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DE LA.
RÉPARATION CIVILE DES DÉLITS
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DE LA
RÉPARATION CIVILE DISLITS
(ÉTUDE DE DROIT ET DE LÉGISLATION)
PAR
René DEMOGUE
DOCTEUR EN DROIT AVOCAT A LA
COUR D*APPEL DE PARIS
Ouvrage couronné par la Faculté de Droit de l'Université de Paris
(Concours de doctorat 1891. — 1» Médaille d'Or)
PARIS
LIBRAIRIE NOUVELLE DE DROIT ET DE JURISPRUDENCE
ARTHUR ROUSSEAU
ÉDITEUR
14, rue Soufflot et rue Touiller, 13
1898
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PRÉFACE
En 1896, la Faculté de Droit de l'Université de Paris avait
misau concours le sujet suivant : Do laréparalion du préjudice
causé par une infraction aux lois pénales. Elude sur la portée
et l'efficacité des actions ouvertes à la victime et les améliora-
tions legislatives qu'il y aurai t lieu d'y apporter.
Depuis plusieurs années, cette question avait figuré à l'ordre
du jour des différents congrès de droit pénal. Mais en dehors
des rapports et des discussions souvent intéressantes aux-
quelles elle avait donné lieu, peu de travaux importants avaient
été faits sur ce point. On ne peut guère citer d'une part que
l'ouvrage de M. Garofalo, l'un des chefs do l'école pénale ita-
lienne. Ce livre, intitulé Ripparazione alle vittime del delitto,|
n'a pas été traduit en français. D'autre part, une étude de M.
Stoppato, l'un des défenseurs de l'école classique, a paru sur
cette question dans la Itivista pénale. En France, aucun travail
de quelque étendue n'avait été publié sur ce point. L'étude de
ce sujet nous a tenté et nous avons esssayé de présenter les
fruits de nos recherches et de nos réflexions. Lai Faculté a bien
voulu récompenser nos efforts eu nous accordant la première
médaille d'or, et nous tenons à lui exprimer respectueusement
notre gratitude.
Nous publions aujourd'hui notre travail, après avoir essayé
d'en faire disparaître les imperfections et nous devons, à ce
Sujet, remercier tout particulièrement notre distingué maître
de l'Université de Paris, M. Le Poittevin,qui a bien voulu nous
aider de ses conseils.
PFACE
Nous avons divisé notre étude en deux parties : la première
étant consacrée au droit français actuel, la seconde à la re-i
cherche des améliorations législatives possibles. Cette seconde
partie est la plus importante de notre travail, non seulement par
elle-même, mais par l'introduction historique qui en est le
complément. Ce rapide aperçu du passé montre dans quel sens
le droit a marc jusqu'ici. Il permet de mieux apprécier des
doctrines nouvelles qui souvent tendent à nous rapprocher des
institutions primitives et nous fait mieux comprendre combien
elles font fausse route.
Dans la première partie de ce livre, nous avons examiné la
situation faite à la victime dans notre droit actuel. Nous avons
eu pour but de faire mieux comprendre les améliorations pro-
posées, en montrant quelles lacunes elles viendront combler.
Nous n'avons pas prétendu faire un traité complet de la res-
ponsabilité civile. Il existe sur ce point des ouvrages d'une
valeur incontestée, qui auraient tout au plus besoin d'être mis au
courant de la jurisprudence (1). Notre but était plus modeste.
Nous avons voulu indiquer la portée des divers articles de nos
codes concernant la réparation des délits et présenter
1
le tableau
succinct de la jurisprudence en cette matière. Nous [n'avons
nullement cherché à étudier toutes les controverses, mais
seulement à fixer la situation qui, en pratique, est faite à la
victime, étant donné les articles dela loi et l'interprétation que
les tribunaux en ont admise. C'est la seule chose qui nous a paru
présenter quelque utilité, étant do nné les travaux faits
antérieurement sur ce point.
(1) V. Notamment le Traité générât de la responsabilité, par
M. Sourdat, Paris, '1886.
PRÉFACE 3
EXTRAIT DU RAPPORT DE M. GIRARD
LU A LA SÉANCE DE LA FACULTÉ DU 31 JUILLET 1897.
« La question mise au concours était celle de la paration des «
dommages causés par les infractions à la loi pénale. Une notice «
explicative en formulait le double intérêt pratique et doctrinal « en
demandant aux concurrents d'examiner la portée et l'eflica-J « cité
des actions ouvertes à la victime et de rechercher les amé-«
liorations qui pourraient être introduites à ce sujet dans nos « lois.
« Des deux mémoires déposés, l'un a été de suite écarté. . V,
« L'autre concurrent, M.Demogue, a infiniment mieux compris «
ce que voulait la Faculté. Son mémoire SP. compose de deux «
parties d'ampleur inégale : l'une, Ja plus brève, relative au droit «
actuel» l'a titre, la plus étendue, consacrée aux projets d'amélio-«
ration. Dans la première, il marque ce qui existe, d'un trait « rapide
et juste, en touchant successivement le principe de la « réparation
civile, les garanties personnelles et réelles de l'ac-« tion en
indemnité, les voies d'exécution sur la personne et sur « les biens du
coupable, les rapports de la réparation civile et de « la procédure
criminelle, la prescription de l'action en sépara-« tion. Dans la
seconde, il reprend tous ces points, en dressant « pour chacun le
répertoire compliqué des remèdes multiples et « divergents proposés
à une situation certainement fâcheuse par « des réformateurs de
toute sorte, en s'appliquant à ne rien né-« gliger, en ne reculant pas
au besoin devant les redites inévi-« tables, mais en ne se laissant pas
non plus détourner par les «tails du chemin qu'il s'est tracé.
INTRODUCTION HISTORIQUE
Chez tousles peuples pris à leur origine, lorsqu'il n'exis-
tait ni règle rigoureusement observée, ni pouvoir social
solidement établi, au moment de ces bouleversements
fréquents au début des sociétés, la vengenco privée appa-
raît comme la seule sanction des violences contre les per-
sonnes ou les biens. En mémo temps qu'elle venait d'un
sentiment spontané, c'était une nécessité pour empêcher
le retour des mêmes agressions. Celui qui n'aurait pas
montré la même ardeur à défendre son droit, à poursuivre
son agresseur, aurait eu plus de chances d'être victime
[d'un nouveau délit. Ses biens auraient été plus souvent
l'objet des rapines do voisins avides et peu scrupuleux.
Mais, dès la même époque, la personne offensée put
renoncer à sa vengeance moyennant un certain prix, une
composition. Soit qu'elle fût de guerro lasse, soit qu'elle
préférât un enrichissement certain à une lutte hasardeuse,
et parfois inégale, en retour d'un certain avantage, elle
promettait de ne pas exercer sa vengeance, elle faisait la
paix avec son agresseur. La composition, ainsi pae, ne
présentait pas le caractère do nos réparations civiles, c'est-
à-dire d'une valeur attribuée à la victime d'un délit et
égale au mal qu'elle a souffert. C'était un équivalent gros-
sier de nos peines et de nos indemnités actuelles tout à la
fois. Nos idées modernes du délit donnant lieu à une
6 INTRODUCTION HISTORIQUE
action publique, parce que le fait a un caractère antisocial,
et à une action privée en réparation, pour rétablir la
victime dans le statu guo ante supposent une analyse
assez One, absolument étrangère aux âges primitifs. '
L'idée première de l'humanité était beaucoup plus simple
: on a été lésé, on se venge, on suit son impulsion, sans se
soucier du manque de résultat matériel pour soi-même, on
rend le mal pour le mal, et cela sans espérance de
recouvrer ce qu'on a perdu. Si l'on renonce à sa vengeance
moyennant une composition, c'est que la composition ainsi
reçue procure une satisfaction équivalente à celle du sir
assouvi. Ce n'est pas à dire que les parties, dans leur
arrangement, n'aient dû faire entrer en ligne de compte
l'étendue du mal commis. Cela était nécessaire, car bien
qu'il y ait dans l'intensité du ressentiment de l'offensé, un
élément subjectif, ce ressentiment devait être dans une
certaine proportion avec le dommage souffert. Comment
ne serait-il pas plus aigu suivant l'importance des blessures
faites, ou le nombre des objets volés ? Mais l'abandon de
la vengeance ne devait se faire que moyennant une valeur
supérieure à celle du dommage causé : autrement, c'eut été
laisser trop beau jeu au coupable, c'eut été trop peu pour
calmer les sentiments violents des ( hommes de cette
époque.
Tel était le caractère mixte qu'avaient les compositions
librement débattues entre l'agresseur et sa victime. Lors-
que le pouvoir social fut organisé, lorsque le paiement
d'une composition fut par lui imposé au criminel, cette
composition conserva longtemps encore le même carac-
tère, ce fut encore un rachat de vengeance, mais celte
INTRODUCTION HISTORIQUE
7
fois légal, obligatoire, au lieu d'être conventionnel et fa-
cultatif. La composition restait dans celte nouvelle phase
ce qu'elle était auparavant : mesurée surtout sur le désir
de vengeance de la victime, sans aucune proportion exacte
avec le préjudice causé. En fait, elle arrivait bien à une
réparation, mais ce n'était que par à peu près ; nous ne
sommes point en présence d'une condamnation mesurée
sur le dommage causé et sur lui seul.
Ces idées, nous les trouvons appliquées dans le droit ro-
main/ On imposait au voleur une condamnation au double
ou au quadruple de l'objet volé, abstraction faite du
dommage causé par le délit. Nous les voyons aussi ad-
mises à l'origine de notre Ancien Droit, dont nous allons
uniquement nous occuper.
Chez les peuples barbares qui s'établirent sur les ruines
de l'empire romain, et en particulier chez les Germains, le
wergeld formait la seule sanction de presque tous les
crimes contre les particuliers. Mais ce n'était qu'une sa-
tisfaction approximative, fixée d'une façon uniforme pour
chaque crime, sans considération pour le dommage plus
ou moins grand causé dans chaque espèce, elle variait
seulement suivant la qualité de l'oifensé. La loi, en fixant
le taux du wergeld, s'inspirait au moins autant de la
gravité sociale de l'offense que du dommage probable. En
fait, le tarif des compositions étant assez élevé, la personne
lésée recevait donc, outre l'équivalent du dommage subi,
une somme en proportion avec l'importance de son ressen-
liment. Si nous ajoutons à cela que le criminel devait
payer au roi une certaine somme, le fredum, nous aurons
l'idée générale de ce qui, à l'époque franque, cor-
INTRODUCTION HISTORIQUE
respomlail aux conséquences pénales et civiles du délit. En
même temps que la personne lésée obtenait satisfaction pour
ses portes pécuniaires et son ressentiment, elle n'était pas
moins favorisée au point de vue des sanctions qu'elle avait à sa
disposition. Le condamné insolvable lui était livré et perdait
tout au moins la liberté (1). En mémo temps, les parents do
l'offenseur étaient solidaires pour lo paiement du wergeld
par leurs parents, ils devaient au besoin le payer à sa place. Le
paiement do son droit so trouvait donc assuré d'une façon
efficace.
Tel fut le point de départ : confusion de la poine et de la
réparation dans le wergeld et sanctions énergiques pour lo
paiement de ce même wergeld.
De l'époque franque au droit actuel, uno double évolu-
tion s'est opérée qui va nous montrer comment il se fait, qu'à
l'bcure présente, l'insuffisance do la réparation civile est
fpartout remarquée. D'une part, la paration et la peine se
sont séparées peu à peu, la notion de réparation civile
correspondant à tout le dommage, mais rien qu'au
dommage, s'est lentement dégagéo, pour apparaître de plus
en plus nette ; corrélativement, colle de peine s'est peu à peu
affirmée de façon distincte. En même temps, la réparation
civile s'est trouvée de moins en moins protégée, le rôle de la
partie lésée s'est effacé peu à peu dans la procédure;
chaque jour, elle a rencontré plus de difficultés. Un moment
est arrivé, et c'est l'époque actuelle, le besoin de réagir
conrtre cet état de chose s'est fait sentir, et
INTRODUCTION HISTORIQUE
9
loù l'on s'est mis à rechercher les amélioralions possibles
sur co point.
Ce fut dans la seconde moitdu xn
e
siècle que la se
patio n do la réparation et de la peine se lit jour. Nous la
constatons pour la première fois dans lo midi, la cou-
tume de l'île Jourdain (comté do Toulouse) condamne le
meurtrier, ou celui qui a donné des coups, à une peine
corporelle ou à une amende et en outre à « restituere
dam-num » (1). Un peu plus tard la coutume de Thegia
on [Quercy de 1266, déclare que dans les cas qui
entraînent confiscation des biens, on commence par
réparer le dommage (art. 30) (2). Celle de Puymirol de
1286 en cas de voie de fait ou de vol, parle aussi de
réparation à l'estimation dubaile ou de sa cour(chap. XII
(3). Cette distinction duc sans doute à l'influencedu droit
romain fut encore longtemps avant de se généraliser
complètement, surtout dans les pays du nord. Au
treizième siècle, Beau manoir ne conçoit pas encore la
réparation du préjudice d'une façon absolument nette,
dégagée de toute idée pénale (A). Dans d'autres
documents de son époque, cette notion est encoro plus
confuse (2). Co n'est qu'un peu plus tard que cetto
(1) N°s 15 et 19. V. Nouv. Revue historique, 1881, p. 647.
(2) V. Nouv. Revue historique, 1887. p. 323.
(3) V. Nouv. Revue historique, 1870, p. 48.
(4) Ch. 30 18. Qui navre autrui ou afolc, il lui doit rendre ses
damaecs, c'est à entendre le coût des micros et les despens du blecié
et restorer ses jornées selon le mesticr dont il est. Et s'il y a mehaing
on doit regarder la manière du mehaing et Testât de la persone qui
est mehaingné (jusqu'ici, c'est bien l'idée de réparation comme nous
la comprenons) et l'avoir de celui qui le mebaingne (ici la peine
privée reparaît).
(f>) V. Warnkœnig. Histoire des Flandres, III, p. 294. Une
INTRODUCTION HISTORIQUE
notion fut comprise réellement, comme bien distincte de celle
de peine, que l'on regarda la réparation, comme ayant pour
seul but de rétablir la victime dans sa situation antérieure. Cette
idée ne se montre tout à fait que dans les chartes de la fin du
xm
e
siècle, dans la Somme rurale de Bouteiller, dans le
Coutumier de Charles VI (j). Ce jour seulement, un départ fut
fait nettement entre l'intérêt social qui réclame une peine, et
l'intérêt privé qui demande uniquement la compensation des
pertes subies. Ce jour un grand pas fut fait dans la voie de la
civilisation : l'idée de vengeance cessa de recevoir sa consécra-
tion judiciaire. La loi n'attribua plus à l'offensé une somme,
souvent supérieure à la perte éprouvée, elle ne lui donna plus
qu'une somme égale au dommage subi, sans tenir compte de son
ressentiment, en un mot une réparation civile.
Ce ne fut pas un fait isolé, il concorde avec toute la
transformation qui s'est opérée dans la justice criminelle, et
lui a donné l'allure nouvelle qu'elle conserve jusqu'à 'la
fin de l'Ancien Droit. C'est à celte époque, en effet, qu'au
système accusatoire vint se substituer, ou plutôt s'ajouter le
système inquisitoire. C'est un peu plus tard que le
ministère public fut créé. Tout cela est étroitement lié. Si le
système inquisitoire apparaît, si l'on juge sans attendre
l'accusation d'un particulier, c'est que le trouble
INTRODUCTION HISTORIQUE
social du délit se dégage davantage, on sépare mieux les
intérêts divers qui ont été atteints par le délit, leur pro-
tection cesse d'être réunie dans les mêmes mains. Les in-
térêts privés restent confiés aux particuliers, mais, pour
les intérêts sociaux des officiers publics sont chargés de
suppléer à leur négligence. L'idée de réparation civile qui
apparaît à cette époque constitue donc une innovation en
parfaite harmonie avec tout le développement du droit
criminel à la fin du moyen-âge.
La façon nouvelle de comprendre les intérêts de la vic-
time trouva son écho dans une tranformalion des expres-
sions employées. Jusqu'à la fin du xv siècle, disent les
uns, jusqu'à l'ordonnance do 1539, disent les autres, les
sommes adjugés àla personne sée se nommaient
amende, sormais on les désigna sous le nom de
réparation civile. La nouvelle terminologie indiquait bien
le progrès qui s'était fait dans les idées. Toutefois la
réparation civile ne fut jamais comprise d'une façon aussi
abstraite de l'élément pénal qu'elle l'est aujourd'hui. Si
l'on regarde les anciens auteurs, on voit que les sommes
accordées à la suite d'uni délit pénal, ne semblent pas
pour oux avoir la même nature que celles adjugées à la
suite d'un simple délit civil. La plupart opposent la
réparation civile accordée à la victime d'une infraction et
les simples dommages-intérêts résultant de tout autre
cause (1). Certains auteurs proclament que la réparation
civile se partage dans la famille de la victime à peu près
comme le wergeld se partageait autrefois : « La re
et ses enfants doivent participer par
(1) V. Muyart de Vouglans, Instituiez au droit criminel, p.
423.
12 INTRODUCTION HISTORIQUE
moitié aux deniers de Ja réparation adjugée pour l'homicide
commis en la personne de son mari». Même au xvn° siècle,
les jurisconsultes disent encore que la réparation est « le
prix du sang ». A bien d'autres traits épars çà et là, on peut
reconnaître des traces des idées anciennes. On no pensait
pas que l'indemnité, accordée à fa suite d'un délit, fut
absolument de même nature que celle accordée dans un
procès purement civil. Toutefois les différences allaient
toujours en s'atlénuant, et un des derniers auteurs de
l'Ancien Droit, Merlin, affirmait qu'il n'y avait plus à
distinguer la réparation civile dès dommages-intérêts.
Aujourd'hui, toute différence de nature a disparu. L'évo-
lution est arrivée à son terme. Grâce au progrès du droit,
les condamnations pécuniaires en faveur de la victime ont
perdu tout leur caractère pénal. La distinction de ce qui est
intérêt individuel et de ce qui est intérêt social, apparaît
parfaitement précise.
En me temps, dans tout le cours de l'Ancien Droit,
une autre transformation s'est accomplie, regrettable celle-
là. Le paiement de la réparation civile est devenu plus ha-
sardeux pour la personne lésée. La transformation générale
du droit, des nécessités fiscales toujours plus pressantes
ont contribué peu à peu à gêner la victime dans sa
poursuite, à diminuer ses recours, à affaiblir l'efficacité de
son droit.
Nous avons indiqué plus haut les énergiques sanctions
INTRODUCTION HISTORIQUE 13
qui existaient à l'origine pour le paiement de la composi-
tion : la perle de la liberté, sinon de la vie, pour le cri-
minel insolvable, l'obligation solidaire do toute sa famille
pour le paiement du wergeld. De ces deux moyens d'effi-
cacité, qui dérivaient directement des rudes et primitifs
usages du droit germanique, le second disparut de bonne
heure. 11 fut aboli par un édit de Cbildebert II. Dès la fin
du VI siècle, ce recours si avantageux était donc disparu.
Pendant tout le moyeu-âge, on trouva souvent une ins-
titution analogue, mais atténuée, en harmonie avec
une organisation de la famille, déjà plus fragile. Ces com-
munautés laisibles, si fréquentes à cotte époque dans les
familles roturières, servirent de baso, elles aussi, à une
responsabilité en matière de délits. Dans ces communau-
tés entre les membres d'une même famille, habitant en-
semble, « vivant au même pain et pot », le chef de famille
répondait de tous ceux qui vivaient en indivision avec lui.
Gomme on disait alors, il était responsable « des méfaits
de toute sa ménie » (1).
Lorsque la lente désaggation de la famille amena la
décadence de ces communautés, la victime d'un crime, en
dehors de son agresseur, ne put désormais poursuivre que
[quelques rares personnes comme civilement responsables.
La liste en est courte et nous la trouvons, dans l'œuvre de
Polluer, identique à ce qu'elle est dans le Code civil. Les
père et mère répondent de leur enfant mineur, « car ils
sont présumés avoir pu empêcher le délit, lorsqu'il a étê
(1) M. Lefebvre. Cours de di'oit coulumicr.
fait en leur présence ». Les maîtres répondent des délits de
leurs domestiques, lorsqu'ils ne les ont pas empêchés, ayant pu
le faire, et de tous ceux commis dans l'exercice de leurs
fonctions, alors même qu'ils n'auraient pu les empêcher, enfin
les commettants répondent de leurs préposés.
Voilà tout ce qui était désormais compatible avec l'or
ganisation nouvelle et essentiellement individualiste qui
se préparait. La victime, qui primitivement avait un
droit si étendu contre toute la famille du coupable ne pos
sédait plus, sauf quelques cas particuliers, qu'un recours
contre le criminel lui-même. De ce côté, l'efficacité de la
réparation se trouvait donc recevoir une atteinte très
sensible.
Par contre, l'Ancien Droit reconnut à la victime le droit
de poursuivre les héritiers du coupable, se séparant ici des
règles romaines pour se conformer au droit canon. <•: Iaçoit
que de droit civil, l'héritier ne soit tenu pour le regard du crime
de son prédécesseur, dit Imbert(l), toutefois de droict canon
l'héritier est tenu réparer le dommage fait par le défunct, tant
que le bien dudit défunct se peut estendre, laquelle équité
canonique, Faber tient être recette en cour séculière, et dit qu'il
a veu garder par la cour de Parlement à Paris. Par quoy n'est
aujourd'hui approuvée, ladite opinion de Bariole et de Paul de
Castres, à tout le moins, il la faut modifier tellement qu'elle
n'ait bien qu'en peine appartenant au fisque et non point en
réparation pécuniaire de partie civile ».
(1) Enchiridion, v« Confession des
ac
accusés.
I
INTRODUCTION HISTORIQUE 45
La restriction imposée parle droit canon et par Imbert,
qui consistait à n'obliger l'héritier à raison des délits du
défunt, qu'intra vires hereditates, ne fut même pas
maintenue. D'Argentré, sur l'art 179 de la coutume de
Bretagne, disait que l'héritier est tenu complètement,
etiam si nihilad eum pervertit (1). Et au xvin* siècle, Po-
thicr paraît adopter implicitement la môme solution (2).
A part ce droit de poursuivre les héritiers, ce qui est le
droit commun pour des créanciers, et de demander
paiement aux personnes civilement responsables, quelles
mesures furent prises pour assurer l'efficacité de la pa-
ration ? Comment la victime put-elle poursuivre sou dû ?
aussi, les droits delà partie sée eurent avec le temps
moins de facilité pour s'exercer. Ce furent surtout les
mesures fiscales qui formèrent obstacle à leur exercice.
Car par ailleurs l'Ancien Droit vit se développer d'utiles
garanties pour la réparation civile.
On peut citer tout d'abord la solidarité qui fut
reconnue entre les divers auteurs ou complices d'un
même crime ou délit, solidarité que nous voyons
signalées par Imbert, que Pothier mentionne à nouveau à
la fin de l'ancien droit. C'est elle qui, consacrée par le
code de 1791, a été couservée par le droit actuel (3).
Il faut mentionner aussi le privilège des dommages
intérêts sur l'amende. Ce privilège semble être apparu
dans notre ancienne pratique judiciaire, comme accordé
(1) V. buparc. Coût, de Bretagne, tome. I, p. 332 et b33. (%)
Œuvres, Ed. Bugnet, p. 370 W> 675. v. de môme Merlin. Rep. V
Délit par V. (3) V. Pothier. Procédure criminelle, sect. 5, n° 6, p.
427.
16 INTRODUCTION HISTORIQUE
parle jugement, et cola dès le commencement -du xiv*
siècle (1). Plus tard, il se généralisa : « On met communé-
ment par les sentences, dit Imbcrt, quand on adjuge quel-
que amende au roy que les parties intéressées seront
premièrement satisfaites que le roy ». Les textes de certai-
nes coutumes, notamment celle de Bretagne,*admirent
formellement le droit pour la réparation civile d'être
préférée à l'amende due au roi. Et au xvu
8
siècle Joussc
présentait ce privilège comme universellement admis.
Depuis, ce droit a passé sans modification dans notre code
pénal.
A côté de ces mesures reproduites par le droit moderne,
se trouvaient organisées, d'une façon originale, des
garanties hypothécaires pour la personne lésée. | «
L'hypothèque, pour les intérêts civils, remonte au jour
même le délit est commis, suivant la disposition des
lois et la jurisprudence des arrêts. Ce qui est fondé,
comme le remarque Bruneau, tant sur l'acquiescement
tacite de l'accusé, que la loi présume avoir consenti à la
réparation dans l'instant il a commis le fait, que sur la
nécessité de remédier aux fraudes par lesquelles un
criminel pourrait préjudiciel
-
à son accusateur. »
Toutefois, une distinction était faite entre les crimes
énormes, les crimes légers et les délits très légers. Ce
n'était que pour les
(1) < Par arrest de Paris en l'an 1306 à la St-Marlin, Colin Gautier
fut condam à une amende envers partie civile et une autre envers
le roy, fut anmoins dit par ledist arrêt que l'amende adjugée à la |
partie civile lui serait premièrement payée qu'au roy » (Guenoys sur
Imbert p. 527) V. Coutume de Bretagne, art. 050. Jousse, Or-
donnance criminelle, p. 254. Muyart de Youglans, livre II,
chap. VI, n' 4, p. 86. —Bornier, Conférence des ordonnances, \
II, p. 167. Merlin, Répertoire v« paration civile IV.
INTRODUCTION HISTORIQUE 17
premiers que le principe s'appliquait dans toute sa ri-
gueur. Seuls, les crimes atroces emportaient hypothèque
du jour même de leur accomplissement. Pour les crimes
moindres, l'hypothèque ne datait que du jour la pour-
suite avait écommencée. Enfin, pour les délits très lé-
gers, aucune règle spéciale n'était établie. L'hypothèque
datait du jour de la condamnation, c'était l'hypothèque
judiciaire ordinaire (1).
Il n'est pas sans intérêt de relever les moyens que
l'Ancien Droit, aux prises avec les môn:es difficultés que
le droit moderne, avait employés pour en sortir. Le droit
moderne n'a rien fait de spécial pour empêcher les
fraudes, pour assurer à la victime une situation
privilégiée. Le droit ancien avait pris ici des mesures
particulières. Ce sont ces mesures, transformées, mises
en harmonie avec les cessités du crédit moderne, que
la science pénale essaye de faire revivre. Nous aurons
plus loin à les examiner (2). En tous cas, il est curieux de
constater que. pour arriver à une réparation efficace,
l'ancienne jurisprudence avait déjà cherché à s'orienter de
ce côté.
A ces droits contre les biens du biteur, la loi en joi-
gnait de non moins énergiques contre sa personne. Il est
à peine besoin de dire que la contrainte par corps avait
lieu en matière de réparation civile, tant l'Ancien Droit a
fait de cette mesure d'intimidation un usage général. Elle
en fit même ici un usage plus général qu'en toute autre
matière : la jurisprudence autorisa la contrainte par
corpsj
(1) Muyai-t de Vouglans. Instituiez au droit criminel, p. 423.
(2) V. 2" partie, chapitre second, § IV.
[r -
2
INTRODUCTION HISTORIQUE
même lorsqu'il s'agissait de moins de deux cents livres,! ce
qui était une exception au droit commun. Cette juris-
prudence était celle de tous les Parlement*, seul Je Parle-
ment de Bretagne faisait exception, et ici, comme en toute
autre matière, il faisait défense aux. juges d'ordonner la
contrainte par corps pour moins de deux cents livres (i).
Un autre privilège consistait en ce que la contrainte par
corps pouvait être exécutée sans délai. Le délai de quatre
mois qu'imposait l'ordonnance de Moulins ne s'appliquait
pas ici (2). Mais ce qui faisait de cette contrainte une arme
particulièrement redoutable, ce n'étaient ni ces avantages,
ni d'autres qu'indiquant les anciens auteurs, comme le
droit de l'exercer en dépit d'une condamnation au ban-
nissement. C'était sa durée. « Si le défendeur est con-
damné en quelque somme de deniers d'amende envers le
roi, ou de réparation envers la partie civile, dit Imbert, il
tient prison jusque au parfait paiement de la somme con-
tenue par la sentence » (3), Ce droit terrible, souvent,
inique, se conserva jusqu'à la fin de l'Ancien Droit et nous
le voyons encore consacré par Potbier (4). Mais, depuis
plus d'un siècle, l'intérêt du Trésor y avait fait
(1) Arrêt du 13 mai 1718, contra, Paris, 3 avril 1675 et Rouen,
4 mai 1686, v. sur ce point Merlin. Répert. Contrainte par corps, |
VI, p. 202.
(2) V. Muyart de Vouglans. Institutes au droit criminel, p. 423.
(3) Gela résuite de l'ordonnance de Louis XII de 1498 (art. 123) et
de celle de 1507 (art. 243;. L'ancien droit n'admettait pas la cession
de biens, pour se libérer de la contrainte par corps en matière de délit.
Toutefois, dit .Tousse, les juges ordonnent quelquefois l'élargissement
sous caution (arrêt du 29 mars 17-47 rapporté par Papon, livre 24,
titre X, n" 10).
(4) Ed. Bugnet.tome X, p. 330.
INTRODUCTION HISTORIQUE 19
porter une atteinte sensible. L'ordonnance de 1670, tout
en conservant celle contrainte par corps indéfinie, dispo-
sait que, en toute* hypothèse, même au cas de crime, la
partie lésée devait consigner les frais de nourriture (4).
C'était indirectement porter une atteinte sensible au droit
du créancier. On avait beau lui donner Un recours privi-
légié pour les frais de nourriture, sur le patrimoine du
condamné. Si celui-ci était réellement insolvable, la vic-
time n'en risquait pas moins de perdre son indemnité et
ses déboursés.
Pour compléter cette matière, nous devons mentionner
une doctrine qui paraît avoir eu du crédit près de certains
auteurs de l'Ancien Droit d'après laquelle les dommages
intérêts non payés étaient convertis en peine corporelle.
L'amende non payée était autrefois convertie en peine
privative de liberté. Liset et Bornier prétendirent étendre
celle disposition à la réparation civile et le Parlement se
rangea, parait-il, à leur avis. « Les parties doivent faire
diligence pour obtenir paiement de leurs dommages
intérêts, dit Liset (2). Si elles ne le font dans l'année
qu'on convertisse la peine pécuniaire en peine corporelle
si ce n'est que le prisonnier fut noble ou autrement
qualifié. » Mais à la fin de l'Ancien Droit, nous ne
trouvons nulle trace de ce bi-
(1) V. ord. de 1670, art. 24 et 25, cf. Bornier, Conf. des Ordonn. II,
p. 166 et la déclaration d'août 1680 citée par lui. Les articles de
l'ordonnance pourraient de prime abord faire croire qu'il en était autrement
en cas de crime. Ce serait une erreur, ainsi que l'explique Bornier.
i2) Pratique judiciaire, titre IX, livre I, p. 74 éd. de 1603. Bornier.
Conf des Ordonnances, 11. p. 166. — Ricard, 50° arrêt notable.
20 INTRODUCTION HISTORIQUE
zarre rapprochement de l'amende et des dommages-in-!
térêls.
Ces mêmes mesures établies dans un intérêt fiscal, nous
les retrouvons dans la procédure criminelle. aussi, les
nécessités financières firent créer de sérieux obstacles pour
les parties civiles. L'Ancien Droit, dans sa procédure
criminelle, faisait une large place à la partie civile. Sans
doute, le droit d'accusation, qu'elle avait eu au moyen âge,
avait disparu. Sans avoir jamais été abrogé formellement,
il s'était effacé peu à peu par suite des responsabilités
graves qu'il entraînait, par suite de l'importance
grandissante des procureurs du roi (1). Déplus en plus, la
victime fit protestation qu'elle ne tendait qu'à fin civile.
Mais, même sous l'ordonnance de 1670, la partie civile
conservait un large droit d'intervention dans la procédure.
Sous cette ordonnance même, c'était en principe la partie
civile qui intentait la poursuite. Le ministère public
n'intervenait qu'à son défaut, comme pour suppléer à sa
négligence. Dans le cours de la procédure ses droits n'é- |
taient pas moindres. Elle pouvait occuper dans l'instruction
une place importante : faire citer des témoins devant le
magistrat instructeur, obtenir dans différents cas com-
munication do la procédure, prendre ses conclusions au
moment du règlement de l'affaire. En un mot, son le
pouvait activer les recherches de la justice et influer sur
l'issue définitive du procès (2).
Mais même, la procédure ayant commencé sans elle, la
(i ) V. Sur ce point Ayrault, livre 3, art. le', no 13. (2) V. Esmein.
Histoire de la procédure criminelle, p. 22J et éuiv.
INTRODUCTION HISTORIQUE 21
partie civile pouvait encore intervenir. Depuis l'ordon-
nance de 46*70, la victime pouvait se porter partie civile
en tout état do cause, se joindre à la procédure engagée
par le procureur du roi, pour renforcer son action, et
puiser dans ce concours In satisfaction do ses intérêts.
