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Langue Française (InaLF)
[Le] christianismevoilé, ou Examen des principes et des effets de la religion
chrétienne [Document électronique] / [par feu M. Boulanger...]
PREFACE
p1
Lettre de l' auteur
à
Monsieur .
Je reçois, monsieur, avec reconnoissance les
observations que vous m' envoyez sur mon ouvrage.
Si je suis sensible aux éloges que vous daignez en
faire, j' aime trop la vérité, pour me choquer de
la franchise avec laquelle vous me proposez vos
objections ; je les trouve assez graves, pourriter
toute mon attention. Ce seroit être bien peu
philosophe, que de n' avoir point le courage
d' entendre contredire ses opinions. Nous ne sommes
point des théologiens ; nos démêlés sont de nature
à se terminer à l' amiable ; ils ne doivent
ressembler en rien à ceux des apôtres de la
superstition, qui ne cherchent qu' à se surprendre
mutuellement
p11
par des argumens captieux, et qui, aux dépens de la
bonne foi, ne combattent jamais que pour défendre la
cause de leur vanité et de leur propre entêtement.
Nous desirons tous deux le bien du genre humain ; nous
cherchons la vérité ; nous ne pouvons, cela posé,
manquer d' être d' accord.
Vous commencez par admettre lacessité d' examiner
la religion et de soumettre ses opinions au tribunal
de la raison ; vous convenez que le christianisme
ne peut soutenir cet examen, et qu' aux yeux du bon
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sens il ne paroîtra jamais qu' un tissu d' absurdités,
de fables décousues, de dogmes insensés, de
rémonies puériles, de notions empruntées des
chaldéens, des égyptiens, des phéniciens, des grecs et
des romains. En un mot, vous avouez que ce système
religieux n' est que le produit informe de presque
toutes les anciennes superstitions, enfantées par
le fanatisme oriental, et diversement
p111
modifiées par les circonstances, les tems, les
intérêts, les caprices, les préjugés de ceux qui
se sont depuis donnés pour des inspirés, pour des
envoyés de Dieu, pour des interprêtes de ses
volontés nouvelles.
Vous frémissez des horreurs que l' esprit intolérant
des chrétiens leur a fait commettre, toutes les
fois qu' ils en ont eu le pouvoir ; vous sentez
qu' une religion, fondée sur un dieu sanguinaire, ne
peut être qu' une religion de sang ; vous gémissez
de cette phrénésie, qui s' empare dès l' enfance de
l' esprit des princes et des peuples, et les rend
également esclaves de la superstition et de ses
prêtres, les empêche de connoître leurs véritables
intérêts, les rend sourds à la raison, les détourne
des grands objets qui devroient les occuper. Vous
reconnoissez qu' une religion, fondée sur
l' enthousiasme, ou sur l' imposture, ne
p1V
peut avoir de principes assurés, doit être une
source éternelle de disputes, doit toujours finir
par causer des troubles, des persécutions et des
ravages, sur-tout lorsque la puissance politique
se croira indispensablement obligée d' entrer dans
ses querelles. Enfin, vous allez jusqu' à convenir
qu' un bon chrétien, qui suit littéralement la
conduite que l' évangile lui prescrit, comme la plus
parfaite, ne connoît en ce monde aucun des rapports
sur lesquels la vraie morale est fondée, et ne peut
être qu' un misanthrope inutile, s' il manque d' énergie,
et n' est qu' un fanatique turbulent, s' il a l' ame
échauffée.
Après ces aveux, comment peut-il se faire que
vous jugiez que mon ouvrage est dangereux ? Vous me
dites que le sage doit penser pour lui seul ;
qu' il faut une religion, bonne, ou mauvaise, au
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peuple ; qu' elle est un frein nécessaire aux
esprits simples et
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grossiers, qui sans elle n' auroient plus de motifs
pour s' abstenir du crime et du vice. Vous regardez
la réforme des préjugés religieux comme impossible ;
vous jugez que les princes, qui peuvent seuls
l' opérer, sont trop intéressés à maintenir leurs
sujets dans un aveuglement dont ils profitent.
Voilà, si je ne me trompe, les objections les plus
fortes que vous m' ayez faites, je vais tâcher de
les lever.
D' abord je ne crois pas qu' un livre puisse être
dangereux pour le peuple. Le peuple ne lit pas
plus qu' il ne raisonne ; il n' en n' a, ni le loisir,
ni la capacité : d' un autreté, ce n' est pas la
religion, c' est la loi qui contient les gens du
peuple, et quand un insensé leur diroit de voler
ou d' assassiner, le gibet les avertiroit de n' en
rien faire. Au surplus, si par hazard il se trouvoit
parmi le peuple un homme en état de lire un ouvrage
philosophique, il est certain que cet homme ne
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seroit pas communément un scélérat à craindre.
Les livres ne sont faits que pour la partie d' une
nation, que ses circonstances, son éducation, ses
sentimens, mettent au-dessus du crime. Cette portion
éclairée de la société, qui gouverne l' autre, lit
et juge les ouvrages ; s' ils contiennent des maximes
fausses, ou nuisibles, ils sont bientôt, ou condamnés
à l' oubli, ou dévoués à l' exécration publique :
s' ils contiennent des vérités, ils n' ont aucun
danger à courir. Ce sont des fanatiques, des prêtres
et des ignorans, qui font les revolutions ; les
personnes éclairées, désintéressées et sensées,
sont toujours amies du repos.
Vous n' êtes point, monsieur, du nombre de ces
penseurs pusillanimes, qui croyent que la vérité
soit capable de nuire : elle ne nuit qu' à ceux qui
trompent les hommes, et elle sera toujours utile
au reste du genre humain.
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Tout a dû vous convaincre depuis long-tems, que
tous les maux, dont notre espéce est affligée, ne
viennent que de nos erreurs, de nos intérêts mal
entendus, de nos préjugés, des idées fausses que
nous attachons aux objets.
En effet, pour peu que l' on ait de suite dans
l' esprit, il est aisé de voir que ce sont en
particulier les préjugés religieux qui ont
corrompu la politique et la morale. Ne sont-ce pas
des idées religieuses et surnaturelles qui firent
regarder les souverains comme des dieux ? C' est
donc la religion qui fit éclore les despotes et
les tyrans ; ceux-ci firent de mauvaises loix ; leur
exemple corrompit les grands ; les grands
corrompirent les peuples ; les peuples viciés
devinrent des esclaves malheureux,
pV111
occupés à se nuire, pour plaire à la grandeur, et
pour se tirer de la misere. Les rois furent
appellés les images de Dieu ; ils furent
absolus comme lui ; ils créerent le juste et
l' injuste ; leurs volontés sanctifierent souvent
l' oppression, la violence, la rapine ; et ce fut
par la bassesse, par le vice et le crime, que l' on
obtint la faveur. C' est ainsi que les nations se
sont remplies de citoyens pervers, qui, sous des
chefs corrompus par des notions religieuses, se
firent continuellement une guerre ouverte, ou
clandestine, et n' eurent aucuns motifs pour pratiquer
la vertu.
Dans des sociétés ainsi constituées, que peut faire
la religion ? Ses terreurs éloignées, ou ses
promesses ineffables, ont-elles jamais empêché les
hommes de se livrer à leurs passions, ou de chercher
leur bonheur par les voies les plus faciles ? Cette
religion a-t-elle influé sur les moeurs des
souverains,
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qui lui doivent leur pouvoir divin ? Ne voyons-nous
pas des princes, remplis de foi, entreprendre à
chaque instant les guerres les plus injustes ;
prodiguer inutilement le sang et les biens de
leurs sujets ; arracher le pain des mains du
pauvre, pour augmenter les trésors du riche
insatiable ; permettre et même ordonner le vol,
les concussions, les injustices ? Cette religion,
que tant de souverains regardent comme l' appui
de leur trône, les rend-elle donc plus humains,
plusglés, plus tempérans, plus chastes, plus
fidéles à leurs sermens ? Hélas ! Pour peu que
nous consultions, l' histoire, nous y verrons des
souverains orthodoxes, zélés et religieux jusqu' au
scrupule, être en même tems des parjures, des
usurpateurs, des adulteres, des voleurs, des
assassins, des hommes enfin qui agissent comme s' ils
ne craignoient point ce dieu qu' ils honorent
de bouche. Parmi ces courtisans
pX
qui les entourent, nous verrons un alliage continuel
de christianisme et de crime, de dévotion et
d' iniquité, de foi et de vexations, de religion
et de trahisons. Parmi ces prêtres d' un dieu pauvre
et crucifié, qui fondent leur existence sur sa
religion, qui prétendent que sans elle il ne peut y
avoir de morale, ne voyons-nous pas régner l' orgueil,
l' avarice, la lubricité, l' esprit de domination et
de vengeance ? Leurs prédications continuelles, et
réitérées depuis tant de siécles, ont-elles
ritablement influé sur les moeurs des nations ? Les
conversions, que leurs discours opérent,
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sont-elles vraiment utiles ? Changent-elles les coeurs
des peuples qui les écoutent ? De l' aveu même de ces
docteurs, ces conversions sont très-rares, ils
vivent toujours dans la lie des siécles ; la
perversité humaine augmente chaque jour, et chaque
jour ils déclament contre des vices et des crimes, que
la coutume autorise, que le gouvernement encourage,
que l' opinion favorise, que le pouvoir récompense,
et que chacun se trouve intéressé à commettre, sous
peine d' être malheureux.
Ainsi, de l' aveu même de ses ministres, la religion,
dont les préceptes ont été inculqués dès l' enfance
et se répétent sans relâche, ne peut rien contre
la dépravation des moeurs. Les hommes mettent toujours
la religion de côté, dès qu' elle s' oppose à leurs
desirs ; ils ne l' écoutent que lorsqu' elle favorise
leurs passions, lorsqu' elle s' accorde avec leur
tempérament,
pX11
et avec les idées qu' ils se font du bonheur. Le
libertin s' en mocque, lorsqu' elle condamne ses
débauches ; l' ambitieux la méprise, lorsqu' elle met
des bornes à ses voeux ; l' avare ne l' écoute point,
lorsqu' elle lui dit de répandre des bienfaits ; le
courtisan rit de sa simplicité, quand elle lui
ordonne d' être franc et sincere. D' un autre côté,
le souverain est docile à ses leçons, lorsqu' elle
lui dit qu' il est l' image de la divinité ; qu' il doit
être absolu comme elle ; qu' il est le maître de la
vie et des biens de ses sujets ; qu' il doit les
exterminer, quand ils ne pensent point comme lui.
Le bilieux écoute avidement les préceptes de son
prêtre, quand il lui ordonne de haïr ; le vindicatif
lui obéit, quand il lui permet de se venger
lui-même, sous prétexte de venger son dieu. En un
mot, la religion ne change rien aux passions des
hommes, ils ne l' écoutent, que lorsqu' elle parle à
l' unisson de leurs
pX111
desirs ; elle ne les change qu' au lit de la mort :
alors leur changement est inutile au monde, et
le pardon du ciel, que l' on promet au repentir
infructueux des mourans, encourage les vivans
à persister dans le désordre jusqu' au dernier
instant.
En vain la religion prêcheroit-elle la vertu,
lorsque cette vertu devient contraire aux intérêts
des hommes, ou ne les mene à rien. On ne peut
donner des moeurs à une nation dont le souverain
est lui-même sans moeurs et sans vertu ; où les
grands regardent cette vertu, comme une foiblesse ;
les prêtres la dégradent par leur conduite ;
l' homme du peuple, malgré les belles harangues
de ses prédicateurs, sent bien que, pour se tirer
de la misere, il faut se pter aux vices de
ceux qui sont plus puissans que lui. Dans des
sociétés ainsi constituées, la morale ne peut être
qu' une spéculation stérile, propre à exercer l' esprit,
sans influer sur la conduite de
pX1V
personne, sinon d' un petit nombre d' hommes, que leur
tempérament a rendus modérés et contens de leur sort.
Tous ceux qui voudront courir à la fortune, ou rendre
leur sort plus doux, se laisseront entraîner par le
torrent général, qui les forcera de franchir les
obstacles que la conscience leur oppose.
Ce n' est donc point le ptre, c' est le souverain, qui
peut établir les moeurs dans un état. Il doit prêcher
par son exemple ; il doit effrayer le crime par des
châtimens ; il doit inviter à la vertu par des
compenses ; il doit sur-tout veiller à l' éducation
publique, afin que l' on ne seme dans les coeurs de ses
sujets, que des passions utiles à la société.
Parmi nous, l' éducation n' occupe presque point la
politique ; celle-ci montre l' indifférence la plus
profonde sur l' objet le plus essentiel au bonheur
des états. Chez presque tous les peuples
pXV
modernes, l' éducation publique se
borne à enseigner des langues inutiles
à la plûpart de ceux qui les apprennent ;
au lieu de la morale, on inculque
aux chrétiens, les fables merveilleuses
et les dogmes inconcevables
d' une religion très-opposée à la droite
raison : dès le premier pas que le jeune
homme fait dans ses études, on lui
apprend qu' il doit renoncer au témoignage
de ses sens, soumettre sa raison, qu' on
lui décrie comme un guide infidéle, et s' en
rapporter aveuglément à l' autorité
de ses maîtres. Mais quels sont ces
maîtres ? Ce sont des prêtres,
intéressés à maintenir l' univers dans
des opinions dont seuls ils recueillent
les fruits. Ces pédagogues mernaires,
pleins d' ignorance et de préjugés, sont
rarement eux-mêmes au ton de la
société. Leurs ames abjectes et rétrécies
sont-elles bien capables d' instruire leurs
éléves de ce qu' elles ignorent elles-mêmes ?
Des pédans, avilis aux yeux
pXV1
mes de ceux qui leur confient leurs
enfans, sont-ils bien en état d' inspirer
à leurs éléves le desir de la gloire,
une noble émulation, les sentiments
généreux, qui sont la source de toutes
les qualités utiles à la république ?
Leur apprendront-ils à aimer le bien
public, à servir la patrie, à connoître
les devoirs de l' homme et du citoyen,
du pere de famille et des enfans, des
maîtres et des serviteurs ? Non sans
doute ; l' on ne voit sortir des mains
de ces guides ineptes et méprisables,
que des ignorans superstitieux, qui,
s' ils ont profité des leçons qu' ils ont
reçues, ne savent rien des choses
nécessaires à la société, dont ils vont
devenir des membres inutiles.
De quelque côté que nous portions
nos regards, nous verrons l' étude des
objets les plus importans pour l' homme,
totalement négligée. La morale,
sous laquelle je comprens aussi la
politique, n' est presque comptée pour
pXV11
rien dans l' éducation européenne ;
la seule morale qu' on apprenne aux
chrétiens, c' est cette morale enthousiaste,
impraticable, contradictoire,
incertaine, que nous voyons contenue
dans l' évangile ; elle n' est propre, comme
je crois l' avoir prouvé, qu' à dégrader
l' esprit, qu' à rendre la vertu haïssable,
qu' à former des esclaves abjects, qu' à
briser le ressort de l' ame ; ou
bien, si elle est see dans des
esprits échauffés, elle n' en fait que
des fanatiques turbulens, capables
d' ébranler les fondemens des sociétés.
Malgré l' inutilité et la perversité de
la morale que le christianisme enseigne
aux hommes, ses partisans osent nous
dire que sans religion l' on ne peut avoir
des moeurs. Mais qu' est-ce qu' avoir des
moeurs, dans le langage des chrétiens ?
C' est prier sans relâche, c' est fréquenter
les temples, c' est faire pénitence,
c' est s' abstenir des plaisirs,
c' est vivre dans le recueillement et la
retraite. Quel bien résulte-t' il pour la
société de ces pratiques, que l' on peut
observer, sans avoir l' ombre de la vertu ?
Si des moeurs de cette espéce conduisent
au ciel, elles sont très inutiles à la
terre. Si ce sont là des vertus, il
faut convenir que sans religion l' on
n' a point de vertus. Mais, d' un autre
té, on peut observer fidélement
tout ce que le christianisme recommande, sans avoir
aucune des vertus que la
raison nous montre comme nécessaires
au soutien des sociétés politiques.
Il faut donc bien distinguer la morale
religieuse de la morale politique :
la premiere fait des saints, l' autre des
citoyens ; l' une fait des hommes inutiles
oume nuisibles au monde, l' autre doit
avoir pour objet de former à la société
des membres utiles, actifs, capables
de la servir, qui remplissent
les devoirs d' époux, de peres, d' amis,
d' associés, quelques soient d' ailleurs
pX1X
leurs opinions métaphisiques, qui,
quoiqu' en dise la théologie, sont bien
moinsres que les regles invariables
du bon sens.
En effet, il est certain que l' homme
est un être sociable, qui cherche en
tout son bonheur ; qu' il fait le bien,
lorsqu' il y trouve son intérêt ; qu' il
n' est si communément méchant, que
parce que sans celà il seroit obligé
de renoncer au bien être. Cela posé,
que l' éducation enseigne aux hommes
à connoître les rapports qui subsistent
entr' eux, et les devoirs qui découlent
de ces rapports ; que le gouvernement,
à l' aide des loix, des récompenses et
des peines, confirme les leçons que
l' éducation aura données ; que le bonheur
accompagne les actions utiles et
vertueuses ; que la honte, le mépris,
le châtiment, punissent le crime et le
vice, alors les hommes auront une morale
humaine, fondée sur leur propre
nature, sur les besoins des nations,
pXX
sur l' intérêt des peuples et de ceux
qui les gouvernent. Cette morale, indépendante
des notions sublimes de la théologie,
n' aura peut-être rien de
commun avec la morale religieuse ;
mais la société n' aura rien à perdre
avec cette derniere morale, qui, comme
on l' a prouvé, s' oppose à chaque
instant au bonheur des états, au repos
des familles, à l' union des citoyens.
Un souverain, à qui la société a
confié l' autorité suprême, tient dans ses
mains les grands mobiles qui agissent
sur les hommes ; il a plus de pouvoir
que les dieux, pour établir et réformer
les moeurs. Sa présence, ses récompenses,
ses menaces, que dis-je ? Un seul de ses
regards, peuvent bien plus
que tous les sermons des prêtres.
Les honneurs de ce monde, les
dignités, les richesses, agissent bien plus
fortement sur les hommes les plus religieux,
que toutes les espérances pompeuses
de la religion. Le courtisan
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le plus dévot craint plus son roi
que son dieu.
C' est donc, je le répéte, le souverain
qui doit prêcher ; c' est à lui qu' il
appartient de réformer les moeurs ;
elles seront bonnes, lorsque le prince
sera bon et vertueux lui-même, lorsque
les citoyens recevront une éducation
honnête, qui, en leur inspirant
de bonne heure des principes vertueux,
les habituera à honorer la vertu, à
détester le crime, à mépriser le vice,
à craindre l' infamie. Cette éducation
ne sera point infructueuse, lorsque
des exemples continuels prouveront
aux citoyens que c' est par des talens
et des vertus que l' on parvient aux
honneurs, au bien être, aux distinctions,
à la considération, à la faveur, et
que le vice ne conduit qu' aupris
et à l' ignominie. C' est à la tête
d' une nation nourrie dans ces principes,
qu' un prince éclairé sera réellement
grand, puissant et respecté. Ses
pXX11
prédications seront plus efficaces que
celles de ces prêtres, qui, depuis tant
de siécles, déclament inutilement contre
la corruption publique.
Si les prêtres ont usurpé sur la
puissance souveraine le droit d' instruire
les peuples, que celle-ci reprenne ses
droits, ou du moins qu' elle ne souffre
point qu' ils jouissent exclusivement
de la liberté de régler les moeurs des
nations et de leur parler de la morale ;
que le monarque réprime ces prêtres
eux-mêmes, quand ils enseigneront
des maximes visiblement nuisibles au
bien de la société. Qu' ils enseignent,
s' il leur plaît, que leur dieu se change
en pain, mais qu' ils n' enseignent
jamais que l' on doit haïr, ou détruire
ceux qui refusent de croire ce mystere
ineffable. Que dans la société nul inspi
n' ait la faculté de soulever les
sujets contre l' autorité, de semer la discorde,
de briser les liens qui unissent les
citoyens entr' eux, de troubler la
paix publique pour des opinions. Le
souverain, quand il voudra, pourra
contenir le sacerdoce lui-même. Le
fanatisme est honteux quand il se voit
privé d' appui ; les prêtres eux-mêmes
attendent du prince les objets de
leurs desirs, et la plûpart d' entr' eux
sont toujours disposés à lui sacrifier
les intérêts prétendus de la religion
et de la conscience, quand ils jugent
ce sacrifice nécessaire à leur fortune.
Si l' on me dit que les princes se croiront
toujours intéressés à maintenir la religion
et à ménager ses ministres, au moins
par politique, lors même
qu' ils en seront détrompés intérieurement ;
je réponds qu' il est aisé
de convaincre les souverains par une
foule d' exemples, que la religion chrétienne
fut cent fois nuisible à leurs
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pareils ; que le sacerdoce fut et sera
toujours le rival de la royauté ; que
les prêtres chrétiens sont par leur
essence les sujets les moins soumis :
je réponds, qu' il est facile de faire
sentir à tout prince éclairé, que son
intérêt véritable est de commander à
des peuples heureux ; que c' est du bien
être qu' il leur procure, quependra
sa propre sûreté et sa propre grandeur ;
en un mot, que son bonheur
est lié à celui de son peuple, et qu' à
la tête d' une nation, composée de citoyens
honnêtes et vertueux, il sera bien
plus fort, qu' à la tête d' une troupe
d' esclaves ignorans et corrompus, qu' il
est forcé de tromper, pour pouvoir
les contenir, et d' abreuver d' impostures,
pour en venir à bout.
Ainsi, ne désespérons point que quelque
jour la vérité ne perce jusqu' au
trône. Si les lumieres de la raison et
de la science ont tant de peines à
parvenir jusqu' aux princes, c' est que
pXXV
des prêtres intéressés, et des courtisans
faméliques, cherchent à les retenir dans
une enfance perpétuelle, leur montrent
le pouvoir et la grandeur dans des
chiméres, et les détournent des objets
nécessaires à leur vrai bonheur. Tout
souverain, qui aura le courage de
penser par lui-même, sentira que sa
puissance sera toujours chancelante
et précaire, tant qu' elle n' aura d' appui
que dans les phantômes de sa religion,
les erreurs des peuples, les caprices
du sacerdoce. Il sentira les inconvéniens
sultans d' une administration fanatique,
qui jusqu' ici n' a formé que des
ignorans présomptueux, des chrétiens
opiniâtres et souvent turbulens,
des citoyens incapables de servir l' état, des peuples
imbécilles, prêts à recevoir les impressions des
guides qui les égarent ; il sentira les ressources
immenses que mettroient dans ses mains les biens si
long-tems usurpés sur la
pXXV1
nation par des hommes inutiles, qui,
sous prétexte de l' instruire, la trompent
et la dévorent. à ces fondations
religieuses, dont le bon sens
rougit, qui n' ont servi qu' à récompenser
la paresse, qu' à entretenir l' insolence
et le luxe, qu' à favoriser l' orgueil
sacerdotal, un prince ferme et
sage substituera des établissemens utiles
à l' état, propres à faire germer
les talens, à former la jeunesse, à
compenser les services et les vertus,
à soulager des peuples, à faire éclore
des citoyens.
Je me flatte, monsieur, que ces réfléxions
me disculperont à vos yeux. Je
ne prétens point aux suffrages de ceux
qui se croyent intéressés aux maux
de leurs concitoyens ; ce n' est point
eux que je cherche à convaincre ; on
ne peut rien prouver à des hommes
vicieux et déraisonnables. J' ose donc
espérer que vous cesserez de regarder
mon livre comme dangereux et mes
espérances comme totalement chimériques.
Beaucoup d' hommes sans moeurs
ont attaqué la religion, parce qu' elle
contrarioit leurs penchans ;
beaucoup de sages l' ontprisée,
parce qu' elle leur paroissoit ridicule ;
beaucoup de personnes l' ont regardée
comme indifférente, parce qu' elles
n' en ont point senti les vrais
inconvéniens : comme citoyen, je l' attaque,
parce qu' elle me paroît nuisible au
bonheur de l' état, ennemie des progrès
de l' esprit humain, opposée à
la saine morale, dont les intérêts
de la politique ne peuvent jamais
se séparer. Il me reste à vous dire
avec un poëte ennemi, comme
moi, de la superstition : si tibi... etc. .
Je suis, etc...
Paris le 4 mai 1758.
p1
CHAPITRE 1
Introduction.
de la nécessité d' examiner sa religion, et des
obstacles que l' on rencontre dans cet examen.
un être raisonnable doit dans toutes
ses actions se proposer son propre
bonheur et celui de ses semblables.
La religion, que tout concourt à nous
montrer comme l' objet le plus important
à notre félicité temporelle et éternelle,
n' a des avantages pour nous,
qu' autant qu' elle rend notre existence
heureuse en ce monde, et qu' autant
que nous sommes assurés qu' elle remplira
p2
les promesses flateuses qu' elle
nous fait pour un autre. Nos devoirs,
envers le dieu que nous regardons
comme le maître de nos destinées,
ne peuvent être fondés que sur les
biens que nous en attendons, ou sur
les maux que nous craignons de sa
part : il est donc nécessaire que l' homme
examine les motifs de ses espérances
et de ses craintes ; il doit, pour
cet effet, consulter l' expérience et la
raison, qui seules peuvent le guider
ici bas ; par les avantages que la religion
lui procure dans le monde visible
qu' il habite, il pourra juger de la
réalité de ceux qu' elle lui fait espérer
dans un monde invisible, vers lequel
elle lui ordonne de tourner ses regards.
Les hommes, pour la plûpart, ne
tiennent à leur religion que par habitude ;
ils n' ont jamais exami sérieusement
les raisons qui les y attachent,
les motifs de leur conduite, les fondemens
p3
de leurs opinions : ainsi la chose,
que tous regardent comme la
plus importante pour eux, fut toujours
celle qu' ils craignirent le plus
d' approfondir ; ils suivent les routes
que leurs peres leur ont tracées ; ils
croyent, parce qu' on leur a dit dès
l' enfance qu' il falloit croire ; ils
esperent, parce que leurs ancêtres ont
espéré ; ils tremblent, parce que leurs
devanciers ont tremblé ; presque jamais
ils n' ont daigné se rendre compte
des motifs de leur croyance. Très-peu
d' hommes ont le loisir d' examiner, ou
la capacité d' envisager les objets de
leur vénération habituelle, de leur
attachement peu raisonné, de leurs
craintes traditionelles ; les nations sont
toujours entraînées par le torrent de
l' habitude, de l' exemple, du préjugé :
l' éducation habitue l' esprit aux opinions
les plus monstrueuses, comme le
corps aux attitudes les plus gênantes :
tout ce qui a duré longtems paroît
p4
sacré aux hommes ; ils se croiroient
coupables, s' ils portoient leurs regards
téméraires sur les choses revêtues du
sceau de l' antiquité : prévenus en faveur
de la sagesse de leurs peres, ils
n' ont point la présomption d' examiner
après eux ; ils ne voyent point
que de tous tems l' homme fut la dupe
de ses préjugés, de ses espérances et
de ses craintes, et que les mêmes raisons
lui rendirent presque toujours
l' examen également impossible.
Le vulgaire, occupé de travaux nécessaires
à sa subsistance, accorde une
confiance aveugle à ceux qui prétendent
le guider ; il se repose sur eux
du soin de penser pour lui ; il souscrit
sans peine à tout ce qu' ils lui prescrivent ;
il croiroit offenser son dieu,
s' il doutoit un instant de la bonne
foi de ceux qui lui parlent en son
nom. Les grands, les riches, les gens
du monde, lors même qu' ils sont plus
éclairés que le vulgaire, se trouvent
p5
intéressés à se conformer aux préjugés
reçus, et même à les maintenir ; ou
bien, livrés à la mollesse, à la dissipation
et aux plaisirs, ils sont totalement
incapables de s' occuper d' une
religion qu' ils font toujours céder à
leurs passions, à leurs penchans, et
au desir de s' amuser. Dans l' enfance,
nous recevons toutes les impressions
qu' on veut nous donner ; nous n' avons,
ni la capacité, ni l' expérience, ni le
courage nécessaires pour douter de ce
que nous enseignent ceux dans la
dépendance desquels notre foiblesse nous
met. Dans l' adolescence, les passions
fougueuses et l' ivresse continuelle de
nos sens nous empêchent de songer
à une religion trop épineuse et trop
triste pour nous occuper agréablement :
si par hasard un jeune homme l' examine,
c' est sans suite, ou avec partialité ;
un coup d' oeil superficiel le
dégoûte bientôt d' un objet si déplaisant.
Dans l' âge mûr, des soins divers,
p6
des passions nouvelles, des idées d' ambition,
de grandeur, de pouvoir, le
desir des richesses, des occupations
suivies, absorbent toute l' attention de
l' homme fait, ou ne lui laissent que
peu de momens pour songer à cette
religion, que jamais il n' a le loisir
d' approfondir. Dans la vieillesse, des
facultés engourdies, des habitudes
identifiées avec la machine, des organes
affoiblis par l' âge et les infirmités, ne
nous permettent plus de remonter à
la source de nos opinions enracinées ;
la crainte de la mort, que nous avons
devant les yeux, rendroit d' ailleurs
très-suspect un examen auquel la terreur
préside communément.
C' est ainsi que les opinions religieuses,
une fois admises, se maintiennent
pendant une longue suite de siécles ;
c' est ainsi que d' âge en âge les nations
se transmettent des idées qu' elles n' ont
jamais examinées ; elles croyent que
leur bonheur est attaché à des institutions
p7
dans lesquelles un examen plus
r leur montreroit la source de la
plûpart de leurs maux. L' autorité vient
encore à l' appui des préjugés des
hommes, elle leur défend l' examen,
elle les force à l' ignorance, elle se
tient toujours prête à punir quiconque
tenteroit de les désabuser.
Ne soyons donc point surpris, si
nous voyons l' erreur presque identifiée
avec la race humaine ; tout semble
concourir à éterniser son aveuglement ;
toutes les forces se réunissent
pour lui cacher la vérité : les tyrans
la détestent et l' oppriment, parce
qu' elle ose discuter leurs titres
injustes et chimériques ; le sacerdoce la
décrie, parce qu' elle met au néant ses
prétentions fastueuses ; l' ignorance,
l' inertie, et les passions des peuples,
les rendent complices de ceux qui se trouvent
intéressés à les aveugler, pour les
tenir sous le joug, et pour tirer parti
de leurs infortunes : par-là, les nations
p8
gémissent sous des maux réditaires,
jamais elles ne songent à y remédier,
soit parce qu' elles n' en connoissent
point la source, soit parce que l' habitude
les accoutume au malheur et leur
ôte même le desir de se soulager.
Si la religion est l' objet le plus important
pour nous, si elle influe nécessairement
sur toute la conduite de la vie,
si ses influences s' étendent non-seulement
à notre existence en ce monde,
mais encore à celle que l' homme
se promet pour la suite, il n' est
sans doute rien qui demande un
examen plus sérieux de notre part :
cependant c' est de toutes les choses celle
dans la quelle le commun des hommes
montre le plus de crédulité ; le me
homme, qui apportera l' examen le plus
rieux dans la chose la moins intéressante
à son bien-être, ne se donne aucune
peine pour s' assurer des motifs qui
le déterminent à croire, ou à faire des
p9
choses, desquelles, de son aveu, dépend
sa félicité temporelle et éternelle ;
il s' en rapporte aveuglément à ceux
que le hasard lui a donnés pour guides ;
il se repose sur eux du soin d' y penser
pour lui, et parvient à se faire un mérite
de sa paresse même et de sa crédulité :
en matiere de religion, les hommes
se font gloire de rester toujours
dans l' enfance et dans la barbarie.
Cependant il se trouva dans tous
les siécles des hommes, qui, détrompés
des préjugés de leurs concitoyens,
oserent leur montrer la vérité. Mais
que pouvoit leur foible voix contre
des erreurs sucées avec le lait, confires
par l' habitude, autorisées par
l' exemple, fortifiées par une politique
souvent complice de sa propre ruine ?
Les cris imposans de l' imposture réduisirent
bientôt au silence ceux qui
voulurentclamer en faveur de la
raison ; en vain le philosophe essaya-t-il
d' inspirer aux hommes du courage,
p10
tandis que leurs prêtres et leurs rois
les forcerent de trembler.
