Mais, si la loi naturelle a pu être perfectionnée
par la loi de Moïse, et celle-ci, par la loi
chrétienne, pourquoi la loi chrétienne ne
pourrait-elle pas l' être par une autre qu' il n' a
pas encore plu à Dieu de manifester aux hommes ?
5.
Si la loi naturelle a été perfectionnée, c' est, ou
par des vérités qui nous ont été révélées, ou par
des vertus que les hommes ignoraient. Or, on ne peut
dire ni l' un ni l' autre. La loi révélée ne contient
aucun précepte de morale que je ne trouve
recommandé et pratiqué sous la loi de nature ; donc
elle ne nous a rien appris de nouveau sur la morale.
La loi révélée ne nous a apporté aucune vérité
nouvelle ; car, qu' est-ce qu' une vérité, sinon une
proposition relative à un objet, conçue dans des
termes qui me présentent des idées claires, et dont
je conçois la liaison ? Or la religion révélée ne nous
a apporté aucune de ces propositions. Ce qu' elle a
ajouté à la loi naturelle consiste en cinq ou six
propositions qui ne sont pas plus intelligibles
pour moi que si elles étaient exprimées en ancien
carthaginois, puisque les idées représentées par les
termes, et la liaison de ces idées entre elles,
m' échappent entièrement.
Les idées représentées par les termes et leur liaison
m' échappent ; car, sans ces deux conditions, les
propositions révélées, ou cesseraient d' être des
mystères, ou seraient évidemment absurdes. Soit, par
exemple, cette proposition révélée : les enfants
d' Adam ont tous été coupables, en naissant, de la
faute de ce premier père. Une preuve que les idées
attachées aux termes et leur liaison m' échappent
dans cette proposition, c' est que si je substitue
au nom d' Adam celui de Pierre , ou de
Paul , et que je dise : les enfants de Paul
ont tous été coupables,
p264
en naissant, de la faute de leur père, la proposition
devient d' une absurdité convenue de tout le monde.
D' où il s' ensuit, et de ce qui précède, que la
religion révélée ne nous a rien appris sur la
morale ; et que ce que nous tenons d' elle sur le
dogme, se réduit à cinq ou six propositions
inintelligibles, et qui, par conséquent, ne peuvent
asser pour des vérités par rapport à nous. Car, si
vous aviez appris à un paysan, qui ne sait point
de latin, et moins... encore de logique, le vers
asserit a, negat e, verum generaliter ambo,
croiriez-vous lui avoir appris une vérité nouvelle ?