En 80 constituant partie civile, la victime aurait pu, par
une voie rapide, obtenir réparation, si des mesures
fiscales n'étaient venues troubler l'harmonie de la loi.
Lorsqu'il existe uno partie civile, dit Imbcrt, au xvi
c
siècle, « elle fait tous les frais des procès criminels et elle
a tous les dépens si elle gagne sa cause et si elle le perd
elle payo tous les dépens ». (Ordonnances de Philippe IV
de 1303 et de Philippe Y de 1328) (1). Au siècle suivant
l'ordonnance de 1670, prescrivait tout d'abord que « ce
qui est ordonné pour les dépens en matière civile serait
exécuté en matière criminelle ». Autrement dit, lorsque
l'accusé était absous la partie civile devait payer tous les
dépens, même si elle n'avait fait qu'intervonir dans
l'instance (2).
Bien plus, la victime se portant partie civile devait
avancer ses propres frais, et même ceux de l'accusé, lors-
que celui-ci ne pouvait les payer. L'ordonnance autorisait
les juges à décerner oxécutoiro contre la partie civile
pour les frais nécessaires à l'instruction du procès et à
l'exécution des jugements (3). Ces lourdes charges, que
le droit criminel avait connues dès le siècle précédent,
en-travaient puissamment la personne lésée dans la
poursuite
(1) Pratique judiciaire, livre 3, chap. 1
er
, 6 (édit. Guenoys de
1641).
(2) Ordonnance de 1670, titre XXV, art. 20.
',3) Ordonnance criminelle, titre XXV, art. 16.
22 INTRODUCTION HISTORIQUE
do , ses droits. Par là, on rendait inutiles tous les droits
qu'on lui reconnaissait par ailleurs. On accordait, il est
vrai, à la partie civile le droit de recourir contre le
condamné, et de se faire payer par lui ses déboursés. Mais
ne courait* elle pas des risques d'insolvabilité, et par une
poursuite imprudente, n'était-elle pas exposée à aggraver
ses pertes, au lieu d'obtenir réparation ? C'était donc à
cette mesure de fiscalité déplorable qu'aboutissait
l'ordonnance, qui semblait ménager une si large place à la
partie civile. Cette place, elle ne l'obtenait qu'à des
conditions fort onéreuses, il lui fallait payer fort cher le
droit d'intervenir dans la poursuite. Pour obtenir la
reconnaissance de son droit, il lui fallait s'exposer au
risque de supporter sans compensation, tous les dépens de
la procédure.
Toutefois dans quelques cas, la victime pouvait obtenir
satisfaction sans s'exposer à toutes ces dépenses. Elle
obtenait d'office restitution des objets qui lui apparte-
naient. « il n'y a partie que le procureur du roy, si
toutefois le juge voit par le procès criminel que la chose
desrobée appartenoit à certaine personne, il doit, dit Im
bert M), ordonner que'ladite chose lui sera rendue». Cette
règle parait bien antérieure au xvi« siècle, et dès Je
quatorzième, nous la voyons appliquée au Châlelet de
Paris (2). Perpétuée à travers l'Ancien Droit, cette dispo-
" (1) Imbert. Pratique judiciaire, p. 572.
(2) On lit aux registres du Gbàtelet de Paris, tome II, p. 221, après
la mention de l'exécution du condamné : « Tous lesquels biens prins
en ladite ville ont es rendus et restituez à Colin Blanche!., en lequel
hostel ils avaient été prins..., et les autres auxquelles appartenoieht,
si comme par leurs quittances puet apparoir »
i
INTRODUCTION HISTORIQUE 23
sition a passé dans le Code pénal, et elle s'applique en-
core on droit actuel.
11 exista, dans l'Ancien Droit, une autre disposition,
dont la portée s'atténua à mesure que s'affirma davantage
le caractère purement civil de la paration, disposition
beaucoup plus intéressante, parce que l'on y voit réalisée
un des desiderata de la science pénale contemporaine.
Au ixvie siècle, Imbert ne considérait pas la constitution
de partie civile comme une condition indispensable pour
obtenir une indemnité. Il recommande seulement à la
personne lésée de se constituer partie civile et de bailler
ses conclusions « pour le doute que le juge obmette
l'adjudication de l'intérêt civil de la partie (1) ».•
Cette règle si curieuse ne persista pas au grand détri-
ment de la partie lésée.
Au XVIII* siècle, Muyart de Vouglans ne signale plus
rien de pareil, mais il admet encore une règle qui est un
pâle souvenir de la disposition d'Imberl. Si la partie
civile s'est) sistée dans l'impossibilité elle se
trouvait de payer les frais « s'il y avait preuve absolue de
l'impuissance elle aurait été à cet égard, ce
désistement n'empêchera pas qu'elle ne puisse obtenir
contre l'accusé qui seraiteondamné sur les poursuites de
la partie publique les dommages-intérêts qui lui seraient
dus, de même que si la poursuite avait é faite à ses
propres frais (2).
Si, de Muyart de Vouglans, nous passons au
Répertoire de Merlin, publié à la veille de la volution,
cette règle
(1) Imbert." Practique judiciaire, p. 572.
(2) Muyart de Vouglans. Instilules au droit criminel, livre I, tilre
IIT.'chap. II, P, p. 591.
I 2*
INTRODUCTION HISTORIQUE
si restreinte a disparu. Cette exception si timide n'oxislo plus.
Merlin admet simplement que le juge peut accorder d'office
la réparation, lorsqu'il peut le faire utilement, par exemple
lorsque des mineurs se trouvent intéressés. Mais il exige,
pour cela, qu'il y ait eu constitution do partie civile. Sous
cette forme, quelio utilité présentait cette disposition ?
Aucune. On dispensait uno partie civile de ce qu'elle no
manquerait jamais do faire. Voilà tout (i). Achevant
l'évolution, le Code pénal n'autorise plus l'adjudication de
dommages-intérêts que s'il y a une partie civile, > et si elle a
réclamé une indemnité. Et toute cette transformation n'est
pas sans une secrète affinité avec la distinction qui
apparaissait plus claire dans les idées. La réparation perdant
dans les esprits son caractère pénal, on fut plus porté à croire
que la réparation ne regardant que la partie lésée, c'était à
elle à la réclamer si elle le voulait, mais que le juge n'avait
point à s'en préoccuper.
Ainsi, peu à peu, les difficultés que rencontrait la victime
pour obtenir satisfaction se sont accrues. La protection de la
loi s'est faite toujours moindre pour la personne lésée. A
travers les renseignements épars parmi les développements
inspirés du droit romain, cette transformation se laisse
entrevoir chez nos anciens auteurs. Du jour les intérêts de
la partie civile changeant de nature ont cessé d'être appelés
amende pour prendre le nom de réparation civile, ce jour-là,
un certain clin a commencé pour eux. Les difficultés
financières, au milieu desquelles
(•1) Répertoire, Réparation civile § I, n» III.
INTRODUCTION HISTORIQUE
25
l'Ancien Régime s'est tant do fois débattu, ont amené des
mesures fiscales qui sont venues gêner la victime, en lui
tondant onéreuse la constitution de partie civile, en lui
rendant plus onéreuse encore l'exercice de la contrainte
par corps. L'Ancien Droit, il est vrai, avait admis quelques
palliatifs. Certaines inosurcs avaient été adoptées pour
favoriser la victime. En pit de ces dispositions, la posi-
tion do la partie lésée no cessait d'être critique, et do La-
cretclle, à la fin de l'Ancien Régime, so demandait déjà o
si à force de voir dans les crimes une attaque publique,
on n'avait pas trop négligé lu réparation, pécuniaire » (1).
Le droit issu do la volution n'a pas porté remède à
celte situation. Aucune amélioration n'a été apportée.
Quelques-unes dos garanties établies pur l'ancienne juris-
prudence ont disparu. Les autres étaient bien insuffisantes
pour donner satisfaction à la personne sée* Celle-ci no
peut plus sormais avoir qu'un espoir très limité do re-
couvrer ce qu'elle a perdu. Et, pendant ce siècle, le mal
s'est sensiblement aggravé, à mesure qu'a monté le flot
de la criminalité. Devant cette marée montante, dont la
statistique enregistre annuellement l'effrayante progres-
sion, le devoir s'impose au législateur de chercher à
l'arrêter et en même temps de permettre aux victimes
d'obtenir une juste réparution. Il fallut le grand mouve-
ment pénal de la fin de ce siècle, la tendance vers un plus
(1) Projet de réforme des lois criminelles. Œuvres de Lacrç-telle aine,
111, p. 191.
26
INTRODUCTION JIIS'ÏOHIQOE
grand usage des peines pécuniaires pour attirer l'attention sur
ce point.
Comment a-t-on propo de soudra le problème? C'est ce
que nous allons examiner, après avoir consta l'état du
droit actuel.
PREMIÈRE PARTIE
LE DROIT ACTUEL
Le droit, à mesure qu'il so développe, acquiert plus de
précision et plus d'ampleur. Par le travail incessant de la
pratique et de la législation agissant parément, ou réa-
gissant l'une sur l'autre, grâce aux applications nouvelles
qui se présentent incessamment, grâce â une sourde et
lente transformation de l'esprit public, les idées juridi-
ques deviennent plus nombreuses et plus nettes. L'appli-
cation pure et simple des idées anciennes amène des résul-
tats choquants, contre lesquels l'esprit public proteste, la
pratique s'ingénie à les éviter, le législateur et la juris-
prudence, pour sortir d'embarras, sont obligés de faire
appel à de nouveaux principes, de proclamer plusieurs
règles, de distinguer une règle unique s'appliquait,
tout était confondu. C'est ainsi que les notions pri-
mitives sur la répression ont fait place aux deux idées
nettement séparées du trouble social et du préjudice in-
dividuel causés par le délit. Nous distinguons aujourd'hui,,
de la façon la plus absolue, les intérêts publics lésés par
le délit et les intérêts privés qu'il a violés, les premiers
donnant lieu à l'exercice de l'action publique, les seconds
28 l'HEMIÈRE PARTIE
donnant lieu à l'action civile. Grâce ù Ja lente évolution)
de l'Ancien Droit, ces deux actions, d'abord confondues.!
avaient pris peu à peu une existence particulière, tout eu
gardant encore entre elles de nombreux points d'attaché.
L'époque révolutionnaire acheva de les séparer. Le gis-
1
jlalcurdo Brumaire an IV avait affirmé nettement la dis-j
lifiction des actions publique et civile, dès les premières!
lignes do son Code, le posant ainsi comme une des bases
sur lesquelles il voulait faire reposer toute son œuvre. «
Tout délit, portait l'article 4, donne essentiellement lieu! à
uno. action publique, il peut aussi en résulter une action
privée ou civile ».
La gislation impériale n'eut garde de rejeter cette dis-
tinction de conséquences civiles et des conséquences pé-
nales du délit, de l'action publique pour l'application d'une
peine, et de l'action civilo pour la paration du préjudice
causé, au cas un dommage a été produit. La
consécration du principe posé d'une façon si nette par le
Code de brumaire au IV est affirmée dès le premier article
du Code d'instruction criminelle, elle est répétée à
nouveau par l'article 10 du Code pénal, d'après lequel, o
La condamnation aux peines établies par la loi est
toujours prononcée sans préjudice des restitutions et
dommages-intérêts qui peuvent être dus aux parties ».
Ce principe, tant répété parles rédacteurs de nos Codes,
il en est peu dont ils aient poursuivi l'application avec
plus de logique, dont ils aient déduit avec plus de sûreté,
affirmé avec plus d'énergie, toutes les conséquences. Si
l'on a pu reprocher trop souvent au législateur de ne pas
fixer par de grandes vues les maximes générales du droit,
LE DROIT ACTUEL 29
de no pas établir dos principes féconds en conséquences.,
ce reproche, en tous cas, ne saurait s'appliquer ici. Nous
sommes en présence d'une idée, dont on a déduit savam-
ment un grand nombre de règles.
L'action publique intéressant la société sera exercée
seulement par les représentants de la société. L'action en
réparation n'intéressant que la victime ne sera mise eu
mouvement que par elle.
L'action exercée par le ministère public ne tondant qu'à
rétablir l'ordre public troublé n'aura d'autre résultat que
l'application d'une peine destinée à amender le coupable
et à intimider ses imitateurs possibles. L'action privée, au
contraire, n'aura d'autre but que d'obtenir une indemnité,
de rétablir le patrimoine du lésé dans son état antérieur,
soit directement, soit par équivalent.
Les deux actions engendrées par le délit, différentes
dans leur but, le seront aussi souvent par leurs modes
d'extinction. L'intérêt social peut être satisfait l'in-
térêt privé ne l'est pas. La peine, si elle donne satisfac-
tion à l'opinion publique, si elle raffermit le sentiment de
la sécurité sociale ébranlée, n'apporte aucun secours à la
situation cunaire de la victime. Après comme avant la
condamnation, celle-ci est en droit de clamer des dom-
mages-intérêts pour son palrimoino amoindri, une répa-
ration pour les atteintes qu'elle a souffertes dans sa per-
sonne ou son honneur. Inversement, le préjudice privé
eut-il disparu, fut-il compen et au delà par l'indemni
même volontairement offerte par le coupable, le trouble
social, quoiqu'amoindri, subsiste. Le mal matériel a bien
disparu, mais les instincts pervers qu'il dénote chez son
30
PREMIÈRE PARTIE
auteur restent intacts, rien n'a été fait pour les réprimer!
le lit qu'il a commis aujourd'hui, il peut encore le m
mettre demain ;la réparation même volontaire peut n'êlrj
pas une garantie suffisante d'un repentir sincère et [si
De même lu mort, qui met fin à l'action publique, lai
société n'ayant plus en sa présence personne qu'elle puisa
frapper sans injustice, ne met pas fin à la poursuite de|
partie sée, pour la réparation à laquelle elle a droit. Si le
délinquant ne laisse personne après lui pour continuer! sa
personnalité morale et répondre de ses méfaits, il laisse,}
des héritiers tenus de ses obligations pécuniaires, comme
ils ont droit de jouir de ses biens et de réclamer le paie-
nient de ses créances. L'action en réparation a donc toute,
raison de subsister: elle sera poursuivie contre les héri-
tiers, comme elle l'était contre le défunt (art. â, 1nstr.
crim). C'est là, rappelons-le eu passant, un progrès sur le
droit romain, nos deux actions, étant, à peu près
confondues, les héritiers ne répondaient pas, ou du moins
ne répondaient que dans une mesure restreinte, celle de
leur enrichissement, des délits de leur auteur.
De même encore, l'amnistie, qui éteint l'action
publique, reste sans effet surle sort de l'action privée. El,
à l'inverse, la transaction ou la renonciation consenties
parla victime ne mettent pas fin à l'action publique.
A supposer que la théorie admise aujourd'hui en cette
matière, ne fut qu'un stade dans l'évolution du droit, que
la punition des délits et leur réparation pécuniaire, après
avoir édans une large mesure toutes deux des affaires
privées, dussent un jour être toutes deux des affaires,
d'intérêt public, à peu près également à la charge de l'Etal,
LE DROIT ACTUEL
31'
comme le veut une théorie nouvelle, on ne saurait contester au
droit actuel le mérite de marquer clairement, entre ce point de
départ et ce point d'arrivée, une période intermédiaire. Nos
Codes dussent-ils être bientôt modifiés sur ce point, ils
présenteront, du moins sur ces questions un intérêt historique,
comme la manifestation très nette d'un état du droit où la
poursuite et la punition des crimes constituent exclusivement
une matière d'intérêt social, et la réparation civile de ces
mêmes crimes une affaire purement privée, abandonnée aux
soins et au bon plaisir de la victime.
Mais creusons ces notions un peu plus avant et cherchons à
pénétrer davantage la conception du législateur en ce qui
concerne la réparation des délits.
La réparation civile, avons-nous dit,estune affaire purement
privée : la victime peut disposer comme elle l'entend de son
droit à une indemnité, le céder, y renoncer, le laisser prescrire.
Elle est maîtresse de son droit, elle peut l'abdiquer ou l'exercer
selon ses convenances. Ce In'est là qu'un des aspects de la loi.
La réparation civile présente encore un autre caractère. Non
seulement, c'est une affaire purement privée, mais la créance
en indemnité est traitée comme toute autre créance. On ne lui
accorde aucune faveur, parce qu'elle dérive d'un délit pénal.
On traite de la même façon la victime d'un délit et un prêteur
ou un vendeur imprudent. L'un, malgré lui, s'est trouvé
devenir le créancier du délinquant, l'autre a volontairement
suivi la foi du débiteur, peu importe, la loi n'en lient pas
compte. Si le débiteur est insolvable, tous deux subiront la loi
du concours, tous deux verront réduire
32 PREMIERE: PARTIE |
leurs créances dans la même proportion. Bien différente est
l'origine de leurs droits et, cependant, le môme traite-1 ment leur
sera appliqué.
A ce principe cependant une exception est apportée par la loi,
et encore est-elle contestée. D'après l'article 55 du Code pénal, les
individus condamnés pour un même crime ' ou un même délit
sont tenus solidairement des restitutions et des dommages-
intérêts.
Mettons à part cette gle, peu importante comme nous le
verrons, l'efficacité de la réparation civile des délils n'est
assuré par aucune garantie spéciale. Est-ce l'hypothèque
judiciaire ? Elle résulte de tous les jugements. Le droit de
poursuivre les personnes civilement responsables ? Il se
retrouve aussi pour lesjsimples faits dommageables. Il n'y a
pour ainsi direpas de théorie sur les indemnités ducs par les
délinquants à leurs victimes, il n'existe qu'une théorie des
engagements nés d'actes illicites : celle des articles 1382 et
suivants du Code civil, s'appliquant sans modification aux
suites des délits pénaux.
Toutefois, il faut faire ici une double exception, le Code
civil n'a jamais admis que Ja réparation civile méritât une
faveur particulière, notre droit actuel ne l'admet pas davantage.
Mais une idée voisine s'est fait jour depuis trente ans dans
notre législation. Un juste sentiment de défaveur contre le
débiteur l'a ici pénétrée. Le délinquant, débiteur de
l'indemnité, n'a pas été jugé digne de certaines mesures de
bienveillance que l'on accorde aux débiteurs en général, en
raison de leur bonne foi présumée. C'est ainsi que la contrainte
par corps abolie en matière civile et commerciale depuis 1867,
a toujours été
LE DROIT ACTUEL 33
conservée pour assurer le paiement des restitutions et
dommages-intérêts en matière criminelle, correctionnelle
et do police. Jugée trop dure à l'égard des autres débiteurs,
cette mesure d'exécution n'a pas paru trop rigoureuse à à
l'égard de gens, dont les intentions mauvaises ont été
constatées. Nous ne sommes pas ici en présence d'une fa-
veur pour le créancier, mais d'une mesure autorisée par la
situation du délinquant. Et, en effet, la contrainte autorisée
contre l'auteur du délit ne l'est pas contre ses héri-ritiers.
Elle s'exerce contre le coupable lui-même, mais contre
personne autre.
La victime d'un lit jouit d'un autre avantage, tout de
procédure, mais qui n'est pas sans importance : elle peut
poursuivre son action civile en même temps et devant les
mêmes juges que l'action publique (art. 3, Instr. cri m.).
Cette gle, dernier souvenir d'un temps où l'offen jouait
un rôle principal dans la procédure criminelle, n'a pas
pour but principal d'assurer plus facilement à la personne
lésée la reconnaissance de son droit. Ce résultat est plutôt
accidentel et, en tous cas, fort incomplètement obtenu. Le
législateur a surtout pensé à créer un auxiliaire pour le
ministère public, activant la répression et prenant la parole
devant le tribunal en faveur de l'accusation. Ensuite, on a
été conduit par ce motif, tout de pratique, qu'il fallait éviter
de faire deux procédures, une seule était suffisante,
éviter d'ouvrir un nouveau débat sur les mes faits, lorsque
la justice avait dé en main tous les éléments pour statuer.
Telles sont, brièvement indiqués, les principes qui do-
minent la réparation du préjudice causé par les infractions-
3
34 PREMIÈRE PARTIE
aux lois pénales. Ils permettent d'expliquer les principales
règles qui la régissent. Si le législateur ne les a pas procla-
més d'une façon expresse, il les a admis implicitement, il
en a consacré les principales conséquences.
Ces conséquences, ces règles, ont été déjà souvent étu-
diées dans les différents traites de droit criminel. Notre but
ne consistera pas à indiquer, à choisir entre les différentes
opinions qui y sont émises, ni à présenter le tableau
complet de celles qui paraissent triompher en juris-
prudence. Nous chercherons surtout à apprécier, au point de
vue des résultats pratiques, les règles imposées par la loi,
ou admises parla jurisprudence. Nous verrons comment
les règles, tant celles particulières aux délits, pénaux que
celles communes à tous les délits, et quasi-délits, assurent
la paration du préjudice causé, et dans quelle mesure.
Nous indiquerons d'abord rapidement dans quel cas, à
la suite d'une infraction aux lois pénales, il peut y avoir
lieu à une réparation, et en quoi elle consiste. Nous ver-
rons ensuite les garanties attachées à la créance de la
victime du délit : Les garanties personnelles : droit de
poursuivre les personnes civilement responsables ;
Les privilèges, hypothèques, cautionnements, qui
peuvent assurer le paiement de la créance;
L'emploi de ce mode particulier d'exécution, qu'on
nomme la contrainte par corps .
Enfin nous verrons quelles facilités, ou quelles difficul-
tés la victime peut trouver à faire reconnaître son droit en
justice, quelles voies lui sont ouvertes, dans quelle
mesure elles le soûl et pendant combien de temps.
CHAPITRE PREMIER
PRINCIPES DE LA RÉPARATION CIVILE
II est de la nature de tout lit de causer un préjudice
social : c'est même là, sinon l'unique raison, du moins un
des motifs principaux pour le punir. Un délit qui ne cons-
tituerait pas un mal social ne se comprendrait même pas.
Punir un pareil fait ne serait jamais qu'un acte de
vengeance ou de tyrannie. Le lit constitue, en lui-même,
indépendamment de ses résultats matériels, une atteinte
à la conscience publique, il choque les sentiments de jus-
tice et de morale communs à tous les hommes, et c'est ce
qui en facilite et en rend supportable la pression. Mais
la société n'est pas un être existant en soi et différent de
ses membres, comme une société commerciale existe
indépendamment de ses actionnaires. Ce qui cause un
trouble social, c'est .ce qui cause un préjudice aux divers
membres de la société. Le préjudice social résultant du
délit, c'est donc un préjudice causé à un grand nombre
d'individus. Et, de fait, il est facile de saisir, surtout dans
les agglomérations peu nombreuses, le lien social est
moins affaibli, l'émotion que peut susciter un
36 PREMIÈRE PARTIE. — CIIAP. I
crime ou un délit commis. On n'a jamais pen que Je
sentiment de l'insécurité sociale, réveillé par l'acte cou
pable, put appeler une autre réparation que le châtiment
du criminel. Jamais l'on'a soutenu que la condamnation
infligée par le tribunal jouât à ce point de vue un rôle
insuffisant, que tout citoyen put ici prétendre à une in
demnité pécuniaire.
Mais, à l'inverse, et comme à l'autre extrémité de Ja
chaîne, on ne soutiendrait pas que la punition du cou-
pable put constituer une réparation suffisante pour tout 1
le dommage causé par le délit. Il y a des intérêts maté-
riels, des intérêts moraux qui crient satisfaction, même
après que le coupable a été puni. Il y a la victime maté
rielle du délit tout au moins qui demande une réparation
spéciale. On ne peut refuser ce qu'elle demande.
Quels sont ces intérêts qui ont droit à une indemnité ? et
comment tracer la limite entre les intérêts, suffisamment
satisfaits par la condamnation àjinc peine, et ceux qui
réclament encore autre chose après celle condamnation ?
C'est ce que.nous allons préciser dans une rapide étude sur
les conditions de la responsabilité.
L'art. 1382 du Code civil, en posant le principe général
de la responsabilien matière de délits et de quasi-délits
implique trois conditions nécessaires pour son existence.
Il faut d'abord une faute, c'est-à-dire un acte illicite et
imputable à son auteur. Celui qui ne ferait qu'user de son
droit, celui qui n'est pas responsable de ses actes ne peuvent
être obligés à réparation. Il serait presque contradictoire
d'être titulaire d'un droit et de pouvoir être poursuivi pour
l'exercice de ce droit. Quant à celui qui n'est pas respon-
PRINCIPES DE LA REPARATION CIVILE 37
Isable do scs actes, comme lo fou ou l'enfant en bas âge
Ino pouvant avoir do volonté, il no peut commettre do
Ifaute. Celte premièro condition, l'existence d'uno faute,
est commune aux délits civils et aux délits pénaux. Ces
derniers, en effet, sont des actes illicites au premier chef, et
ils ne peuvent exister qu'autant que leur auteur n'était pas
en état de démence au temps de l'action (art. 64. Code
pén.) Dès qu'il y a délit nal., un des éléments de la res-
ponsabilité civile existe donc. La présence des deux autres
: un dommage et un lien de cause à effet entre la faute et le
dommage ne se ren-| contre pas nécessairement.
Certains lits tout d'abord ne paraissent pas suscep-
tibles de produire un dommage ; il en est ainsi de certains
délits contre la sûreté de l'État : le simple complot ayant
pour but de changer la forme du gouvernement (art. 87
Code n.), le fait, pour un Français, de porter les armes
contre sa patrie (art. 75). D'autres infractions peuvent se
produire sans causer de préjudice à personne II en est
ainsi lo plus souvent en cas do crime simplement tenté,
ou de crime manqué. Il en résulte donc que la question -
'de la réparation civile ne se présente pas pour tous les -
lits commis, mais seulement pour le plus grand nombre
d'entre eux.
Supposons qu'un délit a été commis et qu'il a causé un
dommage à un ou plusieurs individus. Quand y aura-t-il
dommage de nature àauloriscrune demande enparation ?
Il faut pour cela que la personne lésée puisse invoquer
une alteinto subie dans son patrimoine, dans ses intérêts
moraux ou dans ses intérêts d'affection. C'est un point, sur
38 PREMIÈRE PARTIE. —CBAP. '
lequel il n'est pas besoin d'insister, qu'une lésion subie dans le
patrimoine donne lieu à une indemnité. La conception la plus
matérialiste du droit ne peut se refuser à voir dans toute
diminution de notre patrimoine un dommage tel que l'entend
l'article 1382. Mais le droit, surtout à notre époque il a pris
une place prépondérante, ne saurait se placer uniquement à ce
point de vue terre à terre. Depuis longtemps, on a commencé à
tenir compte, en dehors des intérêts patrimoniaux, de deux
autres sortes d'intérêts: les intérêts moraux et. les intérêts
d'affection. Expressions voisines qui semblent cependant
différer légèrement : la première désignant principalement
l'honneur et la considération, la seconde répondant plutôt des
sentiments d'un caractère plus intime et plus variables. A Rome,
Papinien disait déjà : placuit prudenlioribus afftctus ra-tionem in
bonœ fidei Judiciis habendam (1). La doctrine et la
jurisprudence moderne se sont avancées dans cotte voie
qu'avaient indiquée les prudents. Ainsi on'admet que la
diffamation peut justifier une demande en justice,-alors même
que la personne diffamée, étrangère au commerce et à
l'industrie, ne peut invoquer aucune perte matérielle, ne peut
alléguer aucune diminution de son crédit (2). On n'im pas pensé
que l'honneur et la réputation devaient ètremoins protégés que la
persoune physique et le patrimoine (3).
(1) L 54, 17, I, Dig.
(2) V. en ce sens Mcynial. Sanction civile des obligations, kev. prat.
1884, II, p. 441.
(3) V. Aubrv et Rau, IV, g 445, p. 748. ~ Larombiëre, VII, art. 1382,
no 4, p. 538. — Laurent, XX n« 395, p. 415. L'arrêt de (,'ass. du 19
janvier 1881, que l'on cite en sens contraire, ne tronche pan la question
(Sir. 82,1, 264). - - V. aussi Casa., SU février 1863. Sir. ( 03, j, 331, et
Poitiers, lçr décembre 1809. Dali., 71, 2, 17
PRINCIPES DE LA RÉPARATION CIVILE 39
La jurisprudence a me reconnu récemment qu'un
électeur, ayant fait la preuve de fraudes qu'un bureau électoral
avait pratiquées à l'occasion d'un scrutin, pouvait obtenir des
membres du bureau une réparation (1). C'est une des:
^conséquences dernières de l'application de l'article 1382 en
matière de dommage moral, conséquence contestée, mais
contre laquelle on ne peut guère donner d'argument décisif.
Quoiqu'il en soit de cette application dernière, c'est un point
qui parait à peu près admis, qu'un parent peut demander une
réparation pour la mort de son parent, sans invoquer d'autre
motif que l'intérêt qu'il portait au défunt. On reconnaît ainsi le
droit d'agir à un père pour la morl d'un enfant en bas-âge en
dehors de tout préjudice, matériel (2). On admet de même
qu'un fils peut demander réparation du meurtre de son père,
celui-ci fût-il à sa charge (3). De mêmedes indemnités ont é
allouées à des frères et sœurs (4) et même à la mère d'un
enfant naturel non reconnu (8) à l'occasion d'un meurtre.
On reconnaît aussi généralement qu'une injure peut donner
lieu à une réparation, même pour des personnes
(1) Montpellier, iOnov. 1894, Gaz. Palais, 25-26 novembre 1894.
V. sur cet' arrêt Laborde. Revue critique 1895, p. 169et Sir. 96,2,
201.
(2) V-. Bordeaux, 30 novembre 1881. Sir., 82,2.183. P. 82.1, 920.
L'arrêt ajoute, il est vrai, qu'ils pourraient entrevoir un soutien pour
l'avenir. Motif contestable, car c'est un préjudice tout à fait éven-
tuel.
(3) V. Aubry et Rau, IV, g 445, p. 748. Faustin Hélie, II, p. 353.
(4)V. Laurent, XX, 534, p. 578. — Bourges, 16 décembre 1872.
Dali., 73,2,197, — Lyon, 18mars 1865. Sir., 65, 2, 258. 1'. 65, 957.
(5) Paris, 16 novembre 1871. Dali., 72, 2, 62.
40 PREMIÈRE PARTIE. CHAP. I
qui n'ont pas édirectement injuriées. Ainsi, le père de famille
peut poursuivre, devant les tribunaux, l'auteur d'une injure faite
à sa femme ou à ses enfants (1).
Cependant, la jurisprudence reste encore bien incertaine en
toutes ces matières, souvent les arrêts n'osent pas affirmer le
droit à une réparation pour un dommage moral : ils accordent
bien une indemnité, mais ils cherchent a l'étayer par d'autres
motifs, ils invoquent un préjudice matériel même très
contestable (V. notamment Toulouse, 27 juin 1864. Sir., 64.
2.155).
Quelqu'étendus que soient les cas do réparation admis par la
doctrine et la jurisprudence pour protéger les particuliers, ils
ont pourtant une limite. Les auteurs et la jurisprudence ont
toujours exigé que l'intérêt lésé fut un intérêt sérieux. Ils se sont
toujours refusés à s'avancer sur une pente qui les mènerait
forcément, à propos d'un délit quelconque, à reconnaître une
action à peu près à tout le monde, ce qui est manifestement
inadmissible (2).
D'après les exemples que nous avons donnés, il ressort que
les personnes qui ont droit à une réparation ne sont pas
uniquement colles qui sont les victimes directes, maté-
(1) V. Aubry et Rau, IV, § 445, p. 749. — Rauler, JDroit crimi-
nel, II, 686. Colmar, 8 mars 1810. Sir., 10, 2, 238. -S Contra
Chassan, Délits de la parole, II, p. 72. —Voyez sur ces points
Larombière, VII, art. 1382, n», 4 p. 538 et 36, p. 566.Dcmo-
lombe, XXXI, 671 et suiv., p. 575. — Chausse. L'intérêt d'affec-
tion, Rev.cril. 1895, p. 436. —Note dans Dali., 72, 2. 97. Sir.,82,
4, 9. Gass. belge, 17 mars 1881. Cass., 20novembre 1863. Sir., 63,
1, 321. — Bruxelles, 13 janvier 1890. Sir., 90, 4, 23. P. 90, 2,40.
(2) Cass., 23 janvier 1878. Sir, 78, 1, 389. — V. de même Cass.,
15 juin 1894. Sir, 94, i, 430. Cass., 25 nov. 1882. Sir., 83,1, 14
Contra Douai, 19 mai 1815, cité en note.
PRINCIPES DE LA REPARATION CIVILE
41
riolles du délit. Le mari, qui poursuit l'auteur d'une injure
faite a sa femme, le parent qui poursuit le meurtrier do son
parent, avant môme d'avoir accepté ou renoncé à sa succession
(l), ne poursuivent pas un préjudice à eux causé directement.
Le préjudice n'est, ici qu'indirect, il n'arrive, pour ai asi dire,
que par ricochet. Cependant, il n'y a aucun doute que celui-ci
ne donne lieu à réparation.' L'article 1382 est assez large dans
ses termes, pour que l'on n'ait pas à s'attacher à ce point de vuo
étroit, qui considère seulement la personne frappé directement.