Le plus sûr moyen de tromper les
hommes, et de perpétuer leurs préjugés,
c' est de les tromper dans l' enfance :
chez presque tous les peuples modernes,
l' éducation ne semble avoir pour
objet que de former des fanatiques,
des dévots, des moines, c' est-à-dire,
des hommes nuisibles, ou inutiles
à la société ; on ne songe nulle part
à former des citoyens : les princes
eux-mêmes, communément victimes de l' éducation
superstitieuse qu' on leur donne,
demeurent toute leur vie dans
l' ignorance la plus profonde de leurs
devoirs et des vrais intérêts de leurs
états ; ils s' imaginent avoir tout fait
pour leurs sujets, s' ils leur font
remplir l' esprit d' idées religieuses, qui
tiennent lieu de bonnes loix, et qui
dispensent leurs maîtres du soin pénible
de les bien gouverner. La religion ne
semble imaginée que pour rendre les
p11
souverains et les peuples également
esclaves du sacerdoce ; celui-ci n' est
occupé qu' à susciter des obstacles continuels
au bonheur des nations ; par-tout
il régne, le souverain n' a qu' un
pouvoir précaire, et les sujets sont dépourvus
d' activité, de science, de
grandeur d' ame, d' industrie, en un
mot des qualités nécessaires au soutien
de la société.
Si dans un état chrétien on voit
quelqu' activité, si l' on y trouve de la
science, si l' on y rencontre des moeurs
sociales, c' est qu' en dépit de leurs
opinions religieuses, la nature, toutes
les fois qu' elle le peut, ramene les hommes
à la raison et les force de travailler
à leur propre bonheur. Toutes les
nations chrétiennes, si elles étoient
conséquentes à leurs principes, devroient
être plongées dans la plus
profonde inertie ; nos contrées seroient
habitées par un petit nombre de pieux
sauvages, qui ne se rencontreroient
p12
que pour se nuire. En effet, à quoi bon
s' occuper d' un monde, que la religion
ne montre à ses disciples que comme un
lieu de passage ? Quelle peut être l' industrie
d' un peuple, à qui l' on répète tous
les jours que son Dieu veut qu' il prie,
qu' il s' afflige, qu' il vive dans la crainte,
qu' il gémisse sans cesse ? Comment
pourroit subsister une société composée
d' hommes à qui l' on persuade qu' il faut
avoir du zele pour la religion,
et que l' on doit haïr et détruire ses
semblables pour des opinions ? Enfin,
comment peut-on attendre de l' humanité,
de la justice, des vertus, d' une
foule de fanatiques à qui l' on propose,
pour modéle, un dieu cruel, dissimulé,
chant, qui se plaît à voir couler les
larmes de ses malheureuses créatures,
qui leur tend des embuches, qui les
punit pour y avoir succombé, qui
ordonne le vol, le crime et le carnage ?
Tels sont pourtant les traits sous
lesquels le christianisme nous peint
p13
le dieu qu' il hérita des juifs. Ce dieu fut
un sultan, un despote, un tyran,
à qui tout fut permis ; l' on fit pourtant
de ce dieu le modéle de la perfection ;
l' on commit en son nom les crimes
les plus révoltans, et les plus
grands forfaits furent toujours justifiés,
dès qu' on les commit pour soutenir sa
cause, ou pourriter sa faveur.
Ainsi la religion chrétienne, qui se vante
de prêter un appui inébranlable à la
morale, et de présenter aux hommes les
motifs les plus forts pour les exciter à la
vertu, fut pour eux une source de divisions,
de fureurs et de crimes ; sous prétexte
de leur apporter la paix, elle ne
leur apporta que la fureur, la haine,
la discorde et la guerre ; elle leur fournit
mille moyens ingénieux de se tourmenter ;
elle répandit sur eux des fléaux
inconnus à leurs peres ; et le chrétien,
s' il eut été sensé, eut mille fois regretté
la paisible ignorance des ses ancêtres
idolâtres.
p14
Si les moeurs des peuples n' eurent
rien à gagner avec la religion chrétienne,
le pouvoir des rois, dont elle prétend
être l' appui, n' en retira pas
de plus grands avantages ; il s' établit
dans chaque état deux pouvoirs
distingués ; celui de la religion,
fondé sur Dieu lui-même, l' emporta presque
toujours sur celui du souverain ; celui-ci
fut forcé de devenir le serviteur des
prêtres, et toutes les fois qu' il refusa
de fléchir le genou devant eux, il fut
proscrit, pouillé de ses droits,
exterminé par des sujets que la religion
excitoit à la révolte, ou par des fanatiques,
aux mains desquels elle remettoit son couteau.
Avant le christianisme, le souverain de l' état
fut communément le souverain du prêtre ;
depuis que le monde est chrétien, le
souverain n' est plus que le premier
esclave du sacerdoce, que l' exécuteur
de ses vengeances et de ses décrets.
Concluons donc que la religion
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chrétienne n' a point de titre pour se
vanter des avantages qu' elle procure
à la morale, ou à la politique. Arrachons-lui
donc le voile dont elle se couvre ;
remontons à sa source ; analysons
ses principes ; suivons-la dans sa
marche, et nous trouverons que, fondée
sur l' imposture, sur l' ignorance et
sur la crédulité, elle ne fut et ne sera
jamais utile qu' à des hommes qui se
croyent intéressés à tromper le genre
humain ; qu' elle ne cessa jamais de
causer les plus grands maux aux nations,
et qu' au lieu du bonheur qu' elle
leur avoit promis, elle ne servit qu' à
les enivrer de fureurs, qu' à les inonder
de sang, qu' à les plonger dans
le délire et dans le crime, qu' à leur
faire méconnoître leurs véritables intérêts
et leurs devoirs les plus saints.
p16
CHAPITRE 2
histoire abrégée du peuple juif.
dans une petite contrée, presque
ignorée des autres peuples, vivoit une
nation, dont les fondateurs, longtems
esclaves chez les égyptiens, furent délivrés
de leur servitude par un prêtre
d'liopolis, qui par son génie, et ses
connoissances superieures, sut prendre
de l' ascendant sur eux. Cet homme,
connu sous le nom de Mse, nourri
p17
dans les sciences de cette région fertile
en prodiges et mere des superstitions,
se mit donc à la tête d' une troupe de
fugitifs, à qui il persuada qu' il étoit
l' interprête des volontés de leur dieu,
qu' il conversoit particulierement avec
lui, qu' il en recevoit directement les
ordres. Il appuya, dit-on, sa mission par
des oeuvres qui parurent surnaturelles
à des hommes ignorans des voies de
la nature et des ressources de l' art. Le
premier des ordres qu' il leur donna,
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de la part de son dieu, fut de voler
leurs maîtres, qu' ils étoient sur le point
de quitter. Lorsqu' il les eut ainsi enrichis
despouilles de l' égypte, qu' il
se fut assuré de leur confiance, il les
conduisit dans un désert, où, pendant
quarante ans, il les accoutuma à la plus
aveugle obéissance ; il leur apprit les
volontés du ciel, la fable merveilleuse
de leurs ancêtres, les cérémonies
bisares auxquelles le trés-haut attachoit
ses faveurs ; il leur inspira sur-tout la
haine la plus envenimée contre les
dieux des autres nations, et la cruau
la plus étudiée contre ceux qui les
adoroient : à force de carnage et de
vérité, il en fit des esclaves souples
à ses volontés, prêts à seconder ses
passions, prêts à se sacrifier pour
satisfaire ses vues ambitieuses ; en un mot,
il fit des hébreux, des monstres de
phrénésie et de férocité. Après les
avoir ainsi animés de cet esprit destructeur,
il leur montra les terres et
p19
les possessions de leurs voisins, comme
l' héritage que Dieu même leur avoit
assigné.
Fiers de la protection de jehovah ,
les breux marcherent à la victoire ;
le ciel autorisa pour eux la fourberie
et la cruauté ; la religion, unie
à l' avidité, étouffa chez eux les cris
de la nature, et sous la conduite de
leurs chefs inhumains, ils détruisirent
les nations chananéennes avec une
barbarie qui révolte tout homme en
qui la superstition n' a pas totalement
anéanti la raison. Leur fureur, dictée
par le ciel même, n' épargna, ni les
enfans à la mammelle, ni les vieillards
débiles, ni les femmes enceintes, dans
les villes où ces monstres porterent
p20
leurs armes victorieuses. Par les ordres
de Dieu, ou de ses prophêtes, la bonne
foi fut violée, la justice fut outragée,
et la cruauté fut éxercée.
Brigands, usurpateurs et meurtriers,
les breux parvinrent enfin
à s' établir dans une contrée peu fertile,
mais qu' ils trouverent délicieuse, au
sortir de leur désert. Là, sous l' autorité
p21
de leurs prêtres, représentans
visibles de leur dieu caché, ils
fonderent un état détesté de ses voisins, et
qui fut en tout tems l' objet de leur
haine, ou de leur mépris. Le sacerdoce,
sous le nom de théocratie , gouverna
longtems ce peuple aveugle et
farouche ; il lui persuada qu' en obéissant
à ses prêtres, il obéissoit à son
dieu lui-même.
Malgré la superstition, forcé par
les circonstances, ou peut-être fatigué
du joug de ses prêtres, le peuple
hébreu voulut enfin avoir des rois,
à l' exemple des autres nations ; mais,
dans le choix de son monarque, il
se crut obligé de s' en rapporter à
un prophéte. Ainsi commença la monarchie
desbreux, dont les princes
furent néanmoins toujours traversés
dans leurs entreprises, par des prêtres,
des inspirés, des proptes ambitieux,
qui susciterent sans fin des
obstacles aux souverains qu' ils ne trouverent
p22
point assez soumis à leurs propres
volontés. L' histoire des juifs ne
nous montre, dans tous ses périodes,
que des rois aveuglément soumis au
sacerdoce, ou perpétuellement en
guerre avec lui, et forcés de périr
sous ses coups.
La superstition féroce, ou ridicule,
du peuple juif, le rendit l' ennemi né
du genre humain, et en fit l' objet de
son indignation et de ses mépris :
toujours il fut rebelle, et toujours il
fut maltraité par les conquérans de sa
chétive contrée. Esclave tour-à-tour
des égyptiens, des babyloniens, et
des grecs, il éprouva sans cesse les
traitemens les plus durs et les mieux
rités ; souvent infidéle à son dieu,
dont la cruauté, ainsi que la tyrannie
de ses prêtres le dégoûterent
fréquemment, il ne fut jamais soumis à
ses princes ; ceux-ci l' écraserent
inutilement sous un sceptre de fer,
jamais ils ne parvinrent à en faire un
p23
sujet attaché ; le juif fut toujours la
victime et la dupe de ses inspirés, et
dans ses plus grands malheurs, son
fanatisme opiniâtre, ses espérances
insensées, sa crédulité infatigable, le
soutinrent contre les coups de la
fortune. Enfin, conquise avec le reste
du monde, la Judée subit le joug des
romains.
Objet du mépris de ses nouveaux
maîtres, le juif fut traité durement,
et avec hauteur, par des hommes que
sa loi lui fit détester dans son coeur ;
aigri par l' infortune, il n' en devint que
plusditieux, plus fanatique, plus
aveugle. Fiere des promesses de son
dieu ; remplie de confiance pour les
oracles qui, en tout tems, lui annoncerent
un bien-être qu' elle n' eut jamais ;
encouragée par les enthousiastes,
ou les imposteurs, qui successivement
se jouerent de sa crédulité, la nation
juive attendit toujours un messie , un
monarque, un libérateur, qui la
p24
débarrassât du joug sous lequel elle
gémissoit, et qui la fît régner
elle-même sur toutes les nations de
l' univers.
histoire abrégée du christianisme.
ce fut au milieu de cette nation, ainsi
disposée à se répaître d' espérances et
de chiméres, que se montra un nouvel
inspiré, dont les sectateurs sont parvenus
à changer la face de la terre.
Un pauvre juif, qui se prétendit issu
du sang royal de David, ignoré long-tems
p25
dans son propre pays, sortit tout
d' un coup de son obscurité pour se
faire des prosélites. Il en trouva dans
la plus ignorante populace ; il lui prêcha
donc sa doctrine, et lui persuada
qu' il étoit le fils de Dieu, le
libérateur de sa nation opprimée, le messie
annoncé par les prophétes. Ses disciples,
ou imposteurs, ou séduits, rendirent
un témoignage éclatant de sa
puissance ; ils prétendirent que sa mission
avoit été prouvée par des miracles
sans nombre. Le seul prodige, dont il
fut incapable, fut de convaincre les
juifs, qui, loin d' être touchés de ses
oeuvres bienfaisantes et merveilleuses,
le firent mourir par un supplice infamant.
Ainsi, le fils de Dieu mourut à
p26
la vue de tout Jérusalem ; mais ses
adhérens assurerent qu' il étoit secrétement
ressuscité trois jours après sa mort.
Visible pour eux seuls, et invisible pour
la nation qu' il étoit venu éclairer et
amener à sa doctrine, Jésus ressuscité
conversa, dit-on, quelque tems avec
ses disciples, après quoi il remonta
au ciel, où, devenu Dieu comme son
pere, il partage avec lui les adorations
et les hommages des sectateurs de sa
loi. Ceux-ci, à force d' accumuler des
superstitions, d' imaginer des impostures,
de forger des dogmes, d' entasser des
mysteres, ont peu-à-peu
formé un système religieux, informe et
décousu, qui fut appellé le christianisme ,
d' après le nom du Christ son fondateur.
Les différentes nations, auxquelles
les juifs furent respectivement soumis,
les avoient infectés d' une multitude
de dogmes empruntés du paganisme :
ainsi la religion judaïque, égyptienne
p27
dans son origine, adopta les rites,
les notions, et une portion des idées
des peuples avec qui les juifs converserent.
Il ne faut donc point être
surpris si nous voyons les juifs, et les
chrétiens qui leur succéderent, imbus
de notions puisées chez les phéniciens,
chez les mages ou les perses, chez
les grecs et les romains. Les erreurs
des hommes, en matiere de religion,
ont une ressemblance générale ; elles
ne paroissent différentes que par leurs
combinaisons. Le commerce des juifs
et des chrétiens, avec les grecs, leur
fit surtout connoître la philosophie de
Platon, si analogue avec l' esprit
romanesque des orientaux, et si conforme
au génie d' une religion qui se fit un
devoir de se rendre inaccessible à la
raison. Paul, le plus ambitieux et
p28
le plus enthousiaste des disciples de
Jésus, porta donc sa doctrine, assaisonnée
de sublime et de merveilleux,
aux peuples de la Gréce, de l' Asie,
et même aux habitans de Rome ; il eut
des sectateurs, parce que tout homme,
qui parle à l' imagination des
hommes grossiers, les mettra dans ses
intérêts, et cet apôtre actif peut passer,
à juste titre, pour le fondateur
d' une religion, qui, sans lui, n' eut pu
s' étendre, par le défaut de lumieres
de ses ignorans collégues, dont il ne
tarda pas à se séparer, pour être chef
de sa secte.
p29
Quoi qu' il en soit, le christianisme,
dans sa naissance, fut forcé de se borner
aux gens du peuple ; il ne fut embrassé
que par les hommes les plus
abjects d' entre les juifs et les payens :
c' est sur des hommes de cette espéce
que le merveilleux a le plus de droit.
Un dieu infortuné, victime innocente
de la méchanceté, ennemi des riches
et des grands, dut être un objet consolant
p30
pour des malheureux. Des moeurs
austeres, le mépris des richesses,
les soins, désintéressés en apparence,
des premiers prédicateurs de
l' évangile, dont l' ambition se bornoit
à gouverner les ames, l' égalité que
la religion mettoit entre les hommes, la
communauté des biens, les secours
mutuels que se prêtoient les membres
de cette secte, furent des objets
très-propres à exciter les desirs des pauvres,
et à multiplier les chtiens. L' union,
la concorde, l' affection réciproque,
continuellement recommandées
aux premiers chrétiens, dûrent séduire
des ames honnêtes ; la soumission aux
puissances, la patience dans les
souffrances, l' indigence et l' obscurité,
firent regarder la secte naissante comme
peu dangereuse dans un gouvernement
accoutumé à tolérer toutes sortes de
sectes. Ainsi, les fondateurs du christianisme
eurent beaucoup d' adhérens
dans le peuple, et n' eurent pour contradicteurs,
p31
ou pour ennemis, que
quelques prêtres idolâtres, ou juifs,
intéressés à soutenir les religions
établies. Peu-à-peu le nouveau culte,
couvert par l' obscurité de ses adhérens,
et par les ombres du mystere,
jetta de très-profondes racines, et devint
trop étendu pour être supprimé.
Le gouvernement romain s' apperçut
trop tard des progrès d' une association
prisée ; les chrétiens, devenus
nombreux, oserent braver les dieux
du paganisme, jusque dans leurs temples.
Les empereurs et les magistrats,
devenus inquiets, voulurent éteindre
une secte qui leur faisoit ombrage ; ils
persécuterent des hommes qu' ils ne
pouvoient ramener par la douceur, et
que leur fanatisme rendoit opiniâtres ;
leurs supplices intéresserent en leur
faveur ; la persécution ne fit que multiplier
le nombre de leurs amis : enfin,
leur constance dans les tourmens
parut surnaturelle et divine à ceux
p32
qui en furent les témoins. L' enthousiasme
se communiqua, et la tyrannie
ne servit qu' à procurer de nouveaux
défenseurs à la secte qu' on vouloit
étouffer.
Ainsi, que l' on cesse de nous vanter
les merveilleux progrès du christianisme ;
il fut la religion du pauvre ;
elle annonçoit un dieu pauvre ; elle
fut prêchée par des pauvres à de pauvres
ignorans ; elle les consola de leur
état ; ses idées lugubres elles-mes
furent analogues à la disposition d' hommes
malheureux et indigens. L' union
et la concorde, que l' on admire tant
dans les premiers chrétiens, n' est pas
plus merveilleuse ; une secte naissante
et opprimée demeure unie, et craint
de se séparer d' intérêts. Comment,
dans ces premiers tems, ses prêtres
persécutés eux-mêmes, et traités comme
des perturbateurs , eussent-ils osé
prêcher l' intolérance et la percution ?
Enfin, les rigueurs, exercées contre
p33
les premiers chrétiens, ne purent leur
faire changer de sentimens, parce que
la tyrannie irrite, et que l' esprit de
l' homme est indomptable, quand il
s' agit des opinions auxquelles il croit
son salut attac. Tel est l' effet
immanquable de la persécution. Cependant,
les chrétiens, que l' exemple de
leur propre secte auroit détromper,
n' ont pu jusqu' à présent se guérir
de la fureur de persécuter.
Les empereurs romains, devenus
chrétiens eux-mêmes ; c' est-à-dire,
entraînés par un torrent devenu général,
qui les força de se servir des secours
d' une secte puissante, firent monter la
religion sur le trône ; ils protégerent
l' église et ses ministres ; ils voulurent
que leurs courtisans adoptassent leurs
idées ; ils regarderent de mauvais oeil ceux
qui resterent attachés à l' ancienne religion ;
peu-à-peu ils en vinrent jusqu' à en
interdire l' exercice ; il finit par être
défendu sous peine de mort. On persécuta
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sans ménagement ceux qui s' en
tinrent au culte de leurs peres ; les
chrétiens rendirent alors aux payens,
avec usure, les maux qu' ils en avoient
reçus. L' empire romain fut rempli
de séditions, causées par le zele effréné
des souverains, et de ces prêtres
pacifiques, qui peu auparavant ne
vouloient que la douceur et l' indulgence.
Les empereurs, ou politiques, ou
superstitieux, comblerent le sacerdoce de
largesses et de bienfaits, que souvent il
connut ; ils établirent son autorité ;
ils respecterent ensuite, comme divin,
le pouvoir qu' ils avoient eux-mêmes
créé. On déchargea les prêtres de toutes
les fonctions civiles, afin que rien ne les
détournât du ministere sacré. Ainsi,
les pontifes d' une secte jadis rampante
et opprimée, devinrent indépendans :
enfin, devenus plus puissans que les
rois, ils s' arrogerent bientôt le droit
p35
de leur commander à eux-mêmes. Ces prêtres
d' un dieu de paix, presque toujours
en discorde entr' eux, communiquerent
leurs passions et leurs fureurs
aux peuples, et l' univers étonné vit
naître, sous la loi de grace , des
querelles et des malheurs qu' il n' avoit
jamais éprouvés sous les divinités paisibles
qui s' étoient autrefois partagé,
sans dispute, les hommages des mortels.
Telle fut la marche d' une superstition,
innocente dans son origine,
mais qui par la suite, loin de
procurer le bonheur aux hommes, fut pour
eux une pomme de discorde, et le
germe fécond de leurs calamités.
paix sur la terre, et bonne volonté aux
hommes. c' est ainsi que s' annonce cet
évangile, qui a coûté au genre humain
plus de sang que toutes les autres religions
du monde prises collectivement.
aimez votre dieu de toutes vos forces, et
votre prochain comme vous-même. voilà,
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selon le législateur et le dieu des
chrétiens, la somme de leurs devoirs :
cependant, nous voyons les chrétiens
dans l' impossibilité d' aimer ce dieu
farouche, sévere et capricieux, qu' ils
adorent ; et, d' un autre côté, nous
les voyons éternellement occupés à
tourmenter, à persécuter, à détruire
leur prochain, et leurs freres. Par
quel renversement une religion, qui
ne respire que la douceur, la concorde,
l' humilité, le pardon des injures,
la soumission aux souverains, est-elle
mille fois devenue le signal de la
discorde, de la fureur, de la révolte, de
la guerre, et des crimes les plus noirs ?
Comment les prêtres du dieu de paix
ont-ils pu faire servir son nom de prétexte,
pour troubler la société, pour
en bannir l' humanité, pour autoriser
les forfaits les plus inouis, pour mettre
les citoyens aux prises, pour assassiner
les souverains ?
Pour expliquer toutes ces contradictions,
p37
il suffit de jetter les yeux sur
le dieu que les chtiens ontrité
des juifs. Non contens des couleurs
affreuses, sous lesquelles Moïse l' a
peint, les chrétiens ont encore défiguré
son tableau. Les châtimens passagers
de cette vie sont les seuls dont
parle le législateur hébreu ; le chrétien
voit son dieu barbare se vengeant
avec rage, et sans mesure, pendant
l' éternité. En un mot, le fanatisme
des chrétiens se nourrit par
l' idée révoltante d' un enfer, où leur
dieu, changé en un bourreau aussi
injuste qu' implacable, s' abreuvera des
larmes de ses créatures infortunées,
et perpétuera leur existence, pour continuer
à la rendre éternellement malheureuse.
Là, occupé de sa vengeance,
il jouira des tourmens du pécheur ;
il écoutera avec plaisir les hurlemens
inutiles dont il fera retentir son
cachot embrasé. L' espérance de voir
p38
finir ses peines ne mettra point d' intervalle
entre ses supplices.
En un mot, en adoptant le dieu
terrible des juifs, le christianisme enchérit
encore sur sa cruauté : il le représente
comme le tyran le plus insensé,
le plus fourbe, le plus cruel,
que l' esprit humain puisse concevoir ;
il suppose qu' il traite ses sujets avec
une injustice et une barbarie vraiment
dignes d' un démon. Pour nous convaincre
de cette vérité, exposons le
tableau de la mythologie judaïque,
adoptée et rendue plus extravagante
par les chrétiens.
CHAPITRE 4
de la mythologie chrétienne, ou des
idées que le christianisme nous donne
de Dieu et de sa conduite.
Dieu, par un acte inconcevable de
sa toute-puissance, fait sortir l' univers
p39
du néant ; il crée le monde pour être
la demeure de l' homme, qu' il a fait à
son image ; à peine cet homme, unique
objet des travaux de son dieu,
a-t-il vu la lumiere, que son créateur
lui tend un piége, auquel il savoit
sans doute qu' il devoit succomber. Un
serpent, qui parle, séduit une femme,
qui n' est point surprise de ce phénomène ;
celle-ci, persuadée par le serpent,
sollicite son mari de manger un
fruit défendu par Dieu lui-même.
Adam, le pere du genre humain, par
cette faute légere, attire sur lui-même,
et sur sa postérité innocente, une
foule de maux, que la mort suit, sans
encore les terminer. Par l' offense d' un
p40
seul homme, la race humaine entiere
devient l' objet du courroux céleste ;
elle est punie d' un aveuglement involontaire,
par un déluge universel.
Dieu se repent d' avoir peuplé le monde ;
il trouve plus facile de noyer et de
détruire l' esce humaine, que de
changer son coeur.
Cependant un petit nombre de justes
échappe à ce fléau ; mais la terre submergée,
le genre humain anéanti, ne suffisent point
encore à sa vengeance implacable.
Une race nouvelle paroît ;
quoique sortie des amis de Dieu, qu' il
a sauvés du naufrage du monde, cette
race recommence à l' irriter par de
nouveaux forfaits ; jamais le tout-puissant
ne parvient à rendre sa créature telle
qu' il la desire ; une nouvelle corruption
s' empare des nations, nouvelle
colere de la part de Jehovah .
Enfin, partial dans sa tendresse et
dans sa préférence, il jette les yeux
sur un assyrien idolâtre ; il fait une
p41
alliance avec lui ; il lui promet que sa
race, multipliée comme les étoiles du
ciel, ou comme les grains de sable de
la mer, jouira toujours de la faveur
de son dieu ; c' est à cette race choisie
que Dieu révèle ses volontés ; c' est
pour elle qu' il dérange cent fois l' ordre
qu' il avoit établi dans la nature ;
c' est pour elle qu' il est injuste, qu' il
détruit des nations entieres. Cependant,
cette race favorisée n' en est pas
plus heureuse, ni plus attachée à son
dieu ; elle court toujours à des dieux
étrangers, dont elle attend des secours
que le sien lui refuse ; elle outrage ce
dieu qui peut l' exterminer. Tantôt ce
dieu la punit, tantôt il la console,
tantôt il la hait sans motifs, tantôt il
l' aime sans plus de raison. Enfin, dans
l' impossibilité où il se trouve de
ramener à lui un peuple pervers, qu' il
chérit avec opiniâtreté, il lui envoye son
propre fils. Ce fils n' en est point écouté.
Que dis-je ? Ce fils chéri, égal à
p42
Dieu son pere, est mis à mort par un
peuple, objet de la tendresse obstinée
de son pere, qui se trouve dans l' impuissance
de sauver le genre humain,
sans sacrifier son propre fils. Ainsi,
un dieu innocent devient la victime
d' un dieu juste qui l' aime ; tous deux
consentent à cet étrange sacrifice,
jugécessaire par un dieu, qui sait
qu' il sera inutile à une nation endurcie,
que rien ne changera. La mort d' un
dieu, devenue inutile pour Israël,
servira donc du moins à expier les
péchés du genre humain ? Malgré l' éternité
de l' alliance, jue solemnellement
par le très-haut, et tant de
fois renouvellée avec ses descendans,
la nation favorisée se trouve enfin
abandonnée par son dieu, qui n' a pu
la ramener à lui. Les mérites des souffrances
et de la mort de son fils sont
appliqués aux nations jadis exclues de
ses bontés ; celles-ci sont réconciliées
avec le ciel, devenu désormais plus
p43
juste à leur égard ; le genre humain
rentre en grace. Cependant, malgré
les efforts de la divinité, ses faveurs
sont inutiles, les hommes continuent
à pécher ; ils ne cessent d' allumer la
colere céleste, et de se rendre dignes
des châtimens éternels, destinés au
plus grand nombre d' entr' eux.
Telle est l' histoire fidelle du dieu
sur lequel le christianisme se fonde.
D' après une conduite si étrange, si
cruelle, si opposée à toute raison, est-il
donc surprenant de voir les adorateurs
de ce dieu n' avoir aucune idée
de leurs devoirs, méconnoître la
justice, fouler aux pieds l' humanité, et
faire des efforts, dans leur enthousiasme,
pour s' assimiler à la divinité
barbare qu' ils adorent, et qu' ils se
proposent pour modéle ? Quelle indulgence
l' homme est-il en droit d' attendre
d' un dieu qui n' a pas épargné son
propre fils ? Quelle indulgence l' homme
chrétien, persuadé de cette fable,
p44
aura-t-il pour son semblable ? Ne doit-il
pas s' imaginer que le moyen le plus
r de lui plaire, est d' être aussi féroce
que lui ?
Au moins est-il évident que les sectateurs
d' un dieu pareil doivent avoir
une morale incertaine, et dont les
principes n' ont aucune fixité. En effet,
ce dieu n' est point toujours injuste et
cruel ; sa conduite varie ; tantôt il crée
la nature entiere pour l' homme ; tantôt
il ne semble avoir créé ce même homme,
que pour exercer sur lui ses fureurs
arbitraires ; tantôt il le chérit,
malgré ses fautes ; tantôt il condamne
la race humaine au malheur, pour une
p45
pomme. Enfin, ce dieu immuable est
alternativement agité par l' amour et la
colere, par la vengeance et la pitié,
par la bienveillance et le regret ; il n' a
jamais, dans sa conduite, cette uniformité
qui caractérise la sagesse. Partial
dans son affection pour une nation
prisable, et cruel sans raison pour
le reste du genre humain, il ordonne
la fraude, le vol, le meurtre, et fait
à son peuple chéri un devoir de commettre,
sans balancer, les crimes les plus
atroces, de violer la bonne foi,
de mépriser le droit des gens. Nous
le voyons, dans d' autres occasions,
défendre ces mêmes crimes, ordonner
la justice, et prescrire aux hommes
de s' abstenir des choses qui troublent
l' ordre de la société. Ce dieu,
qui s' appelle à la fois le dieu des
vengeances , le dieu des miséricordes ,
le dieu des ares et le dieu de la
paix , souffle continuellement le froid et
le chaud ; par conséquent il laisse chacun
p46
de ses adorateurs maître de la conduite
qu' il doit tenir ; et par-là, sa morale
devient arbitraire. Est-il donc surprenant,
après cela, que les chrétiens
n' aient jamais jusqu' ici pu convenir entr' eux,
s' il étoit plus conforme, aux yeux
de leur dieu, de montrer de l' indulgence
aux hommes, que de les exterminer
pour des opinions ? En un mot,
c' est un problême pour eux, de
savoir s' il est plus expédient d' égorger
et d' assassiner ceux qui ne pensent point
comme eux, que de les laisser vivre en
paix, et de leur montrer de l' humanité.
Les chrétiens ne manquent point de
justifier leur dieu de la conduite étrange,
et si souvent inique, que nous lui
voyons tenir dans les livres sacrés. Ce
dieu, disent-ils, maître absolu des
créatures, peut en disposer à son gré,
sans qu' on puisse, pour cela, l' accuser
d' injustice, ni lui demander compte
de ses actions : sa justice n' est point
p47
celle de l' homme ; celui-ci n' a point le
droit de blâmer. Il est aisé de sentir
l' insuffisance de cetteponse. En effet,
les hommes, en attribuant la justice à
leur dieu, ne peuvent avoir idée de
cette vertu, qu' en supposant qu' elle
ressemble, par ses effets, à la justice
dans leurs semblables. Si Dieu n' est
point juste comme les hommes, nous
ne savons plus comment il l' est, et nous
lui attribuons une qualité dont nous
n' avons aucune idée. Si l' on nous dit
que Dieu ne doit rien à ses créatures,
on le suppose un tyran, qui n' a de
régle que son caprice, qui ne peut,
dès lors, être le modéle de notre justice,
qui n' a plus de rapports avec
nous, vû que tous les rapports doivent
êtreciproques. Si Dieu ne doit
rien à ses créatures, comment celles-ci
peuvent-elles lui devoir quelque
chose ? Si, comme on nous le répète
sans cesse, les hommes sont, relativement
à Dieu, comme l' argille dans
p48
les mains du potier, il ne peut y avoir
de rapports moraux entre eux et lui.
C' est néanmoins sur ces rapports que
toute religion est fondée : ainsi, dire
que Dieu ne doit rien à ses créatures,
et que sa justice n' est point la même
que celle des hommes, c' est sapper
les fondemens de toute justice et de
toute religion, qui suppose que Dieu
doit récompenser les hommes pour le
bien, et les punir pour le mal qu' ils font.
On ne manquera pas de nous dire,
que c' est dans une autre vie que la justice
de Dieu se montrera ; cela posé,
nous ne pouvons l' appeller juste dans
celle-ci,nous voyons si souvent
la vertu opprimée, et le vice récompensé.
