elle
un vrai dissipateur, un parfait débauché.
Lui-mesme le sentit, reconnut son peché,
se confessa prodigue, et plein de repentance
offrit sur ses avis de regler sa dépense.
Aussi-tost de chés eux tout rosti disparut :
le pain bis renfer d' une moitié décrut :
les deux chevaux, la mule, au marché s' envolerent,
deux grands laquais à jeun, sur le soir s' en allerent.
De ces coquins déja l' on se trouvoit las,
et pour n' en plus revoir le reste fut chassé.
Deux servantes déja largement soufletées,
avoient à coups de pié descendu les montées,
et se voyant enfin hors de ce triste lieu
dans la ruë en avoient rendu graces à Dieu.
Un vieux valet restoit, seul cheri de son maistre,
que toûjours il servit, et qu' il avoit veu naistre,
et qui de quelque somme amassée au bon temps
vivoit encor chés eux, partie à ses dépens.
Sa ve embarrassoit ; il fallut s' en défaire :
il fut de la maison chassé comme un corsaire.
Voilà nos deux époux, sans valets, sans enfans,
tous seuls dans leur logis libres et triomphans.
Alors on ne mit plus de borne à la lézine.
On condamna la cave, on ferma la cuisine :
pour ne s' en point servir aux plus rigoureux mois,
dans le fond d' un grenier on sequestra le bois.
L' un et l' autre deslors vécut à l' aventure
des présens qu' à l' abri de la magistrature,
le mari quelquefois des plaideurs extorquoit,
ou de ce que la femme aux voisins excroquoit.
Mais, pour bien mettre ici leur crasse en tout son
lustre,
il faut voir du logis sortir ce couple illustre ;
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il faut voir le mari tout poudreux, tout souillé,
couvert d' un vieux chappeau de cordon pouillé,
et de sa robbe envain de pieces rajeunie,
a pdans les ruisseaux traînant l' ignominie.
Mais qui pourroit compter le nombre de haillons,
de pieces, de lambeaux, de sales guenillons,
de chiffons ramassés dans la plus noire ordure,
dont la femme aux bons jours composoit sa parure ?
Décrirai-je ses bas en trente endroits percés,
ses souliers grimassans vingt fois rappetassés,
ses coëffes d' où pendoit au bout d' une ficelle
un vieux masque pelé presque aussi hideux qu' elle ?
Peindrai-je son jupon bigarré de latin
qu' ensemble composoient trois théses de satin,
présent qu' en un procez sur certain privilége
firent à son mari les regens d' un collége,
et qui sur cette juppe à maint rieur encor
derriere elle faisoit dire, argumentabor ?
mais peut-estre j' invente une fable frivole.
Déments donc tout Paris, qui prenant la parole,
sur ce sujet encor de bons témoins pourv,
tout prest à le prouver, te dira : " je l' ay veû,
vingt ans j' ay veû ce couple uni d' un mesme vice
à tous mes habitans montrer que l' avarice
peut faire dans les biens trouver la pauvreté,
et nous reduire à pis que la mendicité.
Des voleurs qui chez eux pleins d' esperance entrerent
de cette triste vie enfin les delivrerent.
Digne et funeste fruit du noeud le plus affreux
dont l' hymen ait jamais uni deux malheureux.
Ce recit passe un peu l' ordinaire mesure.
Mais un exemple enfin si digne de censure
peut-il dans la satire occuper moins de mots ?
Chacun sçait sontier : suivons nostre propos.
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Nouveau predicateur aujourd' hui, je l' avouë,
ecolier, ou plûtost singe de Bourdalouë,
je me plais à remplir mes sermons de portraits.
En voilà deja trois peints d' assez heureux traits,
la femme sans honneur, la coquette, et l' avare.
Il faut y joindre encore la revesche bizarre,
qui sans cesse d' un ton par la colere aigri,
gronde, choque, dément, contredit un mari.
Il n' est point de repos ni de paix avec elle.
Son mariage n' est qu' une longue querelle.
Laisse-t-elle un moment respirer son epoux ?
Ses valets sont d' abord l' objet de son courroux,
et sur le ton grondeur, lors qu' elle les harangue,
il faut voir de quels mots elle enrichit la langue.
