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Langue Française (InaLF)
De l'organisation sociale [Document électronique] / de Claude-Henri de Saint-
Simon
p109
DE L' ORGANISATION SOCIALE FRAGMENTS D' UN OUVRAGE INEDIT
PREMIER FRAGMENT>
Comparaison duveloppement de l' intelligence individuelle
et de l' intelligence générale.
Si on observe la manière dont se développent
les individus de l' espèce humaine, au moral et
au physique, depuis leur naissance jusqu' à leur
virilité, on reconnaît que leur développement
s' opère de deux manières différentes, et qui
concourent cependant vers un but commun, celui
du plus grand développement de leurs forces
morales et physiques dont leur organisation soit
susceptible.
Depuis la naissance des individus jusqu' à
l' époque de leur virilité, il s' effectue en eux un
perfectionnement du moral et du physique, qui
est graduel et continu, mais qui est très-lent.
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Ils éprouvent aussi plusieurs crises qui déterminent
en eux des progrès généraux et
très-rapides.
L' âge de sept ans est signalé chez eux par
une crise de dentition, à la suite de laquelle
leurs facultés sentimentales, et leur capacité en
moire, prennent un accroissement subit.
Vers l' âge de quatorze ans, les passions tendent
à s' affranchir de la dépendance à l' égard
des parents, et des liaisons de son choix
s' enflamment dans l' individu, enme temps
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qu' il acquiert la faculté de produire son
semblable.
A vingt et un ans, l' homme, parvenu au développement
complet de ses forces morales et
physiques, acquiert le caractère qui est propre
à son individu ; ses facultés se coordonnent et
se dirigent vers le but qui attrait le plus spécialement
son organisation particulière.
Si l' on observe ensuite les lois et les usages
que la société a établis pour régler sa conduite
à l' égard des enfants, depuis leur naissance jusqu' à
leur vingt et unième année, on voit que les
législateurs ont reconnu l' existence et les effets
des trois crises dont nous venons de parler, et
qu' ils ont proportionné les droits qu' ils ont accordés
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à la génération ascendante, d' après l' opinion
qu' ils ont conçue du développement intellectuel
qu' elle devait acquérir à sept, à quatorze
et à vingt et un ans.
Et il est de fait qu' ils ont déclaré les enfants
au-dessous de sept ans incapables de commettre
des péchés, c' est-à-dire incapables de régler eux-mêmes
leur conduite, et par conséquent de
commettre
des fautes dont ils fussent responsables,
et qui fussent justiciables des lois divines ou humaines ;
ils ont, en conséquence, construit la loi
de manière que les dispositions relatives aux
enfants avant leur septième année n' ont pour
objet que d' établir une surveillance générale de
la société sur la conduite de leurs protecteurs
naturels, et de fixer les moyens de les remplacer
quand ils viennent à leur manquer.
Les législateurs n' ont soumis qu' à des punitions
correctionnelles les enfants jusqu' à l' âge
de quatorze ans, quelque graves que fussent les
fautes qu' ils vinssent à commettre, et ils les ont
admis seulement à l' émancipation, dans le cas
ils auraient perdu leurs parents.
C' est à l' âge de vingt et un ans qu' ils ont fi
la majorité comme étant l' époque à laquelle les
individus ont, enral, acquis un développement
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d' intelligence suffisant, et une capaci
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de prévoyance assez étendue pour que les
intérêts généraux de la société n' exigent plus
qu' ils restent soumis à une surveillance
particulière.
Si, à la suite de cette classe d' observations,
l' on examine les usages admis par l' université,
relativement à l' éducation et à l' instruction publique,
on reconnaît qu' ils cadrent très-exactement
avec les dispositions législatives dont nous
venons de parler.
L' instruction publique des enfants ne commence
pas avant l' âge de sept ans.
Depuis sept ans jusqu' à quatorze, l' éducation
joue un rôle plus important que l' instruction,
c' est-à-dire que les surveillants de la conduite
des enfants, pendant ce laps de temps, exercent
dans les pensions et dans les colléges une plus
grande influence sur eux que les professeurs
dont ils reçoivent l' instruction.
Depuis quatorze ans jusqu' à vingt et un ans,
l' influence des professeurs sur les élèves est
beaucoup plus grande que celle exercée sur eux
par leurs surveillants.
Et à vingt et un ans, ceux qui continuent à
suivre des cours au collége de France ou dans
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d' autres établissements d' instruction publique se
trouventbarrassés de toute espèce de
surveillance.
Enfin, si l' on observe le degré de développement
intellectuel auquel se trouve aujourd' hui
parvenue la nation française (qui s' est placée,
par sa révolution, en tête de l' espèce humaine
sous le rapport de la civilisation), on reconnaît
qu' elle a subi sa troisième crise, et que son âge
social actuel correspond à celui de vingt et un
ans pour les individus ; on reconnaît aussi
qu' elle a proclamé sa majorité dans la nuit du
4 août, en abolissant toutes les institutions dérivées
de l' état d' esclavage, qui avait été la situation
primitive de la classe industrielle, c' est-à-dire
du corps de la nation.
Et après cela, si on veut produire une conclusion,
on combinera ensemble les observations
de différentes espèces que nous venons de présenter,
on les méditera, et on en tirera nécessairement
la conséquence suivante :
le peuple français, étant parvenu à sa majorité
comme nation, par l' effet des progrès de son
intelligence, il doit en résulter un changement
radical dans son organisation sociale.
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Parvenu au point de vue le plus élevé qui
puisse se rencontrer sur la route de la civilisation,
en suivant le sentier que nous venons de
tracer, le philosophe découvrira d' une part le
passé le plus reculé, de l' autre l' avenir le plus
éloigné ; il apercevra dans le fond du tableau la
formation de l' esclavage, institution philanthropique
pour l' époque de son établissement, puisqu' elle
a sauvé la vie à des milliards d' hommes ;
puisque nous lui devons l' immense population
à laquelle est parvenue l' espèce humaine, puisqu' elle
a été favorable aux progrès des lumières,
en fournissant à la classe des maîtres le moyen
de s' occuper du développement de leur intelligence ;
ce qu' ils n' auraient pu faire sans l' établissement
de l' esclavage, puisque leur temps
et leurs forces auraient été occupés par les travaux
nécessaires pour satisfaire leurs premiers
besoins. Il consirera ensuite, avec une vive satisfaction,
en suivant de l' oeil cette partie de la
route jusqu' au point où il se trouvera placé,
l' adoucissement de l' esclavage, le progrès des
lumières, l' amélioration graduelle du sort de l' espèce
humaine, et enfin, chez la nation française
qui forme aujourd' hui son avant-garde, l' anéantissement
complet de l' esclavage et l' aptitude à
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recevoir une organisation sociale, ayant directement
le bien de la majorité pour objet.
De ce point de vue, le philosophe, à chaque
coup d' oeil alternatif qu' il donnera sur le pas
et sur l' avenir, apercevra de plus en plus, des
différences tranchées entre l' existence sociale de
nos devanciers et celle de nos successeurs ; il
reconnaîtra que chez nos devanciers, le premier
degré d' importance sociale était accordé à la
naissance, à la faveur et à la capacité de gouverner,
et en se retournant du côté de l' avenir,
il apercevra l' importance sociale obtenue par la
plus grande capacité en morale, en science ou
en industrie.
En regardant les peuples en masse dans le
passé, il les verra luttant entre eux à main
armée ; en les considérant dans l' avenir, il les
verra rivalisant entre eux sous les trois grands
rapports de la morale, de la science et de
l' industrie.
Jusqu' à ce jour, les hommes ont marché dans
la route de la civilisation à reculons, du côté de
l' avenir ; ils ont eu habituellement la vue fixée
sur le passé et ils n' ont donné à l' avenir que des
coups d' oeil très-rares et très-superficiels. Aujourd' hui
que l' esclavage est anéanti, c' est sur
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l' avenir que l' homme doit principalement fixer
son attention.
L' action de gouverner aêtre, jusqu' à l' anéantissement
de l' esclavage, l' action préponrante ;
aujourd' hui, et de plus en plus, elle
ne doit plus être qu' une action subalterne.
DE L' ORGANISATION SOCIALE FRAGMENTS D' UN OUVRAGE INEDIT
SECOND FRAGMENT .>
Preuves que les prolétaires français sont capables de bien
administrer des propriétés.
Il s' agit de prouver ici que la classe la plus
nombreuse, en un mot, que le peuple se compose
aujourd' hui d' hommes qui n' ont plus
besoin d' être soumis à une surveillance particulière,
d' hommes dont l' intelligence est suffisamment
développée, et la capacité en prévoyance
assez épanouie pour qu' il puisse, sans
inconvénient, s' établir un système
d' organisation
sociale qui les admette comme sociétaires.
Le peuple peut être considéré comme divisé
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en deux classes : celle des ouvriers occupés des
travaux agricoles et celle des hommes employés
par les fabricants et par les négociants.
Examinons d' abord ce qui concerne les
cultivateurs.