Tant que les choses seront en
cet état, nous ne serons point à portée
d' attribuer la justice à un dieu, qui
se permet, au moins pendant cette vie,
la seule dont nous puissions juger, des
injustices passageres que l' on le suppose
p49
disposé àparer quelque jour. Mais cette
supposition elle-même n' est-elle pas
très-gratuite ? Et si ce Dieu a pu consentir d' être
injuste un moment, pourquoi nous flatterions-nous
qu' il ne le sera point encore dans la suite ? Comment
d' ailleurs concilier une justice, aussi sujette à
se démentir, avec l' immutabilité de ce dieu ?
Ce qui vient d' être dit de la justice de Dieu, peut
encore s' attribuer à la bonté qu' on lui attribue,
et sur laquelle les hommes fondent leurs devoirs
à son égard. En effet, si ce dieu est tout-puissant,
s' il est l' auteur de toutes choses, si rien ne se
fait que par son ordre, comment lui attribuer la
bonté, dans un monde, où ses catures sont
exposées à des maux continuels, à des maladies cruelles,
à desvolutions physiques et morales, enfin à la
mort ? Les hommes ne peuvent attribuer la bonté à
Dieu, que d' après les biens qu' ils en reçoivent ;
dès qu' ils
p50
éprouvent du mal, ce dieu n' est plus
bon pour eux. Les théologiens mettent
à couvert la bonté de leur dieu, en
niant qu' il soit l' auteur du mal, qu' ils
attribuent à un génie malfaisant, emprunté
du magisme, qui est perpétuellement
occupé à nuire au genre humain,
et à frustrer les intentions favorables
de la providence sur lui.
Dieu, nous disent ces docteurs, n' est
point l' auteur du mal, il le permet
seulement. Ne voyent-ils pas que permettre
le mal, est la même chose que
le commettre, dans un agent tout-puissant
qui pourroit l' empêcher ? D' ailleurs,
si la bonté de Dieu a pu se démentir
un instant, quelle assurance
avons-nous qu' elle ne sementira pas
toujours ? Enfin, dans le système chrétien,
comment concilier avec la bonté
de Dieu, ou avec sa sagesse, la conduite
souvent barbare, et les ordres sanguinaires
que les livres saints lui attribuent ?
Comment un chrétien peut-il
p51
attribuer la bonté à un dieu, qui n' a
créé le plus grand nombre des hommes
que pour les damner éternellement ?
On nous dira, sans doute, que la
conduite de Dieu est pour nous un
mystere impénétrable ; que nous ne
sommes point en droit de l' examiner ;
que notre foible raison se perdroit
toutes les fois qu' elle voudroit sonder
les profondeurs de la sagesse divine ;
qu' il faut l' adorer en silence, et nous
soumettre, en tremblant, aux oracles
d' un dieu qui a lui-même fait connoître
ses volontés : on nous ferme
la bouche, en nous disant que la
divinité s' est révélée aux hommes.
CHAPITRE 5
de la révélation.
comment, sans le secours de la raison,
connoître s' il est vrai que la divinité
ait parlé ? Mais, d' un autre côté,
p52
la religion chrétienne ne proscrit-elle
pas la raison ? N' en défend-elle pas l' usage
dans l' examen des dogmes merveilleux
qu' elle nous présente ? Ne déclame-t-elle
pas sans cesse contre une
raison prophane , qu' elle accuse
d' insuffisance, et que souvent elle regarde
comme une révolte contre le ciel ?
Avant de pouvoir juger de la révélation
divine, il faudroit avoir une
idée juste de la divinité. Mais puiser
cette idée, sinon dans la révélation
elle-même, puisque notre raison
est trop foible pour s' élever jusqu' à la
connoissance de l' être suprême ? Ainsi,
la révélation elle-même nous prouvera
l' autorité de la révélation. Malgré ce
cercle vicieux, ouvrons les livres qui
doivent nous éclairer, et auxquels
nous devons soumettre notre raison.
Y trouvons-nous des idées précises
sur ce dieu dont on nous annonce les
oracles ? Saurons-nous à quoi nous en
tenir sur ses attributs ? Ce dieu n' est-il
p53
pas un amas de qualités contradictoires,
qui en font une enigme inexplicable ?
Si, comme on le suppose, cette
vélation est émanée de Dieu lui-même,
comment se fier au dieu des chrétiens,
qui se peint comme injuste,
comme faux, comme dissimulé, comme
tendant des piéges aux hommes,
comme se plaisant à les séduire, à les
aveugler, à les endurcir ; comme faisant
des signes pour les tromper, comme
pandant sur eux l' esprit de vertige
et d' erreur ? Ainsi, dès les premiers
pas, l' homme, qui veut s' assurer
de la révélation chrétienne, est
jetté dans la fiance et dans la
perpléxité ; il ne sait si le dieu, qui lui
p54
a parlé, n' a pas dessein de le tromper
lui-même, comme il en a trom
tant d' autres, de son propre aveu :
d' ailleurs, n' est-il pas forcé de le penser,
lorsqu' il voit les disputes interminables
de ses guides sacrés, qui jamais
n' ont pu s' accorder sur la façon
d' entendre les oracles précis d' une divinité
qui s' est expliquée.
Les incertitudes et les craintes de
celui qui examine de bonne foi la vélation
adoptée par les chrétiens, ne
doivent-elles point redoubler, quand
il voit que son dieu n' a prétendu se
faire connoître qu' à quelques êtres
favorisés, tandis qu' il a voulu rester
caché pour le reste des mortels, à qui
pourtant cette révélation étoit
également nécessaire ? Comment saura-t-il
s' il n' est pas du nombre de ceux à qui
son dieu partial n' a pas voulu se faire
connoître ? Son coeur ne doit-il pas se
troubler à la vue d' un dieu, qui ne
consent à se montrer, et à faire annoncer
p55
ses décrets, qu' à un nombre
d' hommes très-peu considérable, si on
le compare à toute l' espece humaine ?
N' est-il pas tenté d' accuser ce dieu
d' une malice bien noire, en voyant
que, faute de se manifester à tant de
nations, il a causé, pendant une
longue suite de siécles, leur perte
nécessaire ? Quelle idée peut-il se
former d' un dieu qui punit des millions
d' hommes, pour avoir ignoré des loix
secrettes, qu' il n' a lui-même publiées
qu' à la dérobée, dans un coin obscur
et ignoré de l' Asie ?
Ainsi, lorsque le chrétien consulte
me les livres révélés, tout doit
conspirer à le mettre en garde contre
le dieu qui lui parle ; tout lui inspire
de la défiance contre son caractere moral ;
tout devient incertitude pour lui ;
son dieu, de concert avec les interprêtes
de ses prétendues volontés,
semble avoir formé le projet de redoubler
les ténébres de son ignorance. En
p56
effet, pour fixer ses doutes, on lui
dit que les volontés révélées sont des
mysteres , c' est-à-dire, des choses
inaccessibles à l' esprit humain. Dans ce
cas, qu' étoit-il besoin de parler ? Un dieu
ne devoit-il se manifester aux hommes, que
pour n' être point compris ?
Cette conduite n' est-elle pas aussi ridicule
qu' insensée ? Dire que Dieu ne
s' est révélé que pour annoncer des
mysteres, c' est dire que Dieu ne s' est
vélé que pour demeurer inconnu,
pour nous cacher ses voies, pour dérouter
notre esprit, pour augmenter
notre ignorance et nos incertitudes.
Une révélation qui seroit véritable,
qui viendroit d' un dieu juste et bon,
et qui seroit nécessaire à tous les
hommes, devroit être assez claire
pour être entendue de tout le genre
humain. La révélation, sur laquelle
le judaïsme et le christianisme se fondent,
est-elle donc dans ce cas ? Les élémens
d' Euclide sont intelligibles
p57
pour tous ceux qui veulent les entendre ;
cet ouvrage n' excite aucune dispute
parmi les géometres. La bible
est-elle aussi claire, et les rités
vélées n' occasionnent-elles aucunes
disputes entre les théologiens qui les
annoncent ? Par quelle fatalité les
écritures, révélées par la divinité même,
ont-elles encore besoin de commentaires,
et demandent-elles des lumieres
d' en haut, pour être crues et entendues ?
N' est-il pas étonnant, que ce qui
doit servir à guider tous les hommes,
ne soit compris par aucun d' eux ?
N' est-il pas cruel, que ce qui est le
plus important pour eux, leur soit le
moins connu ? Tout est mysteres, ténébres,
incertitudes, matiere à disputes,
dans une religion annoncée par
le très-haut pour éclairer le genre
humain. L' ancien et le nouveau testamens
renferment des vérités essentielles
aux hommes, néanmoins personne
ne les peut comprendre ; chacun les
p58
entend diversement, et les théologiens
ne sont jamais d' accord sur la façon
de les interprêter. Peu contens des
mysteres contenus dans les livres sacrés,
les prêtres du christianisme en
ont inventés de siécle en siécle, que
leurs disciples sont obligés de croire,
quoique leur fondateur et leur dieu
n' en ait jamais parlé. Aucun chrétien
ne peut douter des mysteres de la
trinité, de l' incarnation, non plus que
de l' efficacité des sacremens, et cependant
Jésus-Christ ne s' est jamais expliqué
sur ces choses. Dans la religion
chrétienne, tout semble abandonné à
l' imagination, aux caprices, aux décisions
arbitraires de ses ministres, qui
s' arrogent le droit de forger des mysteres
et des articles de foi, suivant que
leurs intérêts l' exigent. C' est ainsi que
cette révélation se perpétue, par le
moyen de l' église, qui se prétend
inspirée par la divinité, et qui, bien
loin d' éclairer l' esprit de ses enfans,
p59
ne fait que le confondre, et le plonger
dans une mer d' incertitudes.
Tels sont les effets de cette révélation,
qui sert de base au christianisme,
et de la réalité de laquelle il n' est pas
permis de douter. Dieu, nous dit-on,
a parlé aux hommes ; mais quand a-t-il
parlé ? Il a parlé, il y a des milliers
d' années, à des hommes choisis, qu' il
a rendus ses organes ; mais comment
s' assurer s' il est vrai que ce dieu ait
parlé, sinon en s' en rapportant au
témoignage de ceuxmes qui disent
avoir reçu ses ordres ? Ces interprêtes
des volontés divines sont donc des
hommes ; mais des hommes ne sont-ils
pas sujets à se tromper eux-mêmes,
et à tromper les autres ? Comment
donc connoître si l' on peut s' en fier
aux témoignages que ces organes du
ciel se rendent à eux-mêmes ? Comment
savoir s' ils n' ont point été les
dupes d' une imagination trop vive,
ou de quelqu' illusion ? Comment découvrir
p60
aujourd' hui s' il est bien vrai
que ce Moïse ait conversé avec son
dieu, et qu' il ait reçu de lui la loi
du peuple juif, il y a quelques milliers
d' années ? Quel étoit le tempérament
de ce Moïse ? étoit-il flegmatique, ou
enthousiaste ; sincere, ou fourbe ; ambitieux,
ou désintéressé ; véridique, ou
menteur ? Peut-on s' en rapporter
au témoignage d' un homme, qui,
après avoir fait tant de miracles, n' a
jamais pu détromper son peuple de son
idolâtrie, et qui, ayant fait passer
quarante-sept mille israëlites au fil de
l' épée, a le front de déclarer qu' il est
le plus doux des hommes ? Les livres,
attribués à ce Moïse, qui rapportent
tant de faits arrivés après lui, sont-ils
bien autentiques ? Enfin, quelle preuve
avons-nous de sa mission, sinon le
témoignage de six cens mille israëlites,
grossiers et superstitieux, ignorans et
crédules, qui furent peut-être les dupes
d' un législateur féroce, toujours
p61
prêt à les exterminer, ou qui n' eurent
jamais connoissance de ce qu' on devoit
écrire par la suite sur le compte de ce
fameux législateur ?
Quelle preuve la religion chrétienne
nous donne-t-elle de la mission de
Jésus-Christ ? Connoissons-nous son
caractere et son tempérament ? Quel
degré de foi pouvons-nous ajouter au
témoignage de ses disciples, qui, de
leur propre aveu, furent des hommes
grossiers et dépourvus de science, par
conséquent susceptibles de se laisser
éblouir par les artifices d' un imposteur
adroit ? Le témoignage des personnes
les plus instruites de Jérusalem n' eut-il
pas été d' un plus grand poids pour
nous, que celui de quelques ignorans,
qui sont ordinairement les dupes de
qui veut les tromper ? Cela nous conduit
actuellement à l' examen des preuves
sur lesquelles le christianisme se
fonde.
p62
CHAPITRE 6
des preuves de la religion chrétienne ;
des miracles ; des prophéties ; des
martyrs.
nous avons vu, dans les chapitres
précédens, les motifs légitimes que
nous avons de douter de la révélation
faite aux juifs et aux chrétiens : d' ailleurs,
relativement à cet article, le
christianisme n' a aucun avantage sur
toutes les autres religions du monde,
qui toutes, malgré leur discordance,
se disent émanées de la divinité, et
prétendent avoir un droit exclusif à
ses faveurs. L' indien assure que le
Brama lui-même est l' auteur de son
culte. Le scandinave tenoit le sien du
redoutable Odin . Si le juif et le
chrétien ont reçu le leur de Jehovah , par
le ministere de Moïse et desus, le
mahométan assure qu' il a reçu le sien
par son prophéte, inspiré du même
p63
dieu. Ainsi, toutes les religions se disent
émanées du ciel ; toutes interdisent
l' usage de la raison, pour examiner
leurs titres sacrés ; toutes se prétendent
vraies, à l' exclusion des autres ;
toutes menacent du courroux
divin ceux qui refuseront de se soumettre
à leur autorité ; enfin toutes
ont le caractere de la fausseté, par les
contradictions palpables dont elles sont
remplies ; par les idées informes, obscures,
et souvent odieuses, qu' elles
donnent de la divinité ; par les loix
bizarres qu' elles lui attribuent ; par les
disputes qu' elles font naître entre leurs
sectateurs ; enfin, toutes les religions,
que nous voyons sur la terre, ne nous
montrent qu' un amas d' impostures et
de rêveries qui révoltent également la
raison. Ainsi, du côté des ptentions,
la religion chrétienne n' a aucun avantage
sur les autres superstitions dont
l' univers est infecté, et son origine
leste lui est contestée, par toutes les
p64
autres, avec autant de raison qu' elle
conteste la leur.
Comment donc se décider en sa
faveur ? Par où prouver la bonté de
ses titres ? A-t-elle des caracteres
distinctifs qui méritent qu' on lui donne
la préférence, et quels sont-ils ? Nous
fait-elle connoître, mieux que toutes
les autres, l' essence et la nature de la
divinité ? Hélas ! Elle ne fait que la
rendre plus inconcevable ; elle ne montre
en elle qu' un tyran capricieux,
dont les fantaisies sont tantôt favorables,
et le plus souvent nuisibles à
l' espéce humaine. Rend-elle les hommes
meilleurs ? Hélas ! Nous voyons
que par-tout elle les divise, elle les
met aux prises, elle les rend intolérants,
elle les force d' être les bourreaux
de leurs freres. Rend-elle les
empires florissans et puissans ? Par-tout
elle régne, ne voyons-nous pas
les peuples asservis,pourvus
de vigueur, d' énergie, d' activité,
p65
croupir dans une honteuse léthargie, et
n' avoir aucune idée de la vraie morale ?
Quels sont donc les signes auxquels on
veut que nous reconnoissions la
supériorité du christianisme sur les autres
religions ? C' est, nous dit-on, à ses
miracles, à ses prophéties, à ses martyrs.
Mais je vois des miracles, des
prophéties, et des martyrs dans toutes
les religions du monde. Je vois par-tout
des hommes, plus rusés et plus
instruits que le vulgaire, le tromper
par des prestiges, et l' éblouir par des
oeuvres, qu' il croit surnaturelles,
parce qu' il ignore les secrets de la nature
et les ressources de l' art.
Si le juif me cite des miracles de
Moïse, je vois ces prétendues merveilles
opérées aux yeux du peuple le
plus ignorant, le plus stupide, le plus
abject, le plus crédule, dont le
témoignage n' est d' aucun poids pour
moi. D' ailleurs, je puis soupçonner
que ces miracles ont été insérés dans
p66
les livres sacrés des hébreux, long-tems
après la mort de ceux qui auroient
pu les démentir. Si le chtien
me cite Jérusalem, et le témoignage de
toute la Galilée, pour me prouver les
miracles de Jésus-Christ, je ne vois
encore qu' une populace ignorante qui
puisse les attester ; ou je demande comment
il fut possible qu' un peuple entier,
témoin des miracles du messie,
consentît à sa mort, la demandât me
avec empressement ? Le peuple de
Londres, ou de Paris, souffriroit-il
qu' on mît à mort, sous ses yeux, un
homme qui auroit ressuscité des morts,
rendu la e aux aveugles, redressé
des boîteux, guéri des paralytiques ?
Si les juifs ont demandé la mort de
Jésus, tous ses miracles sont anéantis
pour tout homme non prévenu.
D' un autre côté, ne peut-on pas opposer
aux miracles de Moïse, ainsi
qu' à ceux de Jésus, ceux que Mahomet
opéra aux yeux de tous les peuples
p67
de La Mecque et de l' Arabie assemblés ?
L' effet des miracles de Mahomet
fut au moins de convaincre les arabes
qu' il étoit un homme divin. Les miracles
de Jésus n' ont convaincu personne
de sa mission : S Paul lui-même,
qui devint le plus ardent de ses disciples,
ne fut point convaincu par les
miracles dont, de son tems, il existoit
tant de témoins ; il lui fallut un nouveau
miracle pour convaincre son esprit.
De quel droit veut-on donc
nous faire croire aujourd' hui des
merveilles qui n' étoient point convaincantes
du tems même des apôtres,
c' est-à-dire, peu de tems après qu' elles
furent opérées ?
Que l' on ne nous dise point que les
miracles de Jésus-Christ nous sont
aussi bien attestés qu' aucuns faits de
l' histoire prophane, et que vouloir en
douter, est aussi ridicule que de douter
de l' existence de Scipion ou de César,
que nous ne croyons que sur le rapport
p68
des historiens qui nous en ont
parlé. L' existence d' un homme, d' un
général d' armée, d' un héros, n' est pas
incroyable ; il n' en est pas de même
d' un miracle. Nous ajoutons foi aux
faits vraisemblables rapportés par
Tite-Live, tandis que nous rejettons,
avec mépris, les miracles qu' il nous
raconte. Un homme joint souvent la
crédulité la plus stupide aux talens les
plus distingués ; le christianisme lui-même
nous en fournit des exemples
sans nombre. En matiere de religion,
tous les témoignages sont suspects ;
p69
l' homme le plus éclairé voit très-mal,
lorsqu' il est saisi d' enthousiasme ou,
ivre de fanatisme, ou séduit par son
imagination. Un miracle est une chose
impossible ; Dieu ne seroit point
immuable, s' il changeoit l' ordre de la nature.
On nous dira, peut-être, que, sans
changer l' ordre des choses, Dieu, ou
ses favoris, peuvent trouver dans la
nature des ressources inconnues aux
autres hommes ; mais alors leurs oeuvres
ne seront point surnaturelles, et
n' auront rien de merveilleux. Un miracle
est un effet contraire aux loix
constantes de la nature ; par conséquent,
Dieu lui-me, sans blesser sa
sagesse, ne peut faire des miracles. Un
homme sage, qui verroit un miracle,
seroit en droit de douter s' il a bien vu ;
il devroit examiner si l' effet extraordinaire,
qu' il ne comprend pas, n' est pas
à quelque cause naturelle, dont il
ignoreroit la maniere d' agir.
p70
Mais accordons, pour un instant,
que les miracles soient possibles, et
que ceux de Jésus ont été véritables,
ou du moins n' ont point été insérés
dans les évangiles longtems après le
tems où ils ont été opérés. Les témoins
qui les ont transmis, les apôtres qui
les ont vus, sont-ils bien dignes de
foi, et leur témoignage n' est-il point
cusable ? Ces témoins étoient-ils bien
éclairés ? De l' aveu même des chrétiens,
c' étoient des hommes sans lumieres,
tirés de la lie du peuple, par
conséquent crédules et incapables d' examiner.
Ces témoins étoient-ils désintéress ?
Non ; ils avoient, sans doute, le plus
grand intérêt à soutenir des faits
merveilleux, qui prouvoient la divinité de
leur maître, et la vérité de la religion qu' ils
vouloient établir. Ces mêmes faits ont-ils été
confirmés par les historiens contemporains ?
Aucun d' eux n' en a parlé, et dans une ville,
aussi superstitieuse que
p71
Jérusalem, il ne s' est trouvé, ni un
seul juif, ni un seul payen, qui aient
entendu parler des faits les plus
extraordinaires et les plus multipliés que
l' histoire ait jamais rapportés. Ce ne
sont jamais que des chrétiens qui nous
attestent les miracles du Christ. On
veut que nous croyions, qu' à la mort
du fils de Dieu la terre ait tremblé,
le soleil se soit éclipsé, les morts
soient sortis du tombeau. Comment des
événemens si extraordinaires n' ont-ils é
remarqués que par quelques chrétiens ?
Furent-ils donc les seuls qui s' en
apperçurent ? On veut que nous croyions
que le Christ est ressuscité ; on nous
cite pour témoins, des apôtres, des
femmes, des disciples. Une apparition
solemnelle, faite dans une place publique,
n' eut-elle pas été plus décisive,
que toutes ces apparitions clandestines,
faites à des hommes intéressés à former
une nouvelle secte ? La foi chrétienne
est fondée, selon s Paul, sur
p72
la résurrection de Jésus-Christ ; il
falloit donc que ce fait fût prouvé aux
nations, de la façon la plus claire et
la plus indubitable. Ne peut-on point
accuser de malice le sauveur du monde,
pour ne s' être montré qu' à ses
disciples et à ses favoris ? Il ne vouloit
donc point que tout le monde ct en
lui ? Les juifs, me dira-t-on, en mettant
le Christ à mort, méritoient d' être
aveuglés. Mais, dans ce cas, pourquoi
les apôtres leur prêchoient-ils
l' évangile ? Pouvoient-ils espérer qu' on
ajoûtât plus de foi à leur rapport, qu' à
ses propres yeux ?
p73
Au reste, les miracles ne semblent
inventés, que pour suppléer à de bons
raisonnemens ; la vérité et l' évidence
n' ont pas besoin de miracles pour se
faire adopter. N' est-il pas bien surprenant,
que la divinité trouve plus facile
de déranger l' ordre de la nature,
que d' enseigner aux hommes des vérités
claires, propres à les convaincre,
capables d' arracher leur assentiment ?
Les miracles n' ont été inventés, que
pour prouver aux hommes des
choses impossibles à croire ; il ne
seroit pas besoin de miracles, si on
leur parloit raison. Ainsi, ce sont des
choses incroyables, qui servent de
preuves à d' autres choses incroyables.
Presque tous les imposteurs, qui ont
apporté des religions aux peuples,
leur ont annoncé des choses improbables ;
ensuite ils ont fait des miracles,
pour les obliger à croire les choses
qu' ils leur annonçoient. vous ne pouvez,
ont-ils dit, comprendre ce que je
p74
vous dis ; mais je vous prouve que je dis
vrai, en faisant à vos yeux des choses
que vous ne pouvez pas comprendre. les
peuples se sont payés de ces raisons ;
la passion pour le merveilleux les empêcha
toujours de raisonner ; ils ne virent
point que des miracles ne pouvoient
prouver des choses impossibles,
ni changer l' essence de la vérité. Quelques
merveilles que pût faire un homme, ou, si
l' on veut, un dieu lui-même, elles ne
prouveront jamais, que deux et deux ne font
point quatre, et que trois ne font qu' un ;
qu' un être immatériel, et dépourvu d' organes, ait
pu parler aux hommes ; qu' un être sage, juste et
bon, ait pu ordonner des folies, des injustices,
des cruautés, etc. D' où l' on voit que les miracles
ne prouvent rien, sinon l' adresse et l' imposture
de ceux qui veulent tromper les hommes, pour
confirmer les mensonges qu' ils leur ont annoncés, et
la cdulité stupide de ceux que ces
p75
imposteurs séduisent. Ces derniers ont
toujours commencé par mentir, par
donner des idées fausses de la divinité,
par prétendre avoir eu un commerce
intime avec elle ; et pour prouver
ces merveilles incroyables, ils faisoient
des oeuvres incroyables, qu' ils
attribuoient à la toute-puissance de
l' être qui les envoyoit. Tout homme,
qui fait des miracles, n' a point de vérités,
mais des mensonges, à prouver.
La vérité est simple et claire ; le
merveilleux annonce toujours la fausseté.
La nature est toujours vraie ; elle agit
par des loix qui ne se démentent jamais.
Dire que Dieu fait des miracles,
c' est dire qu' il se contredit lui-même ;
qu' il dément les loix qu' il a prescrites
à la nature ; qu' il rend inutile la raison
humaine, dont on le fait l' auteur.
Il n' y a que des imposteurs qui puissent
nous dire de renoncer à l' expérience
et de bannir la raison.
Ainsi, les prétendus miracles, que
p76
le christianisme nous raconte, n' ont,
comme ceux de toutes les autres religions,
que la cdulité des peuples,
leur enthousiasme, leur ignorance, et
l' adresse des imposteurs pour base.
Nous pouvons en dire autant des prophéties.
Les hommes furent de tout tems curieux
de connoître l' avenir ; ils
trouverent, en conséquence, des hommes
disposés à les servir. Nous voyons
des enchanteurs, des devins, des prophétes,
dans toutes les nations du monde. Les juifs
ne furent pas plus favorisés, à cet égard, que
les tartares, les négres, les sauvages, et
tous les autres peuples de la terre, qui
tous posséderent des imposteurs, prêts
à les tromper pour des présens. Ces
hommes merveilleux dûrent sentir
bientôt que leurs oracles devoient être
vagues et ambigus, pour n' être point
démentis par les effets. Il ne faut donc
point être surpris, si les prophéties
judaïques sont obscures, et de nature
p77
à y trouver tout ce que l' on veut y
chercher. Celles que les chrétiens attribuent
à Jésus-Christ, ne sont point
vues du même oeil par les juifs, qui
attendent encore ce messie, que ces
premiers croient arrivé depuis 18 siécles.
Les prophétes du judaïsme ont annoncé
de tout tems, à une nation inquiete et
contente de son sort, un libérateur,
qui fut pareillement l' objet de l' attente
des romains, et de presque toutes les
nations du monde. Tous les hommes,
par un penchant naturel, espérent la
fin de leurs malheurs, et croyent que
la providence ne peut se dispenser de
les rendre plus fortunés. Les juifs,
plus superstitieux que tous les autres
peuples, se fondant sur la promesse
de leur dieu, onttoujours attendre
un conquérant, ou un monarque,
qui fît changer leur sort, et qui les
tirât de l' opprobre. Comment peut-on
voir ce libérateur dans la personne de
Jésus, le destructeur, et non le restaurateur
p78
de la nation hébraïque, qui,
depuis lui, n' eut plus aucune part à
la faveur de son dieu ?
On ne manquera pas de dire, que
la destruction du peuple juif, et sa
dispersion, furent elles-mêmes prédites,
et qu' elles fournissent une preuve
convaincante des prophéties des chrétiens.
Je réponds, qu' il étoit facile de
prédire la dispersion et la destruction
d' un peuple toujours inquiet, turbulent,
et rebelle à ses maîtres ; toujours
déchiré par des divisions intestines :
d' ailleurs, ce peuple fut souvent conquis
et dispersé ; le temple, détruit par
Titus, l' avoit déja été par Nabuchodonosor,
qui amena les tribus captives en Assyrie,
et les répandit dans ses états.
Nous nous appercevons de
la dispersion des juifs, et non de celle
des autres nations conquises, parce
que celles-ci, au bout d' un certain
tems, se sont toujours confondues
avec la nation conquérante, au lieu
p79
que les juifs ne se lent point avec
les nations parmi lesquelles ils habitent,
et en demeurent toujours distingués.
N' en est-il pas de même des
guébres , ou parsis de la Perse et
de l' Indostan, ainsi que des arméniens
qui vivent dans les pays mahométans ?
Les juifs demeurent dispers, parce
qu' ils sont insociables, intolérans,
et aveuglément attachés à
leurs superstitions.
Ainsi, les chrétiens n' ont aucune
raison pour se vanter des prophéties
contenues dans les livres mêmes des
hébreux, ni de s' en prévaloir contre
ceux-ci, qu' ils regardent comme les
conservateurs des titres d' une religion
p80
qu' ils abhorrent. La Judée fut de tout
tems soumise aux prêtres, qui eurent
une influence très-grande sur les
affaires de l' état, qui se mêlerent de la
politique, et de prédire les événemens
heureux, ou malheureux, qu' elle avoit
lieu d' attendre. Nul pays ne renferma
un plus grand nombre d' inspirés ; nous
voyons que les prophétes tenoient des
écoles publiques, où ils initioient aux
mystères de leur art, ceux qu' ils en
trouvoient dignes, ou qui vouloient,
en trompant un peuple crédule, s' attirer
des respects, et se procurer des
moyens de subsister à ses dépens.
L' art de prophétiser fut donc un
p81
vrai métier, ou, si l' on veut, une
branche de commerce fort utile et lucrative
dans une nation misérable, et
persuadée que son dieu n' étoit sans
cesse occupé que d' elle. Les grands
profits, qui sultoient de ce trafic
d' impostures, dûrent mettre de la
division entre les prophétes juifs ;
aussi voyons-nous qu' ils se décrioient
les uns les autres ; chacun traitoit son
rival de faux prophéte , et prétendoit
qu' il étoit inspiré de l' esprit malin. Il y
eut toujours des querelles entre les
imposteurs, pour savoir à qui demeureroit
le privilége de tromper leurs concitoyens.
En effet, si nous examinons la conduite
de ces prophétes si vantés de
l' ancien testament, nous ne trouverons
en eux rien moins que des personnages
vertueux. Nous voyons des prêtres
arrogans, perpétuellement occupés
des affaires de l' état, qu' ils surent
toujours lier à celles de la religion ;
p82
nous voyons en eux des sujets séditieux,
continuellement cabalans contre
les souverains qui ne leur étoient point
assez soumis, traversans leurs projets,
soulevans les peuples contr' eux, et
parvenans souvent à les détruire, et à
faire accomplir ainsi les prédictions
funestes qu' ils avoient faites contr' eux.
Enfin, dans la plûpart des prophétes,
qui jouerent un rôle dans l' histoire des
juifs, nous voyons des rebelles occupés
sans relâche du soin de bouleverser
l' état, de susciter des troubles,
et de combattre l' autorité civile, dont
les prêtres furent toujours les ennemis,
lorsqu' ils ne la trouverent point
assez complaisante, assez soumise à
leurs propres intérêts. Quoi qu' il en
soit, l' obscurité étudiée des prophéties
p83
permit d' appliquer celles qui
avoient le messie, ou le libérateur
d' Israël, pour objet, à tout homme
singulier, à tout enthousiaste, ou prophéte,
qui parut à Jérusalem, ou en
Judée. Les chrétiens, dont l' esprit est
échauffé de l' idée de leur Christ, ont
cru le voir par-tout, et l' ont distinctement
apperçu dans les passages les
plus obscurs de l' ancien testament. à
force d' allégories, de subtilités, de
commentaires, d' interprêtations forcées,
p85
ils sont parvenus à se faire illusion
à eux-mêmes, et à trouver des
prédictions formelles dans les rêveries
décousues, dans les oracles vagues,
dans le fatras bizarre des prophétes.
Les hommes ne se rendent point
difficiles sur les choses qui s' accordent
avec leurs vues. Quand nous voudrons
envisager sans prévention les prophéties
desbreux, nous n' y verrons
que des rapsodies informes, qui ne
sont que l' ouvrage du fanatisme et du
délire ; nous trouverons ces prophéties
obscures et énigmatiques, comme
p86
les oracles des payens ; enfin, tout
nous prouvera, que ces prétendus oracles
divins n' étoient que les délires et
les impostures de quelques hommes
accoutumés à tirer parti de la créduli
d' un peuple superstitieux, qui ajoutoit
foi aux songes, aux visions, aux apparitions,
aux sortiléges, et qui recevoit
avidement toutes les rêveries
qu' on vouloit luibiter, pourvu
qu' elles fussent ornées du merveilleux.
Par-tout où les hommes seront ignorans,
il y aura des prophétes, des
inspirés, des faiseurs de miracles ; ces
deux branches de commerce diminueront
toujours dans la même proportion
que les nations s' éclaireront.