Ma plume ici trant ces mots par alphabet,
pourroit d' un nouveaume augmenter Richelet.
Tu crains peu d' essuyer cette étrange furie.
En trop bon lieu, dis-tu, ton épouse nourie
jamais de tels discours ne te rendra martyr.
Mais eut-elle sula raison dans Saint Cyr,
crois-tu que d' une fille humble, honneste, charmante,
l' hymen n' ait jamais fait de femme extravagante ?
Combien n' a-t-on point veu de belles aux doux yeux,
avant le mariage, anges si gracieux,
tout à coup se changeant en bourgeoises sauvages,
vrais démons, apporter l' enfer dans leurs nages,
et découvrant l' orgueil de leurs rudes esprits,
sous leur fontange altiere asservir leurs maris ?
Et puis, quelque douceur dont brille ton épouze,
penses-tu, si jamais elle devient jalouze,
que son ame livrée à ses tristes soupçons,
de la raison encor écoute les leçons ?
Alors, Alcippe, alors, tu verras de ses oeuvres.
Resou-toi, pauvre epoux, à vivre de couleuvres :
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à la voir tous les jours, dans ses fougueux accez,
à ton geste, à ton rire intenter un procez :
souvent de ta maison gardant les avenuës,
les cheveux herissez, t' attendre au coin des ruës :
te trouver en des lieux de vingt portes fermés,
et par tout où tu vas, dans ses yeux enflammés
t' offrir non pas d' Isis , la tranquille
Eumenide,
mais la vraye Alecto peinte dans l' eneïde ,
un tison à la main chez le roy Latinus,
souflant sa rage au sein d' Amate et de Turnus.
Mais quoy ? Je chausse icy le cothurne tragique.
Reprenons au plûtost le brodequin comique,
et d' objets moins affreux songeons à te parler.
Dy-moy donc, laissant là cette folle heurler,
t' accommodes-tu mieux de ces douces ménades,
qui, dans leurs vains chagrins sans mal toûjours
malades,
se font des mois entiers sur un lit effronté
traiter d' une visible et parfaite santé,
et douze fois par jour dans leur molle indolence,
aux yeux de leurs maris tombent en défaillance ?
" quel sujet, dira l' un, peut donc si frequemment
mettre ainsi cette belle aux bords du monument ?
La Parque ravissant ou son fils ou sa fille,
a-t-elle moissonné l' espoir de sa famille ? "
non : il est question de reduire un mari
à chasser un valet dans la maison cheri,
et qui, parce qu' il plaist, a tropeu lui déplaire ;
ou de rompre un voyage utile et necessaire :
mais qui la priveroit huit jours de ses plaisirs,
et qui loin d' un galant, objet de ses desirs...
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ô ! Que pour la punir de cette comedie,
ne lui vois-je une vraye et triste maladie !
Mais ne nous fâchons point. Peut-estre avant deux
jours,
Courtois et Denyau mandés à son secours,
digne ouvrage de l' art dont Hippocrate traite,
luy scauront bien oster cette santé d' athlete :
pour consumer l' humeur qui fait son embonpoint,
lui donner sagement le mal qu' elle n' a point,
et fuyant de Fagon les maximes énormes,
au tombeau merité la mettre dans les formes.
Dieu veûille avoir son ame, et nous délivre d' eux.
Pour moy, grand ennemi de leur art hazardeux,
je ne puis cette fois que je ne les excuse.
Mais à quels vains discours est-ce que je m' amuse ?
Il faut sur des sujets plus grands, plus curieux,
attacher de ce pas ton esprit et tes yeux.
Qui s' offrira d' abord ? Bon, c' est cette sçavante
qu' estime Roberval, et que Sauveur frequente.
D' vient qu' elle a l' oeil trouble, et le teint si
terni ?
C' est que sur le calcul, dit-on, de Cassini,
un astrolabe en main, elle a dans sa goûtiere
à suivre Jupiter passé la nuit entiere.
Gardons de la troubler. Sa science, je croy,
aura pour s' occuper ce jour plus d' un employ.
D' un nouveau microscope on doit en sa presence
tantost chez Dalancé faire l' experience ;
puis d' une femme morte avec son embryon,
il faut chez Du Vernay voir la dissection.