Lors de la vente des domaines nationaux,
plusieurs milliers de prolétaires, profitant des
facilités sans bornes qui furent offertes à ceux
qui auraient assez de caractère pour se déclarer,
à la face de toute l' aristocratie européenne, acquéreurs
de ces biens, passèrent subitement
dans la classe des propriétaires territoriaux. Or,
la manière dont cette masse de prolétaires, devenus
subitement propriétaires, a dirigé l' administration
de ses propriétés, a prouvé et constaté
un grand fait politique, c' est que la dernière
classe de la nation se trouve aujourd' hui composée
d' hommes dont l' intelligence est suffisamment
développée, d' hommes qui ont acquis suffisamment
de prévoyance pour que la loi puisse,
sans inconvénient pour la tranquillité publique,
faire cesser la tutelle exercée sur eux jusqu' à ce
jour ; et que, dès ce moment, la nation devant
être considérée comme composée d' individus
tous capables d' administrer des propriétés, la
loi doit établir le système politique dans lequel
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la direction des intérêts communs sera confiée
aux hommes les plus distingués dans les capacités
de l' utilité la plus générale et la plus positive,
l' action du gouvernement ne devant plus
s' exercer, comme action directrice, qu' à l' égard
des hommes dont la conduite tendrait à troubler
l' ordre public.
Nous allons citer un fait dont nous avons é
personnellement témoin, et qui prouve combien
la capacité pour administrer les propriétés est
aujourd' hui généralement possédée par les hommes
que le hasard de la naissance a rangés dans
la classe des prolétaires.
Une petite province, nommée le Cateau-cambrésis,
appartenait en totalité à l' archevêché de
Cambrai et à d' autres établissements ecclésiastiques ;
les habitants de cette province étaient si
complétement prolétaires, sous le rapport des
immeubles, qu' il n' en existait pas un seul qui ne
pût être expuldu manoir qu' il occupait.
Qu' arriva-t-il lorsque le territoire de cette
province fût mis en vente ?
Tous les habitants, d' un mutuel accord, s' associèrent ;
ils se rendirent adjudicataires du
territoire de leurs communes ; ils se le partagèrent
ensuite, de manière que toute une masse de
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population, assez importante, passa subitement
de la classe des prolétaires dans celle des propriétaires
territoriaux.
Eh bien ! Ce changement subit n' occasionna
pas le moindre désordre dans la culture ; les
nouveaux propriétaires se montrent beaucoup
plus capables que les anciens, car les terres produisirent,
dès l' année suivante, de plus fortes
coltes qu' elles n' en avaient jamais produit.
Il résulte évidemment de ce qui s' est pas
lors de la vente des domaines nationaux, et du
fait local que nous venons de citer à l' appui du
fait général, que la nation française peut être
(vu l' état actuel du développement de son intelligence)
gouvernée beaucoup mieux et à beaucoup
meilleur marché qu' elle ne l' est actuellement ;
et qu' elle ne parviendra à une position sociale
stable qu' à l' époque où l' action gouvernementale
sera primée par celle des hommes possédant
au plus haut degré les capacités de l' utilité la
plusnérale et la plus positive.
Passons maintenant à l' examen des preuves
de capacité qui ont été données par les ouvriers
qui exécutent les travaux entrepris par les fabricants
et par les négociants.
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Au commencement de la révolution, une
grande partie des entrepreneurs de travaux industriels
en fabrication et en commerce ont été
ruinés par les pillages qui ont eu lieu à la suite
des insurrections ; ceux de ces entrepreneurs
qui ont évité les pillages ont été écrasés par la
loi du maximum, et ceux qui ont été assez heureux
pour se soustraire à ces deux calamités
industrielles, ou pour y survivre pécuniairement,
se sont vu enlever leur fortune par les réquisitions
et par la brûlure des marchandises
anglaises.
Que serait-il arrivé, après des malheurs aussi
généraux, si un grand nombre des ouvriers qui
avaient été employés par les manufacturiers et
les négociants qui se trouvaient ruinés, et moralement
écrasés par l' effet de leurs malheurs ;
si, disons-nous, un grand nombre de ces ouvriers
n' eût possédé une capacité suffisante pour
les remplacer ?
Il serait arrique les fabriques et le commerce
de France auraient perdu, pour longtemps,
beaucoup de leur importance, et que la France
payerait aujourd' hui aux étrangers un tribut
industriel beaucoup plus fort que celui qu' elle
supportait avant la révolution ; il serait arrivé,
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en un mot, que la production aurait diminué en
France.
Il est arrivé, au contraire, que les productions
de tous les genres se sont infiniment multipliées
depuis, et même pendant les malheurs de la
volution ; il est arrivé que, dans tous les ateliers
de fabrique et de commerce, des hommes
qui y étaient employés comme simples ouvriers
sont devenus entrepreneurs et directeurs de ces
travaux, et qu' ils se sont montrés plus intelligents
et plus actifs que leurs prédécesseurs ; de
manière que la France est aujourd' hui infiniment
plus prospère, plus productive et plus importante
en industrie agricole, manufacturière et
commerciale qu' elle ne l' était avant la révolution,
quoique la plus grande partie des directeurs
actuels de tous ces genres de travaux soient
sortis de la classe du peuple.
Peut-il exister une preuve plus forte et plus
complète que la classe du peuple, c' est-à-dire
que l' immense majorité de la nation, soit parvenue
à un veloppement d' intelligence suffisant
pour que l' organisation sociale, ayant
directement
le bien public pour objet, puisse
s' établir en France sans inconvénient pour la
tranquillité publique, et, au contraire, avec de
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grands avantages pour toutes les classes de la
société ?
Note du second fragment
l' éducation des hommes de toutes les classes se divise
en deux parties, savoir : l' éducation proprement dite, et
l' instruction.
Le perfectionnement de l' éducation proprement dite est
plus important pour l' accroissement du bien-être social que
celui de l' instruction.
C' est l' éducation proprement dite qui forme les habitudes,
qui développe les sentiments, qui épanouit la capacité en
prévoyance générale ; c' est elle qui apprend à chacun à faire
application des principes et à s' en servir comme de guides
certains pour diriger sa conduite. L' éducation peut être
considérée comme étant l' enseignement continu des connaissances
indispensablement nécessaires à l' entretien des
relations établies entre les membres qui composent la
société.
Supposons des enfants ayant reçu l' instruction la plus
complète et ayant été entièrement privés d' éducation ; admettons
pour un moment l' existence d' un établissement
dans lequel les enfants suivent les cours des meilleurs
professeurs dans tous les genres, et soient enfermés séparément
pendant l' intervalle des classes pour leur éviter
toute distraction. Ces enfants seraient par conquent
entièrement
privés d' éducation : que leur arriverait-il quand
leurs études seraient terminées ? Que deviendraient-ils en
entrant dans le monde ?
Ces enfants ignoreraient ce qu' il y a de plus utile à savoir
pour bien vivre en société ; ils n' auraient aucune pratique
de la vie de relation ; ils auraient un très-long apprentissage
à faire pour se trouver en état de remplir une fonction
sociale quelconque ; et si on abandonnait à elle-même
une population ainsi élevée, elle se montrerait peu supérieure,
sous le rapport de la civilisation, à ce qu' ont été
les premières sociétés de l' espèce humaine.
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Nous ajouterons, à l' appui de ce que nous venons de dire,
qu' à chaque gération une partie de connaissances acquises
par les précédentes devient si vulgaire, que les pères ou
les surveillants des enfants les possèdentcessairement,
ce qui les met en état de devenir à cet égard leurs professeurs.
Or, l' enseignement, sans apprêt, de ces notions
vulgaires, développe l' intelligence des enfants et les rend
infiniment plus propres à saisir les connaissances plus
abstraites
qu' ils reçoivent de leurs professeurs véritables.
C' est surtout chez la classe des prolétaires, et pour cette
classe, que l' éducation est infiniment plus importante que
l' instruction.
Cette vérité pouvant devenir féconde en conséquences,
nous allons la présenter avec quelques développements.
Supposons qu' il prenne fantaisie à un riche boyard de
faire apprendre la lecture et l' écriture à tous les paysans
qui lui appartiennent. Quelques Européens occidentaux, au
moyen de la méthode d' enseignement mutuel, parviendront
en peu d' années à satisfaire complètement ses désirs à cet
égard, sans qu' il lui en coûte beaucoup d' argent.
Cette opération censé terminée, comparons ces paysans
russes sachant lire et écrire, avec pareil nombre de prolétaires
français ne sachant ni lire ni écrire, et voyons quels
sont ceux dont les travaux seront les plus utiles à la société,
ceux qui seront les plus susceptibles d' être admis par les
lois au rang de sociétaires.
Ce seront incontestablement les Français, car ces Français,
quoiqu' ils ne sachent ni lire ni écrire, auront acquis,
par l' éducation qu' ils ont reçue de leurs parents, une capaci
bien plus grande que celle que peut procurer la faculté
de lire et d' écrire ; ils sont en état de bien administrer une
propriété ; ceux qui sont attachés à la culture sont capables
de diriger les travaux de ce genre ; il en est de même pour
ceux qui sont attachés à des travaux d' arts et métiers : tandis
que les Russes, à qui on aura enseigné la lecture et
l' écriture, n' auront reçu de leurs parents qu' une éducation
semblable à celle que ceux-ci avaient reçue eux-mêmes,
c' est-à-dire une éducation très mauvaise ; et si vous essayez
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de confier l' administration d' une propriété quelconque à ces
Russes, sachant lire et écrire, vous verrez ces propriétés
dépérir dans leurs mains. Les instruments de culture ou
d' atelier, les grains de semence ou les matières premières
seront vendus pour de l' eau-de-vie.