Enfin, le christianisme met au nombre
des preuves de la vérité de ses dogmes,
un grand nombre de martyrs ,
qui ont scellé de leur sang la vérité des
opinions religieuses qu' ils avoient
embrassées. Il n' est point de religion sur
la terre qui n' ait eu sesfenseurs ardens,
p87
prêts à sacrifier leur vie pour les idées
auxquelles on leur avoit persuaque
leur bonheur éternel étoit attaché.
L' homme superstitieux et ignorant est
opiniâtre dans ses préjugés ; sa crédulité
l' empêche de soupçonner que ses
guides spirituels aient jamais pu le
tromper ; sa vanité lui fait croire, que
lui-même il n' a pu prendre le change ;
enfin, s' il a l' imagination assez forte,
pour voir les cieux ouverts, et la divinité
prête à récompenser son courage, il n' est
point de supplice qu' il ne
brave et qu' il n' endure. Dans son
ivresse, il méprisera des tourmens de
peu de durée ; il rira au milieu des
bourreaux ; son esprit aliéné le rendra
me insensible à la douleur. La pitié
amollit alors le coeur des spectateurs ;
ils admirent la fermeté merveilleuse du
martyr ; son enthousiasme les gagne ;
ils croyent sa cause juste ; et son courage,
qui leur paroît surnaturel et divin,
devient une preuve indubitable
p88
de la vérité de ses opinions. C' est
ainsi que, par une espece de contagion,
l' enthousiasme se communique ;
l' homme s' intéresse toujours à celui qui
montre le plus de fermeté, et la tyrannie
attire des partisans à tous ceux
qu' elle persécute. Ainsi, la constance
des premiers chrétiens dut,
par un effet naturel, lui former des
prosélytes, et les martyrs ne prouvent
rien, sinon la force de l' enthousiasme, de
l' aveuglement, de l' opiniatreté, que la
superstition peut produire, et la cruelle
démence de tous ceux qui persécutent
leurs semblables pour des opinions religieuses.
Toutes les passions fortes ont leurs
martyrs ; l' orgueil, la vanité, les pjugés,
l' amour, l' enthousiasme du bien
public, le crime même, font tous les
jours des martyrs, ou du moins font
que ceux que ces objets enivrent, ferment
les yeux sur les dangers. Est-il
donc surprenant que l' enthousiasme
p89
et le fanatisme, les deux passions les
plus fortes chez les hommes, aient
si souvent fait affronter la mort à ceux
qu' elles ont enivrés des espérances
qu' elles donnent ? D' ailleurs, si le
christianisme a ses martyrs, dont il se
glorifie, le judaïsme n' a-t-il pas les siens ?
Les juifs infortunés, que l' inquisition
condamne aux flammes, ne sont-ils pas
des martyrs de leur religion, dont la
constance prouve autant en sa faveur,
que celle des martyrs chrétiens peut
prouver en faveur du christianisme ?
Si les martyrs prouvoient la vérité
d' une religion, il n' est point de religion,
ni de secte, qui ne pût être regardée
comme ritable.
Enfin, parmi le nombre, peut-être
exagéré, des martyrs dont le christianisme
se fait honneur, il en est plusieurs
qui furent plûtôt les victimes
d' un zéle inconsiré, d' une humeur
turbulente, d' un esprit séditieux,
que d' un esprit religieux. L' église
p90
elle-même n' ose point justifier
ceux que leur fougue imprudente a
quelquefois poussés jusqu' à troubler
l' ordre public, à briser les idoles, à
renverser les temples du paganisme. Si
des hommes de cette espéce étoient
regardés comme des martyrs, tous les
ditieux, tous les perturbateurs de la
société, auroient droit à ce titre,
lorsqu' on les fait punir.
CHAPITRE 7
des mystères de la religion chrétienne.
véler quelque chose à quelqu' un,
c' est lui découvrir des secrets
qu' il ignoroit auparavant. Si on demande
p91
aux chrétiens quels sont les
secrets importans qui exigeoient que
Dieu lui-me se donnât la peine de
les révéler, ils nous diront que le
plus grand de ces secrets, et le plus
nécessaire au genre humain, est celui
de l' unité de la divinité ; secret que,
selon eux, les hommes eussent été
par eux-mêmes incapables de découvrir.
Mais ne sommes-nous pas en
droit de leur demander si cette assertion
est bien vraie ? On ne peut point
douter que Moïse n' ait annoncé un
dieu unique aux hébreux, et qu' il n' ait
fait tous ses efforts pour les rendre
ennemis de l' idolâtrie et du polythéïsme
des autres nations, dont il leur
représenta la croyance et le culte
comme abominables aux yeux du monarque
leste qui les avoit tirés d' égypte.
p92
Mais un grand nombre de sages
du paganisme, sans le secours de la
vélation judaïque, n' ont-ils pas
découvert un dieu suprême, maître de
tous les autres dieux ? D' ailleurs,
le destin, auquel tous les autres dieux
du paganisme étoient subordonnés, n' étoit-il
pas un dieu unique, dont la nature
entiere subissoit la loi souveraine ?
Quant aux traits, sous lesquels
Moïse a peint sa divinité, ni les
juifs, ni les chrétiens, n' ont point droit
de s' en glorifier. Nous ne voyons en lui
qu' un despote bizarre, colere, rempli
de cruauté, d' injustice, de partialité, de
malignité, dont la conduite
doit jetter tout homme, qui le médite,
dans la plus affreuse perpléxité. Que
sera-ce, si l' on vient à lui joindre des
attributs inconcevables, que la théologie
chrétienne s' efforce de lui attribuer ?
Est-ce connoître la divinité, que
de dire que c' est un esprit , un être
immatériel , qui ne ressemble à rien
p93
de ce que les sens nous font connoître ?
L' esprit humain n' est-il pas confondu
par les attributs négatifs d' infinité,
d' immensité, d' éternité, de toute-puissance,
d' omniscience , etc. Dont on n' a
orce dieu, que pour le rendre plus
inconcevable ? Comment concilier la
sagesse, la bonté, la justice, et les
autres qualités morales que l' on donne
à ce dieu, avec la conduite étrange, et
souvent atroce, que les livres des chrétiens
et des hébreux lui attribuent à
chaque page ? N' eut-il pas mieux valu
laisser l' homme dans l' ignorance totale
de la divinité, que de lui révéler un
dieu rempli de contradictions, qui
prête sans cesse à la dispute, et qui lui
sert de prétexte pour troubler son repos ?
Révéler un pareil Dieu, c' est ne
rien découvrir aux hommes, que le
projet de les jetter dans les plus grands
embarras, et de les exciter à se quereller,
à se nuire, à se rendre malheureux.
Quoi qu' il en soit, est-il bien vrai
p94
que le christianisme n' admette qu' un
seul dieu, le même que celui de Moïse ?
Ne voyons-nous pas les chrétiens adorer
une divinité triple, sous le nom de
trinité ? Le dieu suprême nére de
toute éternité un fils égal à lui ; de
l' un et de l' autre de ces dieux, il en
procéde un troisieme, égal aux deux
premiers ; ces trois dieux, égaux en
divinité, en perfection, en pouvoir, ne
forment néanmoins qu' un seul dieu.
Ne suffit-il donc pas d' exposer ce système,
pour en montrer l' absurdité ?
N' est-ce donc que pour révéler de
pareils mystères, que la divinité s' est
donné la peine d' instruire le genre
humain ? Les nations les plus ignorantes,
et les plus sauvages, ont-elles
enfanté des opinions plus monstrueuses,
et plus propres à dérouter la raison ?
Cependant les écrits de Moïse
p96
ne contiennent rien qui ait pu donner
lieu à ce système si étrange ; ce
n' est que par des explications forcées,
que l' on prétend trouver le dogme de
la trinité dans la bible. Quant aux
juifs, contens du dieu unique, que
leur législateur leur avoit annon, ils
n' ont jamais songé à le tripler.
Le second de ces dieux, ou, suivant
le langage des chrétiens, la seconde
personne de la trinité, s' est revêtue
de la nature humaine, s' est incarnée
dans le sein d' une vierge, et renonçant
à sa divinité, s' est soumise aux
infirmités attachées à notre espéce, et
me a souffert une mort ignominieuse
pour expier les péchés de la
terre. Voilà ce que le christianisme
appelle le mystère de l' incarnation . Qui
ne voit que ces notions absurdes sont
empruntées des égyptiens, des indiens,
et des grecs, dont les ridicules
mythologies supposoient des dieux revêtus
de la forme humaine, et sujets,
p97
comme les hommes, à des infirmités ?
Ainsi, le christianisme nous ordonne
de croire, qu' un dieu fait homme,
sans nuire à sa divinité, a pu souffrir,
mourir, a pu s' offrir en sacrifice à lui-même,
n' a pu se dispenser de tenir
une conduite aussi bizarre, pour appaiser
sa propre colere. C' est là ce que
les chrétiens nomment le mystère de
la demption du genre humain.
Il est vrai que ce dieu mort est
ressuscité ; semblable en cela à l' Adonis
de Phénicie, à l' Osyris d' égypte,
à l' Atys de Phrygie, qui furent jadis les
emblêmes d' une nature périodiquement
p98
mourante et renaissante, le dieu
des chrétiens renaît de ses propres
cendres, et sort triomphant du tombeau.
Tels sont les secrets merveilleux, ou
les mystères sublimes, que la religion
chrétienne découvre à ses disciples ;
telles sont les idées, tantôt grandes,
tantôt abjectes, mais toujours inconcevables,
qu' elle nous donne de la divinité ;
voilà donc les lumieres que
la révélation donne à notre esprit ! Il
semble, que celle que les chrétiens
adoptent, ne se soit proposé que de
redoubler les nuages qui voilent l' essence
divine aux yeux des hommes.
Dieu, nous dit-on, a voulu se rendre
ridicule, pour confondre la curiosité
de ceux que l' on assure pourtant qu' il
vouloit illuminer par une grace spéciale.
Quelle idée peut-on se former
d' une révélation, qui, loin de rien
apprendre, se plaît à confondre les
notions les plus claires ?
p99
Ainsi, nonobstant la révélation, si
vantée par les chrétiens, leur esprit
n' a aucune lumiere sur l' être qui sert
de base à toute religion ; au contraire,
cette fameuse révélation ne sert qu' à
obscurcir toutes les idées que l' on
pourroit s' en former. L' écriture sainte
l' appelle un dieu caché . David nous
dit qu' il place sa retraite dans les
ténébres, que les eaux troubles et les nuages
forment le pavillon qui le couvre . Enfin,
les chrétiens, éclairés par Dieu
lui-même, n' ont de lui que des idées
contradictoires, des notions incompatibles,
qui rendent son existence douteuse,
oume impossible, aux yeux
de tout homme qui consulte sa raison.
En effet, comment concevoir un
dieu, qui, n' ayant créé le monde que
pour le bonheur de l' homme, permet
pourtant que la plus grande partie de
p100
la race humaine soit malheureuse en ce monde
et dans l' autre ? Comment un dieu, qui jouit
de la suprême félicité, pourroit-il s' offenser
des actions de ses créatures ? Ce dieu est
donc susceptible de douleur ; son être peut
donc se troubler ; il est donc dans la
dépendance de l' homme, qui peut à volon
le réjouir ou l' affliger. Comment un
dieu puissant laisse-t-il à ses créatures une
liberté funeste, dont elles peuvent abuser pour
l' offenser, et se perdre elles-mêmes ? Comment
un dieu peut-il se faire homme, et comment
l' auteur de la vie et de la nature peut-il
mourir lui-même ? Comment un dieu unique peut-il
devenir triple, sans nuire à son unité ? On nous
pond, que toutes ces choses sont des mystères ;
mais ces mystères détruisent l' existence même de
Dieu. Ne seroit-il pas plus raisonnable d' admettre
dans la nature, avec Zoroastre, ou Manès, deux
principes, ou
p101
deux puissances opposées, que d' admettre,
avec le christianisme, un dieu
tout-puissant, qui n' a pas le pouvoir
d' empêcher le mal ; un dieu juste,
mais partial ; un dieu clément, mais
implacable, qui punira, pendant une
éternité, les crimes d' un moment ; un
dieu simple, qui se triple ; un dieu,
principe de tous les êtres, qui peut
consentir à mourir, faute de pouvoir
satisfaire autrement à sa justice divine ?
Si dans un même sujet les contraires
ne peuvent subsister en même tems,
l' existence du dieu des juifs et des
chrétiens est sans doute impossible ;
d' où l' on est forcé de conclure, que
les docteurs du christianisme, par les
attributs dont ils se sont servis pour
orner, ou plûtôt pour défigurer la
divinité, au lieu de la faire connoître,
n' ont fait que l' anéantir, ou du moins
la rendre connoissable. C' est ainsi,
qu' à force de fables et de mystères,
la révélation n' a fait que troubler la
p102
raison des hommes, et rendre incertaines
les notions simples qu' ils peuvent
se former de l' être nécessaire,
qui gouverne la nature par des loix
immuables. Si l' on ne peut nier l' existence
d' un dieu, il est au moins
certain que l' on ne peut admettre celui
que les chrétiens adorent, et dont
leur religion prétend leur révéler la
conduite, les ordres et les qualités. Si
c' est être athée , que de n' avoir aucune
idée de la divinité, la théologie chrétienne
ne peut être regardée que comme un
projet d' anéantir l' existence de l' être suprême.
p103
CHAPITRE 8
autres mystères et dogmes du
christianisme.
peu contens des nuages mystérieux
que le christianisme a répandus sur la
divinité, et des fables judaïques qu' il
avoit adoptées sur son compte, les
docteurs chrétiens ne semblent s' être
occupés que du soin de multiplier les
mystères, et de confondre de plus en
plus la raison dans leurs disciples. La
p104
religion, destinée à éclairer les nations,
n' est qu' un tissu d' énigmes ; c' est
un dédale, d' où il est impossible au bon
sens de se tirer. Ce que les superstitions
anciennes ont cru de plus inconcevable, dut
nécessairement trouver place
dans un système religieux, qui
se faisoit un principe d' imposer un
silence éternel à la raison. Le fatalisme
des grecs, entre les mains des prêtres
chrétiens, s' est changé en prédestination .
Suivant ce dogme tyrannique,
le dieu des miséricordes destine
le plus grand nombre des malheureux
mortels à des tourmens éternels ;
il ne les place, pour un tems,
dans ce monde, que pour qu' ils y
abusent de leurs facultés, de leur liberté,
afin de se rendre dignes de la colere
implacable de leur créateur. Un dieu,
rempli de prévoyance et de bonté,
donne à l' homme un libre arbitre , dont
ce dieu sait bien qu' il fera un usage
assez pervers, pour mériter la damnation
p105
éternelle. Ainsi, la divinité ne
donne le jour au plus grand nombre
des hommes, ne leur donne des penchans
nécessaires à leur bonheur, ne
leur permet d' agir, que pour avoir le
plaisir de les plonger dans l' enfer.
Rien de plus affreux que les peintures
que le christianisme nous fait de ce séjour,
destiné à la plus grande partie de
la race humaine. Un dieu miséricordieux
s' abreuvera, pendant l' éternité, des
larmes des infortunés, qu' il
n' a fait naître que pour être malheureux ;
le pécheur, renfermé dans des
cachots ténébreux, sera livré, pour
toujours, aux flammes dévorantes ; les
voutes de cette prison ne retentiront
que de grincemens de dents, de hurlemens ;
les tourmens, qu' on y éprouvera,
au bout de millions de siécles,
ne feront que commencer, et l' espérance
consolante, de voir un jour finir
ces peines, manquera, et sera ravie
elle-même ; en un mot, Dieu, par
p106
un acte de sa toute-puissance, rendra
l' homme susceptible de souffrir, sans
interruption et sans terme ; sa justice
lui permettra de punir des crimes finis,
et dont les effets sont limités par
le tems, par des supplices infinis pour
la durée et pour l' éternité. Telle est
l' idée que le chrétien se forme du
Dieu qui exige son amour. Ce tyran
ne le crée, que pour le rendre malheureux ;
il ne lui donne la raison,
que pour le tromper ; des penchans,
que pour l' égarer ; la liberté, que pour
le déterminer à faire ce qui doit le
perdre à jamais ; enfin, il ne lui donne
des avantages sur les bêtes, que pour
avoir occasion de l' exposer à des tourmens,
dont ces bêtes, ainsi que les substances
inanimées, sont exemptes.
Le dogme de la prédestination rend
le sort de l' homme bien plus fâcheux,
que celui des pierres et des brutes.
p107
Il est vrai que le christianisme promet
un séjour délicieux à ceux que la
divinité aura choisis pour être les
objets de son amour ; mais ce lieu n' est
serqu' à un petit nombre d' élus,
p108
qui, sans aucunrite de leur part,
auront pourtant des droits sur la bonté
de leur dieu, partial pour eux, et
cruel pour le reste des humains.
C' est ainsi que le Tartare et l' élisée
de la mythologie payenne, inventés
par des imposteurs, qui vouloient, ou
faire trembler les hommes, ou les séduire,
ont trouvé place dans le système
religieux des chrétiens, qui changerent
les noms de ces séjours en ceux de
paradis et d' enfer . On ne manquera
pas de nous dire, que le dogme
des récompenses et des peines d' une
autre vie, est utile etcessaire aux
hommes, qui, sans cela, se livreroient
sans crainte aux plus grands excès. Je
ponds, que le législateur des juifs
leur avoit soigneusement cacce
prétendu mystère, et que le dogme de la
vie future faisoit partie du secret que,
dans les mystères des grecs, on révéloit
aux initiés. Ce dogme fut ignoré du
vulgaire ; la société ne laissoit pas de
p109
subsister : d' ailleurs, ce ne sont point
des terreurs éloignées, que les passions
présentes méprisent toujours, ou du
moins rendent problématiques, qui
contiennent les hommes ; ce sont de
bonnes loix ; c' est une éducation raisonnable ;
ce sont des principes honnêtes.
Si les souverains gouvernoient
avec sagesse et avec équité, ils n' auroient
pas besoin du dogme des récompenses
et des peines futures, pour
contenir les peuples. Les hommes seront
toujours plus frappés des avantages
présens, et des châtimens visibles,
que des plaisirs et des supplices
qu' on leur annonce dans une autre
vie. La crainte de l' enfer ne retiendra
point des criminels, que la crainte du
pris, de l' infamie, du gibet, n' est
point capable de retenir. Les nations
chrétiennes ne sont-elles point remplies
de malfaiteurs, qui bravent sans
cesse l' enfer, de l' existence duquel ils
n' ont jamais douté ?
p110
Quoi qu' il en soit, le dogme de la
vie future suppose que l' homme se
survivra à lui-même, ou du moins,
qu' après sa mort il sera susceptible
des récompenses et des peines que la religion
lui fait prévoir. Suivant le christianisme,
les morts reprendront un
jour leurs corps ; par un miracle de la
toute-puissance, les molécules dissoutes
et dispersées, qui composoient leurs
corps, se rapprocheront ; elles se combineront
de nouveau avec leurs ames
immortelles : telles sont les idées merveilleuses
que présente le dogme de la surrection .
Les juifs, dont le législateur n' a
jamais parlé de cet étrange
phénomene, paroissent avoir puisé
cette doctrine chez les mages, durant
leur captivité à Babylone ; cependant
elle ne fut point universellement admise
parmi eux. Les pharisiens admettoient
la résurrection des morts, les
saducéens la rejettoient ; aujourd' hui
elle est un des points fondamentaux
p111
de la religion chrétienne. Ses sectateurs
croyent fermement qu' ils ressusciteront un
jour, et que leur résurrection sera
suivie du jugement universel
et de la fin du monde. Selon
eux, Dieu qui sait tout, et qui connoît
jusqu' aux pensées les plus secrettes
des hommes, viendra sur les nuages,
p112
pour leur faire rendre un compte exact
de leur conduite ; il les jugera avec le
plus grand appareil, et d' après ce
jugement, leur sort sera irrévocablement
décidé ; les bons seront admis dans
le séjour délicieux que la divinité
serve à ses élus et aux anges ; les
chans seront précipités dans les flammes
destinées auxmons, ennemis de
Dieu et des hommes.
En effet, le christianisme admet des
êtres invisibles d' une nature différente
de l' homme, dont les uns exécutent
les volontés du très-haut, et dont les
autres sont perpétuellement occupés à
traverser ses desseins. Les premiers
sont connus sous le nom d' anges , ou
de messagers, subordonnés à Dieu :
on prétend qu' il s' en sert pour veiller
à l' administration de l' univers et sur-tout
à la conservation de l' homme.
Ces êtres bienfaisans sont, suivant les
chrétiens, de purs esprits ; mais ils ont
le pouvoir de se rendre sensibles, en
p113
prenant la forme humaine. Les livres
sacrés des juifs et des chrétiens sont
remplis d' apparitions de ces êtres
merveilleux, que la divinité envoyoit
aux hommes qu' elle vouloit favoriser,
afin d' être leurs guides, leurs protecteurs,
leurs dieux tutélaires. D' où l' on
voit que les bons anges sont dans l' imagination
des chrétiens, ce que les nymphes,
les lares, les pénates,
étoient dans l' imagination des payens,
et ce que les fées étoient pour nos
faiseurs de romans.
Les êtres inconnus de la seconde
espéce furent désignés sous le nom de
mons , de diables , d' esprits
malins : on les regarda comme les
ennemis du genre humain, les tentateurs des
hommes, des séducteurs, perpétuellement
occupés à les faire tomber dans le péché.
Les chrétiens leur attribuent un
pouvoir extraordinaire, la faculté de
faire des miracles semblables à ceux
du très-haut, et surtout une puissance
p114
qui balance la sienne, et qui parvient
à rendre tous les projets inutiles.
En effet, quoique la religion
chrétienne n' accorde point formellement
au démon la même puissance
qu' à Dieu, elle suppose néanmoins,
que cet esprit mal-faisant empêche
les hommes de parvenir au bonheur
que la divinité bienfaisante leur destine,
et conduit le plus grand nombre
à la perdition : en un mot, d' après
les idées du christianisme, l' empire du
diable est bien plus étendu que celui
de l' être suprême ; celui-ci réussit à
peine à sauver quelques élus, tandis
que l' autre mene à la damnation la
foule immense de ceux qui n' ont point
la force de résister à ses inspirations
dangereuses. Qui ne voit pas que Satan ,
que le démon, qui est un objet
de terreur pour les chrétiens, est emprunté
du dogme des deux principes,
admis jadis en égypte et dans tout
l' orient ? L' Osyris et le Typhon des
p115
égyptiens, l' Orosmade et l' Aharimane
des perses et des chaldéens, ont
sans doute fait ntre la guerre continuelle
qui subsiste entre le dieu des chrétiens
et son redoutable adversaire.
C' est par ce système, que les
hommes ont cru se rendre compte
des biens et des maux qui leur arrivent.
Un diable tout-puissant sert à
justifier la divinité des malheurs
nécessaires, et peu mérités, qui affligent
le genre humain.
Tels sont les dogmes effrayans et
mystérieux sur lesquels les chrétiens
sont d' accord ; il en est plusieurs autres,
qui sont propres à des sectes particulieres.
C' est ainsi qu' une secte nombreuse
du christianisme admet un lieu
intermédiaire, sous le nom de purgatoire ,
des ames moins criminelles,
que celles qui ont mérité l' enfer, sont
reçues pour un tems, afin d' expier,
par des supplices rigoureux, les fautes
commises en cette vie ; elles sont ensuite
p116
admises au séjour de l' éternelle
félicité. Ce dogme, visiblement
emprunté des rêveries de Platon,
est entre les mains des prêtres de l' église
romaine, une source intarissable de
richesses, vû qu' ils se sont arrogé le
pouvoir d' ouvrir les portes du purgatoire,
et qu' ils prétendent, que leurs
prieres puissantes sont capables
de modérer la rigueur des décrets
divins, et d' abréger les tourmens des
ames, qu' un dieu juste a condamnées
à ce séjour malheureux.
p117
Ce qui précéde, nous prouve que
la religion chrétienne n' a point laissé
manquer ses sectateurs d' objets de
crainte et de terreur ; c' est en faisant
trembler les hommes, qu' on parvient
à les rendre soumis, et à troubler leur
raison.
p118
CHAPITRE 9
des rites, des cérémonies mystérieuses,
ou de la théurgie des chrétiens.
si les dogmes, enseignés par la religion
chrétienne, sont des mystères
inaccessibles à la raison ; si le dieu,
qu' elle annonce, est un dieu inconcevable,
nous ne devons pas être surpris
de voir, que, dans ses rites et
p119
ses cérémonies, cette religion conserve
un ton inintelligible et mystérieux.
Sous un dieu, qui ne s' est révélé
que pour confondre la raison humaine,
tout doit être incompréhensible,
tout doit mettre le bon sens en
défaut.
La cérémonie la plus importante du
christianisme, et sans laquelle nul homme
ne peut être sauvé, s' appelle le
baptême ; elle consiste à verser de l' eau
sur la tête d' un enfant, ou d' un adulte,
en invoquant la trinité. Par la vertu
mystérieuse de cette eau, et des paroles
qui l' accompagnent, l' homme est
spirituellement régénéré ; il est lavé des
souillures, transmises de race en race,
depuis le premier pere du genre humain ;
en un mot, il devient enfant
de Dieu, et susceptible d' entrer dans
sa gloire, lorsqu' il sortira de ce monde.
Cependant, suivant les chrétiens,
l' homme ne meurt qu' en conséquence
du péché d' Adam ; et si, par le baptême,
p120
ce péché est effacé, comment
arrive-t-il que les chrétiens soient sujets
à la mort ? On nous dira peut-être, que
c' est de la mort spirituelle,
et non de la mort du corps, que J C a
délivré les hommes ; mais cette
mort spirituelle n' est autre chose que
le péché ; et dans ce cas, comment
peut-il se faire que les chrétiens continuent
à pécher, comme s' ils n' avoient point
été rachetés et délivrés
du péché ? D' où l' on voit que le baptême
est un mystère imnétrable à la
raison, dont l' expérience dément l' efficacité.
p121
Dans quelques sectes chrétiennes,
un évêque, ou un pontife, en prononçant
des paroles, et en appliquant un
peu d' huile sur le front, fait descendre
l' esprit saint sur un jeune homme,
ou un enfant ; par cette cérémonie, le
chrétien est confirmé dans sa foi, et
reçoit invisiblement une foule de graces
du très-haut.
Ceux de tous les chrétiens, qui, par
le renoncement le plus parfait à leur
raison, entrent le plus dans l' esprit de
leur religion inconcevable, non contens
des mystères qui leur sont communs
avec les autres sectes, en admettent
un sur-tout, qui est propre à
causer la plus étrange surprise, c' est
celui de la transubstantiation . à la
voix redoutable d' un prêtre, le dieu
de l' univers est forcé de descendre du
jour de sa gloire, pour se changer
en pain ; et ce pain, devenu Dieu,
est l' objet des adorations d' un peuple
p122
qui se vante de détester l' idolâtrie.
Dans les cérémonies puériles, auxquelles
l' enthousiasme des chrétiens
attache le plus grand prix, l' on ne
peut s' empêcher de voir des vestiges
p123
très-marqués de la théurgie pratiquée
chez les peuples orientaux. La divinité,
forcée par le pouvoir magique
de quelques paroles, accompagnées
de cérémonies, obéit à la voix de ses
prêtres, ou de ceux qui savent le secret
de la faire agir, et, sur leurs ordres,
elle opére des merveilles. Cette
sorte de magie est perpétuellement
exercée par les prêtres du christianisme :
ils persuadent à leurs disciples,
que des formules, reçues par tradition,
que des actes arbitraires, que
des mouvemens du corps, sont capables
d' obliger ce Dieu de la nature à
suspendre ses loix, à se rendre à leurs
voeux, à répandre ses graces. Ainsi,
dans cette religion, le prêtre acquiert
le droit de commander à Dieu lui-même :
c' est sur cet empire qu' il exerce
sur son Dieu ; c' est sur cette théurgie
ritable, ou sur ce commerce mystérieux
de la terre avec le ciel, que sont
fondées les cérémonies puériles et ridicules,
p124
que les chrétiens appellent
sacremens . Nous avonsja vu cette
théurgie dans le baptême, dans la
confirmation, dans l' eucharistie ; nous
la retrouvons encore dans la pénitence ,
c' est-à-dire, dans le pouvoir que s' arrogent
les prêtres de quelques sectes, de
remettre, au nom du ciel, les péchés
qu' on leur a confessés. Même
théurgie dans l' ordre, c' est-à-dire,
dans ces cémonies qui impriment à
quelques hommes un caractere sacré,
qui les distingue des prophanes mortels.
me théurgie dans ces fonctions
et dans ces rites, qui fatiguent les
derniers instans d' un mourant. Même
théurgie dans le mariage , où le
chrétien suppose que cette union naturelle ne
pourroit être approuvée du ciel, si les cérémonies
d' un prêtre ne la rendoient valide, et ne lui
procuroient la sanction du tout-puissant.
p125
En un mot, nous voyons cette magie
blanche, ou théurgie, dans les
prieres , les formules, la lithurgie,
et dans toutes lesrémonies des chrétiens ;
nous la trouvons dans l' opinion
qu' ils ont, que des paroles, disposées
de certaine maniere, peuvent altérer
les volontés de leur dieu, et l' obliger
à changer ses décrets immuables.
Elle montre son efficacité dans ses
exorcismes , c' est-à-dire, dans les
rémonies, par lesquelles, à l' aide d' une
eau magique, et de quelques paroles,
on croit expulser les esprits malins qui
infestent le genre humain. L' eau bénite ,
qui, chez les chrétiens, a pris la place
de l' eau lustrale des romains, posséde,
selon eux, les vertus les plus
étonnantes ; elle rend sacrés les lieux
et les choses, qui étoient auparavant
prophanes. Enfin, la théurgie chrétienne,
p126
employée par un pontife, dans
le sacre des rois, contribue à rendre
les chefs des nations plus respectables
aux yeux des peuples, et leur imprime
un caractere tout divin.
Ainsi, tout est mystére, tout est
magie, tout est incompréhensible dans
les dogmes, ainsi que dans le culte
d' une religion révélée par la divinité,
qui vouloit tirer le genre humain de
son aveuglement.
CHAPITRE 10
des livres sacrés des chrétiens.
la religion chrétienne, pour montrer
son origine céleste, fonde ses titres
sur des livres qu' elle regarde comme
sacrés, et comme inspirés par Dieu
lui-même. Voyons donc si ses prétentions
sont fondées ; examinons si ces
ouvrages portent ellement le caractere
de la sagesse, de l' omniscience,
p127
de la perfection, que nous attribuons
à la divinité.
La bible, qui fait l' objet de la vénération
des chrétiens, dans laquelle
il n' y a pas un mot qui ne soit inspiré,
est formée par l' assemblage peu compatible
des livres sacrés des hébreux,
connus sous le nom de l' ancien testament ,
combinés avec des ouvrages
pluscens, pareillement inspirés aux
fondateurs du christianisme, connus
sous le nom de nouveau testament . à
la tête de ce recueil, qui sert de fondement
et de code à la religion chrétienne,
se trouvent cinq livres, attribués à
Moïse, qui, en les écrivant,
ne fut, dit-on, que le secrétaire de
la divinité. Il y remonte à l' origine
des choses ; il veut nous initier au mystère
de la création du monde, tandis
qu' il n' en a lui-même que des idées vagues
et confuses, qui décélent à chaque
instant une ignorance profonde
des loix de la physique. Dieu crée le
p128
soleil, qui est, pour notre système planétaire,
la source de la lumiere, plusieurs
jours après avoir créé la lumiere.
Dieu, qui ne peut être représenté par
aucune image, crée l' homme à son image ;
il le crée le et femelle , et
bientôt oubliant ce qu' il a fait, il crée
la femme avec une des côtes de l' homme ;
en un mot, dès l' ente de la bible,
nous ne voyons que de l' ignorance
et des contradictions. Tout nous
prouve que la cosmogonie des hébreux
n' est qu' un tissu de fables et
d' allégories, incapable de nous donner
aucune idée des choses, et qui n' est
p129
propre qu' à contenter un peuple sauvage,
ignorant et grossier, étranger
aux sciences, au raisonnement.