Rien n' échappe aux regards de nostre curieuse.
Mais qui vient sur ses pas ? C' est une précieuse,
reste de ces esprits jadis si renommez,
que d' un coup de son art Moliere a diffamez.
De tous leurs sentimens cette noble heritiere
maintient encore ici leur secte façonniere.
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C' est chez elle toûjours que les fades auteurs
s' en vont se consoler du mépris des lecteurs.
Elle y reçoit leur plainte, et sa docte demeure,
aux Perrins, aux Corras est ouverte à toute heure.
du faux bel esprit se tiennent les bureaux.
tous les vers sont bons, pourvû qu' ils soient
nouveaux.
Au mauvais goust public la belle y fait la guerre :
plaint Pradon opprimé des siflets du parterre :
rit des vains amateurs du grec et du latin ;
dans la balance met Aristote et Cotin ;
puis, d' une main encor plus fine et plus habile
pèze sans passion Chappelain et Virgile ;
remarque en ce dernier beaucoup de pauvretez ;
mais pourtant confessant qu' il a quelques beautez,
ne trouve en Chappelain, quoy qu' ait dit la satire,
autre faut, sinon, qu' on ne le sçauroit lire ;
et pour faire goûter son livre à l' univers,
croit qu' il faudroit en prôse y mettre tous les vers.
" à quoy bon m' étaler cette bizarre ecole,
du mauvais sens, dis-tu, presché par une folle ?
De livres et d' écrits bourgeois admirateur,
vai-je épouser icy quelque apprentie auteur ?
avez-vous que l' epouse avec qui je me lie
compte entre ses parens des princes d' Italie ?
Sort d' ayeux dont les noms... " -je t' entens, et je
voy
d' où vient que tu t' es fait secretaire du roy.
Il falloit de ce titre appuyer ta naissance.
Cependant, t' avrai-je icy mon insolence ?
Si quelque objet pareil chez moy, deçà les monts,
pour m' épouser entroit avec tous ces grands noms,
le sourcil rehaussé d' orgueilleuses chimeres,
je lui dirois bien-tost : " je connois tous vos peres :
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je sçay qu' ils ont brillé dans ce fameux combat
sous l' un des valois Enguien sauva l' etat.
D' Hozier n' en convient pas : mais, quoy qu' il en
puisse estre :
je ne suis point si sot que d' épouser mon maistre.
Ainsi donc au plûtost délogeant de ces lieux,
allez, princesse, allez avec tous vos ayeux
sur le pompeux débris des lances espagnoles
coucher, si vous voulez, aux champs de Cerizoles.
Ma maison, ni mon lit ne sont point faits pour vous. "
-" j' admire, poursuis-tu, vostre noble courroux.
Souvenez-vous pourtant que ma famille illustre
de l' assistance au sceau ne tire point son lustre !
Et que né dans Paris de magistrats connus,
je ne suis point icy de ces nouveaux venus,
de ces nobles sans nom, que par plus d' une voye
la province souvent en guestres nous envoye.
Mais eussai-je comme eux des meûniers pour parens,
mon epouze vint-elle encor d' ayeux plus grands,
on ne la verroit point, vantant son origine,
à son triste mari reprocher la farine.
Son coeur toûjours nouri dans la devotion,
de trop bonne heure apprit l' humiliation :
et pour vous détromper de la pensée estrange,
que l' hymen aujourd' huy la corrompe et la change,
sçachez qu' en nostre accord elle a, pour premier
point,
exigé, qu' un epoux ne la contraindroit point
à traîner aprés elle un pompeux équipage,
ni sur tout de souffrir, par un profâne usage,
qu' à l' eglise jamais devant le Dieu jaloux,
un fastueux carreau soit veu sous ses genoux.
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Telle est l' humble vertu qui dans son ame
emprainte... "
-je le voy bien, tu vas épouzer une sainte :
et dans tout ce grand zele, il n' est rien d' affecté.
ais-tu bien cependant sous cette humilité
l' orgueil que quelquefois nous cache une bigotte,
Alcippe, et connois-tu la nation devote ?
Il te faut de ce pas en tracer quelques traits,
et par ce grand portrait finir tous mes portraits.