On n' a point encore suffisamment senti le haut degré de
civilisation auquel la dernière classe de la nation française
est parvenue ; on n' a point encore apprécié à sa juste valeur
le perfectionnement positif en intelligence qu' a subi la
classe des prolétaires. Ils ont acquis une si grande prévoyance,
ils se sont rendus tellement maîtres de leurs passions
et de leurs désirs les plus naturels, qu' ils sont presque
tous capables de supporter la faim à côté du blé de
semence.
C' est surtout pour la supériorité en civilisation de la
classe la plus nombreuse sur les classes les plus nombreuses
des autres nations, que la nation française prime
toutes les autres, et cette supériorité est incontestablement
celle de toutes qui est la plus positive.
Qu' on compare les prolétaires français aux prolétaires
anglais, on trouvera ces derniers animés de sentiments qui
les poussent à profiter des premières circonstances qui peuvent
se présenter pour commencer la guerre des pauvres
contre les riches ; tandis que les prolétaires français
manifestent
en général de l' attachement et de la bienveillance
pour les industriels opulents.
En sumant ce que nous avons dit, tant dans cette note
que dans le chapitre auquel elle est attachée, nous
trouvons :
1 yy que, pour la classe des prolétaires, l' éducation est
infiniment plus essentielle que l' instruction ;
2 yy que l' éducation de la classe prolétaire en France est
bonne ; qu' elle est meilleure que celle rue par la classe
semblable chez les autres nations européennes ;
3 yy que c' est principalement de la supériorité des prolétaires
français sur les prolétaires des autres nations, tant
sous le rapport des bons sentiments que sous celui de la
solidité des connaissances, que résulte la supériorité générale
de la nation française sur les autres peuples.
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Et nous concluons que, pour accroître la supériorité de
la nation française, le meilleur moyen consiste à répandre
dans la classe des prolétaires l' instruction convenable, ce
qui est fort aisé au moyen de l' enseignement mutuel.
La dixième partie de ce que ctent les places inutiles
dans les états-majors de toutes les branches de l' administration
suffirait pour apprendre en dix années à lire, à
écrire et à compter à tous les prolétaires de France.
On pourrait en outre leur apprendre un peu de dessin, un
peu de musique, et se servir des beaux-arts comme moyen
de les passionner pour le bien public.
DE L' ORGANISATION SOCIALE FRAGMENTS D' UN OUVRAGE INEDIT
TROISIèME FRAGMENT .>
La classe des prolétaires étant aussi avancée en civilisation
fondamentale
que celle des propriétaires, la loi doit les classer
comme sociétaires.
Le mécanisme de l' organisation sociale a été
nécessairement très-compliqué tant que les individus
composant la majorité se sont trouvés
dans un état d' ignorance et d' imprévoyance tel
qu' ils n' étaient point capables d' administrer leurs
propres affaires. Dans cet état de développement
incomplet de leur intelligence, ils étaient encore
soumis à des passions brutales qui les poussaient
vers les insurrections, et par conséquent vers
toute espèce de désordre.
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Il a fallu, dans cet état de choses qui a
précéder une meilleure situation sociale, que la
minorité s' organisât d' une manière militaire,
qu' elle s' attribuât exclusivement le pouvoir de
faire la loi, et qu' elle construisît la loi de manière
à s' attribuer tous les pouvoirs, pour tenir
la majorité en tutelle, et pour exercer sur la
nation une forte compression. Ainsi jusqu' à présent
les principales forces de la société ont été
employées à se maintenir en société, et les travaux
ayant pour objet l' amélioration du bien-être
moral et physique des nations n' ont pu et
n' ont dû être considérés que comme des travaux
accessoires.
Aujourd' hui cet état de choses peut et doit
changer complétement, et les travaux les plus
importants doivent avoir pour but l' amélioration
de notre bien-être moral et physique, puisque
peu de forces suffisent pour maintenir la
tranquillité
publique, la majorité ayant pris le goût du
travail (ce qui exclut toute tendance au désordre)
et se trouvant aujourd' hui composée d' hommes
qui ont prourécemment qu' ils étaient capables
d' administrer des propriétés mobilières et
immobilières.
La minorin' ayant plus besoin de moyens de
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force pour maintenir la classe prolétaire en subordination,
les combinaisons auxquelles elle
doit s' attacher sont : 1 yy celles au moyen desquelles
les prolétaires seront le plus fortement
attachés par leurs intérêts à la tranquillité publique ;
2 yy celles qui auront pour objet de rendre
la transmission des propriétés immobilières
la plus facile possible ; 3 yy celles dont le but sera
d' accorder le premier degré de considération
politique aux travailleurs.
Ces combinaisons sont très-simples et très-faciles
à trouver, quand on prend la peine de
juger les choses d' après ses propres lumières,
et qu' on brise entièrement le joug impoà notre
esprit par les principes politiques admis chez
nos pères, principes qui ont été bons et utiles
dans leur temps, mais qui ne sont plus applicables
aux circonstances actuelles.
La totalité de la population se trouvant aujourd' hui
composée d' hommes qui (sauf quelques
exceptions qu' on rencontre à peu près également
dans toutes les classes) sont en état de
bien administrer des propriétés mobilières ou
immobilières, c' est directement qu' on peut et
qu' on doit travailler à l' amélioration du bien-être
moral et physique du corps social.
p128
Or, le moyen le plus direct pour opérer l' amélioration
morale et physique de la majorité de la
population consiste à classer comme premières
dépenses de l' état celles qui sont nécessaires
pour procurer du travail à tous les hommes valides,
afin d' assurer leur existence physique ;
celles qui ont pour objet de répandre le plus
promptement possible dans la classe des prolétaires
les connaissances positives acquises ;
et enfin celles qui peuvent garantir aux individus
composant cette classe des plaisirs et des
jouissances propres à développer leur
intelligence.
Qu' on ajoute à cela les mesures nécessaires
pour que la fortune publique soit administrée
par les hommes les plus capables en administration
et les plus intéressés à bien administrer,
c' est-à-dire par les industriels les plus
importants.
Et la société, au moyen de ces dispositions
fondamentales, se trouvera organisée d' une manière
qui satisfera complétement les hommes
raisonnables de toutes les classes. Alors il
n' y aura plus d' insurrection à craindre, et il n' y
p129
aura par conséquent plus besoin d' entretenir
des armées permanentes nombreuses pour s' y
opposer ; alors il ne sera plus nécessaire de
dépenser des sommes énormes pour le département
de la police ; alors il n' y aura plus rien à
craindre de l' extérieur, car trente millions
d' hommes qui se trouvent heureux repousseraient
l' attaque de toute l' espèce humaine qui se
liguerait contre eux.
A cela nous pouvons ajouter que les princes
ni les peuples ne pousseront jamais l' extravagance
au point d' attaquer une nation composée
de trente millions d' hommes qui ne se montreraient
point offensifs à l' égard de leurs voisins,
et qui seraient unis entre eux par une bonne
combinaison de leurs intérêts.
A cela nous ajouterons encore qu' on n' a pas
besoin d' espionner une socié dont l' immense
majorité est intéressée à maintenir l' ordre de
choses établi.
Ceux qui ont déterminé la révolution, ceux qui
l' ont dirigée, et tous ceux qui, depuis 1789 jusqu' à
ce jour, ont servi de guides à la nation, ont
commis une faute politique énorme : ils ont tous
cherché à perfectionner l' action gouvernementale,
tandis qu' ils auraient dû la subalterniser et
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constituer comme action suprême l' action
administrative.
Ils auraient dû commencer par se faire une
question dont la solution est bien simple et bien
facile à trouver.
Ils auraient dû se demander quels sont, dans
l' état présent des moeurs et des lumières, les
hommes les plus capables de bien diriger les intérêts
nationaux ?
Ils auraient nécessairement reconnu que les
savants, que les artistes, et que les chefs des
travaux industriels sont ceux qui possèdent les
capacités les plus élevées, les plus étendues, et
celles dont l' utilité est la plus positive, dans
la direction actuelle des esprits. Ils auraient
reconnu que les travaux des savants, des artistes
et des industriels sont ceux qui, sous le
rapport de l' invention et sous celui de l' exécution,
contribuent le plus à la prospérité nationale.
Ils en auraient conclu que les savants, les artistes
et les chefs des travaux industriels étaient
ceux auxquels il fallait confier le pouvoir administratif,
c' est-à-dire le soin de diriger les intérêts
nationaux ; et qu' il fallait réduire les fonctions
p131
du gouvernement à celle de maintenir la
tranquillité publique.
Les novateurs de 89 auraient encore se
dire :
les rois d' Angleterre ont donné à la royauté
le bon exemple de se soumettre à ne donner aucun
ordre sans qu' il fût approuvé et signé par
un ministre ; il est digne de la magnanimité des
rois de France de se montrer encore plus généreux
à l' égard de leurs peuples, et de se soumettre
à n' arrêter aucun projet concernant les
intérêts généraux de la nation sans l' approbation
des hommes les plus capables de bien juger ces
projets, c' est-à-dire, sans l' approbation des savants
et des artistes les plus capables, sans,
celle des industriels les plus importants.
On a souvent compala société à une pyramide.