Dans le reste des ouvrages, attribués
à Moïse, nous verrons une foule
d' histoires improbables et merveilleuses,
un amas de loix ridicules et arbitraires ;
enfin, l' auteur conclut par y
rapporter sa propre mort. Les livres
postérieurs à Moïse ne sont pas moins
remplis d' ignorance ; Josué arte le
soleil, qui ne tourne point ; Samson,
l' hercule des juifs, a la force de faire
tomber un temple... on ne finiroit
point, si on vouloit relever toutes les
bévues et les fables, que montrent tous
les passages d' un ouvrage qu' on a le
front d' attribuer à l' esprit saint. Toute
l' histoire des hébreux ne nous présente
qu' un amas de contes, indignes
de la gravité de l' histoire et de la majesté
de la divinité ; ridicule aux yeux
du bon sens, elle ne paroît inventée
que pour amuser la crédulité d' un peuple
enfant et stupide.
p130
Cette compilation informe est entremêlée
des oracles obscurs et décousus,
dont différens inspirés, ou prophétes,
ont successivement repu la superstition
des juifs. En un mot, dans
l' ancien testament tout respire l' enthousiasme,
le fanatisme, le délire,
souvent ornés d' un langage pompeux ;
tout s' y trouve, à l' exception du bon
sens, de la bonne logique, de la raison,
qui semblent être exclus opiniâtrément
du livre qui sert de guide aux
hébreux et aux chrétiens.
On a déjà fait sentir les idées abjectes,
et souvent absurdes, que ce livre
nous donne de la divinité ; elle y paroît
ridicule dans toute sa conduite ; elle
y souffle le froid et le chaud ; elle
s' y contredit à chaque instant ; elle agit
avec imprudence ; elle se repent de
ce qu' elle a fait ; elle édifie d' une main,
pour détruire de l' autre ; elle rétracte
par la voix d' un prophéte, ce qu' elle a
fait dire par un autre : si elle punit de
p131
mort toute la race humaine, pour le
péché d' un seul homme, elle annonce,
par ézéchiel, qu' elle est juste, et qu' elle
ne rend point les enfans responsables
des iniquités de leurs peres. Elle ordonne
aux israélites, par la voix de Moïse,
de voler les égyptiens ; elle
leur défend dans le décalogue, publié
par la loi de Moïse, le vol et l' assassinat :
en un mot, toujours en contradiction avec
lui-même, Jéhovah, dans le
livre inspiré par son esprit, change
avec les circonstances, ne tient jamais
une conduite uniforme, et se peint souvent
sous les traits d' un tyran, qui feroient
rougir les méchans les plus décidés.
Si nous jettons les yeux sur le nouveau
testament, nous ne verrons pareillement
rien qui annonce cet esprit
de vérité, que l' on suppose avoir dic
cet ouvrage. Quatre historiens, ou fabulistes,
ont écrit l' histoire merveilleuse
du messie ; peu d' accord sur les circonstances
p132
de sa vie, ils se contredisent
quelquefois de la façon la plus
palpable. La généalogie du Christ,
donnée par s Matthieu, ne ressemble
point à celle que nous donne s Luc ;
un des évangélistes le fait voyager en
égypte, un autre ne parle aucunement
de cette fuite ; l' un fait durer
sa mission trois ans, l' autre ne la suppose
que de trois mois. Nous ne les voyons
pas plus d' accord sur les circonstances
des faits qu' ils rapportent.
S Marc dit que Jésus mourut à la
troisiéme heure, c' est-à-dire à neuf
heures du matin ; s Jean dit qu' il
mourut à la sixieme heure, c' est-à-dire,
à midi. Selon s Matthieu et s Marc,
les femmes, qui après la mort
de Jésus allerent à son sépulchre, ne
virent qu' un seul ange ; selon s Luc
et S Jean, elles en virent deux.
Ces anges étoient, suivant les uns, en
dehors ; et suivant d' autres, en-dedans
du tombeau. Plusieurs miracles
p133
de Jésus sont encore diversement rapportés
par ces évangélistes, témoins,
ou inspirés. Il en est de même de ses
apparitions après sa résurrection. Toutes
ces choses ne semblent-elles pas
devoir nous faire douter de l' infaillibilité
des évangélistes, et de la réalité
de leurs inspirations divines ? Que
dirons-nous des prophéties fausses, et
non existantes, appliquées, dans l' évangile,
à Jésus ? C' est ainsi que s Matthieu
prétend querémie a prédit
que le Christ seroit trahi pour trente
piéces d' argent , tandis que cette prophétie
ne se trouve point dans Jérémie.
Rien de plus étrange que la façon
dont les docteurs chrétiens se tirent
de ces difficultés. Leurs solutions
ne sont faites que pour contenter des
hommes, qui se font un devoir de
demeurer dans l' aveuglement. Tout
p134
homme raisonnable sentira que toute
l' industrie des sophismes ne pourra jamais
concilier des contradictions si palpables,
et les efforts des interprêtes ne
lui prouveront que la foiblesse de leur
cause. Est-ce par des subterfuges, des
subtilités et des mensonges, que l' on
peut servir la divinité ?
p135
Nous retrouvons les mêmes contradictions,
les mes erreurs, dans le
pompeux galimathias attribué à s Paul.
Cet homme, rempli de l' esprit de
Dieu, ne montre dans ses discours,
et dans ses épîtres, que l' enthousiasme
d' un forcené. Les commentaires
les plus étudiés ne peuvent mettre à
portée d' entendre, ou de concilier
les contradictions, les énigmes, les notions
décousues, dont tous ses ouvrages
sont remplis, ni les incertitudes de
sa conduite, tantôt favorable, tantôt
opposée au judaïsme. On ne pourroit
p136
tirer plus de lumieres des autres ouvrages
attribués aux apôtres. Il sembleroit
que ces personnages, inspirés
par la divinité, ne sont venus sur la
terre, que pour empêcher leurs disciples
de rien comprendre à la doctrine
qu' ils leur vouloient enseigner.
Enfin, le recueil qui compose le
p137
nouveau testament, est terminé par le
livre mystique, connu sous le nom
d' apocalypse de s Jean , ouvrage
inintelligible, dont l' auteur a voulu
rencrir sur toutes les idées lugubres et
funestes contenues dans la bible ; il y
montre, au genre humain affligé, la
perspective prochaine du monde prêt
à périr ; il remplit l' imagination des
chrétiens d' idées affreuses, très-propres
à les faire trembler, à les dégter
d' une vie périssable, à les rendre
inutiles, ou nuisibles à la société. C' est
ainsi que le fanatisme termine dignement
une compilation, révérée des
chrétiens, mais ridicule etprisable
pour l' homme sensé ; indigne d' un
dieu plein de sagesse et de bonté ;
détestable pour quiconque considérera
les maux qu' elle a faits à la terre.
Enfin, les chrétiens ayant pris, pour
régle de leur conduite et de leurs opinions,
un livre tel que la bible, c' est-à-dire,
un ouvrage rempli de fables effrayantes,
p138
d' idées affreuses de la divinité,
de contradictions frappantes,
n' ont jamais pu savoir à quoi s' en tenir ;
n' ont jamais pu s' accorder sur
la façon d' entendre les volontés d' un
dieu changeant et capricieux, et n' ont
jamais su précisément ce que ce Dieu
exigeoit d' eux : ainsi, ce livre obscur fut
pour eux une pomme de discorde,
une source intarissable de querelles,
un arsenal, dans lequel les partis les
plus opposés se pourvûrent également
d' armes. Les géometres n' ont aucune
dispute sur les principes fondamentaux
de leur science ; par quelle fatalité, le
livre révélé des chrétiens, qui renferme
les fondemens de leur religion
divine, d' dépend leur félicité éternelle,
est-il inintelligible, et sujet à
des disputes, qui si souvent ont ensanglanté
la terre ? à en juger par
les effets, un tel livre ne devroit-il pas
plutôt être regardé comme l' ouvrage
d' un génie malfaisant, de l' esprit
p139
de mensonge et de ténébres, que d' un
Dieu qui s' intéresse à la conservation
et au bonheur des hommes, et qui veut
les éclairer ?
CHAPITRE 11
de la morale chrétienne.
si l' on s' en rapportoit aux docteurs
des chrétiens, il sembleroit qu' avant
la venue du fondateur de leur secte, il
n' y ait point eu de vraie morale sur la
terre ; ils nous dépeignent le monde
entier comme plondans les ténébres
et dans le crime : cependant la morale
fut toujours nécessaire aux hommes ;
une société sans morale ne peut subsister.
Nous voyons, avant Jésus-Christ,
des nations florissantes, des
philosophes éclairés, qui ont sans
cesse rappellé les hommes à leurs devoirs ;
en un mot, nous trouvons dans
Socrate, dans Confucius, dans les
gymnosophistes indiens, des maximes
p140
qui ne le cédent en rien à celles du
messie des chrétiens. Nous trouvons
dans le paganisme des exemples d' équité,
d' humanité, de patriotisme, de
tempérance, de désintéressement, de
patience, de douceur, qui démentent
hautement les prétentions du christianisme,
et qui prouvent qu' avant son
fondateur il existoit des vertus bien
pluselles que celles qu' il est venu
nous enseigner.
Falloit-il une révélation surnaturelle
aux hommes, pour leur apprendre
que la justice est nécessaire pour
maintenir la société, que l' injustice ne
rapprocheroit que des ennemis prêts à se
nuire ? Falloit-il qu' un Dieu parlât, pour
leur montrer que des êtres rassemblés
ont besoin de s' aimer et de se prêter
des secours mutuels ? Falloit-il des
secours d' en haut, pour découvrir que
la vengeance est un mal, est un outrage
aux loix de son pays, qui, lorsqu' elles
sont justes, se chargent de venger
p141
les citoyens ? Le pardon des injures
n' est-il pas une suite de ce principe, et
les haines ne s' éternisent-elles point,
lorsque l' on veut exercer une vengeance
implacable ? Pardonner à ses ennemis,
n' est-il pas l' effet d' une grandeur
d' ame qui nous donne de l' avantage sur
celui qui nous offense ? Faire du bien
à nos ennemis, ne nous donne-t-il pas
de la suriorité sur eux ? Cette conduite
n' est-elle pas propre à nous en
faire des amis ? Tout homme, qui veut
se conserver, ne sent-il pas que les vices,
l' intemrance, la volupté, mettent
ses jours en danger ? Enfin, l' expérience
n' a-t-elle pas prouvé à tout
être pensant, que le crime est l' objet de
la haine de ses semblables, que le vice
est nuisible à ceux mêmes qui en sont
infectés, que la vertu attire de l' estime
et de l' amour à ceux qui la cultivent ?
Pour peu que les hommes réfléchissent
sur ce qu' ils sont, sur leurs vrais intérêts,
sur le but de la société, ils sentiront
p142
ce qu' ils se doivent les uns les
autres. De bonnes loix les forceront
d' être bons, et ils n' auront pas besoin
que l' on fasse descendre du ciel des
regles nécessaires à leur conservation
et à leur bonheur. La raison suffit pour
nous enseigner nos devoirs envers les
êtres de notre espéce. Quel secours
peut-elle tirer de la religion, qui, sans
cesse, la contredit et la dégrade ?
On nous dira, sans doute, que la
religion, loin de contredire la morale,
lui sert d' appui, et rend ses obligations
plus sacrées, en leur donnant la
sanction de la divinité. Je réponds,
que la religion chrétienne, loin d' appuyer
la morale, la rend chancelante et
incertaine. Il est impossible de la fonder
solidement sur les volontés positives
d' un Dieu changeant, partial, capricieux,
qui, de la même bouche, ordonne
la justice et l' injustice, la concorde et
le carnage, la tolérance et la
persécution. Je dis qu' il est impossible
p143
de suivre les préceptes d' une morale
raisonnable, sous l' empire d' une religion
qui fait un mérite du zèle, de
l' enthousiasme, du fanatisme le plus
destructeur. Je dis qu' une religion,
qui nous ordonne d' imiter un despote
qui se plaît à tendre des piéges à ses
sujets, qui est implacable dans ses vengeances,
qui veut qu' on extermine
tous ceux qui ont le malheur de lui
déplaire, est incompatible avec toute
morale. Les crimes, dont le christianisme,
plus que toutes les autres religions,
s' est souillé, n' ont eu pour prétexte
que de plaire au dieu farouche
qu' il a reçu des juifs. Le caractere
moral de ce dieu doitcessairement
régler la conduite de ceux qui l' adorent.
Si ce dieu est changeant, ses
p144
adorateurs changeront, leur morale
sera flottante, et leur conduite arbitraire
suivra leur tempérament.
Cela peut nous montrer la source
de l' incertitude où sont les chrétiens,
quand il s' agit d' examiner s' il est plus
conforme à l' esprit de leur religion, de
tolérer , que de percuter ceux qui
different de leurs opinions. Les deux
partis trouvent également, dans la bible,
des ordres précis de la divinité,
qui autorisent une conduite si opposée.
Tantôt hovah déclare qu' il hait
les peuples idolâtres, et qu' on doit les
exterminer ; tantôt Moïse défend de
maudire les dieux des nations ; tantôt
le fils de Dieu défend la persécution,
après avoir dit lui-même, qu' il faut
contraindre les hommes d' entrer dans
son royaume . Cependant, l' idée d' un
p145
dieu sévere et cruel, faisant des impressions
bien plus fortes et plus profondes dans
l' esprit, que celles d' un dieu
débonnaire, les vrais chrétiens
se sont presque toujours cru forcés de
montrer du zèle contre ceux qu' ils
ont supposés les ennemis de leur Dieu.
Ils se sont imaginés, qu' on ne pouvoit
l' offenser, en mettant trop de chaleur
dans sa cause : quelques fussent ses
ordres d' ailleurs, ils ont presque toujours
trouvé plus sûr pour eux de persécuter,
de tourmenter, d' exterminer
ceux qu' ils regardoient comme les
objets du courroux céleste. La tolérance
n' a été admise que par les chrétiens
lâches et peu zèlés, d' un tempérament
peu analogue au dieu qu' ils
servoient.
Un vrai chrétien ne doit-il pas sentir
la nécessité d' être féroce et sanguinaire,
quand on lui propose pour
exemples les saints et les héros de
l' ancien testament ? Ne trouve-t-il pas
p146
des motifs pour être cruel, dans la
conduite de Moïse, ce législateur qui
fait couler par deux fois le sang des
israélites, et qui fait immoler à son
dieu plus de quarante mille victimes ?
Ne trouve-t-il pas, dans la perfide
cruauté de Phinées , de Jahel , de
Judith , de quoi justifier la sienne ? Ne
voit-il pas dans David, ce modéle
achevé des rois, un monstre de barbarie,
d' infamies, d' adulteres, et de
voltes, qui ne l' empêchent point
d' être un homme selon le coeur de
Dieu ? En un mot, tout dans la bible
semble annoncer au chrétien, que c' est
par un zèle furieux que l' on peut plaire
à la divinité, et que ce zèle suffit pour
couvrir tous les crimes à ses yeux.
Ne soyons donc point surpris de
voir les chrétiens se persécutant sans
relâche les uns les autres ; s' ils furent
tolérans, ce ne fut que lorsqu' ils furent
eux-mêmes persécutés, ou trop
foibles pour persécuter les autres ;s
p147
qu' ils eurent du pouvoir, ils le firent
sentir à ceux qui n' avoient point les
mes opinions qu' eux sur tous les
points de leur religion. Depuis la fondation
du christianisme, nous voyons
différentes sectes aux prises ; nous
voyons les chrétiens se haïr, se diviser,
se nuire, et se traiter réciproquement
avec la cruauté la plus recherchée ; nous voyons
des souverains, imitateurs de David, se prêter
aux fureurs de leurs prêtres en discorde,
et servir la divinité par le fer et
par le feu ; nous voyons les rois eux-mêmes
devenir les victimes d' un fanatisme
religieux, qui ne respecte rien,
quand il croit obéir à son Dieu.
En un mot, la religion, qui se vantoit
d' apporter la concorde et la paix,
a depuis dix-huit siécles causé plus de
ravages, et fait répandre plus de sang,
que toutes les superstitions du paganisme.
Il s' éleva un mur de division
entre les citoyens de mêmes états ;
p148
l' union et la tendresse furent bannies
des familles ; on se fit un devoir d' être
injuste et inhumain. Sous un dieu
assez inique, pour s' offenser des erreurs
des hommes, chacun devint inique ;
sous un dieu jaloux et vindicatif, chacun
se crut obligé d' entrer dans ses
querelles, et de venger ses injures ;
enfin, sous un dieu sanguinaire, on
se fit un mérite de verser le sang humain.
Tels sont les importans services que
la religion chrétienne a rendus à la
morale. Qu' on ne nous dise pas, que
c' est par un honteux abus de cette
religion que ces horreurs sont
arrivées ; l' esprit de persécution et
l' intolérance sont de l' esprit d' une
religion qui se croit émanée d' un dieu
jaloux de son pouvoir, qui a ordon
formellement le meurtre, dont les amis
ont été des persécuteurs inhumains, qui,
dans l' excès de sa colere, n' a point
épargné son propre fils. Quand on
p149
sert un dieu de cet affreux caractere,
on est bien plus sûr de lui plaire, en
exterminant ses ennemis, qu' en les
laissant en paix offenser leur créateur.
Une pareille divinité doit servir de
prétexte aux excès les plus nuisibles ;
le zele de sa gloire sera un voile, qui
couvrira les passions de tous les imposteurs,
ou fanatiques, qui prétendront être
les interprêtes des volontés
du ciel ; un souverain croira pouvoir
se livrer aux plus grands crimes, lorsqu' il
croira les laver dans le sang des
ennemis de son dieu.
Par une conséquence naturelle des
mes principes, une religion intolérante
ne peut être que conditionnellement
soumise à l' autorité des souverains
temporels. Un juif, un chrétien,
ne peuvent obéir aux chefs de
la société, que lorsque les ordres de
ceux-ci seront conformes aux volontés
arbitraires, et souvent insensées, de
ce dieu. Mais qui est-ce qui décidera
p150
si les ordres des souverains, les
plus avantageux à la société, seront
conformes aux volontés de ce dieu ?
Ce seront, sans doute, les ministres
de la divinité, les interprêtes de ses
oracles, les confidens de ses secrets.
Ainsi, dans un état chrétien, les
sujets doivent être plus soumis aux prêtres,
qu' aux souverains. Bien plus, si ce
souverain offense le seigneur, s' il néglige
son culte, s' il refuse d' admettre
ses dogmes, s' il n' est point soumis à
ses prêtres, il doit perdre le droit de
gouverner un peuple, dont il met la
p151
religion en danger. Que dis-je ? Si la
vie d' un tel souverain est un obstacle
au salut de ses sujets, au régne de
Dieu, à la prospérité de l' église, il
doit être retranché du nombre des
vivans, dès que les prêtres l' ordonnent.
Une foule d' exemples nous prouve,
que les chrétiens ont souvent suivi ces
maximes détestables ; cent fois le
fanatisme a mis les armes aux mains des
sujets contre leur légitime souverain,
et porté le trouble dans la société. Sous
le christianisme, les prêtres furent toujours
les arbitres du sort des rois ; il
importa fort peu à ces prêtres, que
tout fût bouleversé sur la terre, pour
que la religion fût respectée : les
peuples furent rebelles à leurs souverains,
toutes les fois qu' on leur persuada
que les souverains étoient rebelles
à leur dieu. La sédition, le régicide
sont faits pour paroître légitimes à des
chrétiens zélés, qui doivent obéir à
Dieu, plûtôt qu' aux hommes, et qui
p152
ne peuvent, sans risquer leur salut éternel,
balancer entre le monarque éternel
et les rois de la terre.
D' après ces maximes funestes, qui
découlent des principes du christianisme,
il ne faut point être étonné,
si, depuis son établissement en Europe,
nous voyons si souvent des peuples
voltés, des souverains si honteusement
avilis sous l' autorité sacerdotale,
des monarques déposés par
les prêtres, des fanatiques armés contre
la puissance temporelle, enfin des
p153
princes égorgés. Les prêtres chrétiens
ne trouvoient-ils pas, dans l' ancien
testament, leurs discours séditieux
autorisés par l' exemple ? Les rebelles
contre les rois ne furent-ils pas justifiés
par l' exemple de David ? Les usurpations,
les violences, les perfidies,
les violations les plus manifestes des
droits de la nature et des gens, ne
sont-elles pas légitimées par l' exemple
du peuple de Dieu et de ses chefs ?
Voilà donc l' appui que donne à la
morale une religion, dont le premier
principe est d' admettre le dieu des juifs,
c' est-à-dire, un tyran, dont
les volontés fantasques anéantissent à
chaque instant les régles nécessaires
au maintien des sociétés. Ce Dieu crée
le juste et l' injuste ; sa volon suprême
change le mal en bien, et le crime en
vertu ; son caprice renverse les loix
qu' il a lui-même données à la nature ;
il détruit, quand il lui plaît, les rapports
qui subsistent entre les hommes,
p154
et dispensé lui-même de tout devoir
envers les créatures, il semble les autoriser
à ne suivre aucunes loix certaines,
sinon celles qu' il leur prescrit,
en différentes circonstances, par la
voix de ses interprêtes et de ses inspirés.
Ceux-ci, quand ils sont les maîtres,
ne prêchent que la soumission ;
quand ils se croyent lésés, ils ne prêchent
que la révolte ; sont-ils trop foibles ?
Ils prêchent la tolérance, la patience,
la douceur ; sont-ils plus forts ?
Ils prêchent la persécution, la vengeance,
la rapine, la cruauté. Ils trouvent
continuellement, dans leurs livres
sacrés, de quoi autoriser les maximes
contradictoires qu' ils débitent ;
ils trouvent, dans les oracles d' un
dieu peu moral et changeant, des
ordres directement opposés les uns
aux autres. Fonder la morale sur un
dieu semblable, ou sur des livres qui
renferment à la fois des loix si contradictoires,
c' est lui donner une base incertaine,
p155
c' est la fonder sur le caprice
de ceux qui parlent au nom de Dieu,
c' est la fonder sur le tempérament de
chacun de ses adorateurs.
La morale doit être fondée sur des
régles invariables ; un dieu, qui détruit
ces régles, détruit son propre
ouvrage. Si ce Dieu est l' auteur de
l' homme, s' il veut le bonheur de ses
créatures, s' il s' intéresse à la conservation
de notre espéce, il voulut que
l' homme fût juste, humain, bienfaisant ;
jamais il n' a pu vouloir qu' il fût
injuste, fanatique et cruel.
Ce qui vient d' être dit, peut nous
faire connoître ce que nous devons
penser de ces docteurs, qui prétendent,
que, sans la religion chrétienne, nul
homme ne peut avoir, ni morale,
ni vertu. La proposition contraire seroit
certainement plus vraie, et l' on
pourroit avancer, que tout chrétien,
qui se propose d' imiter son dieu, et
de mettre en pratique les ordres souvent
p156
injustes et destructeurs, émanés
de sa bouche, doit être nécessairement
unchant. Si l' on nous dit, que ces
ordres ne sont pas toujours injustes,
et que souvent les livres sacrés respirent
la bonté, l' union, l' équité, je
dirai, que le chrétien doit avoir une
morale inconstante ; qu' il sera tantôt
bon, tantôt méchant, suivant son intérêt
et ses dispositions particulieres.
D' l' on voit que le chrétien, conséquent
à ses idées religieuses, ne peut
avoir de vraie morale, ou doit sans
cesse flotter entre le crime et la vertu.
D' un autre côté, n' y a-t-il pas du
danger de lier la morale avec la religion ?
Au lieu d' étayer la morale,
n' est-ce pas lui donner un appui foible
et ruineux, que de vouloir la fonder
sur la religion ? En effet, la religion
ne soutient point l' examen, et tout
homme qui aura découvert la foiblesse,
ou la fausseté des preuves sur lesquelles
est établie la religion, sur laquelle on
p157
lui dit que la morale est fondée, sera
tenté de croire que cette morale est
une chimère, aussi bien que la religion
qui lui sert de base. C' est ainsi que
souvent, après avoir secoué le joug de
la religion, nous voyons des hommes
pervers se livrer à la débauche, à l' intempérance,
au crime. Au sortir de
l' esclavage de la superstition, ils tombent
dans une anarchie complette, et
se croyent tout permis, parce qu' ils
ont découvert que la religion n' étoit
qu' une fable. C' est ainsi que malheureusement
les mots d' incrédule et de libertin,
sont devenus des synonimes.
On ne tomberoit point dans ces inconvéniens,
si, au lieu d' une morale théologique,
on enseignoit une morale naturelle.
Au lieu d' interdire la bauche,
les crimes et les vices, parce que
Dieu et la religion défendent ces fautes,
on devroit dire, que tout excès nuit à
la conservation de l' homme, le rend
prisable aux yeux de la société, est
p158
défendu par la raison, qui veut que
l' homme se conserve ; est interdit par
la nature, qui veut qu' il travaille à son
bonheur durable. En un mot, quelques
soient les volontés de Dieu, indépendamment
des récompenses et des châtimens
que la religion annonce
pour l' autre vie, il est facile de
prouver à tout homme, que son intérêt, dans
ce monde, est de ménager sa santé, de
respecter les moeurs, de s' attirer l' estime
de ses semblables, enfin d' être
chaste, tempérant, vertueux. Ceux
que leurs passions empêcheront d' écouter
ces principes si clairs, fondés sur
la raison, ne seront pas plus dociles
à la voix d' une religion, qu' ils cesseront
de croire, dès qu' elle s' opposera à leurs
penchans déréglés.
Que l' on cesse donc de nous vanter
les avantages prétendus que la religion
chrétienne procure à la morale ;
les principes, qu' elle puise dans ses
livres sacrés, tendent à la détruire ; son
p159
alliance avec elle, ne sert qu' à l' affoiblir :
d' ailleurs, l' expérience nous montre,
que les nations chrétiennes ont
souvent des moeurs plus corrompues
que celles qu' elles traitent d' infidéles
et de sauvages ; au moins les premieres
sont-elles plus sujettes au fanatisme
religieux, passion si propre à bannir des
sociétés la justice et les vertus sociales.
Contre un mortel crédule, que la religion
chrétienne retient, elle en pousse
des milliers au crime ; contre un homme
qu' elle rend chaste, elle fait cent
fanatiques, cent persécuteurs, cent
intolérans, qui sont bien plus nuisibles
à la société, que les débauchés les plus
impudens, qui ne nuisent qu' à eux-mêmes.
Au moins est-il certain, que les
nations les plus chrétiennes de l' Europe,
ne sont point celles la vraie
morale soit la mieux connue et la
mieux observée. Dans l' Espagne, le
Portugal, l' Italie, où la secte la
plus superstitieuse du christianisme a fixé son
p160
jour, les peuples vivent dans l' ignorance
la plus honteuse de leurs devoirs ;
le vol, l' assassinat, la persécution, la
débauche, y sont portés à leur comble ;
tout y est plein de superstitieux ; on
n' y voit que très-peu d' hommes vertueux,
et la religion elle-même, complice
du crime, fournit des azyles aux
criminels, et leur procure des moyens
faciles de se réconcilier avec la divinité.
Des prieres, des pratiques, des cérémonies,
semblent dispenser les hommes
de montrer des vertus. Dans les pays,
qui se vantent de posséder le christianisme
dans toute sa pureté, la religion
a tellement absorl' attention de
ses sectateurs, qu' ilsconnoissent
entiérement la morale, et croyent
avoir rempli tous leurs devoirs, dès
qu' ils montrent un attachement scrupuleux
à des minuties religieuses, totalement
étrangeres au bonheur de la société.
p161
CHAPITRE 12
des vertus chrétiennes.
ce qui vient d' être dit, nous montre
déjà ce que nous devons penser
de la morale chrétienne. Si nous examinons
les vertus que le christianisme
recommande, nous y trouverons l' empreinte
de l' enthousiasme, nous verrons
qu' elles sont peu faites pour l' homme,
qu' elles l' enlevent au-dessus de sa
sphere, qu' elles sont inutiles à la société,
que souvent elles sont pour
elle de la plus dangereuse conséquence :
enfin, dans les préceptes, ou conseils si
vantés que J C est venu nous donner,
nous ne trouverons que des maximes
outrées, dont la pratique est impossible ;
que des régles, qui, suivies à la
lettre, nuiroient à la société : dans
ceux de ces préceptes, qui peuvent se
pratiquer, nous ne trouverons rien
qui ne fut mieux connu des sages de
p162
l' antiquité, sans le secours de la révélation.
Suivant le messie, toute sa loi consiste,
à aimer Dieu par-dessus toutes choses,
et le prochain comme soi-même .
Ce précepte est-il possible ? Aimer
un dieu colère, capricieux, injuste,
aimer le dieu des juifs ! Aimer un
dieu injuste, implacable, qui est assez
cruel, pour damner éternellement ses
créatures ! Aimer l' objet le plus
redoutable que l' esprit humain ait pu
jamais enfanter ! Un pareil objet, est-il
donc fait pour exciter, dans le coeur de
l' homme, un sentiment d' amour ?
Comment aimer ce que l' on craint ?
Comment crir un dieu, sous la verge
duquel on est forcé de trembler ?
N' est-ce pas se mentir à soi-même,
que de se persuader que l' on aime un
être si terrible, et si propre à révolter ?
p163
Aimer son prochain comme soi-même,
est-il bien plus possible ? Tout
homme, par sa nature, s' aime par préférence
à tous les autres ; il n' aime
ceux-ci, qu' en raison de ce qu' ils contribuent
à son propre bonheur ; il a
de la vertu, dès qu' il fait du bien à
son prochain ; il a de la générosité,
lorsqu' il lui sacrifie l' amour qu' il a pour
lui-même ; mais jamais il ne l' aime, que
pour les qualités utiles qu' il trouve en
lui ; il ne peut l' aimer, que lorsqu' il
le connoit, et son amour pour lui
est forcé de se régler sur les avantages
qu' il en reçoit.
Aimer ses ennemis, est donc un précepte
impossible. On peut s' abstenir de
faire du mal à celui qui nous nuit ;
p164
mais l' amour est un mouvement du
coeur, qui ne s' excite en nous qu' à la
vue d' un objet que nous jugeons favorable
pour nous. Les loix justes,
chez les peuples policés, ont toujours
défendu de se venger, ou de se faire
justice à soi-même ; un sentiment de
générosité, de grandeur d' ame, de
courage, peut nous porter à faire du
bien à qui nous offense ; nous devenons
pour lors plus grands que lui,
et même nous pouvons changer la
disposition de son coeur. Ainsi, sans
recourir à une morale surnaturelle,
nous sentons que notre intérêt exige
que nous étouffions dans nos coeurs
la vengeance. Que les chrétiens cessent
donc de nous vanter le pardon
des injures, comme un précepte qu' un
dieu seul pouvoit donner, et qui prouve
la divinité de sa morale ; Pythagore,
longtems avant le messie, avoit dit :
qu' on ne se vengeât de ses ennemis,
qu' en travaillant à en faire des amis ;
et
p165
Socrate dit dans criton : qu' il n' est
pas permis à un homme, qui a reçu une
injure, de se venger par une autre injure .
Jésus oublioit, sans doute, qu' il
parloit à des hommes, lorsque, pour
les conduire à la perfection, il leur
dit d' abandonner leurs possessions à
l' avidité du premier ravisseur ; de tendre
l' autre joue, pour recevoir un
nouvel outrage ; de ne point résister
à la violence la plus injuste ; de renoncer
aux richesses périssables de ce
monde ; de quitter maison, biens,
parens, amis, pour le suivre ; de se
refuser aux plaisirs, même les plus innocens.
Qui ne voit, dans ces conseils
sublimes, le langage de l' enthousiasme,
de l' hyperbole ? Ces conseils merveilleux
ne sont-ils pas faits pour décourager
l' homme, et le jetter dans
le désespoir ? La pratique littéral de ces
choses ne seroit-elle pas destructive
pour la société ?
Que dirons-nous de cette morale,
p166
qui ordonne que le coeur se détache
des objets que la raison lui ordonne
d' aimer ? Refuser le bien-être que la
nature nous présente, n' est-ce pas dédaigner
les bienfaits de la divinité ?
Quel bien réel peut-il résulter, pour
la société, de ces vertus farouches et
lancoliques, que les chrétiens
regardent comme des perfections ? Un
homme devient-il bien utile à la société,
quand son esprit est perpétuellement
troublé par des terreurs imaginaires,
par des idées lugubres, par
de noires inquiétudes, qui l' empêchent
de vaquer à ce qu' il doit à sa famille,
à son propre pays, à ceux qui l' entourent ?
S' il est conséquent à ces tristes
principes, ne doit-il pas se rendre aussi
insupportable à lui-même, qu' aux autres ?
