couronne de soleil. Quoique chétive pour le pays, elle n'était pas maigre,
loin de là ; on voulait dire simplement qu'elle n'aurait pas pu lever un sac
de blé ; mais elle devenait toute potelée avec l'âge, elle devait finir par être
ronde et friande comme une caille. Seulement, les longs silences de son
père l'avaient rendue raisonnable très jeune. Si elle riait toujours, c'était
pour faire plaisir aux autres. Au fond, elle était sérieuse.
Naturellement, tout le pays la courtisait, plus encore pour ses écus que
pour sa gentillesse. Et elle avait fini par faire un choix, qui venait de
scandaliser la contrée. De l'autre côté de la Morelle, vivait un grand
garçon, que l'on nommait Dominique Penquer. Il n'était pas de Rocreuse.
Dix ans auparavant, il était arrivé de Belgique, pour hériter d'un oncle, qui
possédait un petit bien, sur la lisière même de la forêt de Gagny, juste en
face du moulin, à quelques portées de fusil. Il venait pour vendre ce bien,
disait−il, et retourner chez lui. Mais le pays le charma, paraît−il, car il n'en
bougea plus. on le vit cultiver son bout de champ, récolter quelques
légumes dont il vivait. Il pêchait, il chassait ; plusieurs fois, les gardes
faillirent le prendre et lui dresser des procès−verbaux. Cette existence
libre, dont les paysans ne s'expliquaient pas bien les ressources, avait fini
par lui donner un mauvais renom. on le traitait vaguement de braconnier.
En tout cas, il était paresseux, car on le trouvait souvent endormi dans
l'herbe, à des heures où il aurait dû travailler. La masure qu'il habitait, sous
les derniers arbres de la forêt, ne semblait pas non plus la demeure d'un
honnête garçon. Il aurait eu un commerce avec les loups des ruines de
Gagny, que cela n'aurait point surpris les vieilles femmes.
Pourtant, les jeunes filles, parfois, se hasardaient à le défendre, car il était
superbe, cet homme louche, souple et grand comme un peuplier, très blanc
de peau, avec une barbe et des cheveux blonds qui semblaient de l'or au
soleil. Or, un beau matin, Françoise avait déclaré au père Merlier qu'elle
aimait Dominique et que jamais elle ne consentirait à épouser un autre
garçon.
On pense quel coup de massue le père Merlier reçut ce jour−là ! Il ne dit
rien, selon son habitude.
Il avait son visage réfléchi ; seulement, sa gaieté intérieure ne luisait plus
dans ses yeux. On se bouda pendant une semaine. Françoise, elle aussi,
était toute grave. Ce qui tourmentait le père Merlier, c'était de savoir
L'Attaque du Moulin
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