Le cercle des personnes qui, pour un délit, peuvent demander
réparation se trouve ainsi singulièrement vaste.
Mais la troisième condition dont nous ayons à parler
apportera à la règle précédente une restriction nécessaire. Il
faut un lien étroit entre le délit qui a eu lieu et le préjudice
constaté. Cela ressort avec évidonco des termes même de
l'article 1382, « Tout ^fait quelconque de l'homme qui cause à
autrui un dommage ■■>. Le dommage doit être l'effet direct,
nécessaire du délit. Il faut qu'au moment du délit, ce dommage
fut fatal, inévitable; non point qu'il fut un des éléments qui y
ont contribué avec beaucoup d'autres. La jurisprudence nous
offre un exemple qui met cette idée pleinement en lumière. A
la suite d'un meurtre, un individu soupçonné avait été arrêté et
mis en prison préventive. Ensuite le véritable auteur fut
découvert et poursuivi. L'individu soupçonné à tort fut remis
en liberté et il prétendit se porter partie civile contre le
meurtrier. Celle prétention fut repoussée et avecraison.
(1) V. sur c point Bordeaux,5 avril 1852 Sir., 52.2, i2l.
42 PREMIÈRE PARTIE. — CHAP. I
Il y avait bien un crime, un dommage arrivé à la suite du crime,
mais il n'y avait pas entre eux un lien suffisant. En l'absence du
crime, le demandeur n'aurait pas éprouvé le préjudice qu'il avait
souffert, mais la cause de ce préjudice n'était pas le crime
même, il n'en était que l'occasion. La cause véritable était
l'erreur commise par les magistrats qui avaient ordonné 'son
arrestation.
Telles sont les indications qu'il nous a paru cessaire de
donner tout d'abord sur le dommage résultant des délits. Bien
que très rapides, elles suffisent à donner un aperçu des cas
nombreux, il peut y avoir lieu à une réparation, à la suite
d'une infraction aux lois pénales.
II
Par qui peut être exercée l'action en réparation ? Cette action,
comme toute autre action en justice, peut être exercée, soit par
le titulaire primitif, soit par ses héritera ou un cessionnaire, soit
enfin par leur créanciers, en vertu de l'article 1166 du Code
civil.
Tant que l'action en réparation resta à demi confondue avec
celle de vengeance, la victime elle-même put seule demander
une satisfaction à son agresseur. L'offensé seul pouvait
réclamer ce qui lui était , demander la réparation de l'injure
commise à son égard (1). Mais lorsque les deux éléments
confondus dans la poursuite se furent peu à peu séparés, que
la peine eut pris son carac-
il) Toutefois en droit germanique, il en fut autrement, la famille
étant solidaire pour recevoir comme pour payer le wergcld.
PRINCIPES DE LA REPARATION CIVILE 43
tère propre, la réparation suivit alors le sort de toute autre
créance. L'offenseur ne se trouva plus libéré parla mort de sa
victime. La demande d'indemnité put être présentée par
l'héritier, comme elle pouvait l'être par son auteur. Ce droit
passa sur sa tète, comme tout autre ayant appartenu au défunt.
Celte transformation, que le droit romain vil s'accomplir, est
depuis longtemps terminée. L'évolution est arrivée depuis
longtemps à sa fin. Héritiers, créanciers, cessionnaires, tous
peuvent, au nom de la victime, demander une indemnité. Une
exception existe toutefois :1a réparation des délits portant
atteinte à l'honneur ne peut être* demandée que par l'offensé
lui-même. Cela s'explique par le caractère essentiellement
personnel du dommage causé.
C'était déjà la doctrine de notre Ancien Droit, rien ne
prouve que le droit nouveau ait entendu s'en écarter. Si la.
personne diffamée s'est abstenue d'agir, ses héritiers ne
peuvent exercer la poursuite en son nom, on présume qu'elle a
entendu renoncer à son droit. D'ailleurs, la loi sur la presse
du26 mai 1819 (art. 5), et colle du 29 juillet 1881 (art. 47.et
60), en exigeant pourla poursuite « la plainte de la personne
diffamée ou injuriée », confirment celte interprétation.
La jurisprudence parait même adopter des principes
identiques lorsqu'il s'agit d'une atteinte causée à la personne
physique. Si les héritiers ne peuvent pas prouver qu'ils ont
personnellement éprouvé un dommage : par exemple, que le
meurtre de leur auteur les laisse sans ressources, elle n'admet
pas qu'ils puissent exercer une action
44 PREMIÈRE PARTIE. — CIIAP. I
au nom du défunt, ils ne peuvent agir à titre d'héritiers (1).
Quant aux cessionnaires, la jurisprudence leur reconnaît le droit
d'agir en y apportant toutefois une restriction :| elle n'admet
qu'ils puissent user du droit de citation directe devant les
tribunaux répressifs qui appartenait au cédant. Elle s'appuie sur
les textes des art. 63 et 182, Instr. erim., qui n'ouvrent la voie
criminelle qu« celui qui se pré-tendra lésé par un crime ou
délit ». Ello ajoute que le droit de mettre en mouvement l'action
publique no peut faire l'objet d'un, trafic (2). Celte théorie
concorde évidemment avec l'esprit un peu étroit du droit actuel
vis-à-vis do l'action civile, on peut même ajouter qu'en fait ces
cessions ne seront pas toujours très dignes de faveur. Pourtant il
vaudrait peut-être mieux ouvrir plus largement la voie
répressive au cessionnaire. Qui sait si la poursuite des délits
parles associations, qui paraît vouloir prendre chez ! nous
quelque essor, n'y trouverait pas son compte ? Ne pourrait-on,
au prix de quelques inconvénients, y trouver de grands
avantages? En tous cas, c'est une question de législation plus
que de droit : la jurisprudence paraissant s'être ici conformée à
l'esprit de la loi.**
I III 1
Il s'en faut de beaucoup que la société puisse offrir à ses
menbres des modes de réparation aussi variés et aussi
(-1) V. Revue critique, 1894, p. 25. Examen doctrinal de M. La-
borde et les décisions par lui citées.
(2) V. Trib. de la Seine, 14 avril 1889, dont les motifs sont rap-
portés avec des observations de M. Gardeil. Rev. critique, 1890,
p. 100 — Cass., 23fév. 1897. Pana. Franc, 1897, 1, 449.
PRINCIPES DE LA RÉPARATION CIVILE 45
nombreux que les moyens employés par les délinquants pour
leur nuire. Les diverses manières de nuire à autrui sont
innombrables, les diverses façons de réparer le mal sont, au
contraire, en très petit nombre. En dehors des indemnités
pécuniaires, la réparation ne peut revêtir que des formçs peu
nombreuses que nous allons indiquer.
Les articles 226 et 227 du Code pén. prévoyaient qu'en cas
d'outrages adressés à des magistrats ou à diverses autres
personnes revêtues d'un caractère public, il pouvait y avoir lieu
à une réparation d'honneur. Cette réparation, qui pouvait se
faire soit à l'audience, soit par écrit, était un souvenir d'une très
vieille institution qui remonte au moins au xm
e
siècle (1).
Devenue d'une application très rare dès la fin de l'Ancien
Régime, disparue en 1791, elle fut reprise en 1810, mais elle
était complètement tombée en désuétude, lorsque la loi du 28
décembre 1894 l'a abrogée (2). Quoiqu'elle constituât une
peine, c'est-à-dire qu'elle eut lieu d'office et môme malgré
l'opposition de la personne outragée, si le tribunal l'ordonnait,
elle produisait cependant les effets d'une réparation civile. Son
rôle était d'ailleurs restreint (3), la réparation d'honneur ne
pouvant s'appliquer que dans les cas expressément visés par
les textes. C'est ce que la Cour de Cassation
(1) V. Cauvet. Droit criminel de la Normandie au XIII» siècle.
Rev. Wolowshi, l. 42, p. 265.
(2) V. Annuaire de législation française, 1894, p. US. Notice de M.
Dufourmantelle.
(3) Gass., 28 mars 1812, 8 juillet 1813, 20 juillet 1812. — Aubry et Rau,
IV, § 445, p. 749, note 8. Merlin, Rep. .Réparation d'honneur.
Larombièi-e, VII, art. 1382, no 27.
46 PREMIÈRE PARTIE. — CliAP. I
avait reconnu de tout temps. C'est ce qu'il serait impossible de
contester depuis 1894.
Ce moyen de réparation étant écarté, il ne reste plus guère,
pour les intérêts moraux et les intérêts d'affection, que deux
moyens de réparation : la publicité donnée au jugement et une
indemnité pécuniaire.
La publicité des jugements peut intervenir dans différentes
hypothèses. Elle intervient d'abord à la suite des condamnations
à despeines criminelles (art. 36, Code pén.), elle est alors une
peine accessoire. Elle peut intervenir d'office à la suite d'une
décision du tribunal. La jurisprudence s'est fondée pour
admettre ce droit sur l'article 1036 Proc, qui autorise les
tribunaux « à prononcer même d'office des injonctions,
supprimer des écrits, les déclarer calomnieux et ordonner
l'impression et l'affiche de leurs jugements». Elle en a conclu
que les tribunaux pouvaient toujours prescrire des mesures pour
publier leurs décisions, « comme une réparation du scandale
causé par le fait de la partie condamnée » (1). On peut contester
que cette extension soit conforme à l'esprit de l'article 1036, qui
parait viser simplement les cas des actes de procédure
calomnieux ont é produits. Quoiqu'il en soit, et nous
rentrons ainsi dans l'objet même de notre élude, — il se produit
une conséquence intéressante : les juges pouvant ordonner
l'impression et l'affiche de leur jugements dans toutes les
circonstances elle leur paratt utile, il pourra en résulter une
réparation pour la victime du délit.
tl) V. C.a»., 1U mai 1873. Sir., 73, 1, 235 et le rapport de M. Re-
duier.
PRINCIPES DK LA RÉPARATION CIVILE 47
La mesure eu elle-même, ne constitue pas uue réparation, cela
est certain, néam moins elle pourra avoir pour effet direct de
réparer le mal du délit. Et cette réparation se produira d'office
: sans requête, sans intervention de la partie lésée.
L'insertion du jugement dans les journaux, ou son affichage,
peuvont encore revêtir un troisième caractère. Elle peuvent
constituer une réparation civile, ordonnée sur la demande de la
partie lésée, et faite aux frais du délinquant. Ce caractère se
dégage si nettement que les juges d'appel, étant saisis par
l'appel du ministère public seul, la disposition du jugement
ordonnant des insertions dans les journaux subsiste (1). Ce
mode de réparation s'emploie naturellement au cas do
diffamation et d'autres lits semblables. Mais les tribunaux
l'ont étendu bien au-delà de son champ d'application naturel :
notamment aux infractions à la police des chemins de fer (2).
C'est, en réalité, plutôt une mesure d'intimidation pour des
contrevenants possibles, qu'une façon d'indemniser les
Compagnies elles-mêmes.
Comme- la publication des jugements, la confiscation peut
jouer parfois le rôle de réparation civile. Le plus souvent, elle
constitue une peine: lorsqu'elle s'appliqueau corps ou au
produit du délit (art. 11, Code pên.). Parfois, c'est une mesure
de police, si elle s'applique à des objets nuisibles ou
dangereux. Elle ne constitue une réparation civile que
(1) V. Cass., 23 oct. 1812...Sir., IV, p. 204.
(2) V. Paris, 7mai 1890, Sir., 90,2, 171. Douai,35 novembre
1890. Sir. 91, 2, 61 - Paris, 15 décembre 1896.
48
PREMIÈRE PARTIE. — CI1AP. t
dans des cas exceptionnels. Ces cas se rencontrent dans les
délits concernant la propriété intellectuelle.
Il en est ainsi dans les procès pour contrefaçon de pro-
duits littéraires ou artistiques ("art. 427 et 429, Code peu.),
d'objets brevetés (art. 49 de la loi du 5 juillet 1844), pour
marque de fabrique frauduleusement apposée (art. 7 et 8 de
la loi du 23 juin 1857). Tantôt obligatoire, tantôt facul- '
talive, la confiscation existe au profit de la victime du délit.
Les objets contrefaits qui, d'après les principes néraux
auraient èlrc confisqués au profit de l'État, comme
produits du délit sont remis sur l'ordre du tribunal à la
personne lésée qui peut y trouver, et au-delà, do quoi
compenser les perles quo le délit de contrefaçon lui a
infligées. Cette mesure présente un certain intérêt, tant au
poiut de vue pratique qu'au point de vue théorique. La
réparation s'offre ici sous une forme intéressante et
efficace.
On obtient, de cette façon, une indemnisation, tout au
moins partielle de la personne lésée, en lui remettant des
objets qui, autrement, seraient passés à l'Élal, à titre de pro-
duits du délit. Les lois sur la propriété intellectuelle que
nous venons d'étudier, ont inauguré un mode particulier
de réparation civile, en diminuant les droits de l'tftat. Nous
aurons plus loin à examiner si ce mode exceptionnel de
réparation, ne pourrait pas être généralisé, s'il n'y aurait
pas un moyen en présence de malfaiteurs insolvables
d'assurer parfois la réparation due à la partie lésée.
Ces différents cas de confiscation présentent encore un
trait intéressant en ce que la victime du délit obtient ainsi
une indemnité sans frais, sans aucune demande de sa
^krtàànjwimM wmm
PRINCIPES DE LA RÉPARATION CIVILE 49
part, alors même qu'elle ne s'est pas constituée partie civile.
Enfin, par l'application des règles que nous venons d'énoncer,
la victime du délit peut recevoir et au-delà la valeur du
préjudice subi. Ce préjudice pourra être très minime, et
cependant elle aura droit à tous les objets confisqués, leur
valeur fut-elle considérable. Mais cette attribution est loin de
constituer un forfait d'indemnité pour la partie lésée. Celle-ci
peut toujours obtenir de plus amples dommages-intérêts: la loi
lui réserve formellement ce droit (art. 49, loi de 1844, et 14, loi
de 1857).
En dehors de ces formes spéciales que peut revêtir la
réparation du dommage causé par le lit et dont l'application
est un peu exceptionnelle, la satisfaction accordée à la partie
lésée prendra^ ordinairement la forme [d'une restitution ou
d'une indemnité pécuniaire.
La restitution consistera le plus souvent dans la remise de
possession d'un objet détourné par le délinquant, en cas de vol
ou d'escroquerie. Cette restitution est pure et simple; dans un
cas cependant, elle peut n'être faite qucharge de représenter
les objets restitués, lorsqu'elle est faite à la suite d'un arrêt de
contumace (art. 474. Instr. cr).
La restitution ne consiste pas seulement dans la remise
d'objets à leur propriétaire : il y a restitution, dès qu'il y a
rétablissement de l'état de choses antérieur au délit : si l'on
ordonne la destruction de plantations du de constructions
faites sur le terrain d'autrui, l'annulation d'actes extorqués, la
suppression d'actes faux, la réintégration à la masse des
valeurs distraites par le failli (1).
(!) V. tinrraud, II, no 14, p 19. Thiry, Droit criminel, 371/
h
50 PREMIÈRE PARTItë. CHAP. 1
Ces divers actes ordonnés par le tribunal ne constituent
pas, à proprement parler une réparation du dommage. Ils
empêchent le mal causé par le délit de continuer à produire
ses effets. Si le tribunal ordonne la remise de la chose qui
m'a été volée, ils ne supprime pas le dommage qui m'a été
fait, il empêche ce dommage de se continuer dansl'avenir.
J'ai pu, entre temps, avoir eu à souffrir de la privation de
mon bien. De la sorte, la restitution qui, au premier abord
semblerait aboutir à une réparation adéquate du lit,
n'aboutit souvent qu'à un résultat imparfait. D'où la
nécessité, dans certains cas, d'attribuer en outre à la
victime des dommages-intérêts, c'est le cas formellement
prévu par l'article 51 du Code pénal. D'après cet article,
lorsqu'il y a lieu à restitution, le coupable peut-être
condamné en outre à une indemnité enversla partie lésée,
si elle le requiert. Quoique imparfaites,les restitutions sont
un moyen de paration très utile, car elles ont lieu d'of-
fice, sans frais par conséquent pour la personne lésée, ce
qui n'a pas lieu, nous le verrons, pour les indemnités pé-
cuniaires .
On peut rapprocher des restitutions un droit reconnu par
la loi sur la presse, qui joue quelquefois un rôle analogue.
Nous voulons parler du droit de rectification et de réponse
reconnu aux personnes désignées dans un article de
journal par les articles 12 et 13 de la loi du 29 juillet 1881.
Dans ce cas, il y a un moyen extra-judiciaire, pour une
personne diffamée, d'empêcher le dommage à elle causé
de se continuer, un moyen en quelque sorte de le tuer dans
le germe, comme la restitution est un moyen pour
empêcher le préjudice résultant du délit de se
PRINCIPES DE LA RÉPARATION CIVILE 51
continuer. Une personne attaquée dans son honneur, par!
exemple, trouvera là un moyen rapide et commode pour arrêter
le mal produit parla diffamation, avant même que les tribunaux
n'aient été saisis de sa poursuite.
Le plus souvent, la réparation revêtira pour la partie lésée la
forme d'une indemnité pécuniaire : elle consistera dans une
somme d'argent allouée à la victime. Les tribunaux ayant, à cet
égard, pleine liberté, ils pourront tantôt accorder une somme
d'argent une fois pour toutes, tantôt attribuer à la victime une
pension viagère ou temporaire (1). Cette indemnité peut
intervenir dans tous les cas, qu'il y ait ou non restitution : il n'y
a pas à s'arrêter à la rédaction défectueuse de l'article 51 du
Code pénal qui semble exiger qu'il y ait une restitution pour
qu'il y ait lieu à des dommages-intérêts.Elle peut aussi
intervenir, quelque soit l'intérêt lésé: intérêt matériel ou moral.
Il est vrai que dans ce second cas, elle constitue une
satisfaction imparfaite, en mauvaise harmonie avec le mal tout
intellectuel qu'il s'agit de faire disparaître. C'est même un
des grands arguments sur lesquels on s'est fondé pour écarter
"intervention des tribunaux dans ces matières. Argument qui
n'a pas été admis, parce qu'après tout, il se fait une sorte de
compensation entre la souffrance éprouvée et la jouissance
accordée.
Quelles règles doivent être appliquées parles tribunaux, pour
le montant des dommages-intérêts ? A lire l'article 51 du Code
pénal, les juges jouiraient, en cette matière, d'un
(i) V. Larombière, VII, art. 1382, n»27, p. 057. - Laurent, XX, n*
533, p. 576.
52 PREMRE PARTIE. CHAI'. I 1
pouvoir absolument arbitraire.En réalité, il n'en est rien.
Cette daction s'explique historiquement, il y a l'abro-
gation d'une règle exceptionnelle qui dura de 1810 à 1832,
rien de plus. D'après cette disposition, l'indemnité ne
pouvait être inférieure au quart des restitutions, le nouvel
article Si a eu pour but unique de la faire disparaître.
Désormais, il ne pourra plus y avoir lieu à pourvoi en
Cassation pour appréciation inexacte de l'indemni due,
voilà tout. Mais les juges n'en doivent pas moins tenir
compte de certains principes rationnels autant que légaux :
ils devront mesurer l'indemnité sur la perle et le manque
de gain éprouvés. Ils doivent accorder réparation (art. 1382
C.civ.), mais ils ne peuvent, sous ce prétexte, procurer un
enrichissement à la victime.
Dans quelques cas, cependant, la loi établit un minimum
au-dessous duquel les dommages-intérêts ne peuvent ja-
mais descendre. Nous ne citons que pour mémoire l'an-
cien art. 51 du Code nal, modifié depuis longtemps déjà.
Plus récemment, en 1884,a disparu la loi du 10 vendémiaire
an IV, loi fameuse, qui accordait des droits spéciaux aux
victimes de délits commis par des attroupements. L'in-
demnidue,en ce cas,par les communes, ne pouvait être
moindre que la valeur entière des objets pillés ou enlevés
(titre V, art. 6).
Aujourd'hui encore, il subsiste quelques textes du même
genre, les articles 117 et 119 du Code pénal, qui, en cas de
détention illégale ou arbitraire, prescrivent que l'indemnité
due pour chaque jour de détention ne pourra, en aucun cas,
être moindre de vingt-cinq francs. De même, l'article 202
înstr. cr. ne permet pas, en matière forestière, d'adjuger
PRINCIPES DE LA RÉPARATION CIVILE
53
des dommages-intérêts inférieurs à l'amende fixée par le
jugement. Enfin l'arliclc 7i do la loi du 13 avril 1829, sur la
pèche, reproduit des dispositions identiques. N'insistons pas
davantage sur ces règles exceptionnelles, explicables
seulement par une idée de pénalité admise quelquefois par le
législateur. Il y a le reste d'uno forme primilivo de la
répression, des règles plutôt appelées à disparaître qu'à
s'étendre.
Los droits accordés à la partie lésée sont-ils suffisants
abstraction faite des difficultés pour les exercer?, Peut-on
soutenir qu'en face d'un délinquant solvablc, cas mal-
heureusement trop rare, la victime peut obtenir une
satisfaction suffisante ? On peut, sans hésitation, répondre que
oui. Les tribunaux tiennent compte des différents intérêts
auxquels le délit a pu porter atteinte. Intérêts matériels et
moraux ont reçu d'eux une égale protection. Les tribunaux
hésitent parfois trop à accorder une indemnité pour un
dommage moral, cela est possible. Néanmoins, la personne
lésée a droit à la réparation intégrale à elle causée, et cela quel
que soit la nature de ce préjudice.
Ainsi compris, les droits théoriquement reconnus à la
victime, comme réparation civile, nous paraissent répondre
complètement aux besoins de la pratique. D'autres législations
ont autrement compris la situation de la victime, au point de
vue des sommes d'argent qu'elle peut obtenir. C'est ainsi que
le Code pénal allemand admet l'existence d'amendes au
profil de la partie lésée (1).
(1) Ces amendes se nomment Busse, v. art. 186 et 187. Code pénal
allemand.
34 PREMIÈRE PARTIE. — CHAP. I
Nous aurons à comparer cette conception avec la nôtre.
Nous voulons simplement indiquer, pour le moment que,
l'idée seule de réparation étant admise, elle nous paraît
avoir été appliquée de façon satisfaisante par les tribu-
naux, ceux-ci nous paraissent en avoir usé pour accorder
àla victime les plus larges droits.
Les positivistes italiens, enclins à dénigrer ce qu'ils
nomment « les lois protectrices du crime», ont reproché aux
magistrats de se limiter « à compenser très strictement la
perte subie par le demandeur au cas de coups donnés,
d'exiger les notes du médecin et du pharmacien, de donner
simplement l'ordre de les payer, toute autre prétention leur
paraissant exagérée »(i). Nous ne savons quelle est, à cet
égard, la jurisprudence italienne, mais, pour notre pays,
pareille critique nous semble exagérée. On pourrait citer
de nombreux arrêts qui répondent péremptoirement aux
affirmations que nous venons de citer (2).
(1) Garofalo. Ripparazione aile viLlime del delitto (Turin. 1887), p. 4.
(2) V. Besançon,6 juillet 1892. Sir., 94, 2, 94.
CHAPITRE II
DES GARANTIES PERSONNELLES ATTACHÉES A LA CRÉANCE EN INDEMNITÉ.
La loi et la jurisprudence reconnaissent aux victimes
des délits le droit à une réparation suffisamment étendue.
Malheureusement, il s'en faut de beaucoup que la per-
sonne lésée obtienne en fait ce à quoi elle aurait droit.
Une procédure onéreuse, l'insolvabilité véritable ou dissi-
mulée du défendeur rendent en pratique ses poursuites
impossibles ou vaines. Elle se trouve le plus souvent obli-
gée à des frais relativement importants, ayant peu de
chance de jamais les recouvrer, et encore moins de tou-
cher l'indemnité qui lui est due.
Avant do développer ces critiques, de prouver leur exac-
titude et de chercher les moyens d'y remédier, montrons
les garanties attachées à la créance de la personue lésée,
étudions les mesures de protection établies pour elle, les
facilités dont elle jouit, réservant pour la suite l'étude des
obstacles qu'elle rencontre. Indiquons tout d'abord contre
quelles personnes la victime du lit peut poursuivre son
dû. Examinons les sûretés personnelles que la loi a assu-
es à la victime. Voyons contre qui, dans quel cas et dans
quelle mesure, la personne, ayant souffert un dommage,
peut diriger son action.
56 PREMIÈHB PARTIE. — CHAI'. II
Nous rencontrons ici deux ordres de personnes placées
sur des plans différents, exposés tous deux, mais dans une
mesure inégale, aux poursuites do la victime. Au premier
plan, les auteurs, co-auleurs et complices du délit ; au se-
cond, les personnes civilement responsables. Deux classes
de débiteurs qu'il importe de distinguer. Nous allons les
étudier successivement.
I
A toute infraction portant préjudice matériel ou moral à
autrui, correspond une obligation civile de le parer.
Cette obligation ne pouvait frapper personne plus juste-
ment que les divers co-parlicipanls du délit. Tombant sous
le coup do la justico pénale, de celle qui demande le plus
de conditions pour condamner, ils ne pouvaient échapper
à la justice civile, qui se contente d'une faute pour rendre
responsable. Les divers co-parliçipanls du délit peuvent
donc être poursuivis par la victimo en paiement de
l'indemnité. C'est ici qu'intervient une règle importante
posée par l'article 55 du Code pénal. D'après cet article, «
tous les individus condamnés pour un même crime ou un
même délit sont tenus solidairement des restitutions et
dommages ».
Quelle est la portée de ce texte ? Rien n'est plus con-
troversé. Pour les uns, son effet serait limité. La victime
pourrait réclamer le tout à chacun des délinquants, mais à
cela se bornerait l'effet de la loi. Aucune des autres règles
qui caractérisent l'obligation solidaire ne se retrou-
DES GARANTIES PERSONNELLES 57
verail ici. La solidarité visée par le texte ne serait pas la
solidari visée par le Code civil, ce ne serait qu'une
solidari tronquée, incomplète, pour mieux dire, impar-
faite.
Mais la jurisprudence s'est orientée ici de touto autre
façon. Elle clare qu'il y a ici «solidari». C'est ce que
soutient avec elle une partie do la doctrine. Pour elle, la
solidaridont laloi parle ici serait, semble-t-il, la solida-
rité telle qu'elle est réglée par le Code civil. Non seule-
ment chacun des codélinquants peut être obligé à payer le
tout, mais les autres effets de la solidarité ordinaire se
.produisent sans exception. La mise en demeure de l'un des
débiteurs, l'interruption de prescription produisent ici les
mêmes conséquences que s'il s'agissait d'une dette soli-
dairement contractée.
Cette opinion, la plus favorable à la victime du délit,)
paraît aussi être la plus juste. Elle donne au texte son sensle
plus naturel. Il est impossible en effet, d'expliquer que le
Code ait pu employer ici le mot solidari pour désigner
quelque chose dont il n'aurait nulle part réglé les effets.
Dans toutes nos'lois, on ne parle que d'une seule espèce
de solidarité. Ce ne peut-être que do celle-là, dont l'arti-
cle 55 a ici parlé.
Sans vouloir épuiser la discussion sur ce sujet, notons
simplement que l'argumentation présentée en sens con-
traire n'est nullement décisive. On a prétendu qu'il n'y
avait pas ici co mandat réciproque, cette société entre les
débiteurs qui est à la base de la solidarité, que la solida-
rité ne pouvait, par conséquent, exister. Cette raison ne
peut être convaincante. Quelque soit la valeur de cette ex-
58 PREMIÈRE PARTIE. — CHAP. II
plicatioo courante de la solidarité, peut-on écarter un texte
formel ? La loi, d'ailleurs, n'est-elle pas libre d'admettre la
solidarité elle veut ? Il y a eu en fait une société entre les
co délinquants, cette société qui a produit ses effets contre la
victime, pourquoi ne pas les lui faire produire en sa faveur, unir
les coupables dans la réparation, comme ils l'ont été dans le mal
?
Ce principe de la solidarité étant admis, et dans la pratique, il
ne fait plus de doute (1), il faut en déterminer la sphère
d'application.
La solidarité s'applique-t-elle au cas de délits connexes ? Les
auteurs de délits accomplis en vertu d'un concert formé à
l'avance, ou commis dans le but de se faciliter l'un l'autre, sont-
ils responsables chacun solidairement de toutes les
conséquences des divers délits ? La jurisprudence a depuis
longtemps répondu par l'affirmative (2). Cette opinion parait,
en effet, la meilleure : la connexité, qui existe entre les délits,
rend les auteurs de l'un en quelque sorte complices des autres
auxquels ils n'ont pas directe-mont pris part. Il est de toute
justice de leur en faire supporter tout au moins les
conséquences civiles.
Se conformant à l'intention du législateur, qui a voulu
assurer un recours efficace aux victimes des crimes et délits,
les tribunaux ont reconnu, avec, raison, que la participation de
plusieurs à un même délit une fois cons-
(1) V. Cass., le' décembre 1868. Sir., 69, 1, 354. Cass., 5 avril
1895. Sir., 95,1, 428. Cass., 26 juin 1894. Sir., 96, 1, 167. cf. Blanche, I, n°»
409 et suiv., p. 498.
(2) Cass-, 5 avril 1K95. Sir., 95,1, 428. — Cass., 9 mars 1889. Sir., 90, 1,
373, cf. Chauveau et F. Hélie, I, n<> 154. — Blanche, I, n» 420.
DES GARANTIES PERSONNELLES 59
talée, il devait y avoir solidarité. C'est ainsi que l'on a re-
connu l'existence de la solidarité, même en dehors de toute
disposition contenue duns le jugement. C'est d'ailleurs ce
qui parait implicitement consacré par le texte de l'article 55.
En outre, cette interprétation ressort de la comparaison de
cet article avec l'article52 qui, employant une formule
analogue au sujet de la contrainte par corps, a toujours été
interpré comme entraînant de plein droit ce mode
d'exécution (1).
De même la jurisprudence,, pour donner à l'article 55
toute sa portée, a reconnu son application même devant
les tribunaux civils, statuant sur les dommages-intérêts'
dûs pour le délit (2). D'ailleurs, admettre le contraire serait
consacrer une distinction injustifiable. La solidariexiste
de plein droit, elle est attachée à la créance de la victime
dès le jour du délit, celle-ci ne saurait être moins | bien
garantie parce que son existence est reconnue par telle
juridiction plutôt que par telle autre.
Enfin, la tendance générale parait bien être d'appliquer
l'article 55, sans distinguer si les coparticipants du délit
ont été condamnés par leme jugement. En ce qui touche
notre question, le doute ne nous semble guère possible,
étant donné notre point de départ. La solidarité existant
de plein droit, dérivant de la nature de la créance et étant
simplement constatée par le jugement, chaque codélin-
(1) Gass., 19 juillet 1855. Sir., 55, 1, 861. - Cass., 18 octobre 1821. Dali.
Obligations, n» 1475. — Cf. Blanche, I, n° 428, p. 477.
(2) Cass., 23 décembre 1818. Sir., 19, 1, 278. - 1er décembre 1825. -
Contra, Paris, 18 février 1837. Sir., 37, 3, 482. Dali.. 37, 2. 118. Cf.
Blanche, I, n° 425. — Sourdat, I, n» 163. Dali. V" Responsabilité, n<> 81.
-
60 PREMIÈRE PARTIE. — CHAP. n
quant est responsable de toute la réparation, sans qu'il y ail à
distinguer si d'autres personnes ont pu étro condamnées avant
pour le même fait ou le seront après. «Il serait par trop singulier,
comme on Ta fait remarquer, que l'un des coupables put, en
retardant sa condamnation, paralyser l'action de la loi ». Certains
auteurs, cependant, semblant croire que la solidarité dérive du
jugement, n'admettent pas qu'un des auteurs puisse être tenu des
condamnations prononcées dans la suite contre les autres (1).
Mais, leur point de départ étant en opposition avec le texte
formel de la loi, la conséquence doit être abandonnée avec lui.
La solidarité dérivant de la loi existe en dépit de foutes les
complications de procédure qui peuvent se présenter.
La loi ne parle do solidarité que pour les auteurs d'un même
crime ou délit, elle est muette pour le cas de contraventions
commises par plusieurs, aussi, lorsqu'il s'agit de ces infractions,
la jurisprudence semble reconnaître qu'il n'y a pas solidarité de
plein droit. Elle se fonde avec raison sur le texte de l'article 55
du Code pénal comparé aveclaloi des 19-22 juillet 1791 (art.
42, titre II) dont le texte visait directement les contraventions,
et édictait la solidarité entre leurs auteurs (2). Il en résulte donc
que les dom-
(1) V. Carnot, art. 55, lO.jSourdat, I, no 156, p. 157. Contra,
Larombière, III, art. 1202, no 20. Blanche, I, no 431, p. 581. Vil-
ley, en note sous Chauve au et Hclie, I, p. 236. Cf. Chauveau et
Helie qui n'admettent jamais de solidarité s'il y a plusieurs jugements,
I, no 135, p. 236. — V. Lyon, 5 janvier 1821. Dali. Obligation.
1475, au cas de responsabilité pour les condamnations prononcées
antérieurement.