On peut dire, en général, que le
fanatisme et l' enthousiasme font la base
de la morale du Christ ; les vertus,
qu' il recommande, tendent à isoler les
p167
hommes, à les plonger dans l' humeur
sombre, et souvent à les rendre nuisibles
à leurs semblables. Il faut ici bas
des vertus humaines, le chrétien ne
voit jamais les siennes qu' au-dedu
vrai ; il faut à la société des vertus
réelles, qui la maintiennent, qui lui
donnent de l' énergie, de l' activité ; il
faut aux familles, de la vigilance, de
l' affection, du travail ; il faut à tous les
êtres de l' espéce humaine, le desir de
se procurer des plaisirs légitimes, et
d' augmenter la somme de leur bonheur.
Le christianisme est perpétuellement
occupé, soit à dégrader les hommes,
par des terreurs accablantes, soit
à les enivrer par des espérances frivoles,
sentimens également propres à
les détourner de leurs vrais devoirs.
Si le chrétien suit à la lettre les principes
de son législateur, il sera toujours
un membre inutile, ou nuisible à la société.
p169
Quels avantages, en effet, le genre
humain peut-il tirer de ces vertus idéales,
que les chrétiens nomment évangéliques,
divines, théologales , qu' ils
préférent aux vertus sociales, humaines
et réelles, et sans lesquelles ils
prétendent qu' on ne peut plaire à Dieu,
ni entrer dans sa gloire ? Examinons
en détail ces vertus si vantées ; voyons
de quelle utilité elles sont pour la société,
et si elles méritent vraiment la
préférence qu' on leur donne sur celles
que la raison nous inspire, comme nécessaires
au bien être du genre humain.
La premiere des vertus chrétiennes,
celle qui sert de base à toutes les
autres, est la foi ; elle consiste dans une
conviction impossible des dogmes révélés,
des fables absurdes, que le
christianisme ordonne à ses disciples
de croire. D' où l' on voit que cette
vertu exige un renoncement total au
bon sens, un assentiment impossible
à des faits improbables, une soumission
aveugle à l' autorité des prêtres,
seuls garans de la rité des dogmes
et des merveilles que tout chrétien
doit croire, sous peine d' être damné.
Cette vertu, quoique nécessaire à
tous les hommes, est pourtant un don
du ciel, et l' effet d' une grace spéciale ;
p170
elle interdit le doute et l' examen ; elle
prive l' homme de la faculté d' exercer
sa raison, de la liberté de penser ; elle
le réduit à l' abrutissement des bêtes,
sur des matieres qu' on lui persuade
néanmoins être les plus importantes à
son bonheur éternel. D' l' on voit,
que la foi est une vertu inventée par
des hommes, qui craignirent les lumieres
de la raison, qui voulurent
tromper leurs semblables, pour les
soumettre à leur propre autorité, qui
chercherent à les dégrader, afin d' exercer
sur eux leur empire. Si la foi
est une vertu, elle n' est, assurément,
p171
utile qu' aux guides spirituels des chrétiens,
qui seuls en recueillent les fruits.
Cette vertu ne peut qu' être funeste au
reste des hommes, à qui elle apprend
à mépriser la raison, qui les distingue
des bêtes, et qui seule peut les guider
rement en ce monde. En effet, le
christianisme nous représente cette
raison comme pervertie, comme un
guide infidele, en quoi il semble avouer
n' être point fait pour des êtres raisonnables.
Cependant, ne pourroit-on pas demander
aux docteurs chrétiens jusqu' où
doit aller ce renoncement à la
raison ? Eux-mêmes, dans certains cas,
n' ont-ils pas recours à elle ? N' est-ce
pas à la raison qu' ils en appellent, quand
il s' agit de prouver l' existence de Dieu ?
Si la raison est pervertie, comment
s' en rapporter à elle dans une matiere
aussi importante que l' existence de ce
Dieu ?
Quoi qu' il en soit, dire que l' on
p172
croit ce qu' on ne cooit pas, c' est
mentir évidemment ; croire sans se
rendre compte de ce que l' on croit,
c' est une absurdité. Il faut donc peser
les motifs de sa croyance. Mais quels
sont les motifs du chrétien ? C' est la
confiance qu' il a dans les guides qui
l' instruisent. Mais sur quoi cette confiance
est-elle fondée ? Sur la révélation.
Mais sur quoi la révélation est-elle
fondée elle-même ? Sur l' autorité des
guides spirituels. Telle est la maniere
dont les chrétiens raisonnent. Leurs
argumens, en faveur de la foi, se réduisent
à dire : pour croire à la religion,
il faut avoir de la foi, et pour avoir
de la foi, il faut croire à la religion ;
ou bien, il faut avoir déja de la foi,
pour croire à la nécessité de la foi.
p173
La foi disparoît dès qu' on raisonne ;
cette vertu ne soutient jamais un examen
tranquille ; voilà ce qui rend les
prêtres du christianisme si ennemis
de la science. Le fondateur de la religion
a déclaré lui-même, que sa loi n' étoit
faite que pour les simples et pour
les enfans. La foi est l' effet d' une
grace que Dieu n' accorde guères aux
personnes éclairées et accoutumées à
consulter le bon sens, elle n' est faite
que pour les hommes qui sont incapables
de réflexion, ou pour des ames
enivrées d' enthousiasme, ou pour des
p174
êtres invinciblement attachés aux préjugés
de l' enfance. La science fut, et
sera toujours l' objet de la haine des
docteurs chrétiens ; ils seroient les
ennemis d' eux-mêmes, s' ils aimoient
les savans.
Une seconde vertu chrétienne,
qui découle de la premiere, est l' espérance ;
fondée sur les promesses flatteuses
que le christianisme fait à ceux
qui se rendent malheureux dans cette
vie, elle nourrit leur enthousiasme ;
elle leur fait perdre de vue le bonheur
présent ; elle les rend inutiles à
la société ; elle leur fait croire
fermement que Dieu récompensera dans le
ciel leur inutilité, leur humeur noire,
leur haine des plaisirs, leurs mortifications
insensées, leurs prieres, leur oisiveté.
Comment un homme, enivré de
ces pompeuses espérances, s' occuperoit-il
du bonheur actuel de ceux qui
l' environnent, tandis qu' il est indifférent
sur le sien même ? Ne sait-il pas
p175
que c' est en se rendant misérable en ce
monde, qu' il peut espérer de plaire à
son Dieu ? En effet, quelques flatteuses
que soient les idées, que le chrétien
se fait de l' avenir, sa religion les
empoisonne, par les terreurs d' un dieu
jaloux, qui veut que l' on opére son
salut avec crainte et tremblement ; qui
puniroit sa présomption, et qui le
damneroit impitoyablement, s' il avoit
eu la foiblesse d' être homme un instant
de sa vie.
La troisiéme des vertus chrétiennes
est la charité ; elle consiste à aimer Dieu
et le prochain. Nous avons déja vu
combien il est difficile, pour ne pas
dire impossible, d' éprouver des sentimens
de tendresse pour tout être que
l' on craint. On dira, sans doute, que
la crainte des chrétiens est une crainte
filiale ; mais les mots ne changent rien
à l' essence des choses ; la crainte est
une passion totalement opposée à l' amour.
Un fils, qui craint son pere,
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qui a lieu de se défier de sa colere,
qui redoute ses caprices, ne l' aimera jamais
sincérement. L' amour d' un chrétien,
pour son dieu, ne pourra donc
jamais êtreritable ; c' est en vain qu' il
voudra s' exciter à la tendresse pour un
maître rigoureux, qui doit effrayer son
coeur, il ne l' aimera jamais que comme
un tyran, à qui la bouche rend
des hommages que le coeur lui refuse.
Le dévot n' est pas de bonne foi avec
lui-même, quand il ptend chérir son
dieu ; sa tendresse est un hommage simulé,
semblable à celui que l' on se
croit obligé de rendre à ces despotes
inhumains, qui, même en faisant le
malheur de leurs sujets, exigent des
marques extérieures de leur attachement.
Si quelques ames tendres, à
force d' illusions, parviennent à s' exciter
à l' amour divin, c' est alors une
passion mystique et romanesque, produite
par un temrament échauffé,
par une imagination ardente, qui fait
p177
qu' elles n' envisagent leur dieu que du
té le plus riant, et qu' elles ferment
les yeux sur ses véritables défauts.
L' amour de Dieu n' est pas le mystère
le moins inconcevable de notre religion.
La charité , considérée comme l' amour
de nos semblables, est une disposition
p178
vertueuse et nécessaire. Elle
n' est plus alors que cette humanité tendre,
qui nous intéresse aux êtres de
notre espéce, qui nous dispose à leur
prêter des secours, qui nous attache
à eux. Mais comment concilier cet attachement
pour les créatures, avec les
ordres d' un dieu jaloux, qui veut
qu' on n' aime que lui, qui est venu séparer
le fils d' avec son pere, l' ami
d' avec son ami ? Suivant les maximes de
l' évangile, ce seroit un crime d' offrir
à son dieu un coeur partagé par quelqu' autre
objet terrestre ; ce seroit une
idolâtrie, de faire entrer la créature en
concurrence avec le créateur. D' ailleurs,
comment aimer des êtres qui
offensent continuellement la divinité,
ou qui sont pour nous une occasion
continuelle de l' offenser ? Comment
aimer des cheurs ? Aussi, l' expérience
nous montre-t-elle, que les dévots,
obligés par principes de se hr eux-mêmes,
ne sont que très-peu disposés
p179
à mieux traiter les autres, à leur
rendre la vie douce, à leur montrer
de l' indulgence. Ceux qui en usent de
la sorte, ne sont point parvenus à la
perfection de l' amour divin. En un
mot, nous voyons que ceux qui passent
pour aimer le créateur le plus ardemment,
ne sont pas ceux qui montrent
le plus d' affection à ses chétives
créatures ; nous les voyons, au contraire,
pandre communément l' amertume
sur tout ce qui les environne,
relever avec aigreur les défauts de leurs
semblables, et se faire un crime de
montrer de l' indulgence à la fragilité
humaine.
p180
En effet, un amour sincére, pour la
divinité, doit être accompagné de
le ; un vrai chrétien doit s' irriter,
quand il voit offenser son dieu ; il doit
s' armer d' une juste et sainte cruauté,
pour réprimer les coupables ; il doit
avoir un desir ardent de faire régner
la religion. C' est ce zèle,rivé de
l' amour divin, qui est la source des
persécutions et des fureurs, dont le
christianisme s' est tant de fois rendu
coupable ; c' est ce zèle, qui fait des
bourreaux, ainsi que des martyrs ; c' est
ce zèle, qui fait que l' intolérant arrache
la foudre des mains du très-haut,
sous prétexte de venger ses injures ;
c' est ce zèle, qui fait que les membres
d' une même famille, les citoyens d' un
me état se détestent, se tourmentent
pour des opinions, et souvent
p181
pour des cérémonies puériles, que le
le fait regarder comme des choses
de la derniere importance ; c' est ce
le, qui mille fois alluma, dans notre
Europe, ces guerres de religion, si
remarquables par leur atrocité ; enfin,
c' est ce zèle pour la religion, qui justifia
la calomnie, la trahison, le carnage,
en un mot, les désordres les plus funestes
aux sociétés. Il fut toujours permis
d' employer la ruse, la fourberie,
le mensonge, dès qu' il fut question de
soutenir la cause de Dieu. Les hommes
p182
les plus bilieux, les plus coléres,
les plus corrompus, sont commument
les plus zélés ; ils espérent, qu' en
faveur de leur zèle, le ciel leur pardonnera
la dépravation de leurs moeurs,
et tous leurs autres déréglemens.
C' est par un effet de ce même zèle,
que nous voyons des chrétiens enthousiastes
parcourir les terres et les mers,
pour étendre l' empire de leur
Dieu, pour lui faire des prosélytes,
pour lui acquérir de nouveaux sujets.
C' est ainsi que, par zèle, des missionnaires
se croyent obligés d' aller troubler
le repos des états qu' ils regardent
comme infidéles, tandis qu' ils trouveroient
fort étrange, s' il venoit dans leur propre
pays des missionnaires pour
p183
leur annoncer une autre loi. Lorsque
ces propagateurs de la foi eurent
la force en main, ils exciterent, dans
leurs conquêtes, les révoltes les plus
affreuses, ou bien ils exercerent, sur les
peuples soumis, des violences bien propres
à leur rendre leur divinité odieuse.
Ils crurent, sans doute, que des
hommes, à qui leur Dieu étoit si longtems
demeuré inconnu, ne pouvoient
être que des bêtes, sur lesquelles il
étoit permis d' exercer les plus grandes
cruautés. Pour un chrétien, un infidéle
ne fut jamais qu' un chien.
C' est apparemment en conséquence
p184
des idées judaïques, que les nations
chrétiennes ont été usurper les possessions
des habitans du nouveau monde.
Les castillans et les portugais
avoient apparemment lesmes droits
pour s' emparer de l' Amérique et de
l' Afrique, que les breux avoient eus
pour se rendre maîtres des terres des
chananéens, pour en exterminer les
habitans, ou pour les réduire en esclavage.
Un pontife du dieu de la justice
et de la paix ne s' arrogea-t-il pas
le droit de distribuer des empires lointains
aux monarques européens qu' il
voulut favoriser ? Ces violations manifestes
du droit de la nature et des
gens parurent légitimes à des princes
chrétiens, en faveur desquels la religion
sanctifioit l' avarice, la cruauté,
l' usurpation.
p185
Enfin, le christianisme regarde l' humilité
comme une vertu sublime ; il lui
attache le plus grand prix. Il ne falloit
pas, sans doute, des lumieres divines
et surnaturelles, pour sentir que
l' orgueil blesse les hommes, et rend
désagréables ceux qui le montrent aux
autres. Pour peu que l' on réfléchisse,
on sera convaincu, que l' arrogance,
la présomption, la vanité, sont des
qualités déplaisantes et méprisables ;
mais l' humilité du chrétien doit aller
plus loin encore, il faut qu' il renonce
à sa raison, qu' il se défie de ses vertus,
qu' il refuse de rendre justice à
ses bonnes actions, qu' il perde l' estime
p186
la plus ritée de lui-même. D' où
l' on voit que cette prétendue vertu
n' est propre qu' à dégrader l' homme,
à l' avilir à ses propres yeux, à étouffer
en lui toute énergie, et tout desir
de se rendre utile à la société. Défendre
aux hommes de s' estimer eux-mêmes,
et de mériter l' estime des autres,
c' est briser le ressort le plus puissant
qui les porte aux actions grandes, à
l' étude, à l' industrie. Il semble que le
christianisme ne se propose, que de
faire des esclaves abjects, inutiles au
monde, à qui la soumission aveugle
à leurs prêtres tienne lieu de toute
vertu.
N' en soyons point surpris, une religion,
qui se pique d' être surnaturelle,
doit chercher à dénaturer l' homme :
en effet, dans le délire de son enthousiasme,
elle lui défend de s' aimer lui-me ;
elle lui ordonne de haïr les
plaisirs, et de chérir la douleur ; elle
lui fait unrite des maux volontaires
p187
qu' il se fait. De-là ces austérités,
ces pénitences destructives de la santé,
ces mortifications extravagantes, ces
privations cruelles, ces pratiques insensées,
enfin ces suicides lents, par
lesquels les plus fanatiques des chrétiens
croyent mériter le ciel. Il est
vrai que tous les chrétiens ne se sentent
pas capables de ces perfections
merveilleuses ; mais tous, pour se sauver,
se croyent plus ou moins obligés
de mortifier leurs sens, de renoncer
aux bienfaits qu' un dieu bon leur présente,
parce qu' ils supposent que ce
dieu s' irriteroit, s' ils en faisoient usage,
et ne fait offre de ces biens, que
pour que l' on s' abstienne d' y toucher.
Comment la raison pourroit-elle approuver
des vertus destructives de
nous-mêmes ? Comment le bon sens
pourroit-il admettre un dieu, qui prétend
que l' on se rende malheureux,
et qui se plaît à contempler les tourmens
que s' infligent ses créatures ? Quel
p188
fruit la société peut-elle recueillir de
ces vertus, qui rendent l' homme sombre,
misérable, et incapable d' être
utile à la patrie ? La raison et l' expérience,
sans le secours de la superstition,
ne suffisent-elles donc pas, pour
nous prouver que les passions et les plaisirs,
poussés à l' excès, se tournent
contre nous-mêmes, et que l' abus des
meilleures choses devient un mal véritable ?
Notre nature ne nous force-t-elle pas à
la temrance, à la privation des
objets qui peuvent nous
nuire ? En un mot, un être, qui veut
se conserver, ne doit-il pas modérer
ses penchans, et fuir ce qui tend à sa
destruction ? Il est évident que le
p189
christianisme autorise, au moins indirectement,
le suicide.
Ce fut en conséquence de ces idées
fanatiques, que, sur-tout dans les premiers
tems du christianisme, les déserts
et les forêts se sont peuplés de chrétiens
p190
parfaits, qui, en s' éloignant du
monde, priverent leurs familles d' appuis,
et leurs patries de citoyens, pour
se livrer à une vie oiseuse et contemplative.
De-là ces légions de moines
et de cénobites, qui, sous les étendarts
de différens enthousiastes, se sont
enrôlés dans une milice inutile, ou
nuisible à l' état. Ils crurent mériter le
ciel, en enfouissant des talens nécessaires
à leurs concitoyens, en se vouant
à l' inaction et au célibat. C' est ainsi,
que dans les pays, les chrétiens
sont le plus fidéles à leur religion, une
foule d' hommes, par piété, s' obligent
à demeurer toute leur vie inutiles et
misérables. Quel coeur assez barbare
pour réfuser des larmes au sort de ces
victimes, tirées d' un sexe enchanteur,
que la nature destinoit à faire le bonheur
du nôtre ! Dupes infortunées de
l' enthousiasme du jeune âge, ou forcées
par les vues intéressées d' une famille
impérieuse, elles sont pour toujours
p191
bannies du monde ; des sermens
téméraires les lient pour jamais à l' ennui,
à la solitude, à l' esclavage, à la
misére ; des engagemens, contredits
par la nature, les forcent à la virginité.
C' est en vain qu' un tempérament
plus mûr réclame tôt ou tard en elles,
et les fait gémir sur des voeux imprudens,
la société les punit par l' oubli de
leur inutilité, de leur stérilité volontaire ;
retranchées des familles, elles
passent dans l' ennui, l' amertume, et
les larmes, une vie perpétuellement
gênée par des géolieres incommodes
et despotiques : enfin, isolées, sans
secours et sans liens, il ne leur reste que
l' affreuse consolation de duire d' autres
victimes, qui partagent avec elles
les ennuis de leur solitude, et leur
supplice devenu sans reméde.
En un mot, le christianisme semble
avoir pris à tâche de combattre en tout
la nature et la raison : s' il admet quelques
vertus, approuvées par le bon
p192
sens, il veut toujours les outrer ; il ne
conserve jamais ce juste milieu, qui est
le point de la perfection. La volupté,
la dissolution, l' adultère, en un mot,
les plaisirs illicites et honteux sont
évidemment des choses auxquelles tout
homme, jaloux de se conserver, et de
riter l' estime de ses concitoyens,
doit résister. Les payens ont senti et
enseigné cette vérité, malgré le débordement
de moeurs que le christianisme
leur reproche. La religion chrétienne,
p193
peu contente de ces maximes
raisonnables, recommande le célibat ,
comme un état de perfection ; le noeud
si légitime du mariage est une imperfection
à ses yeux. Le pere du dieu
des chrétiens, avoit dit, dans la genèse :
il n' est pas bon que l' homme demeure
sans compagne . Il avoit formellement
ordonné à tous les êtres, de
croître et de multiplier . Son fils, dans
l' évangile, vient annuller ces loix ; il
prétend que, pour être parfait, il faut
se priver du mariage,sister à l' un
des plus pressans besoins que la nature
inspire à l' homme, mourir sans
postérité, refuser des citoyens à l' état,
et des supports à sa vieillesse.
Si nous consultons la raison, nous
trouverons, que les plaisirs de l' amour
nuisent à nous-mêmes, quand nous
les prenons avec excès ; qu' ils sont des
p194
crimes, lorsqu' ils nuisent à d' autres ;
nous sentirons, que corrompre une
fille, c' est la condamner à la honte et
à l' infamie, c' est anéantir pour elle les
avantages de la société ; nous trouverons,
que l' adultère est une invasion
des droits d' un autre, qui détruit l' union
des époux, qui pare au moins
des coeurs qui étoient faits pour s' aimer ;
nous conclurons de ces choses,
que le mariage étant le seul moyen de
satisfaire honnêtement et légitimement
le besoin de la nature, de peupler
la société, de se procurer des
appuis, est un état bien plus respectable
et bien plus sacré que ce célibat
destructeur, que cette castration volontaire,
que le christianisme a le front
de transformer en vertu. La nature,
ou l' auteur de la nature, invite les
hommes à se multiplier, par l' attrait
du plaisir ; il a déclaré hautement, que
la femme étoitcessaire à l' homme ;
l' expérience a fait connoître qu' ils devoient
p195
former une société, non seulement
pour jouir de plaisirs passagers,
mais encore pour s' aider à supporter
les amertumes de la vie, pour élever
des enfans, pour en faire des citoyens,
pour trouver en eux des supports de
leur vieillesse. En donnant à l' homme
des forces supérieures à celles de sa
compagne, la nature voulut qu' il travaillât
à faire subsister sa famille ; en
donnant à cette compagne des organes
plus foibles, elle l' a destinée à des
travaux moins pénibles, mais non
moinscessaires ; en lui donnant une
ame plus sensible et plus douce, elle
voulut qu' un sentiment tendre l' attachât
plus particulierement à ses foibles
enfans. Voilà les liens heureux que le
christianisme voudroit empêcher de se
former ; voilà les vues qu' il s' efforce
p196
de traverser, en proposant, comme
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un état de perfection, un célibat qui
dépeuple la société, qui contredit la
nature, qui invite à la débauche, qui
rend les hommes isolés, et qui ne peut
être avantageux qu' à la politique odieuse
des prêtres de quelques sectes chrétiennes,
qui se font un devoir de se
parer de leurs concitoyens, pour former
un corps fatal, qui s' éternise sans
postérité.
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Si le christianisme eut l' indulgence
de permettre le mariage à ceux de ses
sectateurs, qui n' oserent, ou ne purent
tendre à la perfection, il semble
qu' il les en a punis, par les entraves
incommodes qu' il mit à ce noeud ; c' est
ainsi que nous voyons le divorce défendu
par la religion chrétienne ; les noeuds
les plus mal assortis sont devenus
indissolubles ; les personnes,
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mariées une fois, sont forcées de gémir
pour toujours de leur imprudence,
quand même le mariage, qui ne
peut avoir que le bien-être, la tendresse,
l' affection, pour objet et pour
base, deviendroit pour elles une source
de discordes, d' amertumes et de
peines. C' est ainsi que la loi, d' accord
avec la religion cruelle, consent à empêcher
les malheureux de briser leurs
chaînes. Il paroît que le christianisme
a mis tout en oeuvre pour détourner
du mariage, et pour lui faire préférer
un célibat qui conduit nécessairement
à la débauche, à l' adultère, à la
dissolution. Cependant, le dieu des
p200
juifs avoit permis le divorce, et nous
ne voyons point de quel droit son fils,
qui venoit accomplir la loi de Moïse,
a révoqué une permission si sensée.
Nous ne parlons point ici des autres
entraves, que, depuis son fondateur,
l' église a mises au mariage. En
p202
proscrivant les mariages entre parens,
ne semble-t-elle pas avoir défendu,
que ceux qui vouloient s' unir, se connussent
parfaitement, et s' aimassent
trop tendrement ?
Telles sont les perfections que le
christianisme propose à ses enfans,
telles sont les vertus qu' il préfére à
celles qu' il nomme, par mépris, vertus
humaines . Bien plus, il rejette et
désavoue ces dernieres, il les appelle
fausses, illégitimes, parce que ceux
qui les possédoient, n' avoient point la
foi. Quoi ! Ces vertus si aimables, si
héroïques, de la Gréce et de Rome,
n' étoient point de vraies vertus ! Si
l' équité, l' humanité, la générosité, la
tempérance, la patience d' un payen,
ne sont pas des vertus, à quoi peut-on
donner ce nom ? N' est-ce pas confondre
toutes les idées de la morale,
que de prétendre que la justice d' un
payen n' est pas justice, que sa bonté n' est
pas bonté, que sa bienfaisance est un
crime ? Les vertus réelles des Socrate,
des Caton, des épictète, des Antonin,
p203
ne sont-elles donc pas préférables
au zèle des Cyrilles, et à l' opiniâtreté
des Athanase, à l' inutilité des
Antoine, aux révoltes des Chrysostome,
à la férocité des Dominique, à
l' abjection d' ame des François ?
Toutes les vertus, que le christianisme
admire, ou sont outrées et fanatiques,
ou elles ne tendent qu' à rendre
l' homme timide, abject et malheureux :
si elles lui donnent du courage,
il devient bientôt opiniâtre, altier,
cruel, et nuisible à la société. C' est
p204
ainsi qu' il faut qu' il soit, pour répondre
aux vues d' une religion qui dédaigne
la terre, et qui ne s' embarrasse
pas d' y porter le trouble, pourvû que
son dieu jaloux triomphe de ses ennemis.
Nulle morale véritable ne peut
être compatible avec une telle religion.
CHAPITRE 13
des pratiques et des devoirs de la religion
chtienne.
si les vertus du christianisme n' ont
rien de solide et de réel, ou ne
produisent aucun effet que la raison puisse
approuver, elle ne verra rien de plus
estimable dans une foule de pratiques
gênantes, inutiles, et souvent dangereuses,
dont il fait des devoirs à ses dévots
sectateurs, et qu' il leur montre
comme des moyens assurés d' appaiser
la divinité, d' obtenir ses graces, de
riter ses récompenses ineffables.
p205
Le premier, et le plus essentiel des
devoirs du christianisme, est de prier .
C' est à la priere continuelle, que le
christianisme attache sa félicité ; son
dieu, que l' on suppose rempli de bontés,
veut être sollicité pour répandre
ses graces ; il ne les accorde qu' à
l' importunité : sensible à la flatterie, comme
les rois de la terre, il exige une
étiquette, il n' écoute favorablement
que des voeux présentés suivant une
certaine forme. Que dirions-nous d' un
pere, qui, connoissant les besoins de
ses enfans, ne consentiroit point à leur
donner la nourriture nécessaire, à
moins qu' ils ne l' arrachassent par des
supplications ferventes, et souvent inutiles ?
Mais, d' un autre côté, n' est-ce pas
se défier de la sagesse de Dieu,
que de prescrire des régles à sa conduite ?
N' est-ce pas révoquer en doute
son immutabilité, que de croire que
sa créature peut l' obliger à changer ses
décrets ? S' il sait tout, qu' a-t-il besoin
p206
d' être averti sans cesse des dispositions
du coeur et des desirs de ses sujets ?
S' il est tout-puissant, comment seroit-il
flatté de leurs hommages, de leurs
soumissions réitérées, de l' anéantissement
ils se mettent à ses pieds ?
En un mot, la priere suppose un
dieu capricieux, qui manque de mémoire,
qui est sensible à la louange,
qui est flatté de voir ses sujets humiliés
devant lui, qui est jaloux de recevoir,
à chaque instant, des marques
réitérées de leur soumission.
Ces idées, empruntées des princes
de la terre, peuvent-elles bien s' appliquer
à un être tout-puissant, qui
n' a créé l' univers que pour l' homme,
et qui ne veut que son bonheur ? Peut-on
supposer, qu' un être tout-puissant,
sans égal et sans rivaux, soit jaloux
de sa gloire ? Est-il une gloire pour
un être à qui rien ne peut être comparé ?
Les chrétiens ne voyent-ils pas,
qu' en voulant exalter et honorer leur
p207
dieu, ils ne font réellement que l' abbaisser
et l' avilir ?
Il entre encore dans le système de
la religion chrétienne, que les prieres
des uns peuvent être applicables
à d' autres : son dieu, partial pour ses
favoris, ne reçoit que les requêtes de
ceux-ci ; il n' écoute son peuple, que
lorsque ses voeux lui sont offerts par
ses ministres. Ainsi, Dieu devient un
sultan, qui n' est accessible que pour ses
ministres, ses visirs, ses eunuques, et
les femmes de son serrail. De-là, cette
foule innombrable de prêtres, de cénobites,
de moines et de religieuses,
qui n' ont d' autres fonctions, que d' élever
leurs mains oisives au ciel, et de
prier nuit et jour, pour obtenir ses faveurs
pour la société. Les nations
payent chérement ces importans services,
et de pieux fainéans vivent dans
la splendeur, tandis que le rite réel,
le travail et l' industrie, languissent
dans la misére.
p208
Sous prétexte de vaquer à la priere
et aux cérémonies de son culte, le
chrétien, surtout dans quelques sectes
plus superstitieuses, est obligé de
demeurer oisif, et de rester les bras
croisés pendant une grande partie de
l' année ; on lui persuade qu' il honore
son dieu par son inutilité ; des fêtes,
multipliées par l' intérêt des ptres et
la cdulité des peuples, suspendent les
travaux nécessaires de plusieurs millions
de bras ; l' homme du peuple va prier
dans un temple, au lieu de cultiver
son champ ; là il repaît ses yeux de
rémonies puériles, et ses oreilles de
fables et de dogmes auxquels il ne
peut rien comprendre. Une religion
tyrannique fait un crime à l' artisan, ou
au cultivateur, qui, pendant ces journées,
consacrées ausoeuvrement,
oseroit s' occuper du soin de faire subsister
p209
une famille nombreuse et indigente,
et de concert avec la religion,
le gouvernement puniroit ceux qui auroient
l' audace de gagner du pain, au
lieu de faire des prieres, ou de rester
les bras croisés.
La raison peut-elle souscrire à cette
obligation bizarre de s' abstenir de viandes
et de quelques alimens, que certaines
sectes chrétiennes imposent ? Le
peuple, qui vit de son travail, est, en
conséquence de cette loi, forcé de se
contenter, pendant des intervalles
p210
très-longs, d' une nourriture chère,
mal-saine, et peu propre à parer les
forces.
Quelles idées abjectes et ridicules doivent
avoir de leur dieu, des insensés
qui croyent qu' il s' irrite de la quali
dests qui entrent dans l' estomach
de ses créatures ? Cependant, à prix
d' argent, le ciel devient plus accommodant.
Les prêtres des chrétiens ont
été sans cesse occupés à gêner leurs
crédules sectateurs, afin de les obliger
à transgresser ; le tout, pour avoir occasion
de leur faire expier chérement
leurs prétendues transgressions. Tout
dans le christianisme, jusqu' aux péchés,
tourne au profit du prêtre.
p211
Aucun culte ne mit jamais ses sectateurs
dans une dépendance plus entiere,
et plus continuelle de leurs prêtres,
que le christianisme ; ils ne perdirent
jamais de vue leur proie ; ils
prirent les mesures les plus justes pour
asservir les hommes et les faire contribuer
à leur puissance, à leurs richesses,
à leur empire. Médiateurs
p212
entre le monarque céleste et ses sujets,
ces prêtres furent regardés comme
des courtisans en crédit, comme
des ministres chargés d' exercer la puissance
en son nom, comme des favoris
auxquels la divinité ne pouvoit rien
refuser. Ainsi, les ministres du très-haut
devinrent les maîtres absolus du
sort des chrétiens ; ils s' emparerent,
pour la vie, des esclaves que la crainte
et les préjugés leur soumirent ; ils se
les attacherent, et se rendirentcessaires
à eux, par une foule de pratiques
et de devoirs aussi puériles que
bizarres, qu' ils eurent soin de leur
faire regarder comme indispensablement
nécessaires au salut. Ils leur firent,
de l' omission de ces devoirs,
des crimes bien plus graves, que de la
violation manifeste des régles de la
morale et de la raison.
Ne soyons donc point étonnés, si
dans les sectes les plus chrétiennes,
c' est-à-dire, les plus superstitieuses,
p213
nous voyons l' homme perpétuellement
infesté par des prêtres. à peine est-il
sorti du sein de sa mere, que, sous
prétexte de le laver d' une prétendue
tache originelle , son prêtre le baptise
pour de l' argent, le réconcilie avec un
dieu qu' il n' a point encore pu offenser ;
à l' aide de paroles et d' enchantemens,
il l' arrache au domaine du
démon. Dès l' enfance la plus tendre,
son éducation est ordinairement confiée
à des prêtres, dont le principal
objet est de lui inculquer de bonne
heure les préjugés nécessaires à leurs
vues ; ils lui inspirent des terreurs, qui
se multiplieront en lui pendant toute
sa vie ; ils l' instruisent dans les fables
d' une religion merveilleuse, dans ses
dogmes insensés, dans ses mystères
incompréhensibles ; en un mot, ils en
font un chrétien superstitieux, et jamais
ils n' en font un citoyen utile, un
homme éclairé. Il n' est qu' une chose
p214
qu' on lui montre comme nécessaire,
c' est d' être dévotement soumis à sa religion.