Nous admettons que la nation doit être
disposée en forme pyramidale ; nous sommes
profondément convaincus que la pyramide nationale
doit être couronnée par la royauté ; mais
nous disons qu' à partir de la base de la pyramide
jusqu' à son sommet, les assises doivent
être composées de matériaux de plus en plus
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précieux, et quand nous considérons la pyramide
actuelle, il nous paraît que sa base est de granit,
que jusqu' à une certaine élévation ses assises
sont composées de matériaux très-précieux, mais
que sa partie supérieure, qui supporte un magnifique
diamant, n' est autre chose que du
plâtre doré.
La base de la pyramide nationale actuelle ce
sont les ouvriers occupés de travaux annuels ;
les premières assises élevées sur cette base ce
sont les chefs des travaux industriels, ce sont
les savants qui perfectionnent les procédés de la
fabrication et qui étendent son domaine ; ce sont
les artistes qui impriment le cachet du bon goût
à toutes les productions. Les assises supérieures,
que nous disons n' être composées que de plâtre
qu' on distingue très-bien malgré la dorure qui le
recouvre, ce sont les courtisans, ce sont en
général tous les nobles tant anciens que nouveaux,
ce sont les riches oisifs, enfin ce sont les
gouvernants à partir du premier ministre jusqu' au
dernier commis. La royauté, c' est le magnifique
diamant qui couronne la pyramide.
p133
Notes du troisième fragment
les hommes ne sont pas aussi mauvais qu' ils l' imaginent.
Ils se jugent beaucoup plus sévèrement qu' ils ne le méritent.
Il est vrai que, sous le rapport théorique, ils se montrent
en général très-enclins au despotisme ; mais, dans la pratique,
ils donnent la préférence à l' égalité.
Un Anglais obtient un emploi dans l' Inde ; il s' y rend avec
empressement, et son imagination lui représente le despotisme
qu' il y exercera comme devant lui procurer de grandes
jouissances ; là il peut, si cela lui plaît, se composer un
harem ; là, des centaines de domestiques l' entourent : les
uns ont pour fonction de chasser les mouches qui pourraient
l' incommoder, d' autres sont toujours prêts à le transporter
en palanquin ; toute la masse de la population rampe
devant lui ; il est libre de faire distribuer d' amples
bastonnades
à tout Indien qui n' a pas satisfait ses désirs avec
assez d' empressement ou d' intelligence.
Eh bien, cet Anglais qui, dans l' Inde, nage à pleine eau
dans les jouissances du despotisme, dès qu' il a fait fortune,
s' empresse de revenir en Angleterre, pour y retrouver les
jouissances que l' égalité procure. A l' instant de son arrivée
dans un port de la Grande-Bretagne, il se sent rudement
coudoyé par les hommes du peuple, et cela ne lui inspire
point le désir de retourner dans le paystout le monde
se rangeait pour lui faire de la place.
On voit des Russes très-riches quitter leur pays pour
venir habiter l' Europe occidentale, tandis que les Européens
occidentaux ne vont en Russie que pour y faire fortune, et
qu' ils s' empressent de rapporter chez eux les richesses qu' ils
y ont acquises.
Il y a de fortes raisons pour que les riches préfèrent l'
habitation
des pays où l' égalité est poussée le plus loin entre
les membres qui composent la société, puisque ces pays sont
p134
en même temps ceux ils peuvent satisfaire le plus facilement
et le plus complétement tous leurs désirs.
Dans les villes de France de quelque importance, l' homme
qui a de l' argent peut, à l' heure qu' il veut et sans avoir
pris
aucune précaution préalable, faire bonne chère à un prix
très-mo; en Russie il n' y a que chez les grands seigneurs
que le luxe de la table existe.
La voiture d' un voyageur casse sur un point quelconque
du sol britannique ; il peut à son choix faire raccommoder
son équipage ou se procurer sur-le-champ une voiture aussi
bonne que la sienne : tandis qu' en Russie un voyageur qui
casse sa voiture sur les routes qui font communiquer les villes
les plus considérables, n' a d' autre ressource que de monter
dans un chariot de paysan pour terminer son voyage.
Ainsi, dans la réalité, les hommes les plus riches et les
plus puissants sont intéressés à l' accroissement de l' égalité,
puisque les moyens de satisfaire leurs jouissances s' accroissent
dans la me proportion que le nivellement des individus
dont la société se compose.
On s' imagine que ceux qui profitent des abus y tiennent
infiniment : on se trompe ; la chose à laquelle ils tiennent
très-fortement, c' est à ne pas se voir dépouiller d' avantages
qui passent dans les mains d' autres personnes.
Ce sont en France des nobles qui ont provoqué la suppression
des priviléges dont ils jouissaient, et ils n' ont
regretté le sacrifice qu' ils avaient fait que par la raison
qu' ils ont vu d' abord tous les ci-devant roturiers se conduire
comme des privilégiés à leur égard, et qu' ils ont vu
ensuite se créer une nouvelle noblesse dans laquelle eux,
anciens nobles, ne pouvaient être admis que comme
subalternes.
En terminant cette note nous dirons ce qui aurait peut-être
se trouver en tête, c' est qu' en améliorant le sort de
la masse, on assure le bien-être des hommes de toutes les
classes, et que pour améliorer le sort de la masse, il ne
suffit pas de placer les priviléges, il faut les anéantir ; il
ne suffit pas de changer les abus de main, il faut les abolir.
p135
Nous allons faire sentir en peu de mots combien la superposition
de l' action gouvernementale à celle de l' administration
entraîne d' inconvénients aujourd' hui que la masse
de la nation se compose d' hommes qui n' ont plus besoin
d' être soumis à une surveillance particulière, puisqu' ils se
sont montrés capables d' administrer des propriétés de tous
les genres ; aujourd' hui que la classe des prolétaires ne
pourrait devenir dangereuse pour la tranquillité publique,
que dans le cas où les administrateurs des intérêts nationaux
seraient assez ineptes et assez égoïstes pour les laisser manquer
d' ouvrage.
On se persuade très-facilement et on peut également persuader
aux autres, qu' on possède la capacité de gouverner,
parce que la capacité ou l' incapacité de gouverner ne pouvant
être constatée que par l' expérience, chacun peut
s' imaginer et faire croire qu' il gouvernerait bien, tant qu' il
n' a
pas gouverné.
Il n' en est pas de même pour les mathématiques, la physique,
la chimie, la physiologie, lacanique, la poésie, la
peinture, la sculpture, la musique, l' architecture, la culture,
la fabrication, le commerce et la banque.
Il est facile à tout homme de se rendre compte à lui-même
s' il possède une grande capacité dans les sciences ou dans
les beaux-arts ; il lui est facile de s' assurer s' il a obtenu
une
grande importance dans une des branches de l' industrie ;
d' ailleurs les erreurs de ce genre seraient peu redoutables,
puisque les voisins dessilleraient promptement les yeux de
ceux que l' amour-propre aurait aveuglés.
De ce que nous venons de dire il résulte que l' ambition
dans les savants, dans les artistes et dans les industriels,
pour parvenir à devenir membres de la haute administration
des intérêts nationaux, n' est point dangereuse pour la société,
et qu' elle lui est même utile, puisqu' ils ne peuvent y
parvenir qu' en se distinguant par des travaux recommandables ;
tandis que l' ambition ayant pour but d' obtenir des
places dans le gouvernement, a de grands inconvénients
p136
pour la société, puisque les hommes les plus incapables
peuvent se livrer à cette passion et travailler, pour la
satisfaire,
à renverser tout l' édifice social.
Un des grands effets de cette ambition, qui s' est emparée
de presque tous les Français lorsque le gouvernement du
malheureux Louis zzzxvi a été renversé, est très-curieux à
observer. C' est pour être moins gouvernée, et pour être
gouvernée moins chèrement, que la nation est entrée en
volution, et elle a obtenu jusqu' à ce jour, pour résultat,
d' être beaucoup plus gouvernée et plus chèrement gouvernée
qu' elle ne l' était avant la révolution.
Les industriels produisent beaucoup plus qu' avant la révolution,
mais une grande partie de l' accroissement en production
est employée à solder des états-majors inutiles, et
une nuée de commis qui emploient leur temps, en grande
partie, à lire la gazette et à tailler des plumes, ce qui ne
satisfait ni les besoins ni l' amour-propre des producteurs.
DE L' ORGANISATION SOCIALE FRAGMENTS D' UN OUVRAGE INEDIT
QUATRIèME FRAGMENT .>
Sur l' administration et sur le gouvernement des affaires
publiques.
On pourra nous dire :
" votre opinion la plus importante sur la politique,
celle à laquelle vous rapportez toutes
vos idées, étant que, pour établir en Europe
un ordre de choses calme et stable, le meilleur
moyen consiste à superposer le pouvoir administratif
au pouvoir gouvernemental, votre
p137
premier soin doit être de tracer une ligne de
démarcation fortement prononcée entre la capacité
administrative et la capacité gouvernementale ;
vous devez dire bien positivement
en quoi consistent l' une et l' autre. Au moyen
de cette explication, vous vous trouverez en
état de motiver clairement pourquoi la capacité
administrative doit être superposée à la capacité
gouvernementale. "
la haute administration de la société embrasse
l' invention, l' examen et l' exécution des
projets utiles à la masse.
La haute capacité administrative comprend
donc trois capacités ; celle des artistes, celle des
savants et celle des industriels, dont le concours
remplit toutes les conditions nécessaires pour
la satisfaction des besoins moraux et physiques
de la société.