(2) Gass., 9 avril 1869. Sir., 70,1, 229. Contra, Dflranton, XI,
n° 194.
62 PREMIKHB BAItTIK. CBAP. II
ne pourrait demander à chacun qu'une somme proportionnelle à
sa part dans le dommage total, exception faite toutefois pour les
divers cas il serait impossible d'évaluer, même
approximativement, la responsabilité de chacun (1). Cette
opinion est celle qui semble le plus se rapprocher de la
jurisprudence. En même temps., c'est celle qui parait la plus
juridique. En dehors des cas de solidarité établis par la loi, il est
bien hardi de reconnaître, en dépit du principe que la solidarité
ne se présume pas, qu'il peut y avoir des codébiteurs solidaires.
Quant à admettre une obligation in solidum, une solidarité
imparfaite, il h'y a guère d'autre moyen de se tirer de la
difficulté dans les cas l'on ne peut pas fixer la responsabilité
de chacun. Toutes les fois que l'on ne peut pas dire : la par-
ticipation de tel individu à l'acte dommageable a augmenté le
préjudice dans telle proportion, toutes les fois que la présence
d'un seul aurait suffi à faire tout le mal, il est naturel de
permettre au créancier de demander à chacun le tout.
L'importance pratique de la solidarité entre codélin-quants
peut être énorme. En permettant à la victime de demander le
tout à chacun des coparticipants, on donne à l'action en
réparation une certaine efficacité. La solidarité pourra être très
efficace à l'égard des délinquants d'occasion. Il y a quelque
espoir que l'un d'entre eux présente par lui-même, quelquefois
aussi par ses proches, assez de solvabilité pour garantir la
victime. Mais la solidarité peut présenter une importance
toute particu-
(1) Laurent, XVII, n« 293.
DES GARANTIES PERSONNELLES 63
Hère, c'est à l'égard des receleurs. De nombreux délits sont
commis par des délinquants d'habitude. A leur égard, ou se
heurtera à une insolvabilité absolue. Mais, à côté d'eux peut-
être, pourrait-on trouver dans les receleurs) des gens d'une
certaine solvabilité, capables, sous des moyens de contrainte
énergiques, de fournir certaines réparations, ou tout au moins
de faire certaines restitutions. C'est un résultat auquel
pourrait conduire la combinaison de l'article 55 avec les
principes sur le recel qui font de lui une complicité, si les
moyens de contrainte étaient suffisants.
Il est donc très important pour les délits voisins des délits
principaux, comme le recel de choses ou de personnes, de
distinguer s'ils constituent des cas du complicité, ou bien des
délits principaux. Y a-l-il complicité, l'auteur de cet acte de
complicité répond .solidairement avec l'auteur principal des
suites du délit; sinon il est déchargé de la solidarité. Tandis
que le receleur de choses, étant considéré par la loi comme un
complice, répondra de toutes les suites du délit, ceux qui
auront fourni des lieux de refuge ou de réunion à des bandes
de malfaiteurs, étant les auteurs d'un délit distinct, échapperont
à toute obligation civile, si on ne peut les convaincre de faits
de complicité. Par suite de principes généraux du droit pénal,
il y a là, au point de vue de laréparation civile, des dispositions
assez discordantes auxquelles il comiendrail d'apporter des
modifications.
A défaut des coauteurs et complices du délit, une autre
classe d'obligés principaux se présente : ce sont leurs héritiers.
Cette transmission passive des obligations n'a
64 PREMIÈRE PARTIE. — C11AP. II
plus rien que do naturel. Nous n'aurions même pas à la j
signaler, tant elle semble évidente, si elle n'était, elle aussi,
la marque de l'évolution suivie par la responsabilité civile.
Le droit romain ne connut à peu près rien de semblable. Ce
fut le droit canonique qui dégagea cette idée. Elle vint alors
à son heure. Elle indiquait la transformation qui s'opérait
dans les esprits. Confondue auparavant avec la vengeance
et la répression, s'éleignant avec elle, la réparation se
dégageait pleinement, prenait sa place naturelle au milieu
des obligations civiles, pour se transmettre comme elles,
suivant les mômes règles et les mêmes modes.
I II I
f.V, A côté des divers coparticipants du délit, apparaissent
comme obligés à la réparation, sortes de cautions des cou-
pables, les personnes civilement responsables.
Très pratique encore aujourd'hui, cette théorie do la
responsabilité civile n'est pourtant qu'un pâle reflet de ce
qu'elle était à une époque plus primitive. Avec le dévelop-
pement de la civilisation, son rôle s'est amoindri, en même
temps qu'elle a pris une autre formé. Son application s'est
sensiblement restreinte, et tandis que les responsabi-tés
étaient autrefois collectives, aujourd'hui au contraire, elles
sont individuelles. Et cela s'explique aisément.
Avant que l'individualisme n'eut pris le développement
qu'il a aujourd'hui, l'individu se trouvait puissamment en-
DES GARANTIES PERSONNELLES K5
cadré dans un groupe social : famille ou tribu, peu importe, qui
était responsable de ses infractions. Ce groupe lui devait
protection contre les étrangers. N'était-il pas juste, à l'inverse,
qu'il répondit de ses délits contre les gens du dehors, qu'unis
dans le droit à la réparation, les membres de la famille le
fussent dans l'obligation de réparer ? Une autre raison dut
aussi intervenir. Cette responsabilité collective fut un moyen
énergique, dans des sociétés mal organisées, de rendre les
crimes moins fréquents en intéressant plus de monde à les
empêcher. Aussi, cette responsabilité n'existait pas, on
vit le pouvoir social l'organiser (1). Quoiqu'on fut l'origine,
naturelle ou légale, cette responsabilité n'avait pas moins pour
effet d'assurer à la victime un recours contre tout le groupe au-
quel appartenait l'agresseur de fortifier largement son droit
d'action.
Mais, avec la civilisation, le pouvoir devcnantjplus fort, les
groupes se désunissant peu à peu, la responsabilicollective
n'est bientôt devenue qu'un souvenir. Nous la retrouvons
parfois encore à l'heure actuelle, mais c'est seulement dans les
conditions de civilisation qui la firent éclore. Chez nos tribus
arabes d'Algérie, en Tunisie, la responsabili collective des
douars existe toujours, et clic ne parait pas près de disparaître
(2). Mais, pour notre
(1) C'est ainsi qu'un édit de Clotaire II. de 595, forma toutes les
familles en centuries et en décanies responsables des Vols commis
sur leur territoire. V< Capitulaire de 15a lu se, I, col. 20.
(2) V. J. off., 1897,Ch. des Députés. Annexe 219-4 : Projet de
! loi sur la protection des bornes et autres points Irigonomclriques en
f Algérie. — Isaae. Rapp. au Sénat, 1895. /. off. Annexes, p. 81, cor. 3.
— Bompard. Législation tunisienne, p. 128 et 180. — Cf. loi serbe,
20 mars 1892, sur la responsabilité des délits (Ann. 1892).
il
66 PREMIERE PARTIR. — CHAP. II
métropole, c'est une théorie morte, qui appartient plus au passé
qu'à l'avenir. Avec elle a disparu un puissant secours accordé
aux offensés. Toutefois, un faible rejeton est apparu à la place
du rameau tombé. On a admis des responsabilités individuelles.
C'était la seule chose compatible avec l'individualisme
grandissant. Désormais, outre le coupable, ceux-seuls purent
être obligés à réparation qui, par une faute, avaient facilité le
délit. Bien restreinte devenait dès lors la responsabilité des tiers
étrangers au délit. C'est ce nouvel état du droit, qui est le droit
actuel, que nous allons examiner.
La responsabilité civile, telle qu'elle est édictée par le Code
civil, s'applique à trois ordres de personnes : aux parents, pour
les faits de leurs enfants mineurs : aux commettants, pour les
délits de leurs préposés dans l'exercice de leurs fonctions ; aux
instituteurs et artisans, pour les personnes soumises à leur
garde.
Quelles sont les conditions et le rôle pratique de ces
responsabilités ?
D'après l'article 1384, le père et la mère sont responsables
des délits de leurs enfants mineurs habitant avec eux. Toutefois,
on les exonère de toute obligation, s'ils prouvent qu'ils n'ont pu
empêcher le fait. C'est qu'en effet cette responsabilité repose
sur un défaut de surveillance présumée de leur part. Mais à
cette idée, seule indiquée par Pothier, s'en mêle de plus en plus
un autre, qui rétrécit beaucoup l'exception. Les parents
ducoupablesontprésumés avoir mal élevé leur en l'an I, ils
doivent répondre à l'égard des tiers de leur devoir d'éducation
mal rempli. De plus
#
DES GARANTIES PERSONNELLES 67
on plus, cotte conception nouvelle se fait jour en doctrine et en
jurisprudence (1).
Une dos conséquences, c'est que les parents répondent do
leurs enfants momentanément confiés à des tiers, envoyés
pour quelques jours chez des amis, par exemple. C'est une
extension importante de la responsabilité paternelle.
Ces idées étant admises, la responsabilité des parents pour
les délits de leurs enfants, mendiants ou vagabonds, ne peut
plus faire aucun doute. Les parents qui ont laissé leurs enfants
quitter la maison paternelle, sans s'occuper de leurs moyens
d'existence, ou de leur genre de vie, restent responsables des
délits par eux commis. Ils ne pourraient soutenir qu'il leur était
matériellement impossible d'empêcher le délit, au moment
il a eu lieu. Il y a de leur part une faute antérieure qui engage
leur responsabilité.
La responsabilité des parents a été aussi généralement
admise pour les délits de leurs enfants émancipés, exception
faite du cas l'émancipation résulte du mariage. Les uns ont
dit qu'il y avait un fait des parents, qui ne pouvait suffire à
les décharger de leur responsabilité. D'autres, que l'autori
morale subsistant après l'émancipation suffisait pour que le
père ne fut pas libéré de son
(I) V. Laurent; XX, n» 553, p. 591. Zachariœ (Edit. Massé et
Vergé), IV, par 628, p 22, note4. Demolombe, XXXI, n»562, p. 491.
Garraud, II, n« 5, p.'O.Chauveau et F. Hélie, I, p. 558. Cass.,
29 mars 1827. Sir.. 28. l,37:t. Bourges, 9 mars 1881, Sir., 22, 2, 238.
Bordeaux, l"r a'vril 1829,Sir., 2,25!». Aix, Il juin 1859. Sir., 60, 2,
193.Dali., 59, 2,195. - Dijon, 19 février 1875, Sir., 75. 2, 81. Dali., 76, 2,
70.
68 l'REMIÈRE PARTIE. CHAI'. II
obligation. Quoique soit la valeur de ces explications, elles
paraissent absolument admises. Seuls quelques auteurs ne
paraissent pas vouloir adhérer à ce système, et, même au cas
d'émancipation expresse, ils décident que la responsabilité des
parents est définitivement éteinte (i).
On admet généralement que les père et mère naturels sont
responsables des délits commis par leurs enfants mineurs. Cette
question ne saurait faire aucun doute. Les parents naturels ont
les mêmes devoirs moraux à l'égard de leurs enfants. Ils sont
également en faute de ne pas veiller à leur éducation. L'article
383 ne leur donne-t-il pas de moyens de contrainte à l'égard de
leurs enfants rebelles (2).
Examinons une dernière question : à qui, du père ou de la
mère, incombe la responsabilité ? L'article 1384 répond « au
père et, après son décès, h la re » Toutefois l'on s'accorde à
ne pas appliquer strictement ce texte; on reconnaît que, du
vivant même du père, la mère peut être responsable. (3) La loi
a statué simplement de eo cjuod ple-
(1) Laurent. XX, no 558. Toullier, XI, 277. Contrâ
T
Aubry et
Rau, IX par 447, p. 757. — Duranton, XIV, n» 715, p. 733. —. Massé
et Vergé, IV par 628, p. 22, note 3. H arcade, V, art. 1384, II, p.
283. Lot. Responsabilité du fait d'aulrui. Thèse, p. 159.
Larombièrc, VII, art. 1384, n°4. Chameau et Ilélie, I, p. 557.
Laine, Droit criminel, 487.
(2) V. Aubiy et Rau, IV, § 447, p. 758. Duranton, XIII, no 717.
Zachariœ (éd. Massé et Vergé, IV, par 628, p. 22, note 2. De-
molombe, XXXI, n"571.Blanche, II, n» 377, p. 493."Comp. Rouen,
18 novembre 1878. Sir., 80, 2, 316. Dali., 80, 2, 38.
(3) V. Aubry et Rau, IV par 447, p. 758. — Vazeille, II, p. 427. —
Laurent, XX, no 554, p. 592. — Duranton, XIV, no 716, p. 734. -»|
Marcadé, V. art, 1384, II, p. 283. — Demolombe, XXXI, n°566.'-
Larombière, VII, art. 1384, n» 2.
1
DES GARANTIES PERSONNELLES
t>9
rumquc fit. C'est ainsi, qu'au cas de séparation de corps,
ou de divorce, la mère sculo sera responsable des enfants
dont elle a la garde. Il en serait de même si elle avait la
garde des enfants, à raison de l'absence,de la démence, ou
de l'emprisonnement du mari.
Mais lorsque la mère a temporairement la garde exclusive
de l'enfant, par suite d'un voyage du mari, par exemple,
on hésite beaucoup plus à clarer qu'elle est encore res-
ponsable. Cependant, un arrêt s'est prononcé contre la
mère, dans un cas le mari exerçait un emploi dans uno
autre ville (1). La doctrine reste encore partagéo à co|
sujet.
Faut-il appliquer au tuteur la responsabiliédictée par
la loi pour les père et mère ? Cette question ne parait pas
avoir inquiété la pratique : il convient cependant de l'in-
diquer, car, sur ce point, la doctrine est à peu près divisée
en deux camps égaux. Les uns se prévalant du caractère
restrictif de l'article 1384, les autres invoquant les pou-
voirs donnés au tuteur et les devoirs qui lui incombent.
Au fond, la question est de peu d'importance, car les faits
suffiront le plus souvent à montrer une faute du tuteur, si
la pupille commet un délit, et la victime se trouvera ainsi
garantie.
Quel rôle peut jouer celte responsabilité des parents
pour les lits de leurs enfants, au point de vue pratique '?
Elle ne peut jouer un le efficace qu'à une condition : les
parents doivent être solvables. Malheureusement, cela n'ar-
(1) V. Nîmes, 20 mai 1858."Sir., 58, 2,430. Compar. Cass.,16aoùt
1811. Sir., 41, 1,751.
'0 PREMIÈRE PARTIE. CHAI'. II
rivera presque jamais dans les cas les délits sont le plus à
redouter. C'est précisément dans les familles très pauvres que se
recrutent le plus de jeunes délinquants. Le père él la mère,
obligés de gagner leur vie, de travailler toute la journée dans des
ateliers, ne peuvent faire autrement que de laisser leurs enfants à
eux-mêmes. Ceux-ci, sans surveillance, pendant tout ou partie
de leur temps,
1
ont plus de chance que d'autres d'être enrôlés
dans l'armée du vice et du délit. Dans la grande majorité des
cas, la règle du Code civil restera donc sans utilité pratique.
Pour lui supposer quelque efficacité, il faut considérer des
parents plus fortunés. Il y aura un utile remède contre les
imprudences, souvent très graves, de leurs enfants, ou contre
les délits volontaires de mineurs précocement pervers. C'est,
somme toute, un rôle relativement restreint.
Le second cas de responsabilité édicté par le Code civil vise
celle des maîtres et commettants, à raison des faits de leurs
domestiques et préposés dans l'exercice de leurs fonctions. On
s'accorde généralement pour dire que cette responsabilité vient
de la faute commise par le préposant, en choisissant mal ce
préposé. De résulte que le préposant n'est jamais admis à
prouver qu'il ne,pouvait empêcher le délit (arg. art 1384 par S).
C'est ce que la loi admet implicitement. Il est fort difficile
d'expliquer cette seconde règle, si l'on veut faire reposer la
première —, et ceraius auteurs l'ont voulu (1), sur un défaut de
sur-
(1) Larorabière, VII, art. 1384, 3, p. 601. Chauveau et F. Hélie, I. p.
015. Contra Deinolombe, XXXI, n° 610, p. 530. Gar-raud, II, 7, p.
8. — Laurent, XX, n° 570, p. 606. — Golmel de Santerre, V, n» 365 bis, VII.
— Hue, VIII, n° 444.
DES GARANTIES PERSONNELLES 71
veillance, sur le 'droit du maître de commander à son pré-
posé. Cette explication se heurte d'ailleurs à l'opinion de
Polluer, d'après lequel cette responsabilité a été établie «
pour rendre les maîtres attentifs à ne se servir que de
bons domestiques ». Elle ne contredit pas moins les
explications fournies au Tribunal, où Bertrand de Grouille
disait : « Les maîtres n'ont-ils pas à se reprocher d'avoir
donleur confiance à des hommes méchants, maladroits
ou imprudents ? » (1),
L'opinion que nous exposons ne parait point faire doute
en pratique. Mais où s'élèvent les difficultés graves, c'est
lorsqu'il s'agit de déterminer, quand ou se trouve en pré-
sence d'un commettant et d'un préposé, d'un maître et
d'un domestique. On s'entend facilement, lorsqu'il s'agitde
reconntre les domestiques ; ce sont toutes les personnes)
attachées au service d'une autre, soit pour les soins inté-
rieurs de la maison, soit pour ceux d'une exploitation
agricole. On' admet également que ce n'est là qu'une
variété de prépos. Mais la controverse s'élève lorsqu'il
s'agit do définir les préposés. Deux opinions ici se sont
fait jour. La première, contenue principalement, par M.
Laurent, la seconde défendue par la majorité de la
doctrine et par la jurisprudence. Pour M. Laurent, la
responsabilité n'exige qu'une condition : le choix d'une
personne par une autre. Toute personne choisie par une
autre, pour une fonction donnée, est un préposé, alors
même qu'elle échapperait aux ordres et à la surveillance
du prétendu préposant (2). Que celte théorie soit admis-
(t) Locré, XIII, p. 42, n« 14 — Cf. Polhier. Obligations, n«121. (2) Laui-
enl, XX, n» 571. p. 007.
73
PREMIÈRE PARTIR. CHAP. II
sible en législation, cela est possible. Mais, on droit, à
prendre les intentions du gislateur, elle ne l'est guère.
Elle n'a d'ailleurs trouvé que peu d'écho. La seconde doc-
trine, qui exige un droit pour le commettant de surveiller le
préposé et de lui donner des ordres, est généralement
suivie. Elle pout se résumer par cette définition : « La
condition des préposés se caractérise essentiellement par
leur dépendance, leur subordination et leur obéissance
nécessaire à la direction, à la surveillance et aux ordres
d'un maître ou commettant. » (1) Quelles personnes ren-
trent dans cette définition ?
Sont évidemment des préposés ceux qui représentent
une personne de façon permanente, comme un agent d'as-
surances, un représentant de commerce, un régisseur, tous
ceux qui sont employés dans une maison à titre de clerc,
de commis, d'employé, do caissier, de chef d'équipe (2).
On s'accorde également à reconnaître qu'un concierge est
le préposé du propriétaire (3). De mémo le gérant d'une
société est lo préposé de cette société (4). L'entrepreneur
de transports est le commettant des cochers qu'il emploie
(5). Une compagnie de chemins de fer l'est également à
l'égard de ses divers employés ; de même un armateur est
un préposant à l'égard du capitaine (6). Tous ces points ne
sont pas contestés.
(1) Larombière, VII, art. 1384, n« 8, p. 601.
(2) V. Douai, 27 juin 1881. Sir., 84, 2,7.
(3) Paris, 7 octobre 1856. Sir., 57, 2, 445, cf. Demolombe XXXI,
no 618, p. 537.
(4) V. Cass., 15 janvier 1872. Dali., 72, 1, 165. cf. Laurent XX, | n°
576.
(5) Seine, 28 mai 1872. Sir., 72, 2, 153.
(6) V. Revue critique, 1876, p. 538 et 604.
DES GARANTIES PERSONNELLES
73
A l'inverse, on s'accorde, tant en doctrine qu'en juris-
prudence, à placer hors de la classe des préposés, ceux
sur lesquels nous n'avons aucune direction, aucune direc-
tion, aucune surveillance à exercer. Il en est ainsi do tous
les entrepreneurs avec lesquels nous traitons pour des
travaux, C'est ainsi que la Chambre criminelle a formelle-
ment reconnu qu'une compagnie de chemins de fer n'avait
pas à répondre de l'homicide par imprudence causé par
un entrepreneur, celui-ci n'étant lié avec elle que par un
contrat à forfait (1).
La question parait plus délicate lorsqu'il s'agit de la res-
ponsabilité d'un maître à raison des actes d'un ouvrier
qu'il emploie. La jurisprudence, fidèle à sa distinction, ad-
met des solutions différentes, suivant qu'il s'agit d'une pe-
tite entreprise, ou d'un ouvrier soumis à la direction et à
la surveillance d'un maître. Sommes-nous en présence do
quelqu'un travaillant pour son propre compte, où, quand
et comme il l'entend, avec des ouvriers de son choix, res-
tant maître de l'ouvrage, sans subordination aucune » (2)
ou « d'un ouvrier d'une profession connue et publique-
quement employé comme tel », si aucun fait particulier
n'établit de rapport plus intime (3), il n'y a ni préposant,
ni préposé. Y a-t-il, au contraire, non seulement deux
personnes liées par un contrat, mais deux personnes dont
(l)Cass., 20 août 1847. Sir., 47, 1.855. — Paris, 24 novembre 1842.
Sir., 42, 2. 521. Cass., 17 mai 1865. Sir., 65, 1, 326.— Cass., 30
dée. 1873. Bull. n°367. Lyon, 25 février 1867. Sir., 67, 2, 353.
Pau, 12 juin 1893 et 27 novembre 1895. Sir., 97. 2,14.
(2) Cass., 10 nov. 1859. Sir., 60,1,185. Cass., 30 décembre 1875.
Sir. 76, 1, 91. —Conlrà Paris, 30 mai 1862. Sir., 62, 2, 375.
(3) V. Cass., 23 mars 1824. Sir., 24, 1, 422. Dali. Louage, n°
367.
74
PREMIÈRE PARTIE. — CD
A
P.
II
l'une est soumise à l'autre, et nous sommes en présence
d'un préposé. El cela, peu importe que l'ouvrier ait été pris
pour un travail déterminé, du moment que son co-con-
traclant exerce sur lui une surveillance, lui donne des
ordres (i). La jurisprudence se place doue uniquement au
point de vue des faits, au point de vue do l'équité, 'pour
décider notre question. Elle fait complètement abstraction
des données juridiques, dans les litiges qu'on lui soumet ;
peu lui importe la nature du contrat qui unit les deux par-'
tics.
La jurisprudence s'est également placée au point de vue
des faits pour résoudre divers autres points délicats. 11 en j
est ainsi pour la question de savoir quelle est la responsa-
bilité du commettant, à l'égard des sous-préposés. Suivant
elle, le commettant ne répond de ces derniers, que si le
premier agent a été autorisé à prendre des agents secon-
daires. Et en effet, dans ce cas seulement, on peut dire q
u'il existe des rapports, un droit de surveillance entre le J
commettant et le sous-préposé (2). Partout ailleurs, il ne
peut y avoir de responsabilité pour le préposant, car il ne
connaît pas le sous-préposé. Par application des mêmes
principes, la jurisprudence ne tient pas compte du caractère
illicite du contrat existant entre deux individus, pour
trancher notre question de responsabilité (3).
Dans quelle mesure existe la responsabilité des commet-Il )
Cass., 13 décembre 1856. Dali., 57, 1, 442. — Toulouse, 3 mars 1883.
Sir., 84, 2, 161. — Dijon, 24 juillet 1874. Sir., 75, 2, 73.
(2) Cass., 5 novembre 1855. Sir., 07, 1, 376. Dali,, 56, 1, 353.
Corap. Grenoble, 28 novembre 1838. Dali. V Responsabilité, n° 618.
(3) lieq., 1" août 1866. Dali. 67, 1, 26.
j
l«&&frffil
DBS GARANTIES PERSONNELLES
75
tanls ? L'article 1384, répond à cette question : « les maîtres et
commettants sont responsables du dommage causé par leurs
domestiques et préposés, dans les fonctions auxquelles ils les
ont employés ». Comment faut-il entendre les mots : actes
faits dans la fonction ? D'après Aubry et Hun, ces expressions
sont synonymes de « faits dommageables commis dans
l'exercice des fonctions auxquelles le préposé a éemployé (-
J) ». Cette explication nous semble absolument conforme au
texte de la loi, en même temps qu'elle rend compte des
principales cisions de la jurisprudence. Elle a cependant é
critiquée en théorie. L'interprétation proposée, a-t-on dit, ne
doit être admise qu'autant que le fait commis à l'occasion de la
fonction, sera lui-même un acte d'exercice ou de la fonction,
sous lu condition qu'il constituera dans tous les cas un fait de
charge (2).'. Ceci ne nous parait pas exact. L'acte fait dans la
fonction, ce n'est pas seulement l'acte qui constitue la fonction,
mais celui qui est fuit parce que l'on exerce la fonction.
Quelques exemples vont éclaircir cette idée, en nous montrant,
en même temps, l'importance de la garantie concédée ici par la
loi à l'action en réparation civile.
L'acte commis dans l'exercice de la fonction, cela com-
prend toutes les maladresses, les imprudences commises par
le préposé dans l'exécution des ordres qu'il reçoit. Ainsi le
chef d'équipe, le contre-maître imprudent, qui or-
(1) Aubry et Rau, IV, §447, p. 701.
(2)V. Demolombe, XXXI, n°M5, p.535.— Contra', haurent, XX, 582.
Massé et Vergé, IV, par «J28, p. 24, note 7. Compar. Larombière,
VII, art. 1884, n° 0. - Revue pratique, 1888, II, p. 313.
76 PREMIÈRE PARTIE. — CHAP. II
donnent l'exécution d'un travail dangereux, qui ne prennent
pas, ou ne font pas exécuter des mesures pour éviter; un
accident, engagent la responsabilité du patron. 11 y a
exercice de la fonction, il y a service mal fait (1). Le
commettant est en faute d'avoir choisi un préposé mala-
droit ou imprudent. Nous sommes évidemment dans l'es-
prit de la loi. On reconnaît également qu'il y a responsa-
bilité du commettant pour les actes ne rentrant pas
directement dans la fonction du préposé, mais auxquels il
devait se livrer, étant donnée sa fonction. C'est ainsi qu'on
a déclaré un propriétaire responsable de l'incendie causé
par l'imprudence d'un bûcheron. La fonction du cheron
était d'abattre les arbres, non de faire du feu ; mais, étant
donné la saison, la situation, le bûcheron devait faire du
feu. Le propriétaire était donc responsable de l'incendie
déterminé par ce feu mal surveillé (2).
Les tribunaux ont également reconnu la responsabilité
du commettant pour les actes du proposé dans d'autres cas
: lorsque l'acte n'était pas de ceux qu'il avait mission de
faire, mais que l'acte ne formait qu'un avec ceux de sa
fonction, ou n'en était qu'une exagération. C'est ainsi
qu'une Compagnie d'assurances a été déclarée responsable
des diffamations de ses agents à l'égard d'une compagnie
rivale. Les agents n'avaient aucune instruction pour cela,
mais la diffamation ne faisait qu'un avec les pourparlers
(1) Douai, 27 juin 1881. Sir., 84,2, 7. Amiens, 15 nov. 1883.
Sir., 84, 2. 6. Cass., 28 août 1882. Sir., 85,1, 19. Bordeaux, 3
juillet 1878. Sir., 79, 2, 4.
(2) V. Toulouse, 3 mai 1883. Sir., 84, 2, 161. Comparez. Cass., |3
décembre 1856. Sir., 57,1, 442.
QI
KM
*
DES GARANTIES PERSONNELLES
77
engagés avec les clients par les agents d'assurance : il y! avait
bien acte dans la fonction (1 ).
Enfin, la tendance générale de la pratique semble être de
reconnaître la responsabilité du commettant toutes les fois
qu'en l'absence [de la mission donnée à son agent ou à son
employé, le délit n'aurait pas eu lieu. Et cela, alors même qu'il
n'y aurait aucun rapport de nature entre le fait commis et la
fonction. C'est ainsi'qu'une Compagnie de chemins de fer a été
déclarée responsable du délit de contrebande commis par un
de ses employés « La fraude n'a eu lieu et n'a été possible qu'à
l'occasion des fonctions ; sans elles la fraude n'aura pu avoir
lieu », il y a là un lien suffisant (2).
Cependant, il faudrait se garder de prendre celle affirmation
au pied de la lettre. Si l'on lit les arrêts les plus récents, on voit
que la Cour do Cassation est plus réservée dans ses motifs,
elle se contente de parler de circonstances qui rattachent
suffisamment le délit aux fonctions auxquelles les délinquants
ont été employés » (3). On peut trouver bien des arrêts dans
ces dernières années, beaucoup moins affirmatifs que l'arrêt
de Lyon que nous avons cités. Souvent les Cours d'appel et la
Cour de Cassation, elle-même, ont refusé de voir un cas
d'application de l'ar* licle 1384, alors même que, sans les
fondions dont il était
(i) V. Cass., 5 novembre 1835. Sir., 57,1,375. Paris, 1(3 juin
1896. Sir., 98, 2, 208. Cass., 3décembre 1846. Dali. 47, 4, 442.
Cass., 13 mai 1820. Dali. V° Rosponsab., n« 098.
(2, Lyon, 1 » juillet 1872. Sir. 73, 2. 43.. Compar. Alger, 29
mars 1879. Sir., 80, -2. 79. Trib. de la Seine, 28 mai 1872. Sir., 72,
2,153.
(3) Cass., 15 décembre 189i. Sir., 95, 1, 151.
78
PREMIÈRE PARTIE. — CHAI'. II
chargé, le proposant n'aurait pu commettre le délit. Il y a
surtout une question do fait : tout semble tenir dans une
question de plus ou de moins (4).
Etant donné le motif qui explique, selon nous, l'article 1384,
le mauvais choix fait par le commettant, il en résulte,— et celle
conséquence est implicitement contenue daas les textes, —que
la victime du délit peut poursuivre le commettant, sans
s'inquiéter de savoir s'il y a eu négligence de sa part. Elle peut
même agir contre lui, alors qu'il démontrerait que le fait a eu
lieu contre son ordre, qu'il n'a commis aucune négligence. Peu
importe sa vigilance au moment du délit (2) : la question n'est
pas là. Avoir pris à son service un homme imprudent, maladroit,
ou mal intentionné, voilà en quoi a consisté la faute. Le délit
n'est que la réalisation du dommage déterminé par cette faute
première.
La responsabilité imposée par la loi au commettant s'ap-
plique aussi aux diverses personnes morales, aux adminis-
trations publiques et à l'État lui-môme. Mais il faut toutefois
que les fonctionnaires poursuivis rentrent dans la classe des
préposés. Les délits d'un magistrat qui agit d'une façon
indépendante dans les limites de sou autorité, ne sauraient
obliger l'État. La situation est absolument différente de la
situation dépendante des préposés (3). Mais,
(1) V. Dans le sens de la non-responsabilité. Cass., 15 c. 1894
précité. Douai, 14 vrier 1894. Sir., 94,2, 161. Cass., 3 mars
1884. Sir., 85. 1, W."-
(1) V. Cass., 5 novembre 1855. Sir. 57, 1. 375. —Cass.,3 décembre
1840. Dali. 47, 4, 422.
(3) Cons. d'État, 8 janvier 1875. Sir., 76, 2, Vit. Cl'.ILaurenl, XX,
n* 591, p. 631.
ipSHHI
DES
GARANTIES
PERSONNELLES
~ffi
dès qu'on se trouve en présence, d'un fonctionnaire préposé,
agent des contributions, ingénieur des travaux publies, la
responsabilité de l'article 1384 s'applique.
Conformément à ces principes, les tribunaux ont reconnu la
responsabilité de villes ou départements, pour les délits de
leurs fonctionnaires et même pour ceux d'entrepreneur» qui,
par suite de circonstances, se trouvaient être préposés (1).
Mais lorsqu'une personne a été victime d'un délit commis par
un agent de l'Étal, son recours contre l'État comme personne
responsable des délits de ces agents préseule beaucoup plus de
difficultés. En dehors des questions de compétence et
d'autorisation, le droit d'agir eu responsabilité est contesté.
Certaines lois spéciales, comme celle du 9 floréal, an VII, sur
les douanes, celle du • 1
er
germinal an XIII, sur les contributions
indirectes, affirment la responsabilité de l'État. En dehors de ces
textes spéciaux, règne une grande incertitude. Il y a sur ces
questions, dont l'examen spécial offrirait à lui seul un vaste
champ d'études, une nombreuse jurisprudence de la Cour de
Cassation et du Conseil d'État sur laquelle nous ne voulons pas
insister. La Cour de Cassation semble en général affirmer la
responsabilité de l'État : c'est ainsi qu'en matières de postes, elle
s'est appropriée la doctrine d'un arrêt de la Cour de Paris, qui
appliquait nettement l'article 1384 à l'État, et cela
malgré le doute que peut soulever
(I) V. Uons. d'État. 7 mai 18l>{. Sir., ri*. 2. SU. - '»'ss., 15 janvier
1889. Sir., 89,1, 74.
7
80 PREMIÈRE PARTIE. CI1AP. II
la loi du 5 nivôse, an V, limitant la responsabilité de l'ad-
ministration (1).