Sois dévot, lui dit-on, sois
aveugle, méprise ta raison, occupe-toi
du ciel, et néglige la terre, c' est
tout ce que Dieu te demande pour te
conduire au bonheur.
Pour entretenir le chrétien dans les
idées abjectes et fanatiques, dont sa
jeunesse fut imbue, ses prêtres, dans
quelques sectes, lui ordonnent de venir
souvent déposer dans leur sein ses
fautes les plus cachées, ses actions les
plus ignorées, ses pensées les plus
secretes ; ils le forcent de venir s' humilier
à leurs pieds, et rendre hommage
à leur pouvoir ; ils effrayent le coupable,
p215
et s' ils l' en jugent digne, ils le
concilient ensuite avec la divinité,
qui, sur l' ordre de son ministre, lui
remet les péchés dont il s' étoit souillé.
Les sectes chtiennes, qui admettent
cette pratique, nous la vantent comme
un frein très-utile aux moeurs, et
très-propre à contenir les passions des
hommes ; mais l' expérience nous prouve,
que les pays, où cet usage est le
plus fidélement obser, loin d' avoir
des moeurs plus pures que les autres,
en ont de plus dissolues. Ces expiations
si faciles ne font qu' enhardir au
crime. La vie des chrétiens est un
cercle deréglemens et de confessions
périodiques ; le sacerdoce profite seul
de cet usage, qui le met à portée d' exercer
un empire absolu sur les consciences
des hommes. Quelle doit être
la puissance d' un ordre d' hommes, qui
ouvrent et ferment à leur gré les portes
du ciel, qui ont les secrets des
familles, qui peuvent à volonté allumer
le fanatisme dans les esprits !
p216
Sans l' aveu du sacerdoce, le chrétien
ne peut participer à ses mystères
sacrés, les ptres ont le droit de l' en
exclure. Il pourroit se consoler de cette
privation prétendue ; mais les anathêmes,
ou excommunications des prêtres,
font par-tout un mal réel à l' homme ;
les peines spirituelles produisent des
effets temporels, et tout citoyen, qui
encourt la disgrace de l' église, est en
danger d' encourir celle du gouvernement,
et devient un objet odieux pour
ses concitoyens.
Nous avonsja vu que les ministres
de la religion se sont ingérés des
affaires du mariage ; sans leur aveu,
un chrétien ne peut devenir pere ; il
faut qu' il se soumette aux formes capricieuses
de la religion ; sans cela, la politique,
d' accord avec la religion, excluroit
ses enfans du rang des citoyens.
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Durant tout le cours de sa vie, le
chrétien, sous peine de se rendre coupable,
est obligé d' assister aux cérémonies
de son culte, aux instructions
de ses prêtres ; dès qu' il remplit fidélement
cet important devoir, il se croit
le favori de son dieu, et se persuade
qu' il ne doit plus rien à la société. C' est
ainsi que des pratiques inutiles prennent
la place de la morale, qui par-tout est
subordone à la religion, à
qui elle devroit commander.
Lorsque le terme de sa vie est venu,
étendu sur son lit, le chrétien est
encore assailli par ses prêtres dans ses
derniers instans. Dans quelques sectes
chrétiennes, la religion semble s' être
étudiée à rendre à l' homme sa mort
p218
mille fois plus amère. Un prêtre tranquille
vient porter l' allarme auprès du
grabat d' un mourant ; sous prétexte
de le réconcilier avec son dieu, il vient
lui faire savourer le spectacle de sa fin.
Si cet usage est destructeur pour les
citoyens, il est au moins très-utile
au sacerdoce, qui doit une grande
partie de ses richesses aux terreurs salutaires
qu' il inspire à propos aux chrétiens
riches et moribonds. La morale n' en
retire pas les mêmes fruits : l' expérience
nous montre, que la plûpart
des chrétiens, vivans avec sécurité
p219
dans le bordement, ou le crime, remettent
à la mort le soin de se réconcilier
avec Dieu : à l' aide d' un repentir
tardif, et des largesses qu' ils font au
sacerdoce, celui-ci expie leurs fautes,
et leur permet d' espérer que le ciel
met en oubli les rapines, les injustices
et les crimes qu' ils ont commis pendant
tout le cours d' une vie nuisible à
leurs semblables.
La mort même ne termine point
l' empire du sacerdoce sur les chrétiens
de quelques sectes ; les prêtres mettent
à profit son cadavre ; à prix d' argent,
on acquiert, pour sa dépouille mortelle,
le droit d' être déposé dans un
temple, et de répandre dans les villes
l' infection et la maladie. Que dis-je ? Le
pouvoir sacerdotal s' étendme au-delà
des bornes du trépas. On achéte
chérement les prieres de l' église, pour
délivrer les ames des morts des supplices
que l' on prétend destinés dans l' autre
monde à les purifier. Heureux les
p220
riches, dans une religion, où, à l' aide
de l' argent, on peut intéresser les favoris
de Dieu à le prier de remettre
les peines que sa justice immuable leur
avoit fait infliger !
Tels sont les principaux devoirs que
le christianisme recommande comme
nécessaires, et de l' observation desquels
il fait dépendre le salut. Telles
p221
sont les pratiques arbitraires, ridicules
et nuisibles, qu' il ose souvent substituer
aux devoirs de la société. Nous ne
combattrons pas les différentes pratiques
superstitieuses, admises avec respect
par quelques sectes, et rejettées
par d' autres, telles que les honneurs
rendus à la mémoire de ces pieux fanatiques,
de ces héros de l' enthousiasme,
de ces contemplateurs obscurs,
que le pontife romain met au nombre
des saints. Nous ne parlerons
pas de ces pélérinages, dont la superstition
des peuples fait tant de cas, ni
de ces indulgences, à l' aide desquelles
les péchés sont remis. Nous nous contenterons
de dire, que ces choses sont
commument plus respectées du peuple
qui les admet, que les régles de la
morale, qui souvent sont totalement
p222
ignorées. Il en coûte bien moins aux
hommes, de se conformer à des rites, à
des cérémonies, à des pratiques, que
d' être vertueux. Un bon chrétien est un
homme qui se conforme exactement à
ce que ses prêtres exigent de lui ; ceux-ci,
pour toutes vertus, lui demandent
d' être aveugle, libéral et soumis.
CHAPITRE 14
des effets politiques de la religion
chtienne.
aprés avoir vu l' inutilité, et même
le danger des perfections, des vertus
et des devoirs, que la religion chrétienne
nous propose, voyons si elle a
de plus heureuses influences sur la politique,
ou si elle procure un bien-être
réel aux nations chez qui cette religion
est établie, et seroit fidélement
observée. D' abord, nous trouvons que
par-tout le christianisme est admis,
il s' établit deux législations opposées
p223
l' une à l' autre, et qui se combattent
ciproquement. La politique est faite
pour maintenir l' union et la concorde
entre les citoyens. La religion chrétienne,
quoiqu' elle leur prêche de s' aimer,
et de vivre en paix, anéantit
bientôt ce précepte, par les divisions
nécessaires qui doivent s' élever parmi
ses sectateurs, qui sont forcés d' entendre
diversement les oracles ambigus
que les livres saints leur annoncent.
Dès le commencement du christianisme,
nous voyons des disputes très-vives
entre ses docteurs. Depuis,
nous ne trouvons, dans tous les siécles,
que des schismes, des hérésies,
suivis de persécutions et de combats,
p224
très-propres à détruire cette concorde
si vantée, qui devient impossible dans
une religion tout est obscurité. Dans
toutes les disputes religieuses, les deux
partis croyent avoir Dieu de leur côté,
par conséquent ils sont opiniâtres.
Comment ne le seroient-ils pas, puisqu' ils
confondent la cause de Dieu avec
celle de leur vanité ? Ainsi, peu disposés
à céder de part et d' autre, ils se
combattent, se tourmentent, se déchirent,
jusqu' à ce que la force ait décidé
de querelles qui jamais ne sont
du ressort du bon sens. En effet, dans
toutes les dissensions qui se sont élevées
parmi les chrétiens, l' autorité
politique fut toujours obligée d' intervenir ;
les souverains prirent parti
dans les disputes frivoles des prêtres,
qu' ils regarderent comme des objets
de la derniere importance. Dans une
religion, établie par un dieu lui-même,
il n' est point de minuties ; en conséquence,
les princes s' armerent contre
p225
une partie de leurs sujets ; la façon
de penser de la cour décida de la
croyance et de la foi des sujets ; les
opinions qu' elle appuya, furent les
seules véritables ; les satellites furent
les gardiens de l' orthodoxie , les autres
devinrent des hérétiques et des rebelles,
que les premiers se firent un devoir
d' exterminer.
Les préjugés des princes, ou leur
fausse politique, leur ont toujours fait
regarder ceux de leurs sujets, qui
n' avoient point les mêmes opinions
qu' eux sur la religion, comme de mauvais
citoyens, dangereux pour l' état,
comme des ennemis de leur pouvoir.
p226
Si laissant aux prêtres le soin de vuider
leurs querelles impertinentes, ils
n' eussent point persécuté, pour leur
donner du poids, ces querelles se seroient
assoupies d' elles-mêmes, ou
n' eussent point intéressé la tranquillité
publique. Si ces rois, impartiaux,
eussent récompensé les bons, et puni les
chans, sans avoir égard à leurs spéculations,
à leur culte, à des cérémonies, ils n' eussent
pas forcé un grand nombre
de leurs sujets à devenir les
ennemis nés du pouvoir qui les opprimoit.
C' est à force d' injustices, de
violences et de persécutions, que les
princes chrétiens ont cherché de tout
tems à ramener les hérétiques. Le bon
sens n' eut-il pas dû leur montrer, que
cette conduite n' étoit propre qu' à faire
des hypocrites, des ennemis cachés,
oume à produire des révoltes.
p227
Mais ces réflexions ne sont point
faites pour des princes, que le christianisme
travaille dès l' enfance à remplir
de fanatisme et de préjugés. Il
leur inspire, pour toute vertu, un attachement
opiniâtre à des frivolités,
une ardeur impétueuse pour des dogmes
étrangers au bien de l' état, une
colere emportée contre tous ceux qui
refusent de plier sous leurs opinions
despotiques. Dès-lors, les souverains
trouvent plus court de détruire, que
de ramener par la douceur : leur despotisme
altier ne s' abbaisse point à raisonner.
La religion leur persuade que
la tyrannie est légitime, que la cruauté
est méritoire, quand il s' agit de la
cause du ciel.
p228
En effet, le christianisme changea
toujours en despotes et en tyrans les
souverains qui le favoriserent ; il les
représenta comme des divinités sur
la terre ; il fit respecter leurs caprices
comme les volontés du cielme ; il
leur livra les peuples comme des troupeaux
d' esclaves, dont ils pouvoient
disposer à leur gré. En faveur de leur
le pour la religion, il pardonna souvent
aux monarques les plus pervers,
les injustices, les violences, les crimes,
et sous peine d' irriter le très-haut,
il commanda aux nations de gémir,
sans murmurer, sous le glaive qui les
frappoit, au lieu de les protéger. Ne
soyons donc point surpris si, depuis
que la religion chrétienne s' est établie,
nous voyons tant de nations gémir
sous des tyrans dévots, qui n' eurent
d' autre mérite qu' un attachement aveugle
pour la religion, et qui d' ailleurs
se permirent les crimes les plus révoltans,
la tyrannie la plus affreuse, les
p229
débordemens les plus honteux, la licence
la plus effrénée. Quelques fussent
les injustices, les oppressions, les rapines
des souverains, ou religieux, ou
hypocrites, les prêtres eurent soin de
contenir leurs sujets. Ne soyons point
non plus étonnés de voir tant de princes,
incapables ou méchans, soutenir
à leur tour les intérêts d' une religion,
dont leur fausse politique avoit besoin,
pour soutenir leur autorité. Les rois
n' auroient aucun besoin de la superstition
pour gouverner les peuples,
s' ils avoient de l' équité, des lumieres
et des vertus, s' ils connoissoient et
pratiquoient leurs vrais devoirs, s' ils
s' occupoient véritablement du bonheur
de leurs sujets ; mais comme il est plus
aisé de se conformer à des rites, que
d' avoir des talens, ou de pratiquer
la vertu, le christianisme trouva trop
souvent, dans les princes, des appuis
disposés à le soutenir, et même des
bourreaux prêts à le servir.
p230
Les ministres de la religion n' eurent
pas la même complaisance pour les
souverains qui refuserent de faire cause
commune avec eux, d' embrasser leurs
querelles, de servir leurs passions ; ils
se souleverent contre ceux qui voulurent
leur résister, les punir de leurs
excès, les ramener à la raison, modérer
leurs prétentions ambitieuses,
toucher à leurs immunités . Les ptres
crierent alors à l' impié, au sacrilége ;
ils prétendirent que le souverain mettoit
la main à l' encensoir , usurpoit des
droits accordés par Dieu lui-même ;
en un mot, ils chercherent à soulever
les peuples contre l' autorité la plus
légitime ; ils armerent des fanatiques
contre les souverains, travestis en tyrans,
pour n' avoir point été soumis à l' église.
Le ciel fut toujours prêt à
venger les injustices faites à ses ministres ;
ceux-ci ne furent soumis eux-mêmes,
et ne prêcherent la soumission
aux autres, que quand il leur fut permis
p231
de partager l' autorité, ou quand
ils furent trop foibles pour lui résister.
Voilà pourquoi, dans la naissance du
christianisme, nous voyons ses apôtres
sans pouvoir prêcher la subordination ;
dès qu' il se vit soutenu, il prêcha la
persécution ; dès qu' il se vit puissant,
il prêcha la révolte, il déposa des rois,
il les fit égorger.
Dans toutes les sociétés politiques
le christianisme est établi, il subsiste
deux puissances rivales, qui luttent
continuellement l' une contre l' autre, et
par le combat desquelles l' état est
ordinairement déchiré. Les sujets se
partagent, les uns combattent pour
leur souverain, les autres combattent,
ou croyent combattre pour leur dieu.
Ces derniers doivent toujours, à la
fin, l' emporter, tant qu' il sera permis
au sacerdoce d' empoisonner l' esprit
des peuples, de fanatisme et de préjugés.
C' est en éclairant les sujets, qu' on
les empêchera de se livrer au fanatisme ;
p232
c' est en les affranchissant peu-à-peu
du joug de la superstition, qu' on
diminuera le pouvoir sacerdotal, qui
sera toujours sans bornes, et plus fort
que celui des rois, dans un pays ignorant
et couvert de ténébres.
Mais la plûpart des souverains craignent
qu' on n' éclaire les hommes ;
complices du sacerdoce, ils se liguent
avec lui, pour étouffer la raison, et
pour persécuter tous ceux qui ont le
courage de l' annoncer. Aveugles sur
leurs propres intérêts, et sur ceux de
leurs nations, ils ne cherchent à commander
qu' à des esclaves, que les prêtres
rendront déraisonnables à volonté.
Aussi voyons-nous une honteuse
ignorance, un découragement total
régner dans les pays où le christianisme
domine de la façon la plus absolue :
les souverains, ligués avec leurs
prêtres, semblent y conjurer la ruine
de la science, des arts, de l' industrie,
qui ne peuvent être que les enfans de
p233
la liberté de penser. Parmi les nations
chrétiennes, les moins superstitieuses
sont les plus libres, les plus puissantes,
les plus heureuses. Dans les pays, où
le despotisme spirituel est d' intelligence
avec le despotisme temporel, les
peuples croupissent dans l' inaction,
dans la paresse, dans l' engourdissement.
Les peuples de l' Europe, qui se
vantent de posséder la foi la plus pure,
ne sont pas assurément les plus florissans
et les plus puissans ; les souverains,
esclaves eux-mêmes de la religion,
ne commandent qu' à d' autres
esclaves, qui n' ont point assez d' énergie
et de courage pour s' enrichir eux-mêmes,
et pour travailler au bonheur
de l' état. Dans ces sortes de contrées,
le prêtre seul est opulent, le reste languit
dans la plus profonde indigence.
Mais qu' importent la puissance et le
bonheur des nations, à une religion
qui veut que ses sectateurs ne s' occupent
point de leur bonheur en ce monde,
p234
qui regarde les richesses comme
nuisibles, qui prêche un dieu pauvre,
qui recommande l' abjection d' ame et
la mortification des sens ? C' est, sans
doute, pour obliger les peuples à pratiquer
ces maximes, que le sacerdoce,
dans plusieurs états chtiens, s' est
emparé de la plus grande partie des richesses,
et vit dans la splendeur, tandis
que le reste des citoyens fait son salut
dans la misére.
p235
Tels sont les avantages que la religion
chrétienne procure aux sociétés
politiques ; elle forme un état indépendant
dans l' état ; elle rend les
peuples esclaves ; elle favorise la tyrannie
des souverains, quand ils sont
complaisans pour elle ; elle rend leurs
sujets rebelles et fanatiques, quand ces
souverains manquent de complaisance. Quand
elle s' accorde avec la politique,
elle écrase, elle avilit, elle appauvrit
les nations, et les prive de
science et d' industrie ; quand elle se
pare d' elle, elle rend les citoyens insociables,
turbulens, intolérans et rebelles.
Si nous examinons en détail les préceptes
p236
de cette religion, et les maximes
qui découlent de ses principes,
nous verrons qu' elle interdit tout ce
qui peut rendre un état florissant.
Nous avonsja vu les idées d' imperfection,
que le christianisme attache au
mariage, et l' estime qu' il fait du célibat :
ces idées ne sont point faites pour
favoriser la population, qui est, sans
contredit, la premiere source de
puissance pour un état.
Le commerce n' est pas moins contraire
aux vues d' une religion, dont
le fondateur prononce l' anathême contre
les riches, et les exclut du royaume
des cieux. Toute industrie est également
interdite à des chrétiens parfaits,
qui mènent une vie provisoire
sur la terre, et qui ne doivent jamais
s' occuper du lendemain.
p237
Ne faut-il pas qu' un chrétien soit
aussi téméraire qu' inconséquent, lorsqu' il
consent à servir dans les armées ?
Un homme, qui n' est jamais en droit
de présumer qu' il soit agréable à son
dieu, ou en état de grace , n' est-il pas
un extravagant de s' exposer à la damnation
éternelle ? Un chrétien, qui a
de la charité pour son prochain, et qui
doit aimer ses ennemis, ne devient-il
pas coupable du plus grand des crimes,
lorsqu' il donne la mort à un homme,
dont il ignore les dispositions, et qu' il
peut tout d' un coup précipiter dans
l' enfer. Un soldat est un monstre dans
le christianisme, à moins qu' il ne combatte
pour la cause de Dieu. S' il meurt
alors, il devient un martyr.
p238
Le christianisme déclara toujours la
guerre aux sciences et aux connoissances
humaines ; elles furent regardées
comme un obstacle au salut ; la science
enfle, dit un apôtre. Il ne faut, ni
raison, ni étude, à des hommes qui
doivent soumettre leur raison au joug
de la foi. De l' aveu des chrétiens, les
fondateurs de leur religion furent des
hommes grossiers et ignorans, il faut
que leurs disciples ne soient pas plus
éclairés qu' eux, pour admettre les fables
et les rêveries que ces ignorans
vérés leur ont transmises. On a
toujours remarqué, que les hommes
les plus éclairés ne sont communément
que de mauvais chrétiens.
Indépendamment de la foi, que la
science peut ébranler, elle détourne
le chrétien de l' oeuvre du salut , qui est
la seule véritablement nécessaire. Si la
science est utile à la société politique,
l' ignorance est bien plus utile à la
religion et à ses ministres. Les siécles,
p239
dépourvus de science et d' industrie,
furent des siécles d' or pour l' église de
Jésus-Christ. Ce fut alors que les rois
lui furent les plus soumis ; ce fut alors
que ses ministres attirerent dans leurs
mains toutes les richesses de la société.
Les prêtres d' une secte très-nombreuse
veulent que les hommes, qui leur sont
soumis, ignorent même les livres saints,
qui contiennent les régles qu' ils doivent
suivre. Leur conduite est sans
doute très-sage ; la lecture de la bible
est la plus propre de toutes à désabuser
un chrétien de son respect pour
la bible.
p241
En un mot, en suivant à la rigueur
les maximes du christianisme, nulle
société politique ne pourroit subsister.
Si l' on doutoit de cette assertion, que
l' on écoute ce que disent les premiers
docteurs de l' église, on verra que leur
morale est totalement incompatible
avec la conservation et la puissance
d' un état. On verra que, selon Lactance,
nul homme ne peut être soldat ;
que, selon s Justin, nul homme ne doit
se marier ; que, selon Tertullien, nul
homme ne peut être magistrat ; que,
selon s Chrysostome, nul homme ne
doit faire le commerce ; que, suivant un
très-grand nombre, nul homme ne
doit étudier. Enfin, en joignant ces
maximes à celles du sauveur du monde,
il en résultera qu' un chrétien, qui,
comme il le doit, tend à sa perfection,
est le membre le plus inutile à son pays,
à sa famille, à tous ceux qui l' entourent ;
c' est un contemplateur oisif, qui
ne pense qu' à l' autre vie, qui n' a rien
de commun avec les intérêts de ce
monde, et qui n' a rien de plus pressé
p242
que d' en sortir promptement.
écoutons Eusèbe de Césarée, et
voyons si le chrétien n' est pas un vrai
fanatique, dont la société ne peut tirer
aucun fruit. " le genre de vie, dit-il,
de l' église chrétienne surpasse notre
nature présente et la vie commune des
hommes ; on n' y cherche, ni ces, ni
enfans, ni richesses ; enfin elle est
totalement étrangere à la façon humaine
de vivre ; elle ne s' attache qu' au culte
divin ; elle n' est livrée qu' à un amour
immense des choses célestes. Ceux qui
la suivent ainsi, presquetachés de
la vie mortelle, et n' ayant que leurs
corps sur la terre, sont tout en esprit
dans le ciel, et l' habitent déja comme
des intelligences pures etlestes ; elles
prisent la vie des autres hommes " .
p243
Un homme, fortement persuadé des
rités du christianisme, ne peut, en
effet, s' attacher à rien ici bas ; tout est
pour lui une occasion de chûte ; tout
au moins letourneroit de penser à
son salut. Si les chrétiens, par bonheur,
n' étoient inconséquens, et ne
s' écartoient sans cesse de leurs spéculations
sublimes, ne renonçoient à
leur perfection fanatique, nulle société
chrétienne ne pourroit subsister, et
les nations, éclairées par l' evangile,
rentreroient dans l' état sauvage. On
ne verroit que des êtres farouches,
pour qui le lien social seroit entierement
brisé, qui ne feroient que prier
et gémir dans cette vallée de larmes,
et qui s' occuperoient de se rendre
eux-mêmes, et les autres, malheureux,
afin de mériter le ciel.
Enfin, une religion, dont les maximes
tendent à rendre les hommes intolérans,
les souverains persécuteurs,
les sujets, ou esclaves, ou rebelles ; une
p244
religion, dont les dogmes obscurs sont
des sujets éternels de disputes ; une
religion, dont les principes découragent
les hommes, et les détournent de
songer à leurs vrais intérêts ; une telle
religion, dis-je, est destructive pour
toute société.
CHAPITRE 15
de l' église, ou du sacerdoce des
chtiens.
il y eut de tout tems des hommes
qui surent mettre à profit les erreurs
de la terre. Les prêtres de toutes les
religions ont troule moyen de fonder
leur propre pouvoir, leurs richesses
et leurs grandeurs, sur les craintes
du vulgaire ; mais nulle religion n' eut
autant de raisons que le christianisme,
pour asservir les peuples au sacerdoce.
Les premiers prédicateurs de l' evangile,
les apôtres, les premiers prêtres
des chrétiens, leur sont représentés
p245
comme des hommes tout divins, inspirés
par l' esprit de Dieu, partageant
sa toute-puissance. Si chacun de leurs
successeurs ne jouit pas desmes prérogatives,
dans l' opinion de quelques
chrétiens, le corps de leurs prêtres,
l' église est continuellement illuminée
par l' esprit saint, qui ne l' abandonne
jamais ; elle jouit collectivement
de l' infaillibilité, et par conséquent ses
décisions deviennent aussi sacrées que
celles de la divinité même, ou ne sont
qu' une révélation perpétuée.
D' après ces notions si grandes, que
le christianisme nous donne du sacerdoce,
il doit, en vertu des droits qu' il
tient desus-Christ lui-même, commander
aux nations, ne trouver aucun obstacle
à ses volontés, faire plier les
rois mêmes sous son autorité. Ne
soyons donc point surpris du pouvoir
immense que les prêtres chrétiens ont
si longtems exercé dans le monde ; il
dut être illimité, puisqu' il se fondoit
p246
sur l' autorité du tout-puissant ; il dut
être despotique, parce que les hommes
ne sont point en droit de restreindre
le pouvoir divin ; il dut dégénérer en
abus, parce que les prêtres, qui l' exercerent,
furent des hommes enivrés et
corrompus par l' impunité.
Dans l' origine du christianisme, les
apôtres, en vertu de la mission de J C
prêcherent l' évangile aux juifs et aux
gentils ; la nouveauté de leur doctrine
leur attira, comme on a vu, des
prosélites dans le peuple ; les nouveaux
chrétiens, remplis de ferveur pour
leurs nouvelles opinions, formerent
dans chaque ville des congrégations
particulieres, qui furent gouvernées
par des hommes établis par les apôtres ;
ceux-ci ayant reçu la foi de la premiere
main, conserverent toujours l' inspection
sur les différentes sociétés chrétiennes
qu' ils avoient formées. Telle
paroît être l' origine des évêques , ou
inspecteurs , qui, dans l' église, se sont
p247
perpetués jusqu' à nous ; origine dont
se glorifient les princes des prêtres du
christianisme moderne. Dans cette
secte naissante, on sait que les associés
mirent leurs biens en commun ; il paroît
que ce fut un devoir qui s' exigeoit
avec rigueur ; puisque, sur l' ordre de
s Pierre, deux des nouveaux chrétiens
furent frappés de mort, pour avoir retenu
quelque chose de leur propre bien.
Les fonds résultans de cette communauté
étoient à la disposition des apôtres,
et après eux, des inspecteurs , ou
évêques , ou prêtres , qui les
remplacerent ; et comme il faut que le ptre
p248
vive de l' autel , on peut croire que ces
évêques se payerent, par leurs propres
mains, de leurs instructions, et
furent à portée de puiser dans le trésor
public. Ceux qui tenterent de nouvelles
conquêtes spirituelles, furent
obligés, sans doute, de se contenter
des contributions volontaires de ceux
qu' ils convertissoient. Quoi qu' il en
soit, les trésors, amassés par la crédule
piété des fidéles, devinrent l' objet
de la cupidité des prêtres, et mirent
la discorde entr' eux ; chacun d' eux
voulut gouverner, et disposer des deniers
de la communauté : de-là des brigues,
des factions, que nous voyons
commencer avec l' église de Dieu.
Les prêtres furent toujours ceux qui
revinrent les premiers de la ferveur
religieuse ; l' ambition et l' avarice dûrent
bientôt les détromper des maximes
p249
désintéressées qu' ils enseignoient aux autres.
Tant que le christianisme demeura
dans l' abjection, et fut persécuté, ses
évêques et ses prêtres, en discorde,
combattirent sourdement, et leurs querelles
n' éclaterent point au-dehors ;
mais lorsque Constantin voulut se fortifier
des secours d' un parti devenu
très-nombreux, et à qui son obscurité
avoit permis de s' étendre, tout changea
de face dans l' église ; les chefs des
chrétiens, séduits par l' autorité, et
devenus courtisans, se combattirent
ouvertement : ils engagerent les souverains
dans leurs querelles ; ils persécuterent
leurs rivaux, et peu-à-peu
comblés d' honneurs et de richesses,
on ne reconnut plus en eux les successeurs
de ces pauvres apôtres, ou
messagers , que Jésus avoit envoyés
pour prêcher sa doctrine ; ils devinrent
des princes, qui, soutenus par les armes
de l' opinion, furent en état de
p250
faire la loi aux souverains eux-mêmes,
et de mettre le monde en combustion.
Le pontificat, par une imprudence
fâcheuse, avoit été, sous Constantin,
paré de l' empire ; les empereurs
eurent bientôt lieu de s' en repentir.
En effet, l' évêque de Rome,
de cette ville jadis maîtresse du monde,
dont le seul nom étoit encore imposant
pour les nations, sut profiter habilement
des troubles de l' empire, des
invasions des barbares, de la foiblesse
des empereurs, trop éloignés pour
veiller sur leur conduite. Ainsi, à force
de menées et d' intrigues, le pontife
romain parvint à s' asseoir sur le
trône des Césars. Ce fut pour lui que
les émile et les Scipions avoient combattu ;
il fut regardé, dans l' occident,
comme le monarque de l' église, comme
l' évêque universel, comme le vicaire
de J C sur la terre, enfin, comme
l' organe infaillible de la divinité.
p251
Si ces titres hautains furent rejettés
dans l' orient, le pontife des romains
régna sans concurrent sur la plus grande
partie du monde chrétien ; il fut
un dieu sur terre ; par l' imbécillité
des souverains, il devint l' arbitre de
leurs destinées ; il fonda une théocratie ,
ou un gouvernement divin, dont il fut
le chef, et les rois furent ses lieutenans.
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Il les détrôna, il souleva les
peuples contre eux, quand ils eurent
l' audace de lui résister : en un mot,
ses armes spirituelles, pendant une longue
suite de siécles, furent plus fortes
que les temporelles ; il fut en possession
de distribuer des couronnes ; il
fut toujours obéi par les nations abruties ;
il divisa les princes, afin de régner
sur eux, et son empire dureroit
encore aujourd' hui, si le progrès des
lumieres, dont les souverains paroissent
pourtant si ennemis, ne les avoit
peu-à-peu affranchis, ou si ces souverains,
inconséquens aux principes
de leur religion, n' avoient pas plutôt
écouté l' ambition, que leur devoir.
p253
En effet, si les ministres de l' église
ont reçu leur pouvoir de Jésus-Christ
lui-même, c' est se révolter contre lui,
que desister à ses représentans. Les
rois, comme les sujets, ne peuvent sans
crime se soustraire à l' autorité de Dieu :
l' autorité spirituelle venant du monarque
leste, doit l' emporter sur la temporelle,
qui vient des hommes ; un prince
vraiment chrétien doit être le serviteur
de l' église, ou le premier esclave
des prêtres.
Ne soyons donc point étonnés, si,
dans les siécles d' ignorance, les prêtres
furent plus forts que les rois, et furent
toujours préférablement obéis par
les peuples, plus attachés aux intérêts
du ciel qu' à ceux de la terre. Chez
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des nations superstitieuses, la voix du
très-haut et de ses interprêtes doit
être bien plus écoutée que celle du devoir,
de la justice et de la raison. Un bon
chrétien, soumis à l' église, doit
être aveugle et déraisonnable, toutes
les fois que l' église l' ordonne ; qui a
droit de nous rendre absurdes, a le
droit de nous commander des crimes.
D' un autre côté, des hommes, dont
le pouvoir sur la terre vient de Dieu
me, ne peuvent dépendre d' aucun
pouvoir : ainsi, l' indépendance du sacerdoce
des chrétiens est fondée sur
les principes de leur religion : aussi
sut-il toujours s' en prévaloir. Il ne
faut donc point s' étonner, si les prêtres
du christianisme, enrichis et dotés
par la générosité des rois et des peuples,
connurent la vraie source de
leur opulence et de leurs priviléges.
Les hommes peuvent ôter ce que les
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hommes ont donné par surprise, ou
par imprudence ; les nations, détrompées
de leurs préjugés, pourroient un
jour réclamer contre des donations
extorquées par la crainte, ou surprises
par l' imposture. Les prêtres sentirent
tous ces inconvéniens ; ils prétendirent
donc qu' ils ne tenoient que de
Dieu seul ce que les hommes leur
avoient accordé, et par un miracle surprenant,
on les en crut sur leur parole.