à Paris, à la cour on trouve, je l' avouë,
des femmes dont le zele est digne qu' on le louë,
qui s' occupent du bien en tout temps, en tout lieu.
J' en sçais une cherie et du monde et de Dieu,
humble dans les grandeurs, sage dans la fortune ;
qui gemit, comme Esther, de sa gloire importune :
que le vice lui-même est contraint d' estimer,
et que sur ce tableau d' abord tu vas nommer.
Mais pour quelques vertus si pures, si sinceres,
combien y trouve-t-on d' impudentes faussaires,
qui sous un vain dehors d' austere pieté
de leurs crimes secrets cherchent l' impunité,
et couvrent de Dieume empraint sur leur visage
de leurs honteux plaisirs l' affreux libertinage ?
N' atten pas qu' à tes yeux j' aille icy l' étaler.
Il vaut mieux le souffrir que de le dévoiler.
De leurs galans exploits les Bussis, les Brantômes
pouroient avec plaisir te compiler des tômes ;
mais pour moy dont le front trop aisément rougit,
ma bouche a déja peur de t' en avoir trop dit.
Rien n' égale en fureur, en monstrueux caprices,
une fausse vertu qui s' abandonne aux vices.
De ces femmes pourtant l' hypocrite noirceur,
au moins pour un mari garde quelque douceur.
Je les aime encor mieux qu' une bigotte altiere,
qui dans son fol orgueil, aveugle et sans lumiere,
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à peine sur le seüil de la devotion,
pense atteindre au sommet de la perfection :
qui du soin qu' elle prend de me gesner sans cesse,
va quatre fois par mois se vanter à confesse,
et les yeux vers le ciel, pour se le faire ouvrir,
offre à Dieu les tourmens qu' elle me fait souffrir.
Sur cent pieux devoirs aux saints elle est égale.
Elle lit Rodriguez, fait l' oraison mentale,
va pour les malheureux quester dans les maisons,
hante les hospitaux, visite les prisons,
tous les jours à l' eglise entend jusqu' à six messes :
mais de combattre en elle, et dompter ses
foiblesses,
sur le fard, sur le jeu, vaincre sa passion,
mettre un frein à son luxe, à son ambition,
et soûmettre l' orgueil de son esprit rebelle :
c' est ce qu' envain le ciel voudroit exiger d' elle.
Et peut-il, dira-t-elle, en effet l' exiger ?
Elle a son directeur, c' est à lui d' en juger.
Il faut, sans differer, sçavoir ce qu' il en pense.
Bon ! Vers nous à propos je le vois qui s' avance.
Qu' il paroist bien nouri ! Quel vermillon !
Quel teint !
Le printemps dans sa fleur sur son visage est peint :
cependant, à l' entendre, il se soûtient à peine.
Il eut encore hier la fiévre et la migraine :
et sans les promts secours qu' on prit soin
d' apporter,
il seroit sur son lit peut-estre à tremblotter.
Mais de tous les mortels, grace aux devotes ames,
nul n' est si bien soigné qu' un directeur de femmes.
Quelque leger dégoust vient-il le travailler ?
Une foible vapeur le fait-elleailler ?
Un escadron coëffé d' abord court à son aide :
l' une chauffe un boüillon, l' autre appreste un remede,
chez luy syrops exquis, ratafias vantés,
confitures sur tout volent de tous costés.
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Car de tous mets sucrez, secs, en paste, ou liquides,
les estomachs devots toûjours furent avides :
le premier masse-pain pour eux, je croy, se fit,
et le premier citron à Roüen fut confit.
Nostre docteur bien-tost va lever tous ses doutes,
du paradis pour elle il applanit les routes ;
et loin sur ses defauts de la mortifier
lui-mesme prend le soin de la justifier.
" pourquoy vous alarmer d' une vaine censure ?
Du rouge qu' on vous voit on s' étonne, on murmure.
Mais a-t-on, dira-t-il, sujet de s' étonner ?
Est-ce qu' à faire peur on veut vous condamner ?
Aux usages receus il faut qu' on s' accommode,
une femme sur tout doit tribut à la mode.
L' orgueil brille, dit-on, sur vos pompeux habits.
L' oeil à peine soutient l' éclat de vos rubis.
