petits bras vigoureux que je repoussais avec peine, elle me dit en cherchant
ma bouche :
“ Mon coeur, tu ne saurais donc aimer tout ce que je te donne de
moi−même ? Tu as mes seins, tu as mes lèvres, mes jambes brûlantes, mes
cheveux odorants, tout mon corps dans tes embrassements et ma langue
dans mon baiser. Ce n'est donc pas assez tout cela ? Alors ce n'est pas moi
que tu aimes, mais seulement ce que je te refuse ? Toutes les femmes
peuvent te le donner pourquoi me le demandes−tu, à moi qui résiste ?
Est−ce parce que tu me sais vierge ? Il y en a d'autres, même à Séville. Je
te le jure, Mateo, j'en connais , Mon âme ! Mon sang ! aime−moi comme je
veux être aimée, peu à peu, et prends patience. Tu sais que je suis à toi, et
que je me garde pour toi seul. Que veux−tu de plus, mon coeur ? ” Il fut
convenu que nous nous verrions chez elle ou chez moi, et que tout serait
fait selon sa volonté. En échange d'une promesse de ma part, elle consentit
à ne plus remettre son affreuse cuirasse de toile ; mais ce fut tout ce que
j'obtins d'elle ; et encore la première nuit où elle ne la porta point, il me
sembla que ma torture en était encore avivée.
Voici donc le degré de servitude où cette enfant m'avait amené. (Je passe
sur les perpétuelles demandes d'argent qui interrompaient sa conversation
et auxquelles je cédais toujours ; − même en laissant cela de côté, la nature
de nos relations est d'un intérêt particulier) Je tenais donc chaque nuit dans
mes bras le corps nu d'une fille de quinze ans, sans doute élevée chez les
soeurs, mais d'une condition et d'une qualité d'âme qui excluaient toute
idée de vertu corporelle − et cette fille, d'ailleurs aussi ardente et aussi
passionnée qu'on pouvait le souhaiter, se comportait à mon égard comme si
la nature elle−même l'avait empêchée à jamais d'assouvir ses convoitises.
D'excuse valable à une pareille comédie, aucune n'était donnée, aucune
n'existait. Vous en devinerez vous−même la raison par la suite. Et moi, je
supportais qu'on me bernat ainsi.
Car ne vous y trompez pas, jeune Français, lecteur de romans et acteur
peut−être d'intrigues particulières avec les demi−virginités de villes d'eaux,
nos Andalouses n'ont ni le goût, ni l'intuition de l'amour artificiel. Ce sont
d'admirables amantes, mais qui ont des sens trop aigus pour supporter sans
frénésie les trilles d'une chanterelle superflue.
Entre Concha et moi, il ne se passait rien, mais rien, comprenez ce que
La Femme et le Pantin
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