Quand on commencera les travaux ayant directement
pour but l' établissement du système
de bien public ; dans cette grande entreprise, les
artistes, les hommes à imagination ouvriront la
marche ; ils proclameront l' avenir de l' espèce
humaine ; ils ôteront au passé l' âge d' or pour en
enrichir les générations futures ; ils passionneront
la société pour l' accroissement de son bien-être,
p138
en lui présentant un riche tableau de
prospérités nouvelles, en faisant sentir que tous
les membres de la société participeront bientôt
à des jouissances qui, jusqu' à ce jour, ont été
l' apanage d' une classe très-peu nombreuse ; ils
chanteront les bienfaits de la civilisation, et ils
mettront en oeuvre, pour atteindre leur but, tous
les moyens des beaux-arts, l' éloquence, la poésie,
la peinture, la musique, en un mot, ils développeront
la partie poétique du nouveau système.
Les savants, les hommes dont la principale
occupation consiste à observer et à raisonner,
démontreront la possibilité d' une grande augmentation
de bien-être pour toutes les classes
de la société, pour la classe la plus laborieuse,
celle des prolétaires comme pour celle des particuliers
les plus riches. Ils mettront en évidence
les moyens les plus certains, les plus
prompts, pour assurer la continuité des travaux
de la masse des producteurs ; ils poseront les
fondements de l' instruction publique ; ils établiront
les lois hygiéniques du corps social, et,
entre leurs mains, la politique deviendra le complément
de la science de l' homme.
Les industriels les plus importants, rapportant
toutes les idées à la production, jugeront ce qu' il
p139
y a d' immédiatement praticable dans les projets
d' utilité publique conçus et élaborés de concert
par les savants et les artistes ; ils combineront
les mesures d' exécution et en attribueront la
direction aux banquiers, qui sont toujours en
tête des mouvements financiers.
Voilà la marche administrative, ferme, franche
et loyale que les savants, les artistes et les industriels
suivront quand la direction des intérêts
généraux leur sera confiée.
Comparons cette marche à celle que suit le
gouvernement actuel ; voyons à quelles misérables
combinaisons la capacité gouvernementale
a été réduite par le progrès des lumières et
de la civilisation.
Enfermés dans le cercle des doctrines suranées
du système féodal, les gouvernants doués
en général des intentions les meilleures pour le
bien public, font de vains efforts pour organiser
un état de choses calme et stable.
Ne croyant pouvoir se maintenir qu' en entretenant
de nombreux états-majors dans toutes les
branches de l' administration, ainsi qu' un grand
appareil de force gouvernementale, ils sont réduits,
en définitive, à tirer de la nation le plus
d' argent possible, soit par les impôts, soit par
p140
les emprunts, en évitant toutefois d' exciter des
contentements sensibles. Ils s' épuisent donc
en combinaisons subtiles pour l' établissement et
la perception des impôts.
Ils sont réduits à consacrer à des frais de gestion,
en grande partie inutiles à la société, la
plus forte part d' argent de la nation, et une portion
très-faible à des dépenses réellement utiles
aux producteurs.
Ils sont réduits à conserver aux nobles et aux
courtisans une grande importance politique, et
s' ingénient pour leur procurer l' argent nécessaire
à l' entretien d' un luxe ju
indispensable.
Examinons la conduite du ministre-président,
qui cependant est celui qui a le mieux compris
l' importance de l' industrie et l' état de la société ;
examinons l' usage qu' il fait de la force
gouvernementale.
Nous l' avons vu user de toute l' influence ministérielle
qui était à sa disposition pour faire
entrer à la chambre des députés un grand nombre
de nobles et de riches oisifs, et pour en
éloigner avec le plus grand soin les industriels
les plus marquants, les savants, les artistes les
plus capables.
p141
Il a rendu le parlement septennal, sans rien
changer à la fixation de l' âge de quarante ans
pour être admis à la chambre, et par ce moyen
il en a diminconsidérablement l' énergie, l' a
rendue dépendante du ministère et l' a soumise
en même temps à l' influence de la haute
noblesse.
Il a concentré la direction suprême des intérêts
nationaux dans les mains de nobles, d' évêques,
de militaires, de légistes, et d' administrateurs,
tous fort honorables sans doute par leur caractère
privé, ou par les services qu' eux ou leurs
ancêtres ont pu rendre à la nation, mais qui
n' ont cependant appris l' administration qu' aux
dépens du public, qui a toujours payé leurs
fautes, et jamais à leurs propres pens, comme
les industriels le font journellement.
Il maintient au ministère de l' intérieur, par respect
pour la dignité ministérielle, un avocat distingué,
mais fort ignorant pour tout ce qui concerne
l' industrie, les sciences et les beaux-arts ;
qui ne se doutant ni de leur importance, ni des
égards qui leur sont dus, s' oublie jusqu' à faire,
en quelque sorte, maltraiter par ses commis les
hommes qui par leurs travaux font le plus d' honneur
à la France.
p142
Il croit aussi, ce même ministre-président, par
déférence pour les anciennes doctrines, devoir
accorder une grande influence sur l' instruction
publique aux jésuites, dont le but définitif est
d' inculquer à la jeunesse l' idée que les capacités
diocres doivent primer et diriger les capacités
du premier ordre, et que les connaissances vagues
doivent être superposées aux connaissances
utiles et positives.
Enfin, voulant protéger l' industrie, m.. de
Villèle a établi un conseil suprême de commerce ;
mais il l' a composé principalement d' hommes qui
n' ont jamais appartenu comme praticiens à aucune
branche d' industrie, et c' est apparemment
par respect humain qu' il a bien voulu y admettre
deux ou trois industriels retirés.
Voilà les tristes restes de la capacité gouvernementale ;
entraînée par le torrent de la civilisation,
elle essaie vainement, en se rattachant
au passé, de continuer le rôle prépondérant qui
lui fut attribué dans les précédents de la société.
Comparons maintenant les rapports fondamentaux
qui existent entre les administrateurs
et les administrés, avec ceux qui existent entre
les gouvernants et les gouvernés.
Le principe fondamental d' une gestion administrative
p143
est que les intérêts des administrés
doivent être dirigés de manière à faire prospérer
le plus possible le capital de la société, et à
obtenir l' approbation et l' appui de la majorité
des sociétaires.
Pour se faire soutenir par la majorité, c' est-à-dire
pour former une majorité qui approuve
leur gestion, les administrateurs ne peuvent
employer que la persuasion et lamonstration
du fait que leurs opérations sont les plus fructueuses
possible pour la société.
Les administrateurs savent que l' économie
dans les frais de gestion est toujours désirée par
les sociétaires, en conséquence ils travaillent
toujours à diminuer ces frais.
Par exemple, les frais de gestion de la banque
sont très-petits ; son conseil des régents ne
lui coûte rien ; les frais de gestion du trésor
royal sont énormes.
Les rapports entre les gouvernants et les gouvernés
sont d' une toute autre nature ; les nobles
disent, et ils le peuvent de très-bonne foi, qu' ils
sont nés pour gouverner, et que les plébéiens
ont été destinés par la providence à obéir.
Le premier besoin de la société aux yeux des
p144
nobles est que la noblesse brille de tout l' éclat
que le luxe et le pouvoir peuvent lui procurer ;
la royauté leur paraît devoir faire corps avec la
noblesse. Ils reconnaissent bien au roi le droit
de confier à qui lui plaît la direction des affaires
publiques, mais dans leur âme et conscience, ils
sont persuadés que c' est un devoir pour lui de
n' accorder sa confiance qu' à des nobles.
L' art de gouverner consiste, à leurs yeux,
dans le talent de conserver à l' action gouvernementale
la prépondérance sur l' action administrative :
il consiste à prolonger l' existence du
régime théologique et féodal, quoique ses principales
racines aient été coupées, quoique la
critique et le progrès des lumières aient complétement
ruiné ses principes fondamentaux.
En un mot, les gouvernants croient que le
meilleur moyen pour maintenir la subordination
des gouvernés consiste à multiplier les fonctionnaires
publics et à donner aux plus importants
une grande représentation, c' est-à-dire beaucoup
d' argent ; la force physique et la ruse, l' armée
soldée et la police sont les principaux moyens
qu' ils emploient pour appuyer leurs opérations ;
la persuasion et la démonstration ne leur paraissent
que des moyens secondaires, tandis que ce
p145
sont les seuls moyens employés par les
administrateurs.
Quand il plaira au roi de confier la haute direction
des affaires publiques à une administration
industrielle, les frais de gestion se trouveront
sur-le-champ énormémentduits, car les
savants et les artistes, qui ont constaté par leurs
travaux une capacité du premier ordre, n' ont pas
besoin pour se procurer de la considération, de
faire des dépenses d' apparat et d' afficher une
grande représentation. Quant aux industriels importants,
ils tiendraient à grand honneur de ne
recevoir aucun traitement pour les soins qu' ils
donneraient à l' administration de la fortune
publique.