Dieu veut-il qu' on étale un luxe si profâne ?
y, lors qu' à l' étaler nostre rang nous condamne.
Mais ce grand jeu chez vous comment l' autoriser ?
Le jeu fut de tout temps, permis pour s' amuzer.
On ne peut pas toûjours travailler, prier, lire :
il vaut mieux s' occuper à jer qu' à médire.
Le plus grand jeu joüé dans cette intention,
peut mesme devenir une bonne action.
Tout est sanctifié par une ame pieuse.
Vous estes, poursuit-on, avide, ambitieuse,
sans cesse vous brûlez de voir tous vos parens,
engloutir à la cour charges, dignitez, rangs.
Vostre bon naturel en cela pour eux brille.
Dieu ne nous défend point d' aimer nostre famille.
D' ailleurs tous vos parens sont sages, vertueux.
Il est bon d' empescher ces emplois fastueux,
d' estre donnez peut-estre à des ames mondaines,
eprises du neant des vanitez humaines.
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Laissez-là, croyez-moy, gronder les indevots,
et sur vostre salut demeurez en repos. "
sur tous ces points douteux c' est ainsi qu' il
prononce.
Alors croyant d' un ange entendre la ponse,
sa devote s' incline et calmant son esprit,
à cet ordre d' en haut sans replique souscrit.
Ainsi pleine d' erreurs, qu' elle croit legitimes,
sa tranquille vertu conserve tous ses crimes :
dans un coeur tous les jours nouri du sacrement
maintient la vanité, l' orgueil, l' entestement,
et croit que devant Dieu ses frequens sacriléges
sont pour entrer au ciel d' assurez priviléges.
Voilà le digne fruit des soins de son docteur.
Encore est-ce beaucoup, si ce guide imposteur,
par les chemins fleuris d' un charmant quiétisme
tout à coup l' amenant au vray molinozisme,
il ne luy fait bien-tost, aide de Lucifer,
gouster en paradis les plaisirs de l' enfer.
Mais dans ce doux état molle, délicieuse,
la hais-tu plus, dy-moy, que cette bilieuse,
qui follement outrée en sa severité,
baptizant son chagrin du nom de piété,
dans sa charité fausse, où l' amour propre abonde,
croit que c' est aimer Dieu que haïr tout le monde.
Il n' est rien où d' abord son soupçon attaché
ne presume du crime, et ne trouve un peché.
Pour une fille honneste et pleine d' innocence,
croit-elle en ses valets voir quelque complaisance ?
Reputés criminels les voilà tous chassés,
et chez elle à l' instant par d' autres remplacés.
Son mari qu' une affaire appelle dans la ville,
et qui chez luy, sortant, a tout laissé tranquille,
se trouve assez surpris, rentrant dans la maison,
de voir que le portier luy demande son nom,
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et que parmi ses gens changés en son absence,
il cherche vainement quelqu' un de connoissance.
" fort bien ! Le trait est bon. Dans les femmes " ,
dis-tu,
" enfin, vous n' approuvez ni vice, ni vertu.
Voilà le sexe peint d' une noble maniere !
Et Theophraste mesme aidé de La Bruyere,
ne m' en pourroit pas faire un plus riche tableau.
C' est assez : il est temps de quitter le pinceau.
Vous avez desormais épuisé la satire. "
-epuisé, cher Alcippe ! Ah ! Tu me ferois rire !
Sur ce vaste sujet si j' allois tout tracer,
tu verrois sous ma main des tômes s' amasser.
Dans le sexe j' ay peint la pieté caustique.
Et que seroit-ce donc, si censeur plus tragique,
j' allois t' y faire voir l' atheïsme établi,
et non moins que l' honneur le ciel mis en oubli ?
Si j' allois t' y montrer plus d' une capanée,
pour souveraine loy mettant la destinée,
du tonnerre dans l' air bravant les vains carreaux,
et nous parlant de Dieu du ton de Des-Barreaux ?
Mais, sans aller chercher cette femme infernale,
t' ay-je encor peint, dy-moy, la fantasque inégale,
qui m' aimant le matin, souvent me hait le soir ?
T' ay-je peint la maligne aux yeux faux, au coeur
noir ?