Le Conseil d'Etat a souvent reconnu la responsabilité de
l'État, quoiqu'il se soit absolument séparé de la Cour de
Cassation sur certains points, notamment pour la res-
ponsabilité des Postes (2). Mais il a émis dans ces arrêts
certains considérants que le tribunal des conflits a maintes
fois repris dans ces dernières années et qui sont singuliè-
rement dangereux pour les victimes des lits On a affirmé,
en effet, que la responsabilité pouvant incomber à l'État
pour les dommages causés à des particuliers par le fait des
personnes à son service, no peut être régie par les principes
du Code civil. « Cette responsabilité n'est ni générale, ni
absolue, elle a ses règles spéciales qui varient suivant les
besoins du service et la nécessité de concilier les droits de
l'État avec les droits privés » (3). Si ces considérants visent
plus loin que la question de compétence, les intérêts des
parties lésées courent ici un singulier risque (4).
(1) Cass., 12 mai 1851. Sir., 1851. 1, 349. —Cf. Trésor public.
Paris,25 janvier 1833. Sir., 33, 2, 410. Paris, 3 mars 1834. Sir.,
34,2,85. — Cass., 29 décembre 1836. Sir., 36,1, 293.
(2) Cons. d'État, 6 décembre 1855, 2 arrêts. Sir., 56, 2, 308. Ont
admis la responsabilité de l'Etat préposant : Cons. d'Etat, 30 mars
1867. Sir., 68, 2.128. Cons. d'État, 11 mars 1881. Sir., 82, 3, 53.
(3) Cons. d'État, 6 décembre 1855 précité. Trib. des conflits,
20mai 1884. Sir., 84,3, 41. Id. 15 vrier 1890. Sir., 90, 3. 73.—
Id. 10 mai 1890. Sir., 90, 3, 105. Id. 29 novembre 1890. Sir., 90,
3,147.
(4) V. sur ces points Aubry et Rau, IV, p. 759. — Laurent, XX, n»
591 etsuiv., p. 631. Larombière, art. 1384, 13. Block Dic-
tionnaire, Responsabilité. Sanln ville. Responsabilité de l'Etat
en matière de postes. — Marcadé. V, art. 1384, III. — Blanche, II, no
389. - Garraud, II, no 10, p. 12.
DES GARANTIES PERSONNELLES 81
Cette incertitude regrettable quant aux obligations de
l'Etat mise à part, la responsabilité des commettants cons-
titue pour la victime d'un délit une arme sérieuse, d'autant
plus qu'elle viendra rarement s'émousser contre l'insolva-
bilité du patron. En matière de délits d'imprudence, et
l'on sait si leur nombre et leurs conséquences sont con-
sidérables, il y aura un moyen très efficace d'obtenir
réparation. Il suffit d'ailleurs de parcourir les recueils de
jurisprudence au mot « Responsabilité des commet" tants
» pour voir quel rôle cette responsabilité j ue dans les
homicides et les blessures par imprudence. Quant aux
délits volontaires, l'article 1384 offre ici des applications
moindres, mais cependant très réelles. En tous cas, il ne
pourra guère s'appliquer qu'à des délinquants primaires, à
des criminels d'occasion. Il sera rare qu'un récidiviste se
voie confier le rôle de préposé. Quant aux malfaiteurs de
profession, la question ne se pose même pas pour eux.
C'est d'ailleurs un trait intéressant à noter, et qui s'expli-
que facilement : toutes les sûretés que la loi actuelle
reconnaît aux victimes d'un délit ne s'appliqueront en fait
qu'à*des délinquants d'occasion. [Elles seront sans effet
lorsque le délit ou le crime sera commis par les gens les
plus dangereux, par des récidivistes.
Les malfaiteurs de profession, formant une sorte de clan
séparé dans la société, il n'y a personne parmi les hon-
nêtes gens, qui ait avec eux un lien social suffisant pour
pouvoir pondre de leurs méfaits. C'est une Ie que nous
ne faisons qu'indiquer, nous aurons à y revenir plus loin,
en examinant les remèdes à apporter à cette situation. En
dehors de fa responsabilité des maîtres et commet-
(i
82 PREMIÈRE PARTIE. — CIIAP. II
tanls, de celle des parents, l'art. 1384 indique un troisième
cas de responsabilité : « les instituteurs et artisans sont
responsables du dommage causé par leurs élèves et
apprentis, pendant le temps qu'ils sont sous leur surveil-
lance ». Celte responsabilité est fondée, comme celle des
parents, sur le devoir de surveillance, qui incombe à ces
personnes. Ils sont présumés en faute, lorsque ceux qui
leur sont confiés, commettent un délit. Une surveillance
plus active de leur part aurait ordinairement pu empêcher
l'acte dommageable. Mais, lorsqu'ils prouveront avoir fait
tout ce qui était humainement possible de leur part, ils
devront être absous, comme le seraient les parents. La
présomption de la loi étant inexacte, ne pourrait plus pro-
duire ses effets (1). Cette obligation civile des instituteurs
et artisans se rapproche encore de celle des parents, en ce
qu'elle en forme le complément. A l'occasion des délits du
mineur, la victime pourra poursuivre ou ses maîtres, ou ses
parents, la responsabili des uns cessant ordinairement
quand commencera celle des autres, et réciproquement. La
partie lésée aura donc toujours quelqu'un à qui s'adresser,
si le délit pouvait être empêché.
Nous ne dirons rien de plus de la responsabilité des arti-
sans, devenue presque inutile, l'apprentissage devenant de
plus en plus rare. Ce nouvel état de chose rend sans intérêt
une controverse, qui divisait la doctrine concernant la
responsabilité pour les délits des apprentis majeurs (2).
Quant aux instituteurs, on s'accorde en doctrine
(i; Arg. art. 1384 5°. V. Gass., 13 janvier 1890. Sir., 91, 1, 49.
(2) V. pour la responsabilité, Laurent, XX, no 556, p. 604. — Du-
ranlon, XIII, B° 721, p. 738. Larombière, VJI, art. 1384, n° 16, p.
DES GARANTIES PERSONNELLES 81)
el en jurisprudence, à reconnaître qu'il faut entendre par
tous ceux qui ont à la fois la mission d'instruire et de
surveiller, non seulement les instituteurs, mais les professeurs
des collèges et des lycées (1) ; certains auteurs y comprennent
même les professeurs donnant des leçons à l'heure, ce qui
paraît assez admissible; ce dernier point toutefois est contesté.
En dehors de l'article 1384, la législation actuelle contient
un certain nombre d'autres cas de responsabilité civile. Il y a
un certain nombre d'hypothèses la victime d'une infraction
aux lois pénales peut diriger sou action en réparation contre
d'autres que l'auteur môme du lit. Ces divers cas de
responsabilité peuvent se diviser en deux groupes. Tantôt cette
responsabilité civile présuppose que l'auteur du fait est connu :
la responsabilité des parents, des commettants, aurait pu y
rentrer, la partie lésée a alors deux actions à sa disposition,
elle peut exercer l'une ou l'autre, ou les deux à la fois. Tantôt
celte responsabilité civile ne suppose pas pour pouvoir être
mise eu mouvement que le linquant est connu. Elle s'exerce
par cela seul que le délit aété constaté, sans qu'on ait à
s'inquiéter de savoir qui en est l'autour. Dans le premier cas,
l'action en responsabilité constitue une garantie donnée à la
créance en paration. Dans le second, l'exercice de cette
action sera peut-être en fait le seul moyen pour la victime
d'exercer sa créance.
618. Contra Demolombe, XXXI.no» 606 et 607. p. 525. Zachariœ,
éd. Massé et Vergé. IV par 628, p. 25, note 9:
(1, V. Gass., 13 janvier 1890. Sir., 91, I, 49. Paris, 16 vrier
1880. Sir., 80, 2, 109. , 4^'
84 PREMIÈRE PARTIE. CHAI
1
. II
Voyons louL d'abord les cas de responsabilité l'au-j teur
dit délit est nécessairement connu.
Tout d'abord, en vertu de l'article 73 du Code [pénal, les
aubergistes et hôteliers sont responsables civilement des crimes
et délits commis par des voyageurs pendant leur séjour. Aux
termes même de l'article, celte responsabilité exige deux
conditions: les voyageurs doi vont avoir séjourné plus de vingt-
quatre heures, ensuite l'hôtelier doit avoir gligé d'inscrire
leurs noms et domicile sur son registre. La responsabili
édictée ici parla loi est une sanction corn* plémenlaire de
l'article 47"> du Code pénal, qui prescrit la tenue de ce registre,
sous peine d'une amende. Celte responsabilité, contre laquelle la
commission du Corps législatif avait protesté et que certains
auteurs regrettent (1), peut se justifier. Comme on l'a répondu au
Corps législatif : « faute par les aubergistes et hôteliers de
remplir une formalité facile et simple, ils fournissent aux
coupables les moyens de se dérober plus aisément aux
recherches. » On peut ajouter qu'il peut aussi y avoir, dans ces
cas, une en-lente secrèto avec le délinquant, une sorte de
complicité à l'état latent à laquelle on peut attacher un des effets
de la complicité légale. Cette responsabilité ne peut s'appli-1
quer que dans les termes du texte ; elle est donc inapplicable
aux contraventions, la loi ne parlant que des crimes et délits.
Cela est équitable, étant donné le peu d'importance de ces
infractions.
La loi du 3 mai 1844 sur la police de la chasse rend
civilement responsables les père, mère, tuteurs, maîtres et
M) V. Séance du 19 dccembi-e 1809. Locré, XXIX, p 288.
V. Chauveau et F. Hélie, I, p. 553.
DES GARANTIES PERSONNELLES 85
commettant*] pour les délits de chasse de leurs enfants
mineurs non mariés, pupilles demeurant avec eux, et do
leurs domestiques cl préposés (art. 28). L'article 206 For.
admet les mêmes responsabilités pour les lits et
contraventions forestières, il ajoute toutefois la responsa-
bilité du mari pour les infractions de sa femme aux lois
forestières. C'est un des cas exceptionnels où le mari
répond du dommage causé par sa femme.
La loi du 18 avril 1829 sur la pèche fluviale édic les
mêmes responsabilités pour les dommages résultant des
délits de pêche (art. 74-j. La loi des 26 septembre-6 oc-
tobre 1791, sur la police rurale, admet les mes prin-
cipes pour les délits ruraux (titre II, art. 7).
Citons encore la responsabilité des adjudicataires de
coupes de forêts pour les délits el contraventions de leurs
divers employés (art. 46, For.;
Les responsabilités édictées par ces diverses lois de
police ne seront pas, en général, très efficaces. Les infrac-
tions visées par ces lois sont en effet commises le plus
souvent par [des gens pauvres. Il y a, en effet, dans les
campagnes, toute une population de personnes sans aucun
bien qui commettent la majorité des infractions à la police
rurale, à celle de la pèche et de la chasse, et qui vivent en
partie du produit de ces délits. Ordinairement, les
parents, maris ou tuteurs de ces délinquants ne seront pas
moins pauvres que .les délinquants eux-mes. Seule, la
responsabilité des commettants aura ordinairement plus
d'utilité. Mais il faut remarquer que, dans la plupart des
cas, le dommage causé par ces délits et contraventions sera
assez minime. En supposant impayée la
xjî55F$?
r
86 PREMIÈRE PARTIE. — CBAP. II
somme due à la victime, la perte subie par elle ne sera pas
considérable.
Signalons encore, dans la même rie de responsabilités
civiles spéciales, les décrets du 6 juillet 1810 (art. 39). et
du 18 août 1810 (art. 27) qui rendent les greffiers des
cours et tribunaux responsables de toutes les infractions,
dont leurs commis se sont rendus coupables dans l'exer-
cice de leurs fonctions.
Enfin, la loi du 29 juillet 1881 sur la presse, rend les
propriétaires de journaux et écrits périodiques res-
ponsables des condamnations civiles prononcées au profit
des tiers contre les gérants, éditeurs et auteurs. C'est, la
une innovation de loi de 1881. Auparavant, l'efficacité
de la réparation due aux victimes des délits do presse, était
assurée au moyen du cautionnement. Ce cautionnement,
établi par la loi du 9 juin 1819, un instant suppri par le
décret du 10 octobre 1870, rétabli presque aussitôt par la
loi du 6 juillet 1871, était encore régi en 1881 par celte
dernière loi. Connue sa devancière, la loi de 1819, la loi de
1871 affectait le cautionnement par privilège aux diverses
condamnations pécuniaires, auxquelles les propriétaires,
gérants et auteurs pouvaient être exposés- Sur ce
cautionnement, les dommages-intérêts n'étaient primés que
par les frais (art. 4)
Depuis le 29 juillet 1881, le cautionnement a disparu.
On a vu une de ces mesures qui mettent la presse hors
de ce fameux droit commun, auquel on voulait la sou-
mettre. La loi a rempla cette institution par la respon-
sabilité des propriétaires de journaux. Il y a une sage
disposition. Comme le disait à la Chambre des députés
Mm^îrâi-
DES GARANTIES PERSONNELLES
87
M. Aguiel : « Préoccupons-nous de la liberté de la presse,
mais aussi de la sécurité, de la tranquillité des citoyens ; il
n'y a qu'un moyen... d'accorder une jusle.paration aux
personnes troublées par la diffamation et l'injure publi-
ques, c'est la réparation pécuniaire et, ce qu'il faut attein-
dre, c'est la caisse journal, la caisse de l'exploitation ».
C'est ici un retour aux principes néraux de l'article 1384
du Gode civil;le gérant est le préposé du propriétaire.
Celui-ci doit répondre des délits du premier. Cependant
cette responsabilité avait été méconnue par la jurispru-
dence antérieure. Le législateur de 1881 a donc sagement
agi en l'affirmant expressément. Ilfa assu aux personnes
diffamées le seul recours qui fut à peu près toujours efG-
cace : celui contre le propriétaire du journal ; celui contre la
caisse de l'entreprise (1). Au point de vue pratique, la loi
de 1881 a donc abouti, chose curieuse, à mettre les | délits
de presse dans une situation exactement inverse de celle
faite aux autres infractions. Pour tes délits ordinaires, la
répression est suffisante et la réparation ne l'est pas : ici au
contraire, la réparation est assurée, et la répression pénale,
très imparfaite.
Il y a, avons-nous dit, d'autres cas de responsabilités:
ce sont ceux la personne responsable peut être pour-
suivie, le coupable restât-il inconnu. Il n'est pas sans inté-
rêt de les distinguer ; à notre époque, les crimes et délits
ress impunis sont en augmentation constante. A l'heure
actuelle, ils atteignent celle effrayante quotité de 16 °/°
des infractions constatées, soit le sixième. Dans tous ces
(]) V. Garraud, II, n° 9. p. 10. — Fabreguetles : Infractions de la
parole, etc., II, n°« 1861 el suiv., p. 274.
88 PREMIÈRE PARTIE. — CBAP. II
cas, la victime n'obtient aucune satisfaction, si elle ne
trouve une des responsabilités, dont nous allons parler,;
responsabilités malheureusement 1res limitées.
On peut citer, dans cette classe, la responsabilité des
dépositaires des registres d'état civil, pour les altérations
qui y surviennent (art.ol,Codcciv.) ; celle des gardes cham-
pêtres, pour les délits dont ils ont gligé de faire le rap-
port dans les vingt-quatre heures (loi des 26 septembre-6
octobre 1791 (titre I, section VII, art. 7); celle des gardes
forestiers, pour les délits commis dans leurs triages qu'ils
n'ont pas dûmentconslalés (art. 6, Code for.), celle aussi des
employés des arsenaux, à raison des vols d'armes qui y
sont commis (arrêté du 7 nivôse an VI).
Mais le cas de responsabilité civile le plus important est
celui édicté par l'article 106 de la loi du 5 avril 1884.
D'après cet article, « les communes sont civilement res-
ponsables des dégâts et dommages résultant des crimes ou
délits commis à force ouverte ou par violence,'sur leur
territoire, par des attroupements ou rassemblements armés
ou non armés. »
Auparavant, la loi du 10 vendémiaire an IV édiclait une
responsabilité semblable. Mais la commune encourait aussi
une responsabilité pénale. Elle était considérée comme
ayant commis un délit, elle devait à l'État une [amende.
C'était la responsabilité collective des époques primitives
dans toute sa rigueur. Aujourd'hui, la responsabilité des
communes a un autre caractère, elle repose sur une toute
autre idée. La commune est responsable de n'avoir pas pris
toutes'les mesures nécessaires pour éviter des troubles. La
commune a l'obligation de main-
*
DES GARANTIES PERSONNELLES 89
tenir Je bon ordre sur son territoire. Si elle ne l'a pas fait, si
sos représentants légaux n'ont pas pris toutes les dispositions
qui étaient en leur pouvoir, uno faute grave a été* commise,
les personnes lésées peuvent poursuivre la commune.
Cette responsabilité, étant fondée sur une faute présumée,
se trouve,par cela mo,limitée : elle disparaît toutes les fois
que l'absence de faute ressort des circonstances : lorsque
toutes les mesures d'ordre ont été prises, lorsque la
municipalité était paralysée dans son action, n'ayant pas à sa
disposition la force armée, comme cela a lieu à Paris et à
Lyon, toute action est par cela même refusée contre la
commune aux victimes de l'émeute. C'est ce qui est
explicitement affirmé par l'article 108 de la loi municipale (1).
Celte responsabilité des communes, en dehors du recours
efficace qu'elle assure aux intéressés, présente aussi une
importance théorique toute particulière. C'est la responsabilité
collective, mais sous sa forme moderne, ne concernant que la
responsabilité civile. Il y a cette idée très intéressante de la
puissance publique responsable de ses actes faits comme
puissance publique. Il y a une responsabilité, limitée sans
doute, mais importante cependant à l'égard des pouvoirs
publics dont la mauvaise administration a favorisé ou n'a pas
empêché les crimes et les délits. Il y a un germe déposé
dans notre législation.
(1) V. sur cotte loi, Spire, Responsabilité des communes en cas
d'altrouppements. Cf. sur la loi de vendémiaire, an. IVRudorrf,
Responsabilité des communes. Feraud-Giraud, Revue Wo-
lonsJii, t. XLIV, p.-322. Revue critique, 1881, p. 827.
90 PREMIÈRE PARTIE. — (ÎHAP. II
Est-il appelé à se développer plus complètement ?| Faut-il
souhaiter qu'iT se développe, que les pouvoirs publics
soient rendus responsables de tous les délits qui se
commettent? Faut-il, au contraire, demander que le
principe consacré ici par la loi ne reçoive que des appli-
cations limitées ? Ne peut-on pas dire que cette disposition,
utile dans des cas exceptionnels, serait nuisible, étant
admise de façon générale ? C'est une question que nous ne
voulons pas trancher ici, et sur laquelle nous reviendrons,
quand nous aurons abordé les questions législatives.
On peut rapprocher de la responsabilité des communes
celle qui incombe aux membres du bureau dans une réu-
nion publique (loi du 30 juin 1881, art. 8). Il y a une faute
àlcur égard de n'avoir pas pris les mesures pour maintenir
Tordre, ou de n'avoir pas dissous la réunion, s'ils ne pou-
vaient faire respecter les lois (1).
En dehors de ces divers recours accordés à la victime
d'un délit en vertu de la loi, la personne lésée par l'in-
fraction peut avoir, en vertu de contrats antérieurs, une
action à exercer pour la réparation du préjudice qui lui a
été causé. Je puis recourir contre le dépositaire, ou le
voiturier, si la chose que je lui avais confiée, ou donnée à
transportera été volée, sauf àluià faire la preuve prescrite
par la loi pour se libérer. Je puis recourir contre mon hô-
telier à raison du vol des effets que j'ai apportés chez lui.
Si un tiers a mis volontairement le feu à ma maison, je
puis recourir contre la Compagnie d'assurances à laquelle
(1) V. Fabreguetles, op. cil., II, n°« 1813 et 1814, p. 251.
DES GARANTIES PERSONNELLES 91
je me suis antérieurement assuré. Si une personne est vic-
time d'un homicide par imprudence, ses héritiers peuvent
poursuivre la compagnie d'assurances avec laquelle elle
a signé une police d'assurance sur la vie.
Nous ne voulons pas multiplier indéfiniment les exem-
ples, tout le droit civil y passerait. Ceux que nous avons
donnés suffisent pour faire une observation générale. En
dehors des casde responsabilité légale, la convention peut
ouvrir à la victime un champ presque indéfini de respon-
sabilités contractuelles. Et me, il y a un contrat qui
prend de jour en jour plus d'ampleur, qui entre toujours
davantage dans la pratique : le contrat d'assurance, dont
le but est précisément de créer celle responsabili. Il ga-
rantit la personne lésée contre l'insolvabilité du délinquant
si celui-ci est connu, il lui donne un recours, si le coupable
ne peut être découvert. Peut-être y a-t-il dans le dévelop-
pement de ce contrat un utile remède contre la situation
faite aux personnes lésées par un délit.
Nulle part, remède ne fut plus nécessaire. Les responsa-
bilités civiles, nous allons le voir par la suite, sont à peu
près la seule arme convenable que les personnes lésées
aient à leur disposition.
Et pourtant, combien y a-t-il de cas elles ne peuvent
s'en servir ! Mettons de té ces responsabilités spéciales
que nous venons de passer en revue, dont le rôle ne peut
être que secondaire. Que reste-t-il ? des actions en res-
ponsabilité pour les délits des mineurs et des préposés
comme tels, c'est-à-dire de gens peu à redouter en géné-
ral, à cause de leur âge, ou de la situation régulière qu'ils
occupent. S'agit-il de récidivistes, de malfaiteurs de pro-
92
PREMIÈRE PARTIE. — CHAP. II
fession, « des grognards du crime et du délit », leurs dé-
lits, seront bien rarement parés. La victime n'a à sa
disposition qu'un droit de saisie sur des biens habituelle-
ment dissimulés, ou le droit d'exercer une contrainte
par corps toujours onéreuse, souvent inutile (1).
(1) En 1894, sur 32.03G contraintes par corps exercées, 26.052 fu-
rent sans résuifgL-
CHAPJTRE III
DES GARANTIES RÉELLES ATTACHÉES A LA CRÉANCE EN INDEMNITÉ
La victime d'une infraction aux lois pénales peut avoir
comme garantie de sa créance des retés elles. A -! faut
de recours contre des tiers étrangers au délit, tout au moins
aurait-elle pu puiser, dans certains droits de préférence, dans
des privilèges ou des hypothèques un moyen de Me protéger
contre l'insolvabilité du délinquant, d'assurer le payement de
sa dette en présence d'autres créanciers. Ces sûretés,
malheureusement, sont très peu nombreuses et plusieurs, tout
au moins, seront à peu près inefficaces. Nous allons les passer
on revue, en essayant de dégager leur utilité pratique.
Une seule garantie est spéciale aux actions en répara-lion
des délits : c'est le privilège de la créance en dommages-
intérêts sur l'amende. D'après l'article 54 du Code pénal, en
effet, en cas de concurrence de l'amende avec les restitutions
cl les dommages-intérêts sur les biens insuffisants du
condamné, ces dernières condamnations obtiendront la
préférence. Celte règle paraît fort ancienne, on la voit
appliquée dès le commencement du. xiv
e
siècle par le
Parlement de Paris (1). Elle fut ensuite consacrée par
M) Arrêt de 1306 à la Saint-Martin. V. Imbertéd.Guenoys,p.572.
« PREMIÈRE PARTIE. — CBAP. III
certains textes des coutumes et par le Code de 1810. Celui-
ci avait même étendu le privilège sur les objets confisqués,
mais cette extension a disparu en 1832, sans qu'il y en ait
de bonnes raisons. Et, comme, dans l'Ancien Droit, les
dommages-intérêts ne sont privilégiés que sur l'amende.
Cette disposition de l'article 54 se réduit à fort peu de
chose. Lors de l'ouverture de la contribution ou de Tordre,
sur les biens du condamné, l'Etat, pour l'amende, la
victime, pour ses intérêts civils, n'auront aucun rang de
préférence, ils seront payés suivant la date de leur hypothé- '
cairejudiciaire, s'ils ont fait inscrire cette hypothèque, sinon
au marc le franc, comme les autres créanciers chi-
rographaires. Tout le privilège do la personne lésée se
réduira à ceci : au cas où elle n'aurait pas touché tout ce qui
lui est dû, l'Etat lui abandonnera, sur ce qu'il a lui-même
reçu, la somme nécessaire pour parfaire son indemnité.
Mais il n'en restera pas moins privilégié pour ses frais de
justice et il n'aura, de ce chef, aucun abandon à faire à la
personne lésée (1).
Ce privilège de l'article 54 est fort équitable, puisque
l'amende a pour but, non pas l'enrichissement de l'Elat,
mais l'appauvrissement du condamà titre de châtiment.
Il serait en outre étrange que la situation delà victime fût
empirée parce que l'acte dommageable constitue un délit,
parce qu'il y a lieu à une amende.
Mais on voit combien minimes seront les effets prati-
ques de l'article 54, de quel médiocre secours sera cette
\) Blanche, I, n<» 406 et suiv,, p. 551. — Ha us, II, no 1018, p. 294.
- Thirry, n°377, p. 259.
DES GARANTIES RÉELLES 95
disposition pour la victime. Le seul privilège spécial à la
réparation civile se trouve donc à peu près sans force.
Une autre sûreté est affece à la réparation civile, mais
celle ne lui est pas spéciale. Lorsque les dommages-
intérêts ont été reconnus par jugement, le créancier peut
prendre une hypotque rale sur les immeubles de son
débiteur (art. 2132 du Code civ.). C'est la garantie que la
loi attache à tous les jugements finitifs ou provisoires.
Tandis qu'ordinairement elle présente uno utilité consi-
dérable, ici, au contraire, elle sera presque toujours sans
effet. Tantôt, et c'est le plus fréquent, le délinquant ne
possédera aucun immeuble. Tantôt il appartiendra à cette
classe de financiers véreux, de directeurs de banques bor-
gnes, véritables écumeurs de la finance ; et s'il possède
des immeubles, ceux-ci auront été mis depuis longtemps
sons le nom de tiers, lorsqu'interviendra le jugement ; ou
bien, ils seront grevés, pour plus que leur valeur, par des
hypotbèques vraies ou fictives. D'où nécessité, pour la
victime,du lit d'entamer des procès coûteux, de faire une
preuve souvent fort difficile de la fraude. Après seulement,
peut-être trouvera-t-elle sur quoi faire porter ce droit, en
apparence si important, d'hypothèque sur tous les biens
présents et à venir du coupable.
Une dernière sûreté peut appartenir à la victime d'un
délit. C'est la seule qui soit presque toujours efficace.
Mais elle ne s'applique que dans des cas exceptionnels.
C'est le privilège établi par l'article 2102 du Code civ.,
sur le cautionnement des fonctionnaires. D'après un grand
nombre de lois spéciales, les officiers ministériels : avoués,
greffiers, agents de change (loi du 25 nivôse an XIII),
96 PREMIÈRE PARTIE. CHAP. III
notaires, (Joi d'.: 19 ventôse, an XI), certains fonctionnaires)
de l'Etat : les conservateurs des hypothèques, les receveur*
1
et directeurs .des postes, les trésoriers-payeurs généraux et)
receveurs particuliers, les chanceliers diplomatiques, etc.,,
sont astreints à fournir un cautionnement variable,'
suivant l'importance des responsabilités qu'ils peuvent
encourir. Ce cautionnement, et les intérêts qui peuvent en
être dus, sont affectés, par privilège, au paiement des
créances résultant d'abus et de prévarications commises
dans l'exercice des fonctions. Parmi ces créances, figure-
ront parfois celles résultant de délits. Mais elles ne jouiront,
à l'égard des autres créances pour faits de charge, d'aucune
préférence. Déplus, d'après une jurisprudence constante, les
seuls lits, donnant lieu au privilège, sur Je cautionnement
seront ceux résultant de l'exercice légal et obligé de la
fouclion. Malgré cette double restriction, dans la mesure
il existe, le privilège sur le cautionnement formera, en
fait, une garantie largement suffisante pour assurer le
complet paiement de l'indemnité. Il y a, pour ce cas spécial,
un moyen très efficace pour assurer la réparation de
certains délits. Mais on voit en môme temps combien sa
sphère d'application sera toujours restreinte. Une pareille
sûreté n'est pas susceptible d'oxtention. En dehors des
personnes dépendants plus ou moins de l'État, le
cautionnement ne peut pas raisonnablement s'appliquer.
Comprendrait-on qu'on obligeât les industriels ouïes com-
merçants au versement d'un cautionnement en vue des
délits qu'ils peuvent commettre? II n'est ni juste, ni utile en
dehors de ces cas spéciaux, de venir drainer les fortunes
DES GARANÎÎES_REELI.ES
_0T
particulières, de détourner des capitaux susceptibles d'un
emploi lucratif. Il n'est pas moins mauvais d'accumuler
des capitaux énormes entre les mains de l'Etat, et par une
voie détournée, d'augmenter sa dette flnttanfU
CHAPITRE IV
VOIES D'EXÉCUTION SUR LES BIENS ET L4 PERSONNE OU COUPABLE
Le créancier pour réparation civile d'une infraction jouit
de deux moyens de contrainte pour obtenir le paiement de
sa dette : une voie d'exécution sur les biens : la saisie ; et
une voie d'exécution sur la personne : la contrainte par
corps. Tandis que les sûretés personnelles ou réelles ten-
daient à prémunir le créancier contre l'insolvabilide son
débiteur : le délinquant, ces divers modes d'exécution : la
saisie el la contrainte par corps constituent des armes
données par la loi contre la mauvaise volonté possible du
débiteur. Nous allons montrer la portée et l'efficacité de
ces deux procédures.
I
Tous les créanciers peuvent au moyen de divers forma-
lités indiquées par le Code de Procédure saisir les divers
droits appartenant à leurs débiteurs pour en opérer la vente
et se faire payer sur le prix. La victime d'un délit peut user
des mêmes droits, et sous les mêmes conditions que tout
autre créancier. Nous n'aurions rien de plus à ajouter,
VOIES 0 ECUTION 99
quant à l'exécution sur les biens du délinquant, si le créancier
ne jouissait ici de certaines faveurs, s'il ne pouvait ici saisir
certains biens, qui seraient insaisissables à l'égard d'un
individu créancier par contrat.
Parmi les valeurs surlesquelles la victime du délit pourra se
faire payer, et qui sont ordinairement insaisissables, les unes
sont telles par la volonté de l'homme, les autres par les
dispositions de la loi.
Dans la première catégorie, il faut faire rentrer les biens
qu'une femme a déclarés dotaux par son contrat de mariage et
ceux qu'un testateur, ou donateur ont donnés sous condition
d'insaisissabilité (art. 581, Code de proc). Dans ces différents
cas, aucun doute n'existe plus aujourd'hui. La situation des
biens du légataire, du donataire, ou de la femme dotale, ne
peut être pour eux, un moyen de nuire impunément à autrui.
Ils ne peuvent se prévaloir de leurs conventions, pour écarter
l'action des victimes de leurs délits. L'intérêt privé doit céder
le pas à l'intérêt public(l). Ces clauses d'insaisissabilité, n'ont
d'ailleurs été autorisées que pour empêcher les femmes
mariées et les donataires, de s'engager par des contrats
imprudents, on ne peut les étendre et en faire des brevets
d'impunité, pour ceux à qui elles sont imposées. 11 y aurait
un fait absolument scandaleux, absolument contraire aussi à
l'esprit de la loi.
Quant aux sommes et objets déclarés insaisissables par
(1) V. Pour l'obligation de la femme dotale par ses délits. Cass.,
16 février 1880. Sir., 81. 1. 351. - Cass., 27 février 1883. Sir.. 84,
1, 185. Cass., 16 janvier 1886. Sir., 89, 1, 212. Cass., 29 mars
1893. Sir.. 93, 1, 288. — cf. Sourdat, J, nos 171 etsuiv., p. 169.
400 PREMIÈRE PARTIE. — CI1AP. IV
la loi, la question est plus licate. Les termes des textes
sont absolus. Peut-on y roger ? Il semble qu'il faut dis-]
tinguer, selon le motif qui a inspiré la loi, en édictant
l'insaisissabililé. Si elle est écrite dans un intérêt public,
elle pourra être' opposée, même au créancier pour lit.
Est-elle au contraire, écrite dans un intérêt privé, par faveur
pour une personne digne d'intérêt, elle pourra disparaître,
lorsqu'il s'agira de dettes nées d'un acte illicite. Ce principe
est loin de trancher toutes les difficultés. Il permet
cependant de soudre un certain nombre d'hypothèses
parmi lesquelles nous énumèrerons rapidement les plus
pratiques.