Les quatre démonstrations suivantes nous
paraissent les bases les plus solides que nous
puissions donner à notre opinion, que dans les
circonstances actuelles, l' action administrative
peut, sans inconnient majeur et avec de très-grands
avantages, être superposée à l' action
gouvernementale. Nous prouverons donc d' abord
que la masse de la nation est suffisamment
éclairée, civilisée, qu' elle possède une connaissance
assez approfondie de ses véritables intérêts
pour se maintenir en tranquillité sous la direction
p146
d' une bonne administration, et pour s' opposer
à tous les efforts des ambitieux qui chercheraient
à troubler l' ordre public.
Ensuite, que les artistes, les savants et les
industriels ont acquis une capacité assez étendue
pour se trouver en état de traiter toutes les
questions relatives aux intérêts publics, et de
diriger convenablement les intérêts géraux de
la société.
Après cela, nous devons prouver que beaucoup
de gens ont une assez grande habitude de
voir diriger leurs intérêts par les pouvoirs administratifs,
pour qu' ils ne soient point étonnés
de voir introduire le mode administratif dans la
direction des intérêts généraux de la société.
Enfin, nous devons prouver que la superposition
de l' action administrative à l' action gouvernementale
ne compromettrait point la France
à l' égard de l' étranger, cette superposition lui
assurant des alliés avec le secours desquels
elle se trouverait plus forte que toute la féodalité
européenne.
Nous allons traiter séparément chacune de
ces questions.
1 yy nous avons prouvé, dans un des chapitres
précédents, que les prolétaires français avaient
p147
constaté par des faits authentiques qu' ils étaient
suffisamment civilisés, et que leur capacité en
prévoyance était assez développée pour qu' ils
fussent en état d' administrer des propriétés mobilières
et immobilières. Or, il est évident que
des hommes capables de bien administrer des
propriétés sont en état de se bien conduire sous
la direction d' une bonne administration.
Un grand nombre d' artistes, de savants et
d' industriels s' occupent aujourd' hui de questions
d' un intérêt général ; depuis le commencement
de la révolution, ils ont tous fait dans
ce genre des études approfondies, et ces études
les ont rendus capables d' organiser une bonne
administration des affaires publiques.
La question de l' instruction publique a été
discutée et éclaircie par beaucoup de littérateurs
et par plusieurs savants.
Toutes les questions relatives à l' économie
qu' on pourrait introduire dans les dépenses
publiques
ont été examinées par les industriels,
dont le succès dans la conduite de leurs affaires
particulières ont prouvé la haute capacité en
administration des finances.
2 yy l' établissement de la banque, des
compagnies d' assurances, des caisses d' épargne, des
p148
compagnies pour la construction des canaux,
et la formation d' une multitude d' autres associations
qui ont pour objet l' administration d' affaires
très-importantes, ont habitué les Fraais
au mode administratif pour la gestion de grands
intérêts ; d' où il résulte que ce mode peut être
appliqué à la gestion des intérêts généraux sans
que cette innovation dans la haute direction des
affaires publiques occasionne ni étonnement ni
secousse, sans qu' il dérange les habitudes nouvelles
contractées déjà par lanération
actuelle.
3 yy la révolution, dont les grands effets moraux
commencent à se développer, a fait entrer
les Français en verve sous le rapport de la
politique ; ainsi, on ne doit pas s' étonner qu' ils
se montrent supérieurs aujourd' hui aux Anglais
en conceptions organiques. Mais il est également
vrai que les Anglais, qui les ont devancés
dans cette carrière de l' esprit humain, et qui ont
été, en quelque façon, les créateurs de cette
branche de nos connaissances, ayant jusqu' à ce
jour surpassé en capacité politique tous les
autres peuples, ne tarderont point à imiter les
Français, et à adopter le système dans lequel
l' action administrative sera superposée à l' action
p149
gouvernementale ; il en résultera, par la
natureme du nouveau système, une alliance
franche et indissoluble entre les deux peuples
les plus industriels du globe ; et l' on sait assez
que l' union de la France et de l' Angleterre constitue
la force sociale la plus considérable dans le
monde civilisé.
DE L' ORGANISATION SOCIALE FRAGMENTS D' UN OUVRAGE INEDIT
CINQUIèME FRAGMENT .>
Suite du sujet traité dans le fragment précédent.
Tout le monde est d' accord sur ce point que
de grands changements dans l' organisation sociale
sont devenus indispensables, c' est-à-dire
tout le monde pense que c' est seulement au
moyen de changements radicaux dans la manière
dont les intérêts généraux seront dirigés qu' on
parviendra à donner de la fixité aux principes
politiques, qu' on viendra à bout de terminer
entièrement la révolution, et qu' on replacera
enfin la socié dans une situation calme et
stable.
p150
Il s' agit maintenant de déterminer avec précision
quels sont les changements réclamés par
l' état présent des lumières et de la civilisation :
c' est cette question que nous avons entrepris de
traiter.
Pour la mieux éclaircir, nous l' avons divisée
en trois parties ; nous l' avons considérée comme
composée de trois questions distinctes, que nous
avons cru devoir examiner séparément.
Voici l' énoncé de ces trois questions :
quelle est la nature des changements que réclame
le progrès des lumières ?
Quelle est la marche à suivre pour opérer ces
changements ?
Comment les nouvelles institutions doivent-elles
être combinées avec celles des anciennes
qui seront conservées, pour former une organisation
sociale qui puisse être mise imdiatement
en activité ?
Nous avons traité, dans le chapitre précédent,
la première de ces questions, et nous croyons
avoir suffisamment montré que, pour satisfaire
les besoins actuels de la société, pour établir
une organisation sociale proportionnée à l' état
présent des lumières, il fallait superposer l' action
administrative à l' action gouvernementale.
p151
Nous consacrons le présent chapitre à l' examen
de la seconde question.
Il s' agit de déterminer les moyens qui doivent
être employés pour superposer l' action administrative
à l' action gouvernementale.
Ce changement doit-il s' opérer brusquement
et par des mesures directes, ou doit-il s' effectuer
lentement et par des mesures successives ?
Notre opinion est que c' est brusquement, et
par des mesures directes, que le changement
doit s' opérer.
Nous fondons cette opinion d' abord sur le
grand fait suivant, sur un fait qui est unique
dans ce genre.
Examinons comment s' est opéré le seul changement
de système social dont l' histoire nous ait
conserun souvenir exact et détaillé. Rappelons-nous
si c' est d' une manière lente et par
des opérations successives que les hommes ont
passé du polythéisme au théisme, dugime des
Grecs et des Romains à l' organisation sociale
adoptée par les Européens du moyen âge.
Nous reconnaîtrons que les premiers chrétiens
ont substitué directement la croyance en
un seul dieu à la croyance en une multitude de
divinités, et qu' ils n' ont point entrepris de réduire
p152
les milliers de divinités admises à des
centaines, puis à des dizaines, pour arriver à
l' idée d' un dieu unique. Ainsi, nous sommes
fondés à dire que les hommes ont passé brusquement
du polythéisme au théisme.
C' est brusquement aussi que les pouvoirs des
Chieftains, Goths, Visigoths, Ostrogoths, Danois,
Anglais, Francs, Saxons, Germains, etc..,
ont remplacé ceux des consuls et des
proconsuls.
Enfin, c' est brusquement que l' esclavage a
changé de nature, et que les esclaves ont cessé
de dépendre directement de leurs maîtres pour
être attachés à la glèbe.
Nous appuierons encore notre opinion sur un
autre fait, qui diffère essentiellement de celui
que nous venons de citer.
La conséquence qui se déduit naturellement
du premier, c' est que les changements de système
s' opèrent brusquement ; et la conséquence
que nous tirerons de celui dont nous allons
parler sera que des demi-mesures, quelque énergiques
qu' elles soient, ne peuvent point effectuer
un changement de système.
Peut-on concevoir rien de plus énergique, de
plus tranchant, de plus acerbe que les mesures
p153
prises au commencement de la révolution contre
les prêtres et contre les nobles ; ils ont été dépouillés,
massacrés ou chassés presqu' en totalité ;
on s' est emparé en même temps de leurs
propriétés mobilières et immobilières, ainsi que
des pouvoirs politiques qu' ils avaient exercés
jusqu' à cette époque, et les roturiers se sont
trouvés par conséquent exclusivement chargés
de la direction des intérêts publics.
Qu' est-il résulté de toutes ces atrocités ?
Rien de radicalement important : le système
féodal n' a pas été anéanti ; il n' a pas tardé à
renaître de ses cendres ; il s' est reproduit au
bout de peu d' années avec de légères modifications.
C' est au moyen du rétablissement de ce
système que l' anarchie a été anéantie, et, chose
très-essentielle à remarquer, ce sont les roturiers
eux-mêmes qui ont reconstruit le système féodal ;
ce sont eux qui ont créé une nouvelle noblesse ;
ce sont eux qui ont établi les majorats, c' est-à-dire
les substitutions ; de manière que les étrangers
ont trouvé la France toute réféodalisée,
quand ils ont été en mesure d' y faire la loi.
Nous allons donner une explication très-simple
de ce fait, qui paraît de prime abord inexplicable,
p154
de ce fait qui, jusqu' à ce jour, n' a point été convenablement
analysé.
La mesure du massacre, de l' expulsion et du
dépouillement des nobles n' était, malgré toute
son atrocité, qu' une demi-mesure, elle a chan
le pouvoir de mains sans avoir changé la nature
des pouvoirs.
La société est toujours restée soumise à l' action
gouvernementale ; l' action gouvernementale
n' a pas ces, pendant toute la révolution, de
primer l' action administrative.
