flatteurs se saisissent de la confiance des princes, qui plongent bientôt leur
État dans un abîme de malheurs. Mais, lorsqu'il veut verser ses
bénédictions sur eux, il permet que des gens sincères aient le coeur de leurs
rois et leur montrent la vérité, dont ils ont besoin comme ceux qui sont
dans la tempête ont besoin d'une étoile favorable qui les éclaire.
Aussi voyons−nous, dans Daniel, que Dieu, irrité contre son peuple, met
au nombre des malheurs dont il veut l'affliger, que la vérité ne sera plus
écoutée, qu'elle sera prosternée à terre, dans un état de mépris et
d'humiliation : et prosternetur veritas in terra.
Pendant que les hommes de Dieu annonçaient à son peuple les arrêts du
Ciel, mille faux prophètes s'élevaient contre eux. Le peuple, incertain de la
route qu'il devait suivre, suspendu entre Dieu et Baal, ne savait de quel
côté se déterminer. C'est en vain qu'il cherchait des signes éclatants, qui
fixassent son incertitude. Ne savait−il pas que les magiciens de Pharaon,
remplis de la force de leur art, avaient essayé la puissance de Moïse et
l'avaient pour ainsi dire lassée ? À quel caractère pouvait−on donc
reconnaître les ministres du vrai Dieu ? Le voici : c'est à la sincérité avec
laquelle ils parlaient aux princes ; c'est à la liberté avec laquelle ils leur
annonçaient les vérités les plus fâcheuses, et cherchaient à ramener des
esprits séduits par des prêtres flatteurs et artificieux.
Les historiens de la Chine attribuent la longue durée et, si je l'ose dire,
l'immortalité de cet empire, aux droits qu'ont tous ceux qui approchent du
Prince, et surtout un principal officier nommé Kotaou, de l'avertir de ce
qu'il peut y avoir d'irrégulier dans sa conduite. L'empereur Tkiou, qu'on
peut justement nommer le Néron de la Chine, fit attacher en un jour, à une
colonne d'oirai enflammée, vingt−deux mandarins, qui s'étaient succédé les
uns les autres à ce dangereux emploi de Kotaou. Le tyran, fatigué de se
voir toujours reprocher de nouveaux crimes, céda à des gens qui
renaissaient sans cesse. Il fut étonné de la fermeté de ces âmes généreuses
et de l'impuissance des supplices, et la cruauté eut enfin des bornes, parce
que la vertu n'en eut point.
Dans une épreuve si forte et si périlleuse, on ne balança pas un moment
entre se taire et mourir ; les lois trouvèrent toujours des bouches qui
parlèrent pour elles ; la vertu ne fut point ébranlée, la vérité, trahie, la
constance, lassée ; le Ciel fit plus de prodiges que la Terre ne fit de crimes,
Éloge de la Sincérité
SECONDE PARTIE 8