L'insaisissabilité des rentes sur l'État étant édictée dans
un intérêt d'ordre public, ne saurait recevoir d'exception,
même à l'égard des créanciers pour délits. Elle a été édictée
pour assurer le crédit public, elle ne servirait plus à rien, si
des créanciers, quels qu'ils soient, pouvaient for- | mer des
oppositions entre les mains du directeur de la dette, si les
détenteurs des titres de rentes pouvaient en être privés.
Il semble aussi qu'on devra, la plupart du temps, déclarer
insaisissables, même à l'égard des victimes d'un délit, les
portions des traitements des fonctionnaires pour lesquelles
la loi n'autorise pas d'opposition. On craint que le
fonctionnement du service public ne soit troublé, si les
personnes chargées de ce service étaient privées de leurs J
traitements. Il y aurait des entraves au bon ordre de
l'administration que la loi a voulu écarter.
Au contraire, il semble que les tribunaux pourraient
admettre, dans une certaine mesure, des saisies sur les
VOIES D ECUTION 101
provisions ou pensions alimentaires qu'ils ont accordés, car
l'insaisissabili16élahlio par la loi lest ici dans un but d'intérêt
privé. El surtout il y a une raison de sentiment dont il faut
tenir compte toutes les fois qu'on le peut : il faut autant que
possible éviter le scandale d'un délinquant vivant dans une
certaine aisance, si la victime est dans la misère (1 ).
Au point de vue de l'efficacité de la réparation du délit, que
résultc-l-il de tout cela ? Dans les quelques cas où le créancier
pour délit peut seul saisir, il y a pour lui une situation
comparable à celle d'un créancier privilégié. En pratique,
invoquer un privilège sur un bien, ou être seul à pouvoir se
faire payer sur ce bien, c'est tout un. La fa-veur qui en résulte,
pour le créancier, est la même au point de vue des effets. Il y a
donc un moyen indirect, capable d'assurer l'efficacité do la
réparation. Nous pouvons encore ajouter ici la même
remarque, déjà faite bien des fois. Le droit spécial reconnu ici
au créancier, ne| trouvera guère lieu de s'appliquer, que pour
des délits involontaires, ou en tous cas, qu l'égard de
délinquants d'occasion. Pour avoir des valeurs insaisissables,
il faut avoir des biens. Or les gcus les plus à craindre n'en ont
ordinairement aucun. Il y a encore une mesure utile en soi,
mais sans grando portée.
Quant aux biens qui restent insaisissables dans tous les cas,
il n'y a pas longtemps à insister sur les effets déplorables que
produit chaque jour l'insaisissabilité des rentes sur l'État. On
sait trop avec quelle audace des spécu-
(1) V. Sur ces questions. Sounlat, I, n"
s
175 à 184, p. 174, cf. loi
li janvier 1895.
108 PREMIÈRE PARTIE. CHAP. IV
la leurs sans scrupule se sont servis de cette gle pour
tromper tous leurs créanciers. Les protestations contre celte
disposition de nos lois se sont souvent fait entendre. Il ne
semble pas qu'elle ait aujourd'hui de défenseurs. D'autant
plus qu'avec le temps la gravité de cette mesure ne fait que
s'accentuer. L'augmentation de la dette publique a accru les
valeurs ainsi mises en dehors du droit commun, a plus que
décuplé les sommes quelles débiteurs sans scrupule peuvent
soustraire impunément à leurs créanciers. Nous ne pouvons
donc qu'en demander ici, comme partout ailleurs, la prompte
abrogation.
Quaul aux autres insaisissabililés que l'on peut opposer
même à la victime d'un débit, il ne parait pas que la pratique
ait eu à souffrir de ces dispositions. Les délits des
fonctionnaires sont heureusement choses fort rares. Ce-
pendant il nous semble que l'insaisissabilité prescrite par la
loi pourrait être ici abrogée sans inconvénient, ou tout au
moins duite. L'intérêt public a plus à souffrir de l'atteinte
portée ici au droit de la victime que du prétendu trouble
dans un service public venant de l'opposition sur le
traitement d'un employé. On aurait tort d'envisager
l'abrogation de ces règles comme une perturbation sérieuse
dans les administrations.
II
La contrainte par corps, que la loi du 22 juillet 1867 a
conservé pour le paiement des restitutions cl dommages-
VOIES D EXÉCUTION
103
,
intérêts adjugés en matière criminelle, correctionnelle et
de police, semblerait devoir empêcher les inconnients
que nous venons de signaler. En apparence, elle est un
moyen excellent pour amener ceux qui possèdent des
biens insaisissables ou des valeurs dissimulées à payer
leurs créanciers. En réalité, ello est beaucoup moins ef-
ficace qu'on ne pourrait le supposer. Elle entrne des
dépenses telles que le créancier hésitera bien souvent à
l'employer.
Si l'on en juge par les remaniements qu'elle a subis, la
loi sur la contrainte par corps devrait pourtant être une
des meilleures de nos lois. Admise par le législateur de
1791 à la suite de notre Ancien Droit, réglée à nouveau en
1832, réglée une seconde fois en 1848, remaniée complète-
ment en 1867 pour les cas elle subsistait, modifiée en-
core en 1871, elle formerait pour la partie lésée un moyen
de contrainte efficace, si le législateur n'avait ajouté les
dispositions nécessaires pour empêcher de s'en servir.
La loi reconnaît bien que la contrainte par corps existe
de plein droit pour assurer le paiement des diverses répa-
rations civiles. Elle l'attache même aux condamnations
des tribunaux civils, s que le caractère délictueux du fait
a été reconnu par la juridiction répressive (1). La durée
de la contrainte, plus longue que dans beaucoup de législa-
lalions actuelles, peut même atteindre deux ans. Elle
varie suivant l'appréciation du juge, qui ne peut s'exercer
cependant que dans la mesure fixée par la loi, suivant
l'importance des condamnations (art. 9),' La loi permet
(1) Art. 3 loi du 22 juillet 1867.
104 PREMIÈRE PARTIE. — CHAJ». IV
eu principe l'exécution de la contrainte par corps contre
toute personne : même contre les femmes. Elle n'a guère
admis que les exceptions strictement cessaires : rédui J
sant simplement la durée de la contrainte de moitié au
profit des sexagénaires. Elle n'en interdit l'emploi que
contre les personnes mineures de seize ans lors du délit et
entre proche parents (art. 13 et 15). Elle ne l'autorise pas
davantage contre les personnes civilement responsables.
Seuls les auteurs et les complices de l'infraction y sont
soumis» règle également explicable, car il serait excessif
de traiter celui qui n'a commis qu'une faute d'omission
aussi durement que le coupablo lui-même.
A côté de ces principes, combien en est-il au contraire
qui constituent autant d'entraves pour l'efficacité et surtout
l'emploi commode de la contrainte par corps ! Tout d'abord
la contrainte cesse après la moitié de la durée à laquelle
elle était fixée, si le contribuable prouve son insolvabilité.
Cette règle serait sage, si la loi no se contentait comme
preuve do l'insolvabilité de litres insuffisants. Il suffit de
présenter un extrait du rôle des contributions constatant
que l'on paie moins de six francs de contribution et un
certificat d'indigence signé par le maire (art. 420 Inst.
crim.). La loi sur l'assistance judiciaire exige des preuves
à peu près semblables, pour obtenir la faveur de la loi (art.
10, loi du 22 janvier 1851) ; elle donne déjà lieu à des
fraudes très nombreuses ; bien des personnes, sans mériter
cette faveur, trouvent moyen de l'obtenir. Les eon-
traignables par corps ne sont certainement pas moins ha-
biles pour arriver à sortir de prison.
La contrainte a aussi le défaut de ne pouvoir être renou-
VOIES D'EXECUTION 105
vee. C'est une arme que la loi accorde, mais dont on no
peut se servir qu'une fois. Quelque soit la cause qui l'ait
fait cesser, elle ne peut par la suite être reprise (art. 12).
Le créancier est alors placé dans une alternative singu-
lièrement embarrassante.S'en servira-t-ilde suite?H risque,
si elle reste sans effet, de n'avoir plus do moyen d'action
efficace, le jour où sonbiteur regagnerait quelque argent.
Altendra-t-il le moment propice ? Il lui sera souvent dif-
ficile de le connaître, et il attendra peut-être très long-
temps avant de l'exercer, c'est-à-dire avant d'être payé.
Ajoutez à ces inconvénients que la jurisprudence exempte
de la contrainte les condamnés à des peines pertuelles :
elle soutient qu'on no peut l'exercer contre eux, fussent-
ils graciés par la suite, prétextant que ces deux condamna-
tions ne peuvent coexister dans lo jugement (1).
Mais le reproche le plus grave qu'on peut adresser à la
loi, c'est de n'avoir permis l'exercice de la contrainte que
dans des conditions onéreuses pour le créancier. Celui-ci
est obligé de consigner d'avance les sommes pour pourvoir
à la nourriture de son débiteur, faute de quoi la contrainte
cesse et ne peut plus être reprise (art. G et 7). Cette obli-
gation qui s'expliquait en un temps la contrainte par
corps était d'un emploi néral, ne se comprend plus, étant
donné que sous tant de rapports, on la traite comme une
peine. En tous cas, c'est une lourde charge, qui est bien
faite pour éloigner les créanciers de cette mesure contre
leurs débiteurs. La victime n'est guère disposée à faire des
frais qui n'aboutiront souvent qu'à procurer à son agres-
,1) V. Cass-, 7 novembre 1861. Bull n° 219-
106 PREMIÈRE PARTIE. — CBAP. IV
seur quelques mois de repos. Car les débiteurs enfermés
pour dettes ne sont pas contraints au travail. Ils peuvent
vivre dans l'oisiveté aux frais de leurs victimes, quand
celles-ci ont l'imprudence d'exercer la contrainte à leur
égard. Il y a une mesure d'humanité mal comprise qui a
les plus fâcheux effets. On ne peut s'expliquer qu'un
créancier ait à nourrir à ne rien faire, un biteur récalci-
trant. Aussi il y a tout lieu de supposer que, sur les 30,000
condamnés contraints par corps annuellement, bien peu le
sont à la requête des particuliers. Les statistiques sont
malheureusement muettes à cette égard. Nous ne croyons
cependant pas nous tromper en disant que presque toujours
c'est l'administration qui exerce la contrainte pour se faire
payer les frais ou l'amende.
A côté de la contrainte par corps, notre législation pos-
sède encore un autre moyen indirect pour obliger le
condamné au paiement des dommages-intérêts. La loi du
3 juillet 1852, en refondant les règles de la réhabilitation a
imposé (art. 633 Instr. Grim.) entre autres conditions que
le condamné justifiât du paiement des dommages-intérêts,
ou de la contrainte par corps subie par lui, ou enfin de la
remise qui lui en a é faite. La loi du 14 août 1885 a
complété ces dispositions; elle a dispensé de ces
justifications en cas de prescription ; et, en cas de
condamnation solidaire, elle a chargé la Cour d'appel « de
fixer la part des dommages-intérêts à payer par le deman-
deur ». Ce sont des dispositions très justes. Actuelle-
ment, ce sont les seules de nos lois qui établissent quelque
lien entre la réparation accomplie et la cessation de la
peine. Parla, le paiement de l'indemnité ouvre au coupa-
VOIES D EXÉCUTION 107
ble l'espoir de voir cesser les incapacités qui le frappent.
Malheureusement, en pratiquera victime d'un délit ne peut
en attendre un grand secours. Le nombre des réhabilita-
tions est assez faible eu égard au total des condamnations
Malgles facilités établies par le législateur de 1885, la
plupart des condamnés ne cherchent pas à obtenir cette
attestation de leur relèvement moral (1).
III
Nous avons parcouru les diverses garanties, dont la vic-
time d'une infraction aux lois pénales peut user, pour ob-
tenir le paiement de la réparation civile. Avant d'aborder
les moyensjpratiques pour la victime de faire reconntre son
droit, essayons de montrer, par un rapide examen, dans
quelle mesure celle-ci est armée pour obtenir le paiement
quels moyens a-t-elle pour triompher de l'insolvabilité, ou
delà mauvaise volondu délinquant ?Rien ne serait plus
important que de lui donner des moyens d'action énergiques,
car il y a souvent lieu de penser qu'elle viendra se heurter à
la paresse ou à la mauvaise volonté de son débiteur, qu'elle
rencontrera en face d'elle une grande force d'inertie. La loi,
ici, est bien imparfaite, il faut le reconnaître. Gomme l'a dit
exactement M. Garofalo (2), « les juristes ont arrêté en prin-
cipe que la condamnation du prévenu entrne l'obligation
(1) En 1894, 2848 réhabilitations ont eu lieu, ce qui est très peu
étant donné que les tribunaux répressifs prononcent plus de 200000
condamnations.
(2) Criminologie, trad. française, éd. 1888, p. 350.
108 PREMIÈRE PARTIE. — CIIAP. IV
de dommages-intérêts. Ce principe établi, ils ont cru n'a-J
voir pas autre chose à faire, car la manière dont l'offensé se
fera payer la somme qui lui est due à cause du délit rentre
dans les règles ordinaires de la procédure. L'obligation
exdelicto est traitée comme le serait une obligation ex
contraclu. Ce n'est plus l'affaire des criminalis-les. »
La vérité est que, sauf le droit d'exercer la contrainte par
corps, et nous savons ce qu'il vaut, la victime d'un délit de
droit pénal ne peut guère user des droits qui lui soient
spéciaux. A défaut de la solidarité, elle aurait souvent
contre les coparlicipanls du délit, une action in so-lidum,
dont le résultat ne différerait pas énormément dans bien
des cas. Car il ne faut pas se faire trop d'illusions sur
l'importance des articles 1205 et suivants du Code civ. Le
principal, c'est de pouvoir demander à chacun le tout, et
on l'aurait presque toujours pu, étant donnée l'impossi-
bilité de diviser la responsabilité entre les divers auteurs.
Comptera-l-on pour un bénéfice bien grand le droit d'être
payé par préférence à l'État pour l'amende ?
Que restc-t-til ? Les garanties accordées à tout créancier
pour délit ou quasi-délit : le droit de poursuivre les per-
sonnes civilemeni responsables, un privilège sur certains
cautionnements, enfin l'hypothèque qui résulte de tous les
jugements. Nous l'avons vu, tout cela suppose pour
s'appliquer, une personne occupant une situation sociale
régulière, peu portée par celte situation même, à com-
mettre des délits, en tout cas en ayant rarement commis. 11
y a des garanties pour divers délits qui ne constituent
pas, le plus souvent, des délits de droit naturel : homicide |
VOIES D'EXÉCUTION 109
ou blessure par imprudence, certaines infractions à la
police de la pêche ou à la police rurale. Les règles du
droit civil assurent à peu près le paiement de la réparation
dans ces diverses hypothèses.
Ces hypothèses mises à part, dans la plupart des cas
il s'agit de délits volontaires, dans les cas surtout ces
délits ont été commis par les professionnels du crime ou
du lit, que peut obtenir la partie lésée ? Rien ou à peu
près. De sûres spéciales, parce que son droit résulte d'un
lit, il n'y en a pas, nous venons de le dire, ou les rares
sûretés qui existent sont sans effet. Qu'attendre de la soli-
darité ? Qu'attendre de ce privilège insignifiant sur l'a-
mende? Faut-il compter plus sur les dispositions du droit
commun ? Non. On s'adresse à des gens qui n'ont pas de
biens, ou du moins n'ont pas de biens apparents. Ces sû-
retés ne peuvent donc s'appliquer directement.
C'est ici que pourrait utilement intervenir la contrainte
par corps. Tantôt, elle pourrait constituer une épreuve de
solvabilité pour celui qui a su soustraire ses biens aux
poursuites, en les faisant passer aux mains de personnes
complaisantes. Tantôt, elle pourrait constituer une me-
nace rieuse pour un biteur ellement insolvable, do
nature à veiller son zèle, à le faire travailler pour acquit-
ter au moins partiellement sa dette. Mais depuis déjà
trente ans, la contrainte par corps ne constitue plus, entre
les mains des particuliers, qu'une machine à demi brisée
et hors d'usage. Quel service attendre d'une pénalité d'une
durée souvent trop courte, qui n'aura souvent qu'un
résultat : procurer au débiteur quelques mois d'oisiveté
aux dépens de son créancier? Un pareil moyen ne
110 PREMIÈRE, PARTIE. CHAP. IV
peut être d'aucun effet, et il est d'autant plus inapplicable
que les victimes dos délits ne sont souvent guère plus ri-
ches que leurs agreseeurs. Le monde, les quartiers ils
sont obligés de vivre, bien d'autres conditions prédisposent
les plus malheureux à être dans leurs personnes ou leurs
biens, exposés aux atteintes des malfaiteurs.
Toutes ces raisons que nous ne faisons qu'indiquer, que
nous aurons à reprendre, chemin faisant, rendent néces-
saires d'importantes améliorations dans notre législation, et
aussi dans celles des autres États européens, qui ne
paraissent pas à cet égard aboutir à de meilleurs résultats
que la nôtre.
Des formes sont particulièrement nécessaires à deux
points de vue ; tout d'abord, parce que le nombre des délits
commis par des récidivistes augmente constamment. Il y a
un progrès inquiétant qui a pour effet de laisser la
plupart des délits sans réparation, car on a affaire à des
1
débiteurs tels qu'il est fort difficile d'obtenir d'eux quoique
ce soit. De plus, et ce n'est pas le côté le moins épineux
du problème, le nombre des délits dont les auteurs n'ont pu
être couverts, augmente d'année en année, atteignant
actuellement près de 100.000, soit près du cinquième du
nombre des infractions constatées (1). La vie-' time, sauf
dans les cas très rares que nous avons précédemment
signalés : responsabilité des communes, des gardes
champêtres, etc , n'a alors aucun droit à prétendre. C'est un
mal auquel il importe de chercher un re-j mède.
M) go fffitt. 91.937 sur 836,010 déliUou crimes constaté*: «sac
Ument 16 0/0.
CHAPITRE V
LA REPARATION CIVILE ET LA PROCÉDURE CRIMINELLE
Les diverses garanties accordées à la victime du délit
pour obtenir une paration présentent un défaut mani-
feste : leur insuffisance. Si nous exceptons la contrainte
par corps, que la loi a organisée d'une façon défectueuse,
les diverses sûretés qu'offre la loi ont le grave défaut de
ne pouvoir ordinairement s'appliquer : on ne trouvera, le
plus souvent, ni biens à saisir, ni personnes solvables
[ayant à répondre des suites civiles du délit. La loi mérite
moins de critique à raison de dispositions mauvaises, que
par l'absence de dispositions efficaces.
Lorsqu'il s'agit de la procédure que devra suivre la vic-
time pour faire constater et liquider ses droits, pour ob-
tenir un titre exécutoire, la législation actuelle présente
d'autres défauts : tout d'abord, la victime du délit est re-
jetée au second plan dans la procédure criminelle. La lutte
qui se livre devant le tribunal répressif, entre le ministère
public et l'accu ouïe prévenu, absorbe toute son atten-
tion. La réparation civile du délit a été laissée absolument
dans l'ombre : la loi ne s'en occupe que très peu. Cette
idée que l'intérêt social doit passer avant l'intérêt privé,
qu'il faut pourvoir à la sécurité sociale, alors même que
112 PREMIÈRE PARTIE. — CIIAP. V
la personne lésée garderait le silence, a tellement préoc-
cupé le législateur, elle semble avoir pris un tel empire sur
son esprit, qu'il n'a pas tardé à l'exagérer. A force de se
répéter ces idées parfaitement justes de la prééminence de
l'intérêt social sur la volonté des personnes lésées, on est
peu à peu arrivé à regarder l'intérêt pricomme quantité
négligeable. Ajoutez à cela un certain esprit de défiance
vis-à-vis des parties civiles, suspicion éternelle, et bien
humaine de l'État, vis-à-vis de ce qui n'émane pas do lui,
vis-à-vis surtout de ceux qui peuvent avoir à contrecarrer
ses agents. Enfin, et plus que tout le reste, il faut constater
un esprit de fiscalité déplorable et mal entendue, qui
empêche les victimes d'agir, paralyse souvent les
revendications les plus légitimes, et finalement se retourne
contre l'intérêt du Trésor et contre Je bien public.
Le grand principe qui domine toute la procédure do la
réparation civile, c'est que la victime d'un délit ne peut
obtenir de réparation que si elle le demande. En régie gé-
nérale, les tribunaux n'ont pas à ordonner d'office la ré-
paration du délit. Cela est d'évidence, s'il s'agit du tribunal
civil, puisqu'il ne peut statuer ultra petita. Cela est décidé
formellement pour les tribunaux
répressifs pour l'article 51 du Code pén., d'après lequel la
partie lésée pourra obtenir des dommages-intérêts « si elle
le requiert », cela l'/'tait déjà par divers articles du Code
d'Instruction criminelle fart. 191. 338, 366,). Kt la Cour de
Cassation a
03342483
PARATION CIVILE ET PRODURE CRIMINELLE 113
toujours maintenu celte règle, en cassant les arrêts qu'ils
l'avaient violée (1).
Ace principe, la loi apporte certaines exceptions. La
confiscation, lorsqu'elle intervient à litre de réparation ci-
vile et la remise à la victime du délit des objets confis-
qués, à ce titre, interviennent d'office, alors même que le
tribunal n'aurait reçu, à ce sujet aucune demande de la
personne lésée. Nous avons indiqué, plus haut, dans quel
cas la confiscation pouvait intervenir commo réparation
civile, en vertu des lois sur la proprié artistique et lit-
téraire, les marques de fabrique et les brevets d'inven-
tion. Nous n'y insistons pas.
Les restitutions sont également ordonnées d'office.
Nous avons vu en quoi elles consistaient, en quoi elles
se distinguaient des dommages-intérêts, nous n'avons pas
à y revenir. Signalons seulement que cette règle est in-
terptée et appliquéo d'une façon large. La jurisprudence
contenue porla majorité de la doctrine, admet que la res-
titution doit être ordonnée, alors me que la victime
n'élève aucune protection, ne forme aucune demande sous
quelque forme que ce soit (2) ; elle peut être également
ordone, quoique l'accu conteste à la victime la pro-
priété des objets (3). Lu restitution peut intervenir alors
(1) V. Cass., 30 mars 1843. Dali. 43, 1, 1348. — Cass., 16 janvier, 1808.
—Cass., 16 novembre 1821. Dali. t. I
e
p.63et 204. Cass. 13 décembre
1821 (non imprimé, cité par Madgin, I, p. 12).
(2) V. Cass., 6 juin 1845. Dali., 45, 1, 287, cf. Merlin. Rep. V<> Partie
civile, 7 et V" Restitution de chosepolée, 2. Trebu. tien, I, p. 266.
— Rodière, p. 302. — Blanche, I, n* 237. — Hans. n» 795. Lesellyer, I, n«
324, p. 457. — Goinpar. Imbert, livre 3, chap. 1, n" 10.
(3) Cass., 5 février"1858. Sir., 58,1, 553. Bull., n»34.
X
H4 PREMIÈRE PARTIR. G1UP. V
même que le tribunal est incompétent pour statuer sur
les dommages-intérêts, comme un tribunal militaire (1).
C'est ce qui est affirmé formellement par le Code de justice
militaire.
J
Il résulte, en outre de l'article 366. Inst, cri m que la
restitution peut être ordonnée par la Cour d'assises, alors môme
que le fait incriminé ne constituerait ni un crime, ni un délit,
qu'il y aurait lieu, par conséquent, à un acquittement. Dès que
l'accusé a été reconnu détenteur d'objets ne lui appartenant pas,
alors môme que cette détention n'aurait aucun caractère
délictueux, il y a lieu à restitution. C'est ce que la jurisprudence
a toujours admis (2). Il en est autrement, lorsqu'un acquittement
intervient devant le tribunal correctionnel ou de simple police.
L'article 191 implique, en effet, qu'il n'y a pas ici à statuer sur
les prétentions autres que celles du prévenu acquitté. C'est ce
qu'a reconnu la jurisprudence. Mais c'est ce qui, en fait,' est
souvent déplorable, si le tribunal correctionnel reconnaît qu'une
personne détient illégalement, mais sans fraude, la chose
d'autrui, comme il n'y a pas délit, la victime, pour retrouver ce
qui lui appartient est obligée d'engager toute une procédure
souvent onéreuse, alors qu'il était facile de lui donner
immédiatement satisfaction (3).
Ajoutons, en terminant, que, dans certains cas spéciaux, en
matière de délits de pêche et de délits fores-
(1) V. Art. 53 Gode de justice militaire, cf. Molinier. Etudes sur le
code de justice militaire, n° 12. H
(2)V. Cass., 30 mars 1843. Sir., 43,1. 649. Bull., no 73. Cass.,
21 février 1852. Sir., 5-2, 1, 589. Bull., no 72. — Cass., yc 1861,
Sir., 62, 1, 333. Bull., no 265.
(3) V. Cass., 7septembre 1820. Bull., no 118.
RÉPARATION CIVILE ET PROCÉDURE CRIMINELLE 115
tiers (I), les dommages et intérêts peuvent être prononcés sans
une-demande de la personne lésée.
Maia ces divers hypothèses, mises à part, la victime d'un
délit ne peut jamais obtenir une réparation civile que si elle le
demande. C'est un principe dont nous allons avoir à examiner
les conséquences fort onéreuses pour les individus lésés.
Conséquences parfois assez bizarres. La chose volée,qui se
retrouve en nature, doit, en effet, être restituée d'office. Si, au
contraire, elle a été vendue ou échangée, la restitution devient
inapplicable : il y a lieu à des dommages-intérêts, il faut se
lancer dans une procédure tout au moins coûteuse, sinon
inutile. Ce sont les conséquences bizarres qu'un arrêt de la
Cour de Cassation, absolument en harmonie avec la loi, a
consacrer (2). Cela tendrait peut-être à prouver que la gle,
c'est-à-dire la cessité d'une demande pour que le tribunal
puisse ordonner une réparation civile devrait être abrogée.
C'est peut-être aussi ce qu'on pourrait conclure des efforts
faits par la Cour de Cassation elle-même pour sortir de la
règle étroite de la loi (3), de deux arrêts fort intéressants
comme tendances, autant que contestables au point de vue
stricte-
(-1) V. Loi des 28-30 avril 1790, art. 8. Arrêtés du 28 vendem. an V.
art. 1 et 3 et du 19 vent, an VI, ait. 1 et 5. Art. 159 et 484 For.
Cf. Gass., 8 mai 1836. Dali,. 33,1, 272. Cass., 27 janvier 1837.
Dali., 37, 1, 508. —V. Loi du27 avril 1829, art. 5, 36 et 61.
(2) V. Gass., 6 juin 1846. Sir., 45, 1, 478. Bull., no 491.
1.3) V. Cass., 12 août 1872. Sir., 73, 1, 553. Cet arrêt a ordonné
une restitution au marc le franc de sommes volées. Conf. Cass., 30
mars 1843. Sir., 43,1,639 et la note. —V. Cass», 20 février 1863,
Dali.. 64, i, :<9. Sir., 63, 1, 321 et le rapp. de M. NqugflteiS Cet
arrêt accorde des dommages et intérêts à une personne hors de cause
en même temps qu'à un autre qui les avait demandés, admettant ici
uiiu sorte de gestion d'affaires-
116 rBEMHE PARTIE. CHAI'. V
mont juridique. Mais bien des éléments sont à considérer
ici et les changements réitérés, en celle matière, de certai-
nes législations étrangères, en particulier, celle de l'Au-
triche, ne sont pas faits pour enlever les sitations. Il y a
une question que nous nous contentons de poser sans la
résoudre, et dont l'élude complète trouvera sa place
naturelle lors de l'examen des questions législatives.
La réparation civile, ne pouvant être ordonnée d'office,
elle doit être demandée à la justice, toutes les fois que le
coupable ne réparc pas volontairement le mal qu'il a eau se. I
Quand, dans quelle forme, à quelles conditions peut être for-
mée celte demande "? Quelles règles, justes ou mauvaises,
libérales ou restrictives, favorisent ou entravent la répara-
tion civile, en tous cas, réagissent sur son efficacité ? Telle
est la question qui se présente naturellement a l'esprit.
Mais, l'étudier complètement scrailexlrèmement long. Toute
la procédure criminelle pourrait y passer. En outre,! ce
travail serait presque inutile, ayant été fait souvent avant
nous. Nous nous contenterons donc d'indiquer les règles les
plus importantes au point de vue de l'efficaci de la
réparation, sur les autres points, la situation de la par-lie
lésée ne présentant rien de spécial. Nos explications se |
grouperont sous les paragraphes suivants :
Du choix de la victime entre les tribunaux civils et cri-
minels.
Quand et comment la partie civile peut se constituer
devant le tribunal criminel ?
REPARATION CIVILE ET I'ROCéDL'HE CRIMINELLE 117
Des voies de recours et de leur insuffisance. Du droit
d'obtenir des dommages-intérêts en cas d'acquittement du
prévenu. De l'obligation aux frais
III
La personne lésée peut, en principe, porter sa demande
d'indemnité devant le tribunal répressif ou devant le tri-
bunal civil. Le choix lui est laissé entre ces deux partis :
agir devant le tribunal criminel chargé de juger l'action
publique, et pour cela, se porter partie civile,ou poursuivro
isolément ses droits devant la juridiction civile. Cette
seconde voie, quoique la plus récemment ouverte histori-
quement à la partie lésée, est celle de droit commun. On
peut toujours y recourir (1). La victime demanderesse, en|
s'adressant au tribunal civil, trouvera de précieux avan-
tages : elle pourra obtenir l'assistance judiciciaire, si elle
est dans l'indigence. Elle pourra poursuivre devant ce tri -
binai les personnes civilement responsables seules, évitant
des frais inutiles, si le délinquant est notoirement insol-
vable. Enfin, elle pourra exercer ici toutes voies de recours
ordinaires. Ce sont de précieux avantages qu'elle ne re-
trouvera pas complètement ailleurs. Mais cette juridiction
est la plus lente. En même temps, la victime pférera sou-
(1) L'art. 46 de la loi du 29 juillet 1881 apporte une exception pour
raisons politiques. V. Sur ce point Larombière, VII, art. 1382, 45, p.
577. Fabreguettes. Infractions de la parole, etc., II, n
os
1916 et suiv. p.
307.
118 PREMIÈRE PARTIE. — CBAP. V
la voie criminelle, surtout parce qu'en suivant celte
voie, elle contribuera au châtiment du coupable. M
C'est de la voie criminelle que nous allons avoir désormais à
nous occuper. Car, si l'action est exercée par la voie civile, il n'y
a rien de particulier à étudier, la vie-) time a dans ce cas un droit
d'action aussi efficace que tout autre demandeur au civil, (le que
l'on pourrait dire ici au sujet de l'efficacité, ou de la non
efficacité de l'action, au! sujet des dispositions bonnes ou
mauvaises de la loi, s'appliquerait à la procédure civile toute
entière.
La voie criminelle, au contraire, mérite un examen plus
spécial : elle est, en principe, ouverte à la partie lésée à une
seule condition (i) : il faut que l'action publique soit en même
temps portée devant le tribunal répressif. Celui-ci est, en
principe, incompétent pour statuer sur l'action en réparation
seule,il ne peut y statuer qu'accessoirement à l'action publique.
C'est ce qui est affirmé par l'article 3, Instr cri m.
De ce principe découlent deux règles : l'action civile ne peut
être portée devant le tribunal répressif lorsque l'action publique
est éteinte. Le prévenu étant décédé, la peine ne pouvant plus,
par conséquent, être prononcée, l'action en réparation du
dommage ne peut être portée que devant les tribunaux civils. De
mémo, les personnes civilement responsables, n'étant pas
exposées à une peine, ne peuvent avoir à comparaître devant le
tribunal répressif que si le prévenu y est lui-même traduit. C'est
une)
(lj Toutefois il faut noter que les tribunaux militaires sont incom-
pétents pour statuer sur l'action civile " art. 53 Code de justice
militaire.
REPARATION CIVILE ET PROCÉDURE CRIMINELLE 119
règle qu'il ne fait plus doute en jurisprudence (1). Ce sont
des conséquences très justes : la procédure criminelle
est sans doute plus rapide, elle présente divers autres
avantages que nous indiquerons bientôt. Mais il ne faut
pas, pour ces raisons, surcharger la justice criminelle
d'affaires purement civiles. Deux raisons principales, d'ail-
leurs, expliquent la règle de l'article 3, Instr. crim :
Tordre social est plus complètement rétabli, si le même
jugement donne satisfaction à tous les intérêts privés et
publics, si le môme jugement répare toutes les con-
quences du crime. Ensuite, à un point de vue plus pra-
tique, on ne fait qu'une procédure au lieu de deux, on
évite deux débats r.ur les mômes faits. Aucune de ces rai-
sons n'existe plus si l'action publiqne est éteinte.
IV
Avant de signaler les entraves trop nombreuses que la
victime d'un délit rencontrera, en portant son action de-
vant la juridiction criminelle, nous avons à indiquer quand
et comment elle pourra y porter son action en réparation,
à examiner à quel moment de la procédure elle pourra se
constituer partie civile. C'est ici que se rencontrent les
dispositions les plus libérales de la loi, celle qui contri-
buent le plus à faciliter l'action en réparation.
