pour un moment l' existence d' un établissement
dans lequel les enfants suivent les cours des meilleurs
professeurs dans tous les genres, et soient enfermés séparément
pendant l' intervalle des classes pour leur éviter
toute distraction. Ces enfants seraient par conséquent
entièrement
privés d' éducation : que leur arriverait-il quand
leurs études seraient terminées ? Que deviendraient-ils en
entrant dans le monde ?
Ces enfants ignoreraient ce qu' il y a de plus utile à savoir
pour bien vivre en société ; ils n' auraient aucune pratique
de la vie de relation ; ils auraient un très-long apprentissage
à faire pour se trouver en état de remplir une fonction
sociale quelconque ; et si on abandonnait à elle-même
une population ainsi élevée, elle se montrerait peu supérieure,
sous le rapport de la civilisation, à ce qu' ont été
les premières sociétés de l' espèce humaine.
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Nous ajouterons, à l' appui de ce que nous venons de dire,
qu' à chaque génération une partie de connaissances acquises
par les précédentes devient si vulgaire, que les pères ou
les surveillants des enfants les possèdent nécessairement,
ce qui les met en état de devenir à cet égard leurs professeurs.
Or, l' enseignement, sans apprêt, de ces notions
vulgaires, développe l' intelligence des enfants et les rend
infiniment plus propres à saisir les connaissances plus
abstraites
qu' ils reçoivent de leurs professeurs véritables.
C' est surtout chez la classe des prolétaires, et pour cette
classe, que l' éducation est infiniment plus importante que
l' instruction.
Cette vérité pouvant devenir féconde en conséquences,
nous allons la présenter avec quelques développements.
Supposons qu' il prenne fantaisie à un riche boyard de
faire apprendre la lecture et l' écriture à tous les paysans
qui lui appartiennent. Quelques Européens occidentaux, au
moyen de la méthode d' enseignement mutuel, parviendront
en peu d' années à satisfaire complètement ses désirs à cet
égard, sans qu' il lui en coûte beaucoup d' argent.
Cette opération censé terminée, comparons ces paysans
russes sachant lire et écrire, avec pareil nombre de prolétaires
français ne sachant ni lire ni écrire, et voyons quels
sont ceux dont les travaux seront les plus utiles à la société,
ceux qui seront les plus susceptibles d' être admis par les
lois au rang de sociétaires.
Ce seront incontestablement les Français, car ces Français,
quoiqu' ils ne sachent ni lire ni écrire, auront acquis,
par l' éducation qu' ils ont reçue de leurs parents, une capacité
bien plus grande que celle que peut procurer la faculté
de lire et d' écrire ; ils sont en état de bien administrer une