Or, il est de la nature de l' action gouvernementale
de maintenir ou de constituer des droits
politiques héréditaires, de même que c' est un
effet inhérent à l' action administrative de constituer
la plus grande égalité possible à l' égard
des droits de naissance, et de fonder les droits
politiques sur les supériorités en capacités
positives.
Nous concluons de ce que nous venons de
dire à l' appui de notre opinion :
1 yy que c' est brusquement, et par un changement
radical des principes, que s' est opéré le
seul changement de système social dont l' histoire
nous ait conservé un souvenir exact et
détaillé ;
p155
2 yy que la révolution, malgré toute sa violence,
n' a point déterminé le changement que réclame
le progrès des lumières, parce qu' elle n' a point
changé les principes sur lesquels se fonde le
système féodal.
A l' occasion de ce que nous venons de dire,
il nous a été fait une observation que nous allons
reproduire, pensant qu' elle pourrait se présenter
à l' esprit de quelques-uns de nos lecteurs.
" en admettant qu' un changement radical
dans le système ne puisse s' opérer que d' une
manière brusque, il ne s' ensuit pas que ce
changement doive être annoncé brusquement
et sans précaution. "
a cette observation nous répondons :
dans l' état présent des lumières, le seul
moyen qui puisse être employé avec succès pour
déterminer un changement radical dans l' organisation
sociale consiste à produire une nouvelle
doctrine politique supérieure à celle que les
gouvernements actuels professent.
Or, la production d' une nouvelle doctrine est
une action qui, par sa nature, est brusque et
tranchante, puisque cette production tend à changer
subitement les habitudes intellectuelles contractées
par l' esprit public.
p156
C' est donc brusquement que le changement
dans l' organisation doit être annoncé, deme
que c' est brusquement qu' il doit s' effectuer.
Au surplus, chacun peut se rendre facilement
compte de ce qui doit se faire aujourd' hui en
politique, puisque ce qui doit se faire aujourd' hui
est la conséquence de ce qui s' est fait antérieurement,
et particulièrement la continuation
de la marche suivie par la civilisation depuis le
zzzxve siècle.
Pour se rendre un pareil compte, d' une manière
claire et fructueuse, on doit diviser cet
examen en cinq parties et se demander
successivement :
1 yy quel était l' état politique des choses avant
le zzzxve siècle ?
2 yy quel effet politique a produit la crise
éprouvée par la société au zzzxve siècle ?
3 yy quels sont les changements politiques qui
se sont opérés depuis le zzzxve siècle ?
4 yy quel est l' état actuel des choses sous le
rapport politique ?
5 yy quelles sont les mesures à employer pour
rétablir un ordre de choses calme et stable ?
Nous allons faciliter au lecteur les moyens
de faire lui-me cet examen en lui présentant
p157
un aperçu de nos vues sur chacun de ces
points.
1 yy avant le zzzxve siècle, le pouvoir spirituel se
trouvait exclusivement placé dans les mains du
clergé, et cette disposition satisfaisait les besoins
de la société, puisque les idées théologiques
étaient alors dominantes et que, d' ailleurs,
le clergé était infiniment plus instruit que les
laïques dans le petit nombre de connaissances
profanes que possédaient les Européens du
moyen âge.
Avant le zzzxve siècle, les pouvoirs temporels
étaient concentrés dans les mains des nobles, et
cette disposition organique était utile, puisque
les nobles étaient à cette époque les industriels
les plus capables. C' étaient eux qui dirigeaient
les travaux de culture, et ces travaux étaient
alors les seules occupations industrielles qui
eussent une grande importance.
Ainsi, avant le zzzxve siècle, l' organisation sociale
qui existait était bonne, puisque les pouvoirs
spirituels et temporels se trouvaient placés
dans les mains des hommes les plus capables
dans les sciences et dans l' industrie.
2 yy par la crise que l' esprit humain a éprouvée
au zzzxve siècle, il a pris un grand essor dans la
p158
direction des sciences profanes et dans celle des
travaux industriels.
Ce sont les laïques qui ont été les novateurs
dans les sciences ; ce sont les roturiers qui l' ont
été dans l' industrie.
3 yy dans le zzzxve siècle, la théologie a successivement
perdu de son importance, parce que les
laïques ont fait faire de grands progrès aux
sciences profanes, et qu' ils ont trouvé les moyens
d' en faire des applications utiles à la société,
dont ils ont perfectionné la morale, en rendant
les hommes plus laborieux.
Les roturiers ont activé le commerce et la
fabrication ; ils sont devenus les entrepreneurs
et, par conséquent, les directeurs des travaux
de culture ; ils ont changé complétement leur
position sociale, puisque, d' une position extrêmement
subalterne, ils se sont élevés au rang
de chefs du peuple, qu' ils sont parvenus à commander
dans tous ses travaux journaliers.
4 yy l' état actuel des choses, en politique, présente
le spectacle du monde renversé : ceux qui
dirigent les affaires publiques auraient grand
besoin d' être dirigés ; les hautes capacités se
trouvent dans la classe des gouvernés ; les gouvernants
p159
sont, par l' effet de leur composition,
des hommes très-médiocres.
C' est dans la classe des laïques que se trouvent
les hommes dont les combinaisons perfectionnent
le plus la morale, et contribuent davantage
à l' accroissement du bien-être de l' espèce
humaine ; et cependant c' est au clergé que le
pouvoir spirituel est confié, et ce sont les ecclésiastiques
qui dirigent l' éducation publique.
C' est dans la classe des roturiers que se trouvent
les directeurs des travaux qui procurent à
la société la satisfaction de tous les besoins physiques,
et ce sont les nobles auxquels la première
existence temporelle est accordée.
5 yy le moyen de rétablir un ordre de choses
calme et stable consiste évidemment à confier la
direction des travaux intellectuels aux hommes
les plus capables dans les beaux-arts et dans
les sciences positives, en les chargeant en même
temps de diriger l' éducation publique.
Il consiste à placer le pouvoir temporel dans
les mains des industriels les plus importants, et
à dépouiller les nobles et les riches oisifs de
toute leur importance politique.
Voilà le résultat auquel se trouveront nécessairement
conduites toutes les personnes qui
p160
capituleront convenablement la marche de la
civilisation depuis le moyen âge jusqu' à ce jour.
Il nous reste à calmer les inquiétudes qu' une
classe de personnes très-nombreuses et fort
estimables, quoique peu énergiques, éprouvent
toujours quand il s' agit de mettre à exécution
une mesure générale.
Nous leur dirons d' abord : le moment des
demi-mesures est évidemment passé ; il faut
marcher directement au bien public ; c' est la
rité tout entière et toute nue qui doit être présentée
dans les circonstances actuelles ; le moment
de la crise est arrivé.
Cette crise est celle qui a été pdite par plusieurs
des saintes écritures qui composent
l' ancien-testament.
Cette crise est celle que, depuis longtemps et
plusieurs années, les sociétés bibliques préparent
avec une grande activité.
Cette crise est celle dont l' existence présente
est démontrée par l' institution de la sainte-alliance,
dont l' union est fondée sur les principes
les plus généraux en morale et en
religion.
Cette crise est celle que les Juifs attendent
depuis que, chassés de leur pays, ils ont été
p161
errants et persécutés, sans jamais renoncer à
l' espoir de voir arriver l' époque où tous les
hommes se traiteraient en frères.
Cette crise, enfin, tend directement à établir
une religion vraiment universelle, et à faire
adopter par tous les peuples une organisation
sociale essentiellement pacifique.
Nous dirons ensuite aux personnes qui poussent
la prudence jusqu' à la timidité :
il ne peut résulter aucun trouble d' un mouvement
dirigé par les savants les plus distingués
et par les industriels, qui sont de toute la société
les membres les plus intéressés au maintien
de l' ordre ; ils sont ceux qui ont le plus d' aversion
pour tout acte de violence.
Les savants et les industriels seront certainement
obligés de développer une grande force
pour opérer le changement de système ; mais ce
sera la force morale qu' ils emploieront, la force
de l' opinion publique.
Nous dirons à ces hommes pusillanimes : il
ne peut point exister de lutte physique entre
deux partis d' une force extrêmement disproportionnée.
La lutte, entre eux, ne peut être que
morale. Le parti le plus faible n' a d' autres ressources
que d' invoquer les principes de justice
p162
ou de bien public : or, tous les principes de ce
genre serviront d' appui aux novateurs.
Ce mouvement tout moral, tout pacifique, sera,
en définitive, fortement secondé par la royau
me, qui tend de jour en jour à se débarrasser
de ses alentours pour s' unir plus étroitement à
la nation.
DE L' ORGANISATION SOCIALE FRAGMENTS D' UN OUVRAGE INEDIT
SIXIèME FRAGMENT>
Dispositions fondamentales qui doivent compléter l' organisation
sociale, dans l' état de la civilisation.
Les systèmes, les théories, les combinaisons
ne sont susceptibles d' être perfectionnés que
jusqu' à un certain point, passé lequel les principes
qui leur servent de base ne peuvent plus
se ployer suffisamment pour recevoir les modifications
qu' on voudrait leur faire subir ; il
n' existe alors qu' un seul parti à prendre, celui
de produire un nouveau système, une nouvelle
théorie ou une nouvelle combinaison pour satisfaire
les besoins qu' on éprouve.