La personne lésée par le délit peut se constituer partie
civile sur une procédure déjà commencée, ou me avant
que la poursuite répressive ne soit entamée.
(1) Casg., 18 juin 18-i7. Sir., 47,1, 783. - Cass., 27 février 1848. Sir., 48,
1, 415. -»• Cass., 2 dcc. 1881. Sir., 88, 1,44.
130
PREMRE PARTIE. GUAP. V
Lorsqu'une procédure est déjà en cours devant la juri-
diction répressive, la constitution de partie civile et pos-
sible à tout moment, devant les juridictions d'instruction
comme devant les juridictions do jugement. Pendant tout
le cours du procès, la victime peut présenter une demande
en indemnité. Ce droit lui est formellement reconnu par
l'article 67, Inst. crim. Cet article cide toute fois que la
constitution doit être faite avant la clôture des débats.
Limitation parfois regrettable, car la partie lésée ne peut
plus demander des dommages-intérêts à la Cour d'assises,
entre le moment le jury a rendu son verdict et celui
la cour se relire pour délibérer. En effet, lorsque le jury a
rendu son verdict, on se trouve après la clôture des débats
(art. 363, Inst. crim.), on n'est plus dans les termes de la
loi (.il),
La partie lésée ne jouit pas de droits beaucoup moindres,
lorsque les juridictions répressives ne sont pas saisies de
l'action publique. Elle peut provoquer l'exercice de celte
action, en déposant une plainte entre les mains du
1
ministère public, qui intentera des poursuites, s'il le juge à
propos. Ces poursuites commencées, la personne lésée
pourra se constituer partie civile, comme dans le cas pré-
cédent. Mais elle jouit d'autres droits en dehors de cette!
intervention officieuse auprès du parquet. Elle peut di-
rectement intenter son action en réparation devant le tri-j
bunal répressif, et l'action publique se trouve, par ce [seul
1
fait, mise en mouvement. Cela ne peut être contesté, lors-1
(1) V. Cass., 14 juin et 2 août 1838. Bull, no» 167 et255. Cass.,
26déc. 1861, Dali., 62, 5, 10.
REPARATION CIVILE ET PROCÉDURE CRIMINELLE
121
que le tribunal compétent, est le tribunal correctionnel,
ou celui de simple police. Doux articles absolument for-
mels : les articles 145 et 182 lust. crim., déclarent en
effet, que ces deux tribunaux peuvent être saisis par la ci-
tation de la partie] civile au prévenu. Nous n'avons pas à
indiquer les difficultés, surtout théoriques, que l'on peut
soulever au sujet de ces articles, au sujet do la mise en
mouvement de l'action publique qu'ils prévoient. Il est,
au fond, sans intérêt pratique de savoir si c'est la citation
elle-même qui met l'action publique en mouvement, ou
seulement les conclusions prises à l'audience par le mi-
nistère public. Constatons simplement deux choses, sur
lesquelles aucun doute n'est possible. A la suite de la ci-
tation donnée par la personne lésée, lo tribunal répressif
peut infliger une peine au prévenu, et, en fait, cette condam-
nation à une peine présentera un grand intérêt pour la vic-
time, c'est l'espoir de celte condamnation qui, le plus sou-
vent, la décidera à conduire son adversaire devant les tri-
bunaux criminels. Le second point incontestable, c'est
que le tribunal correctionnel ou do simple police aura en
même temps à statuer sur les intérêts civils. En même
temps qu'il condamnera à une peine, il pourra adjuger à la
partie civile des dommages-intérêts.
La question est plus compliquée, lorsquo le dommage,
dont on veut obtenir réparation, résulte d'un crime. Lors-
qu'il s'agit d'un fait semblable, la loi ne souffre pas qu'une
accusation aussi importante soit présentée au grand jour
de la Cour d'assises sans une information préalable, sans
un examen des juridictions d'instruction, sans un arrêt do
renvoi de la Chambre des mises en accusation. Personne
122 PREMRE PARTIE. CIIAP. V
ne peut citer directement pour crimes devant la Cour d'assises,
pas plus le ministère public que la personne lésée. Cette
dernière peut toujours se joindre à la procédure commencée par
le ministère public, pour l'instruction et le jugement du crime.
Elle peut aussi provoquer le procureur de la République, sans l'y
contraindre, à intenter une action, à commencer des poursuites
auxquelles elle même, viendra se joindre. Pour cela, elle
déposera une plainte auprès du ministère public, et le juge
d'instruction une fois chargé par lui de l'information, elle se
constituera partie civile devant lui.
Mais, à défaut de ces moyens, peut-elle, elle-même, obliger
les magistrats instructeurs à informer sur le crime, dont elle a
été victime, comme elle pouvait obliger le tribunal
correctionnel à statuer sur le délit qui lui avait causé un
dommage? C'est une difficulté fameuse dont la solution
importe au plus haut point à l'efficacité de la réparation civile.
Les textes du Code d'instruction crimi-nelle sont assez obscurs
sur cette question. L'article 03 parle simplement pour la victime
de « rendre plainte et se constituer partie civile devant le juge
d'instruction ». Mais le droit, pour la partie lésée, de faire ouvrir
une instruction, peut s'appuyer tant sur les travaux préparatoires
du Code que sur la législation Révolutionnaire. Le Code de
brumaire an IV, aussi bien que les déclarations de Gam-bacérès
au Conseil d'État sont suffisamment explicites sur ce point (1).
C'est dans ce sens aussi que se décide la ma-
(4) Locré, XXV, p. 147, séance du 11 juin 1808. « Lorsque l'ac-
cusé se plaint, disait-il, lorsqu'il se porte partie civile,il ne faut pas que
le procureur impérial puisse le paralyser par un refus de poursuivre. j
PARATION CIVILE KT PROCEDURE CRIMINELLE
123
jorité de la doctrine. La jurisprudence des (Jours d'appel paraît
également incliner de ce côté. Un certain nombre
d'ordonnances rendues par des premiers présidents ont même
admis cette théorie d'une façon absolument explicite (1).
Toutefois la question reste discutée.
De tout ceci résulte un principe général : la victime du délit
a toujours la faculté de porter son action en répara-lion devant
le tribunal répressif. Toutes les fois que l'action publique n'est
pas éteinte, l'action en réparation peut être poursuivie devant
les tribunaux de police et la Cour d'assises. Il y aura toujours
pour la personne lésée un avantage incontestable : celui de
pouvoir suivre une procédure ordinairement plus rapide que
celle des tribunaux civils. Un autre avantage beaucoup plus
considérable viendra parfois se joindre au premier. Toutes les
fois que, les auteurs du délit étant inconnus, il faudra procéder
à une instruction préparatoire pour les découvrir, la personne
lésée profitera de cette instruction. Les preuves diverses qui
pourront y être recueillies viendront fortifier son droit : au lieu
d'une créance existant théoriquement, mais sans valeur
parceque le débiteur est inconnu, elle pourra avoir un droit
ayant une valeur pratique qu'elle saura contre qui exercer.
A côté de ces dispositions sages et libérales, qui favo-riseut
la réparation civile, en même temps qu'elles peu-
(!) V. Cassation, 8décembre 1826. Sir., VIII, p. 479. Montpellier,
24 mars 1851. Cf. Revue critique 1884, p. 567.
124 PREMIÈRE PARTIE. - CHAI'. V
vent créer un utile auxiliaire pour le ministère public, ilj faut on
citer beaucoup d'autres qui constitueront souvent de sérieuse
entraves pour la victime du délit. Parmi celles-ci, citons d'abord,
quoique ce soit la moindre, l'insuffisance des voies de recours
pour la partio civile. Insuffisance qui se retrouve aussi bien à
l'égard dos décisions de juridictions d'instruction que de celles
de jugement.
Toutefois, à l'égard des décisions rendues par les juridictions
d'instruction, cette constatation ne peut s'appliquer lorsqu'il
s'agit du droit d'opposition aux ordonnances d'un juge
d'instruction. L'article 135 pose, en effet, un principe général ;
la partie civile peut recourir contre toutes les décisions «faisant
grief à ses intérêts civils ». Le droit de la partie civile à la
réparation est donc suffisamment garanti.
Il en est autrement lorsqu'il s'agit du droit de se pourvoir
contre les arrêts de la Chambre d'accusation. On reconnaît bien
à la partie civile le droit de se pourvoir contre les arrêts statuant
sur la compétence, car il y a des textes formels. La question n'a
pu ici faire aucun doute en pratique (I). Ce cas excepté, la partie
civile ne peut déférer à la Cour suprême un arrêt de la Chambre
d'accusation. En droit, cela est absolument logique. Et, en effet,
former un pourvoi ne serait-ce pas exercer l'action publique ?
Ame-! ner les tribunaux à statuer, alors que le ministère public
ne le veut pas? Or, n'est-ce pas un principe qui domine toute la
procédure criminelle que la partie civile, si elle
(1) Art. 531, 533, 539. Instr. crim. Cf. Cass , 20 nov. 1812. Pal.!
X, p. 884.
iflM ■■VÎT l)l*ii i li-'l'
PARATION CIVILE ET PROCÉDURE CRIMINELLE 125
peut mellro L'action publique en mouvement, no peut pas
en poursuivre l'exercice ? Ce droit appartient au ministère
public et à lui seul. La partie civile n'a à sa disposition
que l'action en réparation. Elle ne peut, sous prétexte de
l'exercer, exercer celle qui appartient à la société repré-
sentée par le ministère public. Ces raisons en droit sont
incontestables. Les solutions que l'on donne ici sont en
parfaite harmonie avec les principes généraux sur l'exer-
cice de l'action publique: l'acte initial seul de la procé-
dure pouvant être fait par la partie civile, le reste ne
dépendant plus d'elle. C'est en ce sens aussi que s'est
toujours prononcée la jurisprudence (1).
Mais cela n'est-il pas de nature à entraver la réparation
du délit ? L'accès des tribunaux civils reste bien ouvert à
la victime. Mais celle-ci n'aura plus à sa disposition la
contrainte par corps. Car cette garantie n'existe que si le
caractère délictueux du fait dommageable a été reconnu par
un tribunal répressif. La décision de non-lieu rendue par
la Chambres des mises en accusation peut donc porter un
préjudice très réel à la victime du délit. Nous négligeons
la question de savoir s'il ne vaudrait pas mieux laisser à
la victime une certaine place dans l'exercice de l'action
publique, si, par delà ses intérêts matériels, il n'y a pas
chez la victime des intérêts moraux à protéger, s'il ne
convient pas de donner aux personnes lésées une part
plus active dans la répression. Mais, même au point do
vue de la réparation purement pécuniaire, il y a une idée
(1) V. Gass. 3 novembre 1887. Sir., 88, 1, 48. 17 août 1878. Sir., 79,
1, 436! —2 janvier 1890, Sir., 96, 1,142. - Cass., 1" mat 1896, Sir.. 96, 1,
800".
126 PHEMIÈUU PARTIE. CHAP. V
trop étroite, une conception rigoriste de nature à nuire aux
1
intérêts civils do la victime. Comme le disait avec raison un
magistrat au congrès pénitentiaire de Paris (1), il faut que la «
mise en mouvement de l'action publique procure; dans la limite
du possible à la partie lésée le moyen! d'avoir une réparation.
C'est manifestement ce qui n'aurait pas lieu si l'impulsion
donnée était arbitrairement arrêtée avant d'avoir franchi toutes
les étapes judiciaires dont olle est susceptible, le recours en
cassation, comme les) autres >,.
Contre les décisions des juridictions de jugement, les voies
de recours sont également ouvertes, de façon trop étroite.
Lorsqu'il s'agit de recourir contre les jugements des tribunaux
de police, la partie civile a reçu de la loi desdroits suffisants
pour sauvegarder ses intérêts (art. 2021 et 4:13, Instr. crim.).
Mais il en est autrement lorsqu'il s'agit de se pourvoir contre un
arrêt de Cour d'Assises.
L'article 373 permet bien à la partie civile de se pourvoir
contre les dispositions d'un arrêt qui font grief à ses intérêts
civils. Une protection suffisante serait, parla, assurée à la partie
civile, si l'article 412 n'avait apporté à celte gle une exception
peu justifiée : en cas d'acquittement ou d'absolution, le droit de
se pourvoir est refusé à la partie civile. Elle se trouve ainsi sans
recours contre une décision qui peut lui porter préjudice, elle
peut bien dans ce cas obtenir une indemnité, malgré
l'acquittement; | mais cette indemnité n'est pas protégée parles
garanties
(1) M. Pascaud. Rapport sur les moyens de rendre plus efficace la
réparation civile.
REPARATION C1VILR KT l'ROCÉDURR CRIMINELLE 127
qui sontattachées à la paration civile des délits, olle perd
notamment le bénéfice delà contrainte par corps. Aujourd'hui
que la contrainte par corps est peu efficace, l'intérêt est assez
minime ; mais si, comme le propose la science pénale
moderne, on attache aux indemnités dues pour un délit
d'autres garanties, l'intérêt apparaîtra dans toute son étendue,
les inconvénients de l'article 412 éclateront davantage.
Inconvénients mal compensés par le silence dont la loi a voulu
couvrir cette poursuite criminelle terminée par un
acquittement.
VI
Les tribunaux répressifs ne sont compétents pour juger
l'action civile, qu'autant qu'ils sont saisis de l'action publique,
'est-à-dire autant seulement qu'il y a fait délictueux. Si le
caractère délictueux du fait vient à disparaître, l'action civile
ne peut plus se produire devant le tribunal répressif, il n'y a
plus de base pour la compétence de ce tribunal. Il peut bien
rester un délit civil ou un quasi-délit civil, mais c'est à la
juridiction civile seule, qu'il appartient de
juger ce fait, désormais pur de tout caractère
délictueux. De résuite qu'au cas d'acquittement, le tribunal
répressif doit renvoyer la partie civile à se pourvoir devant les
tribunaux civils. C'est ce qui résulte de la combinaison des
articles 191 et 212 Instr. crim. pour les tribunaux de police
correctionnelle. La partie civile, qui a prouvé les faits
matériels qu'elle invoque, prouvé leur caractère illicite et
dommageable, mais qui ne peut démontrer l'intention
criminelle de l'agent, est renvoyée
03218815
428 PREMIÈRE PARTIE. — CHAP. V
par le tribunal, elle a perdu son temps et ses frais, elle! est
obligée de recommencer une instance devant la juridiction civile,
souvent devant les mêmes magistrats siégeant en audience civile
(1). Il n'y a plus de délit de droit pénal, c'est possible, mais la
partie civile ne mérite-t-elle pour cela aucune considération ? La
personne lésée, craignant de ne pouvoir prouver l'intention
coupable du délinquant sera souvent amenée à prendre la voie
plus lente et plus onéreuse de la justice civile. Pourquoi lui
refuser toujours le droit à des dommages-intérêts, et même dans
e cas où elle n'a fait que se joindre à une poursuite intentée par le
ministère public ? La loi n'a-t-elle pas un peu trop sacrifié les
résultats équitables à la logique stricte ?
Il faut reconnaître toutefois que le législateur a apporté à son
pri ncipe une heureuse dérogation lorsqu'il s'agit de poursuites
pour crime (2). Lorsque le caractère délictueux des faits, jugés
par la cour d'assises, n'est pas reconnu et que l'acquittement a
été prononcé, la Cour peut encore accorder à la partie civile des
dommages-intérêts à l'occasion du fait incriminé, s'il présente
les caractères d'un délit civil, s'il tombe sous le coup de l'article
1382 du Code civ. On a expliqué cette exception en disant que
la Cour d'assises ne statuant qu'après une instruction
préparatoire, il n'y avait pas à craindre qu'une personne lésée,
par un simple lit civil, appelât son adversaire devant la Cour
d'assises. Une
(1) Cela est constant en jurisprudence V. Cass., 13 juin 1886. Sir.,
86, 1, 490.
(2) Cette dérogation n'existe pas pour les lits de presse : art. 58,
loi du 29 juillet 1881.
RÉPARATION CIVILE ET PROCÉDURE CRIMINELLE
129
pareille fraude, au contraire, serait possible devant le
tribunal correctionnel, où l'on peut citer directement le
prévenu.
Cette raison est valable dans certain cas, mais elle ne
suffit pas à expliquer complètement la règle. Pourquoi ne
pas statuer sur les dommages-intérêts, toutes les fois que
la victime du fait dommageable n'a fait que se joindre à
une poursuite déjà intene par le ministère public ? Dans
ce cas, en effet, aucune fraude n'est à craindre. Ily a encoro
une règle gênante pour la partie lésée, cause pour elle
de frais et de retards et souvent inutile.
VII
Le vice le plus grave de notre procédure criminelle à
l'égard de la paration civile, celui contre lequel on a de
tout temps protesté, celui aussi, las ! qui a peut-être le
plus de chances de substituer longtemps, c'est la situation
faite à la partie civile quant à la responsabilité des frais et
quant à la consignation de ces mes frais. La personne
lésée qui poursuit le paiement de ses dommages-intérêts
devant le tribunal de police correctionnelle ou de simple
police, est en effet condamnée, aux dépens alors même
qu'elle obtient gain de cause, elle est de plus obligée do
consigner une somme équivalente aux frais avant toute
poursuite.
Cette seconde charge est établie par l'article 160 du dé-
cret du 18 juin 1811. D'après cet article, eu matière de
simple police et de police correctionnelle, la partie civile
est tenue, "avant toutes poursuites, de déposer au
I
130 PREMIÈRE PARTIE. — CUAP. V
greffe la somme supposée nécessaire pour les frais de la
procédure. Il semble que la loi présume en quelque sorte son
insolvabilité. C'est une lourde charge pour la partie' [civile.
C'est une obligation qui est souvent de nature à arrêter la partie
civile ; elle pourra hésiter si elle est obligée de faire de suite un
déboursé important. La loi apporte, il est vrai, une exception en
exemptant de la consignation les personnes indigentes, mais
cette exception est minime. La jurisprudence en a reconnues
déplus considérables : elle a décidé qu'il n'y avait lieu à
consignation ni au cas de constitution départie civile faite à
l'audience, (1), car le décret dit : « avant toutes poursuites », ni
au cas de citation directe, carie droit de citation directe est pro-
clamé par la loi sans réserves (2). De là résulte que la con-
signation n'a lieu que si la personne lésée provoque une
poursuite en déposant une plainte accompagnée de constitution
de partie civile entre les mains du ministère public. C'est ce que
la Cour de Cassation a reconnu. Gela crée une situation
absolument bizarre. Le ministère public, dont ou ne peut
inspecter l'indépendance, a pensé qu'il y avait lieu de poursuivre
; nulle part une poursuite téméraire n'est moins à redouter. Et
c'est dans, ce cas que la personne lésée est obligée de consigner
les frais, qu'on entrave les
(1) V. Gass., 8 juillet 1881. Sir., 82, 1, 95. — Gass., 22 janvier
1887. Sir., 89, 1, 141.
(•2) Gass.,4mai 1833. Sir., 33, 1, 433. Cass., juin 1893.
Gass., 26 juillet 1889. Sir., , I, 400. Cf. Revue critique, 1889, p. 20.
Examen doctrinal, parGardeil et 1894. p. SI. Examen doctrinal, \
par La borde. Les cours d'appel résistent toutefois : Alger, 14 février
1879. Sir., 81, 2,85. I
<&*M
RÉPARATION CIVILS ET PROCÉDURE CRIMINELLE 131
droits de la purtie civile par des dispositions fiscales ma-
ladroites.
A côté de cette obligation, une autre plus onéreuse encore pèse
surla partie civile : c'est la responsabilité qu'elle-encourt quant
aux frais. Peu d'institutions sont organisées d'une façon moins
satisfaisante et constituent un pareil abus de fiscalité. Les
réformes et les changements n'ont pourtant pas manqué ici
depuis un siècle Rétablie au sortir de la Révolution par la loi
du 5 pluviôse an XIII, consacrée à nouveau par le Gode
d'instruction criminelle, cette responsabilité n'existait en
1808 que de façon limitée. Alors la partie civile ne payait les
frais, que si elle succombait (art. 162, 164 et 368, Instr. crim.)
Si elle obtenait gain de cause, elle en était exonérée. Le décret
du 18 juin 1811 lui enleva cet avantage (art. 157). Dès lors:
toute distinction fut abolie, gagnant ou perdant, la partie civile
fut condamnée aux frais. Pour toute fiche de consolation, il ne
i restait qu'un recours contre le condamné et les personnes
civilement responsables, recours trop souvent illusoire.
Cette situation fut modifiée par la loi du 28 avril 1832, qui
est revenue à la règle du Gode d'Iustruction criminelle pour
les affaires soumises à la Cour d'assises (1). De là, un régime
bâtard : le système de 1808 étant rétabli pour toutes les
infractions soumises à la Cour d'assises, le décret de 1811
étant au contraire conservé pour les infractions soumises au
tribunal correctionnel, ou au tribunal de simple police.
(1) Cela s'étend aux délits soumis à la Cour d'assises, c'est ce qu'a'
décidé formellement la loi du 3 avril 1896 pour les délits de presse.
132 PREMIÈRE PARTIE. — CIIAP. V
La règle adoptée pour les frais dans les affaires soumises au
jury est, en principe, assez équitable. Il est juste que la partie
civile, qui obtient des dommages-intérêts, ne soit pas
condamnée aux frais, il ne l'est pas moins qu'elle ait à supporter
cette condamnation, dans le cas où sa poursuite a été imprudente
ou téméraire. On peut cependant regretter que la jurisprudence
ait parfois tiré de ce principe des conséquences discutables et
peu équitables en pratique. Au cas l'accusé est acquitté, mais
est cependant condamné à des dommages-intérêts, elle admet
que la partie civile doit être condamnée aux frais. Décision
fâcheuse, car de cette façon, le condamest mieux traité que
s'il avait été poursuivi au civil M). Cette question de détail mise
à part, la règle adoptée ici par la loi est cependant satisfaisante,
elle n'est pas de nature à nuire à l'efficacité de la réparation.
Il en va tout autrement de la règle suivie clans les affaires
soumises au tribunal correctionnel ou au tribunal de police.
L'article 157 du décret de 1811 continue à produire ici ses
déplorables effets (2). La partie civile continue à être
condamnée aux frais, alors me que le prévenu a été reconnu
coupable. Elle conserve bien un recours contre le condamné,
mais si celui-ci est insolva-
(1) Cass., le"
1
décembre 4855. Sir., 56, 1, 467 ; 5 déc. 1861. Sir.,
62, 1, 133. 13 février 1862. Bull. 44. V. Blanche, I, no 350.
— Trébutien, I, 417. — Contra Chauveau et F. Hélie, II, 100, p.
248.
(2) C'est du moins la jurisprudence. Cass., 16 décembre 1837. Dali.,
88,1, 426. — Cass., 26 septembre 1839. En ce sens, Trébutien, n" 416.
Contra Chauveau et F. Hélie, I, p. 208.
PARATION CIVILE ET PRODURE CIUMI.NBIXE 133
Me, ce qui arrivera 1res souvent, ce recours sera purement
illusoire.
De la sorte, non seulement la parlie victime du délit
n'aura qu'une créance sans valeur conlre le délinquant,
mais encore, pour faire reconnaître son droit en justice,
elle aura été obligée à des déboursés dans lesquels elle!
ne pourra pas rentrer. Non seulement le dommage qu'elle
a souffert ne sera pas réparé, niais elle aura été entraînée à
faire de nouvelles dépenses. Un pareil abus n'explique-t-il
pas, dans une large mesure, pourquoi les citations [faites à
la requête des parties civiles sont si rares, pourquoi, dans
ces dernières années, 7.000 jugements de police
correctionnelle ont été provoqués par des personnes lésées,
tandis que 227.000 l'ont été par le ministère public (1).
Cet esprit de fiscalité exagédu cret de 1811, cette
nécessité de consigner les frais, cette condamnation de la
partie civile aux dépens, alors même qu'elle a obtenu
gain de cause, nuisent considérablement aux inrêts do la
réparation civile. Ils écartent des tribunaux des demandes
souvent bien fondées, la victime préfère renoncer à ses
droits plutôt que de s'exposer à des frais dont elle ne peut
espérer le remboursement. Les infractions poursuivies à
la requête des particuliers étant peu nombreuses, les pour-
suites intentées par le ministère public croissent en pro-
(1) Année 1893: 6.920 jugements à la requête de" parties civiles,
227.511 a la requête du ministère public et 13.457 à la requête d'Ad-
ministrations. En 1894, 6462 jugements à la requête des parties
civiles, conlre 230.486 à la requête des parquets. La disproportion ne
cesse donc de s'aggraver.
134 PREMIÈRE PARTIE. CHAP. V
portion et Jes frais incombant à l'État se trouvent aug-
mentés d'autant. La disposition injuste et maladroite du
décret do 1811 se retourne donc, en fin de compte, contre
les intérêts du Trésor qu'on a voulu proger.
CHAPITRE VI
PRESCRIPTION DE L'ACTION EN RÉPARATION CIVILE I
En terminant ce rapide aperçu sur l'efficacité de l'action
en réparation civile, nous ne voulons pas passer sous si-
lence la règle établie par la loi pour la prescription de cette
action. Nous n'avons pas à faire de cette règle une élude
complète, ce qui serait en dehors du cadre de notre sujet.
Nous voulons simplement signaler une disposition qui'
crée souvent à la victime d'une infraction aux lois pénales
une situation très défavorable.
Dans notre droit civil, toute action se prescrit en prin-
cipe par trente ans. Ce long espace de temps jugé seul
suffisant pour équivaloir la renonciation du créancier à
son droit, devrait s'appliquer plus particulièrement dans
notre matière, le créancier mérite évidemment quelque
intét. Cependant la loi (art. 037,638et 640, Code d'instr.j
crim.), en a disposé autrement. La prescription de l'ac-
tion civile est la même que celle de l'action publique.
Quand un temps assez long a lentement éteint le souvenir
du crime, la loi ne veut point qu'on vienne la raviver,
qu'une main indiscrète vienne agiter à nouveau dans la
société un sujet de crainte depuis longtemps oublié.
Comme les Anciens cherchaient à effacer à jamais le sou-
136
PREMIÈRE PARTIE. — CUAP. VI
[venir des pires forfaits, le gislateur moderne ne souffre pas
qu'on reparle du crime, quand la loi, en déclarant la
répression prescrite, a renonà lo punir. Dès lors, on! ne
tolère plus que le souvenir du crime puisse être rappelé
mémo par une simple action en réparation civile. Pour
éviter ce résultat scandaleux d'un tribunal constatant lui-
même les infractions qu'il n'a pas réprimées en temps voulu,
peut-être pour rendre les personnessées! plus diligentes
dans leurs poursuites (i), elle sacrifie leurs actions dès qu'elles
n'ont pas été mises en mouvement dans les (rois ou les dix
ans du lit ou du crime.
Quelque soit la valeur des raisons qui ont guidé Je-
gislateur, il faut reconnaître que la règle de l'article 637 du
Code d'Inslr. Crim. nuit gravement à la paration civile.
Tandis qu'un débiteur n'est ordinairement à l'abri des
poursuites de son créancier qu'après trente ans, au bout de
dix, de trois ou d'un an, le linquant se trouve libéré à l'égard
de sa victime, celle-ci se trouve absolument désarmée. Rien
n'est plus mauvais en pratique. La classification de la loi en
crimes, lits et contraventions est sans rapport exact avec
l'importance du dommage causé par ces infractions. Telle
contravention peut être' la source d'un préjudice important, et
au bout d'une année seulement, il n'y aura plus lieu ni a une
peine, ni à une réparation (2). Combien ne voit-on pas de faits
domma-
(1) C'est un motif généralement admis : V. Garraud, II, n" 68, p. dl2.
Revue critique, 1803, p. 38. Revue critique, 1875, p. 81. | —
Villey,p. 268. —Contra Haus, II, no 1335, p. 858. — Le Sel-Jyer, II,
p. 193.
(2) V, notamment l'art, 475, 7» Pén.
t
PRESCRIPTION DE L'ACTION 137
gcables dont le caractère délictueux n'est qu'absolument
secondaire: par exemple, les accidents dont les ouvriers
sont victimes dans leur travail. La personne lésée attend
quelque temps pour agir, elle essaye de s'entendre aima-
blement avoc son adversaire et, le jour elle veut l'as-
signer, la prescription est accomplie. Tous les jours des
gens s'y font prendre, les recueils judiciaires regorgent
d'hypothèses do ce genre (1). Au point de vue de la répa-
ration civile, tout cela est absolument regrettable.
Par surcroit, la jurisprudence, ailleurs plus soucieuse de
l'utilité pratique, semble poursuivre l'application de cette
ègle avec un soin jaloux. Nous ne voulons point lu i repro-
cher les solutions admises par elle, qui donnent à l'article
637 sa portée véritable. Les tribunaux admettent que l'ac-
tion civile est éteinte après trois ou dix ans, même si elle
est portéo devant le juge civil (2). Cela est de nature à
nuire à la personne lésée, mais, s'il faut donner quelque
sens à notre règle, il faut bien en passer par là. Si la répa-
tion pouvait encore être poursuivie devant la juridiction
civile, la loi serait inutile : il est bien certain que l'action
civile ne peut plus être portée au tribunal criminel, puis-
que l'action publique n'existe plus.
Nous admettons également, comme l'a fait la jurispru-
dence, que la prescription doit être opposée alors même
que le demandeur se serait présenté comme lavictimo
d'uu simple quasi-délit. Sous couleur d'une action civile
(1) V. Gass., 4 août 1886. Sir., 87, 1, 169. -- Cass., 1" février •188*. Sir.,
83, 1, 155.
$) V. Cass., 4 août 1886. Sir., 87, 1, 169 (sol. implic). Lyon, 30 juin
1887. Sir., 89,-2, 65.
438'
PREMIÈRE
PARTIE.
— CHAP. VI
ordinaire, Je créancier ne doit pas pouvoir présenter une
demande en réparation d'un crime. Dès que les caractères du délit
sont reconnus, la demande doit être rejetée. C'est d'ailleurs ce
que parait admettre la Cour de Cassation (1). Etant donné le
principe de la loi, étant donné le résultat scandaleux que l'on veut
éviter, la conséquence nous paraît forcée. Mais nous voyons, une
fois de plus, les résultats bizarres auxquels on arrive : des
malheureux cherchent à dissimuler la gravité du fait dont ils ont
été victimes, c'est la gravité même du fait qui leur ôte l'espoir
d'une réparation.
Nous admettons aussi, -avec la jurisprudence, que la
prescription spéciale du Code d'instruction criminelle s'applique à
l'action contre les personnes civilement responsables (2). Du
moment que l'on considère le motif de la loi, du moment qu'on
est frappé du scandale possible et que l'on ne veut pas rappeler un
crime impuni, il faut en venir là. Pour la victime, cela est
déplorable, juridiquement cela est très logique.
Mais, on peut reprocher à la jurisprudence d'avoir encore
renchéri sur les rigueurs de la loi, c'est quand on la voit
appliquer le texte en dehors même de ses motifs. Appliquer la
loi partout existe la raison qui l'a dictée, cela est juste, cela
ne peut être critiqué. Mais nous ne pouvons admettre, comme
l'ont fait les tribunaux, que,
(1) Cass., 4 août 1886 précité.
(2) V. Cass., 13 mai 1868. Sir.,68, 1,356. —Montpellier, 10 janvier
1870. Sir., 70, 2, H8. Cass., 1" mai 1876. Sir., 76, 1, 44S et 10
janvier 1877. Sir., 77, 1, 270. — Trib de Marseille, 30 décembre
1886. La Loi, 2 mai 1887. C'est aussi Ja doctrine, à l'exception de M.
tieudani.
4
i Mm-
M
PRESCRIPTION DE L'ACTION
139
l'action publique étant éteinte par la mort, ou par la con-
damnation du coupable, la prescription trentenaire ne
reprenne pas.
Un crime a été commis, mais le criminel est mort, ou il
a été condamné à une peine. La socté n'a plus rien à
réclamer. Le souvenir du crime ne peut plus exciter au-
cune crainte, et pourtant les tribunaux se refusent à ce
qu'on le rappelle devant eux. La jurisprudence n'admet
pas que la prescription de trente ans commence à courir
contre les héritiers, ou contre le condamné. S'enfermant
ici strictement dans le texte, elle se refuse à tenir compte
de sa raison d'être. Considérant les motifs, lorsqu'il s'agit
d'étendre la loi, elle les laisse de coté, lorsqu'il s'agit de la
I restreindre (1).
Toutefois la jurisprudence a admis dans ses arts un
principe que nous ne pouvons qu'approuver. La prescrip-
tion est de trente ans lorsque la victime fonde son action,
non sur le délit lui-même, mais sur un droit préexistant :
propriéou obligation, peu importe (2). Rien n'est plus
juste. La victime qui demande la restitution de l'objet volé,
ou des sommes extorquées exerce un droit de propriété,
ou un droit de créance indépendants du délit. Celui-ci
n'est que le fait, à l'occasion duquel le droit est exercé,
rien de plus.