T' ay-je encore exprimé la brusque impertinente ?
T' ay-je tracé la vieille à morgue dominante,
qui veut vingt ans encore aprés le sacrement,
exiger d' un mari les respects d' un amant ?
T' ay-je fait voir de joye une belle animée,
qui souvent d' un repas sortant toute enfumée,
fait mesme à ses amans trop foibles d' estomach
redouter ses baisers pleins d' ail et de tabac ?
T' ay-je encore décrit la dame brelandiere,
qui des joüeurs chez soy se fait cabaretiere,
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et souffre des affronts que ne souffriroit pas
l' hostesse d' une auberge à dix sous par repas ?
Ay-je offert à tes yeux ces tristes Tysiphones,
ces monstres pleins d' un fiel, que n' ont point les
liones,
qui prenant en goust les fruits nez de leur flanc,
s' irritent sans raison contre leur propre sang ;
toûjours en des fureurs que les plaintes aigrissent,
battent dans leurs enfans l' epoux qu' elles haïssent,
et font de leur maison digne de Phalaris,
un séjour de douleurs, de larmes et de cris ?
Enfin t' ay-je dépeint la superstitieuse,
la pédante au ton fier, la bourgeoise ennuieuse,
celle qui de son chat fait son seul entretien,
celle qui toûjours parle et ne dit jamais rien ?
Il en est des milliers : mais ma bouche enfin lâsse
des trois quarts, pour le moins, veut bien te faire
grâce.
" j' entens. C' est pousser loin la moderation.
Ah ! Finissez, dis-tu, la declamation.
Pensez-vous qu' ébloüi de vos vaines paroles,
j' ignore qu' en effet tous ces discours frivoles
ne sont qu' un badinage, un simple jeu d' esprit
d' un censeur, dans le fond, qui folastre et qui rit,
plein du mesme projet qui vous vint dans la teste,
quand vous plaçastes l' homme au dessous de la beste ?
Mais enfin vous et moy c' est assez badiner.
Il est temps de conclure ; et pour tout terminer,
je ne diray qu' un mot. La fille qui m' enchante,
noble, sage, modeste, humble, honneste, touchante,
n' a pas un des defauts que vous m' avez fait voir.
Si par un sort pourtant qu' on ne peut concevoir,
la belle tout à coup rendue insociable,
d' ange, ce sont vos mots, se transformoit en diable :
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vous me verriez bien-tost, sans me desesperer,
lui dire : hé bien, madame, il faut nous separer.
Nous ne sommes pas faits, je le voy, l' un pour
l' autre.
Mon bien se monte à tant : tenez, voilà le vostre.
Partez : délivrons-nous d' un mutuel souci. "
-Alcippe, tu crois donc qu' on se separe ainsi ?
Pour sortir de chez toy, sur cette offre offensante,
as-tu donc oublié qu' il faut qu' elle y consente ?
Et crois-tu qu' aisément elle puisse quitter
le savoureux plaisir de t' y persecuter ?
Bien-tost son procureur, pour elle usant sa plume,
de ses pretentions, va t' offrir un volume.
Car, grace au droit receu chez les parisiens,
gens de douce nature, et maris bons chrestiens,
dans ses pretentions une femme est sans borne.
Alcippe, à ce discours, je te trouve un peu morne.
" des arbitres, dis-tu, pourront nous accorder. "
-des arbitres... tu crois l' empescher de plaider ?
Sur ton chagrin jà contente d' elle-mesme,
ce n' est point tous ses droits, c' est le procez qu' elle
aime.
Pour elle un bout d' arpent qu' il faudra disputer,
vaut mieux qu' un fief entier acquis sans contester.
Avec elle il n' est point de droit qui s' éclaircisse,
point de procez si vieux qui ne se rajeunisse,
et sur l' art de former un nouvel embarras,
devant elle Rolet mettroit pavillon bas.
Croy-moy, pour la fléchir trouve enfin quelque voye :
ou je ne répons pas dans peu qu' on ne te voye
sous le faix des procez abbatu, consterné,
triste, à pié, sans laquais, maigre, sec, ruiné,
vingt fois dans ton malheur resolu de te pendre,
et, pour comble de maux, reduit à la reprendre.
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