Il est impossible de faire subir au système
p163
d' organisation sociale qui s' est établi dans le
moyen âge les modifications qui seraient nécessaires
pour le rendre propre à la société actuelle.
Il n' existe qu' un seul moyen pour établir en
Europe un ordre de choses calme et stable : ce
moyen consiste à produire une nouvelle combinaison
d' organisation sociale.
Dans le moyen âge, la capacité de gouverner
c' est-à-dire la science de maintenir les nations en
subordination, a été et a dû être classée comme
la première capacité. L' état d' ignorance de la
très-grande majorité des peuples, à cette époque,
exigeait que la société fût ainsi constituée.
Dans l' état présent des lumières, les capacités
scientifiques et industrielles sont devenues les
plus utiles à la société ; l' action de gouverner ne
doit donc plus être considérée et employée que
comme une action subalterne, et elle doit principalement
s' exercer contre les désoeuvrés, qui
seront toujours enclins à troubler l' ordre public.
Dans le moyen âge, la classe militaire à dû
être la classe la plus puissante et la plus considérable,
la classe directrice ; les nations ont
être soumises à des gouvernements militaires.
Mais aujourd' hui que les nations sentent le besoin
et éprouvent le désir d' être organisées de la manière
p164
la plus favorable à la production, la classe
des hommes qui sont exclusivement consacrés
à la profession militaire doit être peu nombreuse
et elle ne doit plus être envisagée que
comme une classe subalterne.
C' est d' après ces données que nous avons
combile système d' organisation sociale dont
nous allons psenter les dispositions
fondamentales.
Nous prouverons plus tard que ce système est
dans la me proportion de perfectionnement à
l' égard de celui qui s' était établi dans le moyen
âge, que le système constitué à cette époque
l' avait été à l' égard de l' organisation sociale des
Grecs et des Romains.
Du pouvoir spirituel ou scientifique.
" les savants doivent se diviser en deux
classes et former deux académies séparées.
Une de ces académies doit s' occuper principalement
de la formation d' un bon code des
intérêts, et l' autre doit travailler au perfectionnement
du code des sentiments.
Louis zzzxiv a fondé une de ces académies,
celle des sciences physiques et mathématiques :
p165
cette acamie a déjà beaucoup contribué au
perfectionnement des observations et des
raisonnements.
L' addition d' une classe de savants en économie
politique suffirait pour la mettre en
mesure d' établir un bon code des intérêts.
L' autre académie, celle des beaux-arts, s' occupera
du perfectionnement de nos facultés,
d' imagination et de sentiment.
L' addition d' une classe de moralistes et de
théologiens à celle des littérateurs, des poëtes,
des peintres, des sculpteurs et des musiciens
mettrait cette académie en mesure d' établir un
bon code des sentiments.
Il doit être établi dans l' une et l' autre de
ces académies une classe de légistes, car la
société a besoin que les sentiments de ses
membres, ainsi que leurs intérêts, soient
soumis à des règles fixes, pour déterminer les
relations qui doivent exister entre eux sous
ces deux rapports.
L' académie des sciences et celle des beaux-arts
unies en une seule assemblée, nommeront
les membres destinés à composer une
académie philosophique qui portera le titre
d' académie suprême.
p166
Cette académie suprême sera chargée d' établir
d' abord et de perfectionner ensuite la
doctrine générale qui servira de base à l' instruction
publique.
Les philosophes qui composeront cette
académie s' adjoindront les légistes de la plus
haute capacité et ils leur confieront le soin
d' imprimer à la doctrine générale qu' ils produiront
le caractère réglementaire.
Du pouvoir temporel.
La direction du pouvoir temporel doit être
confiée aux cultivateurs, aux fabricants, aux
négociants et aux banquiers les plus importants.
Ils formeront un conseil, qui portera le
titre de conseil des industriels.
Ce conseil aura le droit de s' adjoindre les
employés qui se seront le plus distingués
dans les différents départements dont le gouvernement
se compose.
Ce conseil s' occupera de l' examen de tous
les projets d' utilité publique qui lui seront
présentés par le pouvoir spirituel ; il fera choix
de ceux de ces projets qu' il jugera convenable
d' adopter. "
p167
mise en action de la nouvelle organisation
sociale.
" la royauté héréditaire, dans l' ordre de primogéniture,
est l' institution sur laquelle se
fonde la nouvelle organisation.
L' académie suprême forme le conseil initiatif
de sa majesté.
Les projets arrêtés dans le conseil initiatif
sont envoyés à l' examen de l' académie des
beaux-arts et de l' académie des sciences.
Ces projets, après avoir été examinés par
ces deux académies, seront présentés, avec les
observations faites par elles, au conseil des
industriels.
Le conseil des industriels fait tous les ans
les projets de budjet, et vérifie si les ministres
ont employé convenablement les sommes qui
ont été accordées à leur département par le
budjet précédent.
Le projet du budjet ainsi élaboré est remis
au conseil des ministres, qui, d' après les
ordres du roi, le présente aux chambres. "
p168
ce projet se réduit, comme on le voit, à une
simple intercalation entre le pouvoir du roi et
celui des chambres.
Nous avons assisté à l' entrée de s.. m..
Charles zzzx. Les parisiens ont accueilli avec une
ritable affection le roi et la famille royale, et
ils se sont montrés très-indifférents pour tous
les grands personnages, tant de l' ancienne que
de la nouvelle noblesse, qui composaient
l' escorte.
Nous nous sommes demandé ce qui serait
arrivé si le roi, entrant dans la capitale, s' était
entouré :
des premiers mathématiciens, physiciens,
chimistes, physiologistes et mécaniciens de son
royaume ;
des poëtes, des peintres, des sculpteurs, des
musiciens, des ingénieurs et des architectes les
plus distingués ;
des cultivateurs, des fabricants, des négociants
et des banquiers les plus importants.
Nous resterons convaincus que l' enthousiasme
pour le roi, ainsi escorté, aurait été porté à son
p169
comble et aurait infiniment dépassé ce qui a
existé dans ce genre à aucune époque de la
société.
La vue des hommes qui illustrent et enrichissent
la nation, ayant le roi à leur tête, est
celle qui peut plaire le plus au peuple.
Ce n' est plus par des victoires que la nation
française veut s' illustrer, ce n' est plus par les
conquêtes qu' elle veut s' enrichir, c' est à la supériorité
dans les sciences et dans les beaux-arts
que les français aspirent ; c' est par des travaux
pacifiques et industriels qu' ils veulent
s' enrichir.
Le temps des illusions est décidément passé ;
c' est très-froidement que les peuples calculent
aujourd' hui leurs propres intérêts ; la pompe du
pouvoir n' a plus pour eux qu' un très-faible
attrait : ils sejouiraient bien plus de voir les
rois entourés de ceux qui les enrichissent que de
ceux qui leur coûtent, et qui exercent sur eux
des pouvoirs dont l' action est plus nuisible
qu' utile à la prospérité publique.
p170
DE L' ORGANISATION SOCIALE FRAGMENTS D' UN OUVRAGE INEDIT
CONCLUSION DES OPINIONS ET DES FRAGMENTS PRéCéDENTS>
Plus une opération est importante et compliquée,
et plus elle exige de travaux préliminaires
et pparatoires. L' organisation d' une
société politique, remplissant la condition de
procurer à tous les individus qui la composent
la plus grande somme de bonheur possible, était,
de toutes les orations que les hommes pouvaient
entreprendre, la plus importante, et celle
de l' exécution la plus difficile ; on ne doit donc
pas s' étonner que, malgré l' immensité des travaux
de nos devanciers nous ne soyons encore
parvenus qu' au point de départ, pour procéder
directement à l' établissement des institutions
dont l' objet sera l' accroissement du bien-être de
la classe la plus nombreuse.
Deux conditions étaient indispensablement
nécessaires pour que l' organisation sociale pût
être conçue de manière à faire concourir les
principales institutions à l' accroissement du
bien-être des prolétaires.
D' une part, il fallait que les individus, composant
p171
la dernière classe de la société, fussent parvenus
à un degré de civilisation tel qu' il permit
de les admettre comme sociétaires, et pour cela
il était indispensable qu' ils se trouvassent capables
d' administrer des propriétés.
Il fallait en outre qu' une révolution dans les
propriétés appelât un grand nombre de prolétaires
à en posséder, afin qu' en les administrant
d' une manière habile, ils prouvassent par l' expérience
qu' ils avaient la capacité requise pour
être classés par la nouvelle organisation sociale,
au rang des sociétaires.
Cette expérience a été faite pendant la révolution,
et elle a pleinement réussi, comme nous
l' avons prouvé dans les deuxième et troisième
fragments.
L' autre condition à remplir était qu' il s' établît
un système dominateur des plus hautes
théories, c' est-à-dire que tous les systèmes
auxquels se rapportent les différentes parties de
nos connaissances concourussent à la formation
du système du bien public, devenu système
dominateur.
De manière que le sytème scientifique, le
système religieux, le système de législation, le
système des beaux-arts, concourussent sous la
p172
direction du système général du bien public, à
l' établissement de l' organisation la plus avantageuse
au plus grand nombre, à l' établissement
de l' organisation la plus favorable au développement
de toutes les capacités utiles.
A cet égard, l' expérience était à faire, et c' est
le désir de la tenter qui a déterminé nos
travaux.
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