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Ainsi, les intérêts du sacerdoce furent
parés de ceux de la société ; des
hommes, voués à Dieu, et choisis pour
être ses ministres, ne furent plus des
citoyens ; ils ne furent point confondus
avec des sujets prophanes ; les loix
et les tribunaux civils n' eurent plus
aucun pouvoir sur eux ; ils ne furent
jugés que par des hommes de leur
propre corps. Par-là, les plus grands
excès demeurerent souvent impunis ;
leur personne, soumise à Dieu seul, fut
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inviolable et sacrée. Les souverains
furent obligés de défendre leurs possessions,
et de les protéger, sans qu' ils
contribuassent aux charges publiques,
ou du moins ils n' y contribuerent qu' autant
qu' il convint à leurs intérêts ; en
un mot, ces hommes révérés furent
impunément nuisibles et méchans, et
ne vécurent dans les sociétés, que
pour les dévorer, sous prétexte de
les repaître d' instructions, et de prier
pour elles.
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En effet, depuis dix-huit siécles,
quel fruit les nations ont-elles retiré
de leurs instructions ? Ces hommes infaillibles
ont-ils pu convenir entre eux
sur les points les plus essentiels d' une
religion révélée par la divinité ? Quelle
étrange révélation, que celle qui a besoin
de commentaires et d' interprêtations
continuels ? Que penser de ces
divines écritures, que chaque secte entend
si diversement ? Les peuples, nourris
sans cesse de l' instruction de tant de
pasteurs ; les peuples, éclairés des lumieres
de l' évangile, ne sont, ni plus
vertueux, ni plus instruits sur l' affaire
la plus importante pour eux. On leur
dit de se soumettre à l' église, et l' église
n' est jamais d' accord avec elle-me ;
elle s' occupe, dans tous les siécles,
à réformer, à expliquer, à détruire,
à rétablir sa céleste doctrine ;
ses ministres créent au besoin de nouveaux
dogmes, inconnus aux fondateurs
de l' église. Chaque âge voit naître
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de nouveaux mystères, de nouvelles
formules, de nouveaux articles
de foi. Malgré les inspirations de l' esprit
saint, le christianisme n' a jamais
pu atteindre la clarté, la simplicité, la
consistence, qui sont les preuves indubitables
d' un bon système. Ni les conciles , ni les
canons , ni cette foule de
crets et de loix, qui forment le code
de l' église, n' ont pu jusqu' ici fixer les
objets de la croyance de l' église.
Si un payen sensé vouloit embrasser
le christianisme, il seroit, dès les premiers
pas, jetté dans la plus grande
perpléxité, à la vue des sectes multipliées,
dont chacune prétend conduire
le plus rement au salut, et se conformer
le plus exactement à la parole
de Dieu. Pour laquelle de ces sectes
osera-t-il se déterminer, voyant qu' elles
se regardent avec horreur, et que plusieurs
d' entr' elles damnent impitoyablement
toutes les autres ; qu' au lieu de
se tolérer, elles se tourmentent et
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se persécutent ; et que celles, qui en
ont le pouvoir, font sentir à leurs rivales
les cruautés les plus étudiées, et
les fureurs les plus contraires au repos
des sociétés ? Car, ne nous y trompons
point, le christianisme, peu
content de violenter les hommes, pour
les soumettre extérieurement à son
culte, a inventé l' art de tyranniser la
pensée, et de tourmenter les consciences ;
art inconnu à toutes les superstitions
payennes. Le zèle des ministres
de l' église ne se borne point à l' extérieur,
ils fouillent jusque dans les replis
du coeur ; ils violent insolemment
son sanctuaire impénétrable ; ils justifient
leurs sacriléges et leurs ingénieuses
cruautés, par le grand intérêt qu' ils
prennent au salut des ames.
Tels sont les effets qui résultent nécessairement
des principes d' une religion, qui croit que
l' erreur est un crime digne de la colere de
son dieu. C' est en conséquence de ces idées, que
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les prêtres, du consentement des souverains,
sont chargés, dans certains
pays, de maintenir la foi dans sa
pureté. Juges dans leur propre cause,
ils condamnent aux flammes ceux dont
les opinions leur paroissent dangereuses ;
entourés delateurs, ils épient
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les actions et les discours des citoyens,
et sacrifient à leur sûreté tous ceux qui
leur font ombrage. C' est sur ces maximes
abominables, que l' inquisition est
fondée ; elle veut trouver des coupables,
c' est l' êtreja, que de lui avoir
donné des soupçons.
Voilà les principes d' un tribunal sanguinaire,
qui perpétue l' ignorance et
l' engourdissement des peuples par-tout
la fausse politique des rois lui permet
d' exercer ses fureurs. Dans des
pays, qui se croyent plus éclairés et
plus libres, nous voyons des évêques,
qui n' ont point honte de faire signer
des formules et des professions de foi à
ceux qui dépendent d' eux ; ils leur font
des questions captieuses. Que dis-je ?
Les femmes même ne sont point exemptes
de leurs recherches ; un prélat veut
savoir leur sentiment sur des subtilités
inintelligibles pour ceux mêmes qui
les ont inventées.
Les disputes, entre les prêtres du
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christianisme, firent naître des animosités,
des haines, des hérésies. Nous
en voyons, dès la naissance de l' église.
Un système, fonsur des merveilles,
des fables, des oracles obscurs, doit
être une source féconde de querelles.
Au lieu de s' occuper de connoissances
utiles, les théologiens ne s' occuperent
jamais que de leurs dogmes ; au lieu
d' étudier la vraie morale, et de faire
connoître aux peuples leurs vrais devoirs,
ils chercherent à faire des adhérens.
Les prêtres du christianisme amuserent
leur oisiveté par les spéculations
inutiles d' une science barbare et énigmatique,
qui, sous le nom de science de
Dieu, ou de théologie , s' attira les
respects du vulgaire. Ce système, d' une
ignorance présomptueuse, opiniâtre et
raisonnée, semblable au dieu des chrétiens,
fut incomphensible comme lui.
Ainsi, les disputes nâquirent des disputes.
Souvent des génies profonds, et
dignes d' être regrettés, s' occuperent
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paisiblement de subtilités puériles, de
questions oiseuses, d' opinions arbitraires,
qui, loin d' être utiles à la société,
ne firent que la troubler. Les peuples
entrerent dans des querelles qu' ils
n' entendirent jamais ; les princes prirent
la défense de ceux des ptres
qu' ils voulurent favoriser ; ils déciderent
à coups d' épée l' orthodoxie ; et le
parti qu' ils choisirent, accabla tous les
autres ; car les souverains se croyent
toujours obligés de se mêler des disputes
théologiques ; ils ne voyent pas,
qu' en s' en lant, ils leur donnent de
l' importance et du poids, et toujours
les prêtres chrétiens appellerent des
secours humains, pour soutenir des
opinions, dont pourtant ils croyoient
que Dieu leur avoit garanti la durée.
Lesros, que nous trouvons dans
les annales de l' église, ne nous montrent
que des fanatiques opiniâtres, qui
furent les victimes de leurs folles idées ;
ou des persécuteurs furieux, qui traiterent
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leurs adversaires avec la plus
grande inhumanité ; ou des factieux,
qui troublerent les nations. Le monde,
du tems de nos peres, s' est dépeuplé,
pour défendre des extravagances qui
font rire une postérité, qui n' est pas
moins insensée qu' eux.
Presque dans tous les siécles, on se
plaignit hautement des abus de l' église ;
on parla de les réformer. Malgré
cette prétendue réforme, dans le
chef et dans les membres de l' église, elle
fut toujours corrompue. Les prêtres
avides, turbulens, séditieux, firent
gémir les nations sous le poids de leurs
vices, et les princes furent trop foibles
pour les ramener à la raison. Ce
ne fut que les divisions et les querelles
de ces tyrans, qui diminuerent la pesanteur
de leur joug, pour les peuples
et pour les souverains. L' empire du
pontife romain, après avoir duré un
grand nombre de siécles, fut enfin
ébranlé par des enthousiastes irrités,
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par des sujets rebelles, qui oserent examiner
les droits de ce despote redoutable :
plusieurs princes, fatigués de
leur esclavage et de leur pauvreté, embrasserent
des opinions qui les mirent à
portée de s' emparer des dépouilles
du clergé. Ainsi, l' unité de l' église fut
déchirée, les sectes se multiplierent,
et chacune combattit pour défendre
son système.
Les fondateurs de cette nouvelle
secte, que le pontife de Rome traite
de novateurs , d' hérétiques , et d' impies,
renoncerent, à la vérité, à quelques-unes
de leurs anciennes opinions ; mais
contens d' avoir fait quelques pas vers
la raison, ils n' oserent jamais secouer
entierement le joug de la superstition ;
ils continuerent à respecter les livres
saints des chrétiens ; ils les regarderent
comme les seuls guides des fidéles ;
ils prétendirent y trouver les principes
de leurs opinions ; enfin, ils mirent
ces livres obscurs,chacun peut
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trouver aisément tout ce qu' il veut, et
la divinité parle souvent un langage
contradictoire, entre les mains de leurs
sectateurs, qui, bientôt égarés dans
ce labyrinthe tortueux, firent éclorre
de nouvelles sectes.
Ainsi, les chefs des sectes, les prétendus
formateurs de l' église, ne firent
qu' entrevoir la vérité, ou ne s' attacherent
qu' à des minuties ; ils continuerent
à respecter les oracles sacrés
des chrétiens, à reconnoître leur dieu
cruel et bizarre ; ils admirent sa
mythologie extravagante, ses dogmes
opposés à la raison ; enfin, ils adopterent
des mystères les plus incompréhensibles,
en se rendant pourtant difficiles
sur quelques autres. Ne soyons donc
point surpris, si, malgré les réformes,
p268
le fanatisme, les disputes, les persécutions
et les guerres se firent sentir dans
toute l' Europe ; les rêveries des novateurs
ne firent que la plonger dans de
nouvelles infortunes ; le sang coula de
toutes parts, et les peuples ne furent,
ni plus raisonnables, ni plus heureux.
Les prêtres de toutes les sectes voulurent
toujours dominer, et faire regarder
leurs décisions comme infaillibles
et sacrées : toujours ils persécuterent,
quand ils en eurent le pouvoir ; toujours
les nations se prêterent à leurs fureurs ;
toujours les états furent ébranlés par
leurs fatales opinions. L' intolérance
et l' esprit de persécution sont
de l' essence de toute secte qui aura le
christianisme pour base ; un dieu cruel,
partial, qui s' irrite des opinions des
hommes, ne peut s' accommoder d' une
religion douce et humaine. Enfin,
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dans toute secte chrétienne, le prêtre
exercera toujours un pouvoir qui
peut devenir funeste à l' état ; il y formera
des enthousiastes, des hommes
mystiques, des fanatiques, qui exciteront
des troubles, toutes les fois
qu' on leur fera entendre que la cause de
Dieu le demande, que l' église est en
danger , qu' il s' agit de combattre pour
la gloire du très-haut.
Aussi voyons-nous, dans les pays
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chrétiens, la puissance temporelle servilement
soumise au sacerdoce, occupée
à ecuter ses volontés, à exterminer
ses ennemis, à travailler à sa
grandeur, à maintenir ses droits, ses
richesses, ses immunités. Dans presque
toutes les nations soumises à l' évangile,
les hommes les plus oisifs,
les plus séditieux, les plus inutiles et
les plus dangereux, sont les plus honorés
et les mieux récompensés. La
superstition du peuple lui fait croire
qu' il n' en fait jamais assez pour les ministres
de son dieu. Ces sentimens sont
les mes dans toutes les sectes.
Par-tout les prêtres en imposent aux
souverains, forcent la politique de
plier sous la religion, et s' opposent
aux institutions les plus avantageuses
à l' état. Par-tout ils sont les
instituteurs de la jeunesse, qu' ils remplissent,
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dès l' enfance, de leurs tristes préjugés.
Cependant, c' est sur-tout dans les
contrées, qui sont restées soumises au
pontife romain, que le sacerdoce a
toujours joui du plus haut degré de richesses
et de pouvoir. La crédulité leur
soumit les rois eux-mêmes ; ceux-ci
ne furent que les exécuteurs de leurs
volontés souvent cruelles ; ils furent
prêts à tirer le glaive, toutes les fois
que le prêtre l' ordonna. Les monarques
de la secte romaine, plus
aveugles que tous les autres, eurent,
dans les ministres de l' église, une confiance
imprudente, qui fut cause, que
presque toujours ils se prêterent à leurs
vues intéressées. Cette secte effa toutes
les autres, par ses fureurs intolérantes,
et ses persécutions atroces. Son
humeur turbulente et cruelle la rendit
justement odieuse aux nations moins
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déraisonnables, c' est-à-dire, moins
chrétiennes.
N' en soyons point étons, la religion
romaine fut purement inventée
pour rendre le sacerdoce tout-puissant ;
ses prêtres eurent le talent de s' identifier
avec la divinité, leur cause fut
toujours la sienne, leur gloire devint
la gloire de Dieu, leurs décisions furent
des oracles divins, leurs biens
appartinrent au royaume du ciel ; leur
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orgueil, leur avarice, leurs cruautés,
furent légitimés par les intérêts de
leur céleste maître : bien plus, dans
cette secte le prêtre vit son souverain
à ses pieds, lui faire un humble aveu
de ses fautes, et lui demander d' être
concilié avec son dieu. Rarement
vit-on le prêtre user de son ministere
sacré pour le bonheur des peuples ;
il ne songea point à reprocher aux
monarques l' abus injuste de leur pouvoir,
les miséres de leurs sujets, les
pleurs des opprimés ; trop timide, ou
trop bon courtisan, pour faire tonner
la vérité dans leurs oreilles, il ne leur
parle point de ces véxations multipliées
sous lesquelles les nations gémissent,
de ces impôts onéreux qui les accablent,
de ces guerres inutiles qui les
détruisent, de ces invasions perpétuelles
des droits du citoyen ; ces objets
n' intéressent point l' église, qui
seroit au moins de quelque utilité, si
elle employoit son pouvoir pour mettre
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un frein aux excès des tyrans superstitieux.
Les terreurs de l' autre monde
seroient des mensonges pardonnables,
si elles servoient à faire trembler
les rois. Ce ne fut point là l' objet des
ministres de la religion ; ils ne
stipulerent presque jamais les intérêts des
peuples ; ils encenserent la tyrannie ;
ils eurent de l' indulgence pour ses
crimes réels ; ils lui fournirent des
expiations aisées ; ils lui promirent le
pardon du ciel, si elle entroit avec
chaleur dans ses querelles. Ainsi, dans la
religion romaine, le sacerdoce régna
sur les rois ; il fut par conséquent assu
de régner sur les sujets. La superstition
et le despotisme firent donc une
alliance éternelle, et unirent leurs
efforts, pour rendre les peuples esclaves
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et malheureux. Le prêtre subjugua
les sujets, par des terreurs religieuses,
pour que le souverain pût les
dévorer ; celui-ci, encompense, accorda
au prêtre la licence, l' opulence,
la grandeur, et s' engagea à détruire
tous ses ennemis.
Que dirons-nous de ces docteurs,
que les chrétiens appellent casuistes ;
de ces prétendus moralistes, qui ont
voulu mesurer jusqu' où la créature
peut, sans risquer son salut, offenser
son créateur ? Ces hommes profonds
ont enrichi la morale chrétienne d' un
ridicule tarif de péchés ; ils savent le degré
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de colére que chaque péché excite
dans la bile de l' être suprême. La
vraie morale n' a qu' une mesure pour
juger des fautes des hommes ; les plus
graves sont celles qui nuisent le plus
à la société. La conduite, qui fait tort
à nous-mêmes, est imprudente et déraisonnable ;
celle qui nuit aux autres,
est injuste et criminelle.
Tout, jusqu' à l' oisiveté même, est
compensé dans les prêtres du christianisme.
De ridicules fondations font
subsister dans l' aisance une foule de
fainéans, qui dévorent la société, sans
lui prêter aucun secours. Les peuples,
déjà accablés par des impôts, sont
encore tourmentés par des sangsues,
qui leur font acheter chérement des
prieres inutiles, ou qu' ils font négligemment ;
tandis que l' homme à talens,
le sçavant industrieux, le militaire
courageux, languissent dans l' indigence,
ou n' ont que le nécessaire,
des moines paresseux, et des prêtres
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oisifs, jouissent d' une abondance honteuse
pour les états qui la tolérent.
En un mot, le christianisme rend
les sociétés complices de tous les maux
que leur font les ministres de la divinité ;
ni l' inutilité de leurs prieres, prouvée
par l' expérience de tant de siécles,
ni les effets sanglans de leurs funestes
disputes, ni même leurs débordemens
et leurs excès, n' ont encore pu détromper
les nations de ces hommes divins,
à l' existence desquels elles ont la simplicité
de croire leur salut attaché.
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CHAPITRE 16
conclusion.
tout ce qui a été dit jusqu' ici,
prouve, de la fon la plus claire, que
la religion chrétienne est contraire à
la saine politique et au bien être des
nations. Elle ne peut être avantageuse
que pour des princes dépourvus de
lumieres et de vertus, qui se croiront
obligés de régner sur des esclaves, et
qui, pour les dépouiller et les tyranniser
impunément, se ligueront avec le
sacerdoce, dont la fonction fut toujours
de les tromper au nom du ciel. Mais
ces princes imprudens doivent se souvenir,
que pour réussir dans leurs projets,
ils ne peuvent se dispenser d' être
eux-mêmes les esclaves des prêtres,
qui tourneroient infailliblement contre
eux leurs armes sacrées, s' ils leur
manquoient de soumission, ou s' ils refusoient
de servir leurs passions.
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Nous avons vu plus haut, que la
religion chrétienne, par ses vertus
fanatiques, par ses perfections insensées,
par son zèle, n' est pas moins nuisible
à la saine morale, à la droite raison,
au bonheur des individus, à l' union des
familles. Il est aisé de sentir qu' un
chrétien, qui se propose un dieu lugubre
et souffrant, pour modéle, doit s' affliger
sans cesse, et se rendre malheureux.
Si ce monde n' est qu' un passage,
si cette vie n' est qu' un pélerinage,
il seroit bien insensé de s' attacher
à rien ici bas. Si son dieu est offensé,
soit par les actions, soit par les opinions
de ses semblables, il doit, s' il
en a le pouvoir, les en punir avec
vérité, sans cela il manqueroit de zèle
et d' affection pour ce dieu. Un bon
chrétien doit, ou fuir le monde, ou s' y
rendre incommode à lui-même et aux
autres.
Ces réflexions peuvent suffire pour
pondre à ceux qui prétendent que
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le christianisme est utile à la politique
et à la morale, et que, sans la religion,
l' homme ne peut avoir de vertus, ni être
un bon citoyen. L' inverse de cette
proposition est sans doute bien plus vraie,
et l' on peut assurer, qu' un chrétien parfait,
qui seroit conséquent aux principes
de sa religion, qui voudroit imiter
fidélement les hommes divins qu' elle lui
propose comme des modéles, qui
pratiqueroit des austérités, qui vivroit
dans la solitude, qui porteroit leur
enthousiasme, leur fanatisme, leur entêtement
dans la société, un tel homme,
dis-je, n' auroit aucunes vertus
réelles, seroit, ou un membre inutile
à l' état, ou un citoyen incommode et
dangereux.
p281
à en croire les partisans du christianisme,
il sembleroit qu' il n' existe point
de morale dans les pays où cette religion
n' est point établie : cependant,
un coup d' oeil superficiel sur le monde,
nous prouve qu' il y a des vertus par-tout ;
sans elles, aucune société politique
ne pourroit subsister. Chez les
chinois, les indiens, les mahométans,
il existe, sans doute, de bons
peres, de bons maris, des enfans dociles
et reconnoissans, des sujets fidéles
à leurs princes, et les gens de bien
y seroient, ainsi que parmi nous, plus
nombreux, s' ils étoient bien gouvernés,
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et si une sage politique, au lieu
de leur faire enseigner, dès l' enfance,
des religions insensées, leur donnoit
des loix équitables, leur faisoit enseigner
une morale pure, et non dépravée
par le fanatisme, les invitoit à bien
faire, par des récompenses, et les
détournoit du crime, par des châtimens
sensibles.
En effet, je le répète, il semble que
par-tout la religion n' ait été inventée,
que pour épargner aux souverains le
soin d' être justes, de faire de bonnes
loix, et de bien gouverner. La religion
est l' art d' enivrer les hommes de
l' enthousiasme, pour les empêcher de
s' occuper des maux, dont ceux qui les
gouvernent, les accablent ici bas. à
l' aide des puissances invisibles, dont on
les menace, on les force de souffrir en
silence les miséres dont ils sont affligés
par les puissances visibles ; on leur
fait espérer, que s' ils consentent à être
malheureux en ce monde, ils seront
plus heureux dans un autre.
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C' est ainsi que la religion est devenue
le plus grand ressort d' une politique
injuste et lâche, qui a cru qu' il falloit
tromper les hommes, pour les gouverner
plus aisément. Loin des princes
éclairés et vertueux des moyens si
bas ; qu' ils apprennent leurs véritables
intérêts ; qu' ils sachent qu' ils sont liés
à ceux de leurs sujets ; qu' ils sachent
qu' ils ne peuvent être eux-mêmes réellement
puissans, s' ils ne sont pas servis par
des citoyens courageux, actifs,
industrieux et vertueux, attachés à la
personne de leurs maîtres ; que ces
maîtres sachent enfin, que l' attachement
de leurs sujets ne peut être fondé
que sur le bonheur qu' on leur procure.
Si les rois étoient pénétrés de ces importantes
rités, ils n' auroient besoin,
ni de religion, ni de prêtres,
pour gouverner les nations. Qu' ils
soient justes, qu' ils soient équitables,
qu' ils soient exacts à récompenser les
talens et les vertus, et à décourager
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l' inutilité, les vices et le crime, et bientôt
leurs états se rempliront de citoyens
utiles, qui sentiront que leur
propre intérêt les invite à servir la patrie,
à la défendre, à chérir le souverain,
qui sera l' instrument de sa félicité ;
ils n' auront besoin, ni de révélation,
ni de mystères, ni de paradis,
ni d' enfer, pour remplir leurs devoirs.
La morale sera toujours vaine, si
elle n' est appuyée par l' autorité suprême.
C' est le souverain qui doit être le
souverain pontife de son peuple ; c' est
à lui seul qu' il appartient d' enseigner
la morale, d' inviter à la vertu, de forcer
à la justice, de donner de bons
exemples, deprimer les abus et les
vices. Il affoiblit sa puissance, dès qu' il
permet qu' il s' élève, dans ses états,
une puissance, dont les intérêts sont
divisés des siens, dont la morale n' a
rien de commun avec celle qui est nécessaire
à ses sujets, dont les principes
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sont directement contraires à ceux
qui sont utiles à la société. C' est pour
s' être reposés de l' éducation, sur des
prêtres enthousiastes et fanatiques, que
les princes chrétiens n' ont dans leurs
états que des superstitieux, qui n' ont
d' autre vertu qu' une foi aveugle, un
le emporté, une soumission peu raisonnée
à desrémonies puériles, en
un mot, des notions bizarres, qui
n' influent point sur leur conduite, ou
ne la rendent point meilleure.
En effet, malgré les heureuses influences
qu' on attribue à la religion
chrétienne, voyons-nous plus de vertus
dans ceux qui la professent, que
dans ceux qui l' ignorent ? Les hommes,
rachetés par le sang d' un dieu
me, sont-ils plus justes, plus réglés,
plus honnêtes que d' autres ? Parmi
ces chrétiens, si persuadés de leur
religion, sans doute qu' on ne trouve
point d' oppressions, de rapines, de
fornications, d' adultères ? Parmi ces
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courtisans pleins de foi, on ne voit,
ni intrigues, ni perfidies, ni calomnies ?
Parmi ces prêtres, qui annoncent
aux autres des dogmes redoutables,
des châtimens terribles, comment
trouveroit-on des injustices, des
vices, des noirceurs ? Enfin, sont-ce
des incrédules, ou des esprits forts ,
que ces malheureux, que leurs excès
font tous les jours conduire au supplice ?
Tous ces hommes sont des
chrétiens, pour qui la religion n' est
point un frein, qui violent sans cesse
les devoirs les plus évidens de la
morale, qui offensent sciemment un dieu
qu' ils savent avoir irrité, et qui se flattent,
à la mort, de pouvoir, par un
repentir tardif, appaiser le ciel, qu' ils ont
outragé pendant tout le cours de leur vie.
Nous ne nierons point cependant,
que la religion chrétienne ne soit quelquefois
un frein pour quelques ames
timorées, qui n' ont point la fougue,
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ni l' énergie malheureuse, qui font commettre
les grands crimes, ni l' endurcissement,
que l' habitude du vice fait
contracter. Mais ces ames timides eussent
été honnêtes, même sans religion ;
la crainte de se rendre odieux à leurs
semblables, d' encourir le mépris, de
perdre leur réputation, eussent également
retenu des hommes de cette trempe.
Ceux qui sont assez aveugles
pour fouler aux pieds ces considérations,
les priseront également, malgré
toutes les menaces de la religion.
On ne peut pas nier non plus, que
la crainte d' un dieu, qui voit les pensées
les plus secrettes des hommes, ne
soit un frein pour bien des gens ; mais
ce frein ne peut rien sur les fortes passions,
dont le propre est d' aveugler sur
tous les objets nuisibles à la société.
D' un autre côté, un homme habituellement
honnête, n' a pas besoin d' être vu,
pour bien faire ; il craint d' être
obligé de se mépriser lui-même, d' être
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forcé de se haïr, d' éprouver des remords,
sentimens affreux pour quiconque
n' est pas endurci dans le crime.
Que l' on ne nous dise point, que, sans
la crainte de Dieu, l' homme ne peut
éprouver des remords. Tout homme,
qui a reçu une éducation honnête, est
forcé d' éprouver en lui-même un
sentiment douloureux, mêlé de honte et
de crainte, toutes les fois qu' il envisage
les actions deshonorantes, dont
il a pu se souiller : il se juge souvent
lui-même, avec plus de sévérité que ne
feroient les autres ; il redoute les regards
de ses semblables ; il voudroit
se fuir lui-même, et c' est là ce qui constitue
les remords.
En un mot, la religion ne met aucun
frein aux passions des hommes,
que la raison, que l' éducation, que la
saine morale ne puissent y mettre bien
plus efficacement. Si les méchans
étoient assurés d' être punis, toutes les
fois qu' il leur vient en pensée de commettre
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une action deshonnête, ils seroient
forcés de s' en désister. Dans une
société bien constituée, le mépris devroit
toujours accompagner le vice,
et les châtimens suivre le crime ; l' éducation,
guidée par les intérêts publics,
devroit toujours apprendre aux
hommes à s' estimer eux-mêmes, à redouter
le mépris des autres, à craindre
l' infamie plus que la mort. Mais
cette morale ne peut être du goût d' une
religion, qui dit de se mépriser, de se
haïr, de fuir l' estime des autres, de
ne chercher à plaire qu' à un dieu,
dont la conduite est inexplicable.
Enfin, si la religion chrétienne est,
comme on le prétend, un frein aux
crimes cachés des hommes, si elle opére
des effets salutaires sur quelques individus,
ces avantages si rares, si foibles,
si douteux, peuvent-ils être comparés
aux maux visibles, assurés et immenses,
que cette religion a produits
sur la terre ? Quelques crimes obscurs
p290
prévenus, quelques conversions inutiles
à la société, quelques repentirs stériles
et tardifs, quelques futiles restitutions,
peuvent-ils entrer dans la balance
vis-à-vis des dissensions continuelles,
des guerres sanglantes, des massacres
affreux, des persécutions, des
cruautés inouies, dont la religion chrétienne
fut la cause et le ptexte depuis
sa fondation ? Contre une pensée
secrette que cette religion fait étouffer,
elle arme des nations entieres
pour leur destruction réciproque ; elle
porte l' incendie dans le coeur d' un
million de fanatiques ; elle met le trouble
dans les familles et dans les états ;
elle arrose la terre de larmes et de sang.
Que le bon sens décide, après cela,
des avantages que procure aux chrétiens
la bonne nouvelle que leur dieu est
venu leur annoncer.
Beaucoup de personnes honnêtes,
et convaincues des maux que le christianisme
fait aux hommes, ne laissent
p291
pas de le regarder comme un mal nécessaire,
et que l' on ne pourroit, sans
danger, chercher à déraciner. L' homme,
nous disent-ils, est superstitieux ;
il lui faut des chimères ; il s' irrite, lorsqu' on
veut les lui ôter. Mais jeponds,
que l' homme n' est superstitieux, que
parce que dès l' enfance tout contribue
à le rendre tel ; il attend son bonheur
de ses chimères, parce que son gouvernement
trop souvent lui refuse des réalités ;
il ne s' irritera jamais contre ses
souverains, quand ils lui feront du
bien ; ceux-ci seront alors plus forts
que les prêtres et que son dieu.
En effet, c' est le souverain seul qui
peut ramener les peuples à la raison ;
il obtiendra leur confiance et leur amour,
en leur faisant du bien ; il les
détrompera peu-à-peu de leurs chimères,
s' il en est lui-même détrompé ;
il empêchera la superstition de nuire,
en la méprisant, en ne se mêlant jamais
de ses futiles querelles, en la divisant,
p292
en autorisant la tolérance des
différentes sectes, qui se battront réciproquement,
qui se démasqueront, qui
se rendront mutuellement ridicules :
enfin, la superstition tombera d' elle-même,
si le prince, rendant aux esprits la
liberté, permet à la raison de
combattre ses folies. La vraie tolérance
et la liberté de penser sont les véritables
contrepoisons du fanatisme religieux ;
en les mettant en usage, un
prince sera toujours le maître dans ses
états ; il ne partagera point sa puissance
avec des prêtres séditieux, qui
n' ont point de pouvoir contre un prince
éclairé, ferme et vertueux. L' imposture
est timide, les armes lui tombent
des mains à l' aspect d' un monarque
qui ose la mépriser, et qui est soutenu
par l' amour de ses peuples et par
la force de la vérité.
Si une politique criminelle et ignorante
a presque partout fait usage de
la religion, pour asservir les peuples,
p293
et les rendre malheureux, qu' une politique
vertueuse et plus éclairée l' affoiblisse
et l' anéantisse peu-à-peu, pour
rendre les nations heureuses ; si
jusqu' ici l' éducation n' a servi qu' à former
des enthousiastes et des fanatiques,
qu' une éducation plus sensée forme de
bons citoyens ; si une morale, étayée
par le merveilleux, et fondée sur l' avenir,
n' a point été capable de mettre
un frein aux passions des hommes,
qu' une morale, établie sur les besoins
réels et présens de l' espéce humaine,
leur prouve que, dans une société bien
constituée, le bonheur est toujours la
compense de la vertu ; la honte, le
pris et les châtimens, sont la solde
du vice et les compagnons du crime.
Ainsi, que les souverains ne craignent
point de voir leurs sujets détrompés
d' une superstition qui les asservit eux-mêmes,
et qui, depuis tant de siécles,
s' oppose au bonheur de leurs états.
Si l' erreur est un mal, qu' ils lui opposent
p294
la vérité ; si l' enthousiasme est
nuisible, qu' ils le combattent avec
les armes de la raison ; qu' ils reléguent en
Asie une religion enfantée par l' imagination
ardente des orientaux ; que
notre Europe soit raisonnable, heureuse
et libre ; qu' on y voye régner
les moeurs, l' activité, la grandeur
d' ame, l' industrie, la sociabilité, le
repos ; qu' à l' ombre des loix, le souverain
commande et le sujet obéisse ; que
tous deux jouissent de la sûreté. N' est-il
donc point permis à la raison d' espérer
qu' elle répandra quelque jour
un pouvoir depuis si longtems usur
par l' erreur, l' illusion et le prestige ?
Les nations ne renonceront-elles jamais
à des espérances chimériques, pour
songer à leurs véritables intérêts ? Ne
secoueront-elles jamais le joug de ces
prêtres hautains, de ces tyrans sacrés,
qui seuls sont intéressés aux erreurs de
la terre ? Non, gardons-nous de le
croire ; la vérité doit à la fin triompher
p295
du mensonge ; les princes et les peuples,
fatigués de leur crédulité, recourront
à elle ; la raison brisera leurs chaînes ;
les fers de la superstition se rompront
à sa voix souveraine, faite pour
commander sans partage à des êtres
intelligens. amen.
CHAPITRE 3
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