Ces indications suffisent à préciser la portée pratique des
r (1) V. Cass.,3 août 1841. Sir., 41, 1, 753, — Lyon, 17 juin 1842.j
Sir., 42, 2, 343. Cass., 4décembre 1877. Sir., 78*,1,419, —Cass.,
6 janvier 1855. Sir., 55. 1, 133. . , |
(2) V. Rouen, 29 décembre 1875. Sir., 77, 2, 166. - Pans, 14 novembre
1880. Sir., 82, 2,17. - Cass., 5 mai 1863. Sir., 63, 1, 301. C'est aussi
l'opinion générale de la doctrine.
o
140 PREMIÈRE PARTIE. CI1AP. VI
*
Articles 637 et suivants du Code- d'Instruction criminelle.
Elles ajoutent un dernier trait au tableau de la procédurel
que nous venons d'esquisser. C'ost une gène de plus pour la
personne lésée. C'est un point, comme tant d'autres, suri
lequel une réforme serait nécessaire.
Malgré les défauts considérables que nous venons de
signaler, la situation faite à la personne lésée n'est pas à
critiquer de tous points. Tous les codes étrangers, notam-
ment, n'ont pas permis aux tribunaux de statuer sur les in-
térêts civils. A côté de nous, le Code allemand, le Code hol-
landais, en Amérique,le Code do New-York obligent la vic-l
lime à s'adresser aux tribunaux civils, pour obtenir une
indemnité. Notre législation n'a pas craint,comme eux, do
voir le juge préoccupé à l'excès par la considération du
dommage. Pourquoi faut-il quo cette disposition si sage, si
libérale, se trouve gâtée par tant d'imperfections. L'activité
du ministère public en atténue sans doute quelques-unes. Il
ne laisse passer aucune plainte sans procéder à une
enquête- au moins officieuse, co qui rend moins utile pour
la victime le droit de saisir le juge d'instruction. Mais son
zèle ne peut remédier à tout. D'autres défauts restent, et
non des moindres. L'obligation aux frais, qui est le plus
palpable, pèse toujours sur la partie civile. Delà voie la
plus rapide, il fait la plus coûteuse, d'autant plus que
l'assistance judiciaire n'existe pas devant les tribunaux
criminels.
c
SECONDE PARTIE
AMÉLIORATIONS LÉGISLATIVES
« Redresser les "loris de tout son pouvoir, recouvrer ce qui
est perdu, dédommager pour ce qui est tué, essayer enfin,
compensant le dommage entre le coupable et la victime, de les
réconcilier et de faire succéder l'union à la discorde (1). »
C'est en ces ternies, qu'il y a près de vingt-trois siècles, Platon
traçait déjà le devoir du législateur. Mais combien s'en faut-il,
qu'après deux mille ans, le droit ait atteint le but que fixait à
ses yeux le philosophe | de l'Académie ! Exposé à tous les
heurts du chemin, sou-j mis à toutes les difficultés de la
pratique, ici entraîné par l'aveuglement de l'opinion publique,
enchaîné ailleurs par l'aberration du pouvoir, sans cesse
ballotté au milieu des changements de la civilisation, le droit
ne peut s'avancer qu'avec lenteur sur la route dont le
philosophe grec avait du premier coup atteint le terme. Le
chemin semble en effet souvent se dérober sous ses pas, les
règles en apparence les mieux conçues ne sont jamais que des
instruments imparfaits et les faits échappent toujours par quel-
(1) Platon. Les lois, livre IX, p, 144. Trad. Grou el Saisset.
o
142 DEUXIEME: PARTIE
que côté à leur étreinte. Gêné par les difficultés de toute
nature, limité par les résistances de la nature humaine, le
jurisconsulte ne peut construire que pierre par pierre
l'édifice sans cesse vacillant, que l'imagination du
philosophe a pu entrevoir terminé.
L'aurore du siècle prochain verra- t-elle du moins s'a-
jouter de nouveaux progrès à ceux déjà réalisés? La
question pourrait sembler douteuse si l'on considère les
controverses qui ont remué les fondements de Ja pénalité
jusque dans leurs dernières assises. Depuis vingt ans,
toutes les questions qui touchent par quelque côté au droit
pénal, comme c'est le cas pourlaréparation civile, ont été
l'objet des plus vives discussions. Au milieu de cet te crise,
dont souffre à l'heure actuelle la science pénale, comment
peut-on entrevoir quelque progrès avant qu'un accord re-
latif ne se soit rétabli tout au moins sur les principes fon-
damentaux, avant que les diverses écoles en présence
n'aient mis fin à leurs discussions ?
Cependant, malgré les difficultés de l'heure actuelle, le
droit pénal, les questions qui s'y rattachent de près ou de
loin, peuvent encore progresser. En dépit de la lutte qui
existe à l'heure présente entre les criminalités, il faut re-
connaître qu'il y a, dans toutes les doctrines, actuellement!
soutenues un certain fonds commun. Partis des points les
plus différents, s'appuyant sur les principes les plus oppo-
sés, criminalistes classiques, positivistes ou criticistes ar-
rivent sur plus d'un point à se rencontrer. Il se forme un
certain nombre d'idées, iJ se ppare un certain nombres de
réformes, auxquelles les jurisconsultes, à quelque parti
qu'ils appartiennent, acquiescent également. Ici aussi « il y
G
AMELIORATIONS LÉGISLATIVES 143
a plusieurs routes pour les gens de bien à travers les difficul-
tés elles obscurités de la vie, et ils peuvent se réunir au terme
sans s'être vus au départ, ni rencontrés en chemin. »
Parmi ces carrefours aboutissent les chemins suivis par
les différentes écoles, parmi les principes communs à tous les
criminalistes de notre temps, il faut évidemment indiquer le
plus grand développement des peines pécuniaires, le rôle plus
considérable qu'elles sont susceptibles de jouer dans une
bonne politique criminelle.
Cet emploi plus grand des peines pécuniaires, cette
extension des cas d'appliction de l'amende est une idée assez
récente. Les compositions en argent ou en bétail avaient bien
tenu une place prépondérante à l'époque barbare, les eines
corporelles étant à peu près réservées pour les primes que
nous appelons aujourd'hui crimes contre la pose publique,
mais, depuis lors, les peines corporelles avaient peu à peu
regagné du terrain sur les peines pécuniaires, et pendant tout
le cours de ce siècle, l'amende avait tenu fort peu de place
dans la loi, aussi bien que dans les préoccupations des
criminalistes. .Nos codes n'emploient l'amende que pour les
infractions les plus légères . et les principaux criminalistes de
ce siècle ne considéraient guère les peines atteignant les
biens, comme susceptibles d'une grande extension (1).
L'emprisonnement leur paraissait à peu près applicable, dans
tous les cas, pour lutter contre la criminalité ; pour eux la
grosse question du droit pénal n'était pas l'emploi à faire de la
prison, mais la meilleure
(1) Un peut consulterjà ce sujet renger. La répression pénale, sa
forme, ses effets. (Paris 1855). J. Tissot. la loi pénale et la
réforme pénitentiaire (1874).
144 DEUXIÈME PARTIE
organisation à donner aux peines privatives de liberté. Depuis,
les choses ont changé de face : sans nier la nécessité de
l'emprisonnement dans bien des cas, on a pensé qu'il vaudrait
peut être mieux ne pas en user pour un certain nombre de délits
d'une gravité relative.
Peu à peu a commencé ce que l'on a nommé « la croisade
contre les courtes peines d'emprisonnement. » Parmi les moyens
proposés pour remplacer la privation de liberté de courte durée, il
faut évidemment citer l'emploi plus grand dos amendes.
Bonncvillc de Marsangy. l'avait déjà | préconisé, il y a près de
quarante ans : nous avons abusé de la prison, disait-il, il faut user
davantage de l'amende. Mais ce qui n'était alors qu'une opinion
isolée, ou à peu près(l), est devenu, à l'heure actuelle, l'opinion
àpeu près générale. On a de plus en plus admis que la prison
était, dans bien des cas, un instrument plus inefficace que
l'amende. Celle-ci, en effet, peut constituer un moyen de
répression excellent contre les délits terminés par la
convoitise, contre la majorité des infractions à la propriété. « On
évitera ainsi, a-t-on dit (2), le scandaleux calcul de ces flibustiers
qui se disent, en emporlantla caissede leur maison de banque : «
après tout, ce million vaut bien les cinq ou six années de
réclusion, dont il me fait courir le risque. » Ces principes
reconnus, pour rendre possible l'emploi plus fréquent de
l'amende, il fallait chercher un remède aux défauts qui auraient
jusqu'ici limité son utilité : la rendre efficace contre les personnes
riches, qui
. (1) V. Michaux. Question des peines, p. 191. Paris, 1872. W'orms
Rapports du droit pénal et de l'économie politique, 1870.
(2) Tarde. Philosophie nale, p. 407. I
ALIORATIONS LÉGISLATIVES 145
la paient sans aucune peine, trouver le moyen de la faire
acquitter par les gens pauvres qui, le plus souvent jusqu'ici,
ne la payent pas. La solution de ces questions a fait l'ob-
jet d'importantes discussions dans les divers congrès natio-
naux ou internationaux, dans les séances de diverses socié-
tés de droit pénal, depuis un certain nombre d'années(l).
Les différents travaux qui ont eu lieu à ce sujet, tra-
vaux sur lesquels nous aurons incidemment à revenir,
attirèrent naturellement l'attention sur une question voi-
sine : la réparation civile.
Plus d'une fois, dans les séances des congrès ou des
sociétés de droit pénal, la discussion avait glissé de
l'amende à la réparation civile. C'est qu'il y a là, en effet,
deux institutions que réunit une affinité profonde dans
leurs résultats pratiques. Au point de vue théorique, il y a
bien sinon un abîme, du moins un fossé suffisamment
marqué entre l'amende, qui est une peine, dont l'État pro-
fite, que le juge peut prononcer s qu'il est saisi de
l'affaire et la réparation qui n'est qu'une compensation
accordée à la partie lésée sur sa demande. Mais ce fossé
peu à peu creusé au cours des siècles, laisse subsister
bien des caractères communs entre les deux choses. Il y
a d'abord cette ressemblance toute matérielle : l'amende à
l'époque actuelle est toujours en argent, la réparation
revêt dans la plupart des cas la forme de dommages-inté-
rêts pécuniaires. Qu'elle soiten argent ou non, l'indemnité
(1) V. le' Congrès de l'Union internationale de droit pénal, Bruxelles,
1880. Congrès pénitentiaire de Home 1885. Congrès de Halle
(groupe allemand de l'U. F.D. P.) 1891. 2 Congrès des jurisconsultes
allemands 1895. — V. Revue pénitentiaire, 1893, p. 903.
10
146 DEUXIÈME PARTIE
accordée à la victime, comme l'amende, a pour effet d'at-
teindre le condamné dans son patrimoine. Peine ou non,
peu importe au fonds pour le déliuquaut, l'effet le plus clair
pour lui, c'est qu'il est obligé de payer les deux choses sur
son patrimoine, l'une comme l'autre diminuent son avoir.
Mais l'amende et la réparation ne sont pas seulement
réunies par un lien tout matériel. Considérées au point de
vue de l'effet utile qu'elles peuvent produire sur le cou-
pable, elles présentent des affinités profondes, elles sont
appelées à se compléter mutuellement dans certains cas.
Dans quel cas, en effet, la science pénale contemporaine
veut-elle augmenter le rôle de l'amende, on faire une peine
de premier plan, la sortir do la situation effacée qui est
actuellement son apanage ? C'est surtout pour les délits qui
dénotent chez leur auteur un instinct de cupidité que rien
ne refrène, un désir de s'enrichir qui ne s'arrête pas devant
les barrières de la morale. A une condition toutefois, c'est
que ces mêmes délits ne méritent pas pour une raison
particulière : leur gravité intrinsèque, ou la qualité de
récidiviste chez le délinquant, une répression sévère, un
emprisonnement delongue durée. C'est par exemple, un !
abus de confiance commis par un homme jusque hon-
nête, un vol commis au préjudice de son patron par un
employé auparavant estimé. En présence de ces individus
dontles délits montrent peut-être moins le désir de faire le
mal ou des instincts anti-sociaux, que la volonté de
s'enrichir coûte que coûte, sans souci des moyens, en pré-
sence d'infractions qui sontXplulôt l'indice d'une faiblesse
de caractère chez leur auteur que d'un naturel pervers, la
peine pécuniaire semble, en effet, offrir de meilleures
ALIORATIONS LÉGISLATIVES 147
garanties que les peines d'emprisonnement. La privation
temporaire de liberté ne sera parfois qu'un faible palliatif
contro une convoitise surexcitée affranchie de scrupule moral.
Elle pourra perdre pour toujours un homme dont le caractère a
faibli un moment devant ses entraînements, en lui infligeant
une tare trop marquée aux yeux de la société. 1
La peine pécuniaire assez souvent car il faut se garder
de généralisations exagérées, pourra être d'une utilité
réelle. Elle atteindra le coupable par son côté faible. L'endroit
même où il n'est pas suffisamment cuirassé contre la tentation
du mal est celui qu'on choisira pour faire nétrer en lui des
sentiments plus conformes aux besoins sociaux, et peut-être
aussi, à leur suite les sentiments de justice qui lui manquent.
C'est ce que Ton fera, si l'on montre à cet individu : tout
d'abord que son délit ne lui a pas profilé, mais qu'il « lui a été
au con traire trèsnuisible, parce que, non seulement le
bénéfice qu'il en attendait a été tout à fait nul. mais qu'en
outre, il a supporter une perte de son propre argent. C'est
ce qu'on peut réaliser en forçant le coupable à réparer le dom-
mage matériel ou moral causé par son délit, soit en lui faisant
payer une somme d'argent, soit en l'obligeant à travailler au
profit de la partie lésée » (•!).
Ce n'est pas à ce point de vue, quelque important qu'il soit,
que nous devons considérer la réparation civile. Si le
paiement d'une indemnité peut tenir une certaine place, avoir
une certaine efficacit&comme moyen de répression, les délits
où il peut jouer ce rôle ne sont, après tout,
(1) Garofalo. Criminologie, 3/ partie, ch. 1", Ira il. fraaise, éd.
1888, p. 240. — Cf. Hipparasione aile viltime ciel delillo, p. 24.
148 DEUXIEME I-ARTIE
qu'une minorité, comparés au total des infractions qui peu-
1
vent
causer des dommages à des particuliers. L'obligation; de réparer
complètement le'préjudice causé peut constituer
1
un sérieux
avertissement, mais seulement dans certains; cas. S'il s'agit d'un
fait donnant lieu par lui-même à une peine grave : comme un
emprisonnement de longue durée, la condamnation à une
indemnité n'ajoutera que peu de: chose à la sévérité de la peine.
C'est principalement un point de vue de la protection des
intérêts lésés par le délit, que nous aurons à nous placer, et nous
aurons surtout à étudier les moyens d'assurer d'une façon
efficace une réparation à la victime du délit.
encore nous retrouverons un trait commun à la réparation
civile et aux peines pécuniaires et qui se rattache un peu à ce lien
matériel que nous signalions tout à l'heure : ce sont les moyens
d'assurer le paiement de ces deux sortes de condamnations. On
peut se demander si les mesures qui ont été proposées pour l'une
ne peuvent pas l'être pour l'autre. Les tentatives des législations
étrangères et les projets des jurisconsultes concernant les
amendes peu- | vent éclairer la recherche des améliorations à
apporter à la réparation des délits.
Cette question fort complexe a été principalement discutée
dans les divers congrès de droit pénal, tenus depuis une
quinzaine d'années. Déjà il y a plus d'un demi-siècle-Bonneville
de Marsangy avait montré la nécessité de réformes sur ce point
dans un discours de rentrée au tribunal civil de Reims, le 4
novembre 1845 (1). Malgré ce dis-
(1) V. aussi ses Institutions complémentaires du régime péni- !
tentiaire.
M
AMELIORATIONS LÉGISLATIVES
149
cours fort intéressant, la question ne semble pas avoir
attiré l'attention jusqu'à ce que l'éclosion de l'école italienne,
réveillant la discussion sur tous les points du droit pénal, ne
mil en lumière la situation déplorable faite aux intérêts civils
de la partie lésée. Réunissant comme en un faisceau les
défauts des législations actuelles, pour mieux s'attaquer à ce
qu'ils appellent « la théorie ducrime selon les juristes », les
positivises italiens n'eurent garde de gliger un point le
vice était palpable. Ne reculant devant aucune mesure,
quelque duro fut-elle, dans la lutte contre les délinquants, ils
proposaient en même temps les moyens les plus énergiques
pour assurer la réparation civile des délits. C'est ce qui fut fait
notamment au congrès d'anthropologie criminelle de Rome en
1885, et deux ans plus tard, par un des plus infatigables
défenseurs des doctrines nouvelles en ces matières, M.
Garofalo, dans son ouvrage : Rippa ras ione a lie cil lime de/
délitlo.
Depuis, de nouveaux débats se sont élevés sur celte
question au congrès de l'Union Internationale de Droit pénal,
tenu à Christiania, en 1891. Plus récemment encore, les
moyens de rendre plus efficace la réparation civile ont fait
l'objet de discussions au Congrès pénitentiaire international
de Paris en 1893. Ce dernier congrès a renvoyé à plus tard
l'examen de certains points sur lesquels il ne se trouvait pas
suffisamment informé (1;. Néanmoins, le mo-
'1) Ces questions ont été déjà l'objet de quelques échanges de vue
au Congrès de St-Pétersbourg de 1890 (l" section, 4» question : Des
condamnations conditionnelles, (acte du Congrès, I. p. 167), à la
Socié générale-des prisons {Revue pénitentiaire, 1893, p.705). Elles
ont été discutées plus complètement au Congrès juridique italien de
Florence en 1S9I, sur un rapport de M. Garofalo.
150 DEUXIÈME PARTIE
ment semble être veau de réunir les diverses opinions
émises, les différentes solutions proposées au cours de ces
dernières années, de chercher à les serrer de plus près ;] ce
qu'il n'est pas facile de faire, au milieu des discussious d'un
congrès: car les théories qui s'entrechoquent ne laissent pas
toujours voir du premier coup leur côté faible. Il est plus
aisé, dans un travail solitaire, de juger chaque principe, de
mesurer l'étendue de ses conséquences, d'ap-l précier la
valeur de ses motifs. C'est l'effort que nous allons tenter au
cours de cette étude.
Nous diviserons notre sujet en quatre parties.
Dans un premier chapitre, nous étudierons la réparation
civile dans sa nature, nous verrons s'il convient ou non de
changer son caractère, dans quelle mesure la victime du
délit mérite une protectiou spéciale de la part du légis-
lateur.
Reprenant ensuite, au point de vue législatif, des ques-
tions déjà examinées au point de vue du droit actuel, nous
nous demanderons quelles sûretés nouvelles, quels recours
il faudrait accorder à la victime, pour lui assurer le paie-
ment de son dû, quelles modifications il conviendrait d'ap-
porter aux voies d'exécution actuellement existantes.
Nous essaierons, dans un troisième chapitre, de délor-
miner quels rapports il convient d'établir entre l'exécution
de la paration et la peine. 11 y a là tout un ordre de
questions inconnues au droit français actuel, presque
inconnues aux législations étrangères et dans lequel la
science pénale parait décidée à pénétrer franchement.
Enfin, nous reprendrons les questions do procédure
déjà indiquées sous un autre aspect. Nous rechercherons
AMÉLIORATIONS LÉGISLATIVES 151
quelles améliorations sonl nécessaires, pour rendre plus facile
à la partie lésée la reconnaissance et la liquidation de ses
droits, ainsi que l'obtention d'un litre exécu-IgjrëS
HAPITKE PREMIKK
DES DROITS DE LA PERSONNE LÉSÉE
Deux idées résument l'histoire des droits reconnus à la
victime d'un délit. La notion de réparation civile, s'est avec
le temps, de plus en plus dégagée et affinée. La situation de
la personne lésée, s'est à mesure amoindrie. Tels sont les
doux principes, dans lesquels semble se condenser la rie
des lentes transformations subies par notre
1
législation en
cette matière.
Nous avons indiqués plushautlc caractère mixtedes an-
ciennes compositions, comment elles correspondaient à la
fois à une peine et à une réparation, comment elles ne
remplissaient ce dernier rôle que d'une façon approximative,
la composition ayant une certaine corrélation avec
l'étendue du dommage causé, mais ne le suivant pas dans
toutes ses variations. Ce ne fut qu'après un lent travail de
plusieurs siècles, que l'idée de réparation se dégagea de
celle de peine, s'affirma dans son existence distincte. De-
puis cette notion à peine dégrossie au xv« siècle, s'est af-
finée, a pris plus de souplesse, on a pris plus de soin de
poursuivre le dommage sous toutes ses formes. La juris-
DES DROITS DE LA PËllSONNE SÉE 153
prudence en est arrivée à l'heure actuelle à accorder ré-
paration non seulement pour un dommage matériel, mais
même, pour un dommage moral, ou un simple intérêt
d'affection lésée. Il est vrai que sur ce dernier point elle
est bien sitante, elle évite de se prononcer catégorique-
ment si elle le peut. Néanmoins tous les intérêts des par-
ticuliers atteints par le délit semblent ait point de vue
théorique, à peu près suflisammcntprotégés.
Par contre, la situation de la victime du délit s'est
amoindrie à mesure que l'idée de réparation se perfection-
nait. Ses droits n'ont cessé de diminuer, le souci de ses
intérêts tient de moins en moins de place dans l'esprit du
législateur. Le rôle qu'elle occupait dans l'action
publique s'est fait plus étroit, à mesure que le ministère
public se faisait plus puissant. Primitivement appelée seule
à poursuivre la pression do tous les crimes, puis seule-
ment de presquo tous, elle occupait une situation
moindre, quoique importante encore, dans lo système de
l'ordonnance do 1670. Jouissant d'un rôle important dans
la procédure, elle était cependant gênée par une lourde
charge : l'obligation aux frais dans tous les cas. L'esprit
néreux de la volution agit un moment, et remit la
partie lésée, quant à l'action publique, dans sa place véri-
table. Mais ce changement ne dura pas. La législation
impériale se rapprocha du système de l'Ancien Droit,mais
se montra moins large que lui à l'égard de la partie civile.
Celle-ci peut bien encore mettre en mouvement l'action
publique, et encore cela est il contesté à l'égard des cri-
mes, mais l'exercice del'action publique ne lui appartient
plus, il est dévolu uniquement aux fonctionnaires du
134
DEUXIÈME PAHTJB.
CUAP. I
ministère public. Et même, ce droit de mettre en mou-
vement l'action publique, seul débris d'une situation!
autrefois prépondérante, a-t-il éplus d'une fois menacé.
La pratique des parquets n'a cessé de contester à la per-
sonne lésée le droit de saisir par sa plainte Je juge d'ins
truction. La Chambre des députés avait voté en 1842 un
projet tendant à restreindre le droit de citation directe (1),
en exigeant, pour que la citation put être lancée, une
autorisation du ministère public. En 1883, une disposition
votée par le Sénat, dans son projet de réforme du Gode
d'Instruction criminelle enlevait à la partie civile le droit
de saisir le juge d'instruction par une plainte déposée entre
ses mains. « L'Etat, a-t-on dit, ne doit pas aux particuliers
ses juges d'instruction ». Quelque soit la valeur de cette
affirmation, il faut bien le reconnaître. depuis longtemps,
le d rôtit, l'esprit du parlement tendent à restreindre de
plus en plus le rôle de la victime du délit. On semble se
défier toujours davantage des actes de procédure
criminelle qui n'émanent pas du Ministère public, qui n'ont
pas été provoqués par les représentants de l'État.
La situation de la partie lésée s'est aussi amoindrie à un
autre point de vue. Non seulement, on lui a fait une place
toujours plus étroite dans l'action publique, mais le
législateur a pris de moins en moins souci de la réparation
civile. D'ailleurs, n'est-ce déjà pas nuire à la partie | lésée
que de lui ouvrir toujours moins large laporte du tri-
(1/ V. La citation devant les tribunaux correctionnels pur Caii-
vel. Kev. Wolotcs/iy, tome XXJX, p. 307.
DES DROITS DE LA PERSONNE LESEE
155
nal répressif, d'accumuler les obstacles dans la voie qui
devrait être pour elle la plus commode ? Coucevrait-on,
qu'avec cette défiance vis-à-vis de la personne lésée, on
fut fort enclin à s'occuper beaucoup de lui assurer une ré-
paration.
Une autre idée amena aussi le législateur à laisser la
victime dans la situation déplorable qui lui est faite actuel-
lement. C'est laparai ion de plus en plus nette de la peine
et de la réparation, la distinction toujours mieux faite en-
tre le châtiment etp'indemnité. Ce n'est pas que celte idée;
fort juste en elle me, conduisit forcément à un pareil
sultat. Mais elle en fut cependant la cause indirecte. A
mesure que cette idée, lentement éclose, prenaitplus d'im-
portance dans les esprits, ceux-ci se laissaient inconsciem-
ment dominer par cette opinion que la réparation civile,
étant une question de droit civil, devait se régler comme
n'importe quelle autre question de droit civil. On est ar-
rivé peu à peu à se figurer que la créance de la victime
contre son agresseur, devait être traitée comme toute au-
tre créance, ne devait pas occuper une situation à part.
Ayant dégagé ces deux idées que la pénalité était
d'ordre public, qu'au contraire la réparation n'était qu'une
chose d'intérêt privé, on en arriva insensiblement à ne
plus tenir compte do la réparation civile. La répression
étant la chose la plus importante, puisque seules elle était
d'ordre public, on en vint à ne plus s'occuper que de la
répression, à tenir pour quantité négligeable les intérêts
privés sés par le lit. « Le droit pénal moderne a rejeté
complètement dans l'ombre la partie sée, pour laisser
apparaître au premier rang leiiiiiui^
06
*£CU*SQS
i36
DEUXIÈME PARTIE. — CUAP.
I
1ère public exerçant la justice au nom de tous. Au rétablissement
pratique du trouble causé, c'est-à-dire à l'obligation d'indemniser
la victime, a succédé comme but essentiel le tablissement
théorique de l'ordre, c'est-à-dire l'exécution d'une condamnation à
la prison. Le législateur se contente d'une sorte de répression
idéale qui • plane au-dessus des réalités de ce monde et des
exigences do la partie lésée » (1).
Sous l'influence de tant de causes diverses, la paration civile
est devenue ce qu'elle devait être nécessairement : un précepte
légal, et rien de plus. Le droit à un dédommagement est, pour la
victime, presque illusoire. Il y a plus d'un siècle, Lacretelle Je
disait déjà : « à force de voir une attaque publique dans les crimes
privés, n'a-t-on pas trop oublié la réparation particulière Le
temps, loin d'effacer cernai, n'a fait que l'aggraver. Il s'est même
entendu dans des proportions extraordinaires à mesure que s'est
accusé davantage l'accroissement de la criminalité. On s'en rendra
facilement compte, si l'on songe que les affaires soumises aux
tribunaux correctionnels qui, pendant le second quart de ce siècle,
étaient en moyenne de d40,000, atteignent aujourd'hui le chiffre
de 400,000.
. En présence de co débordement inouï de la criminalité, une
situation déplorable reste faite aux victimes des .diverses
infractions. La partie lésée peut bien faire citer le linquant
devant le tribunal répressif, ou intervenir sur la procédure
commencée à la requête du parquet. Mais
'1) Prins, Rapport au congs de Christiania. Bulletin de VU. I. D.
P. 3' année, p. 121, et rapport au Congs de Paris, 1895 Bull, de
la commission internationale yen Uenlitfire, V, p. 6$.
V!*
DES DROITS DE LA PERSONNE LÉE 137
elle encourt de lourdes obligations. Aussi sans espoir do
succès matériel, pour éviter les frais d'un procès périlleux, elle
néglige môme d'avertir le ministère public du délit commis à
son préjudice. L'oubli des intérêts delà partie lésée influe donc
indirectement sur l'ordre social. Des faits graves peuvent
rester impunis, parce que la victime, exposée à trop de
mécomptes, si elle veut réclamer un dédommagement, préfère
rester inactive.
Si la victime arrive à faire reconnaître et liquider ses droits,
elle est encore loin de pouvoir compter sur le paiement de son
dû. Le droit de recourir contre des personnes civilement
responsables n'a qu'une efficacité limitée. Les diverses sûretés
réelles attachées la créance en indemnité sont à peu près
inutiles. La plupart des criminels, en effet, sont des
insolvables.
Consultons les statistiques criminelles. Sur 4.000 individus
traduits en Cour d'assises, 345 sont classés comme gens sans
aveu. À eux seuls, ils ont commis cinq pour cent des crimes
contre les personnes, et dix pour cent des crimes contre les
biens. Ce sont autant de condamnés dont l'insolvabilité est
certaine. Pratiquement, il faut aussi compter comme
insolvables les domestiques et journaliers, qui, sur 4269
accusés sont au nombre de 1759, soit près de la moitié (1).
Pour les délits, les statistiques actuelles ne donnent pas. ces
renseignements, c'est une lacune regrettable, mais les
(1) Ces chiffres sont empruntés à la Statistique criminelle pour
l'année 1893. En 1894, sur 3.975 accusés, il y a eu 313 gens san*
aveu et 1,602 domestiques et journaliers.
188
DEUXME PARTIE. CHAP. I
indications que nous venons de donner suffisent à donner
un aperçu du nombre des insolvables.
Si Ton est en présence d'un délinquant qui possède
quelques biens.la situation du créancier n'est pas beaucoup
meilleure. Les coupables emploient toutes les ruses pour
faire disparaître ce qu'ils possèdent. D'ailleurs, comment
s'attendre à ce que des gens pareils fassent preuve de
beaucoup de scrupule à l'égard de leurs créanciers ? Les
faits sont malheureusement pour donner un menti à
ceux qui conserveraient quelques illusions. Avant qu'on
puisse exercer des poursuites sur leurs biens, les criminels
ont trouvé à les faire passer en mains tierces au moyen
d'actes similés, ou bien à faire partir des meubles de prix
pour l'étranger.
La contrainte par corps, bien organisée, pourrait être une
arme sérieuse pour contraindre au paiement.
La contrainte par corps, a bien été conservée à l'égard des
délinquants, par la loi de 1867, mais bien imprudent serait
le particulier qui voudrait en user. L'exercice de la
contrainte, pendant une année, ne l'obligerait pas à une
dépense de moins do 4 à 500 fr. (1). Pour ce prix; le
créancier verra son déhiteur logé, chauffé, nourri, vivre
pendant une année dans une douce oisiveté. Car il ne faut
jamais l'oublier : les contraints par corps ne sont pas obligés
au travail. Les rôles, ici, sont renversés : ce n'est pas le
créancier qui profite du travail de son débiteur, c'est le
débiteur qui vit aux frais de son créancier.
(1) La consignation des aliments est, par mois, de 45 francs a Paris,
<<0 francs dans les villes de 100.000 âmes, de 35 francs dans les autres
fart^fiJ-29 i»"
1
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ieu
"'
i
"autres (art. 6, 1. 22 juillet 1807).
DES DROITS DE LA PERSONNE LÉSÉE 1S9
Seuls, les délinquants jouissent d'un pareil privilège. Vol- |
là à quels abur, mène la sensiblerie et l'humanité mal
comprise.
Sans droit sur le pécule du condamné, hésitant avec
raison à user de la contrainte par corps, le créancier est à
peu près sarmé. D'autre part, le condamné ne bénéficiant
d'aucun avantage, d'aucune réduction de peine, s'il
indemnise la personne lésée, n'est guère pous par son
intérêt, dans la voie de la réparation. Les droits de la
victime ne sont pour elle qu'une formule décevante.
Pendant qu'elle fait de vains efforts pour obtenir quel*
que dédommagement, « le coupable logé, nourri, vêtu,
chauffé dans une cellule modèle, eu sort avec un petit
cule légitimement gag ; il a payé sa dette à la société»,
il peut narguer sa victime. Celle-ci a une consolation,
c'est de penser que, par les impôts qu'elle verse au Trésor,
elle a contribué aux soins paternels dont le délinquant a
été entouré pendant sa détention » (1).
Le scandale est d'autant plus grand que, dans la majori
des cas, les victimes ne sont pas dans une situation beau-
coup plus fortunée que leurs agresseurs. Les personnes
riches, ou tout au moins dans l'aisance, ont bien plus de
chance que les personnes pauvres de n'être pas victimes
de lits. Les quartiers qu'elles habitent ou qu'elles fré-
quentent, les personnes avec lesquelles elles sont en rap-
port, lout cela constitue comme autant de sauvegardes.
Les individus qui jouissent d'une certaine fortune ont
mille moyens de se protéger, de veiller à la garde de leurs
(1) Prins. Rapport précité. Bull, de VU. I. D. P. 8« année, p. 136.
160 DEUXIÈME PARTIE. — CHAI*. I
biens, que ne possèdent pas les autres.:En. leur absence, ils
peuvent faire surveiller leurs biens, leurs propriété», par des
domestiques ou d'autres personnes à leur service (1). Il ne faut
pas pousser ces idées jusqu'à; Kexagé" ration. On doit
reconnaître que certains crimes, qui causent ordinairement un
dommage très considérable sont, le plus souvent, commis au
préjudice de gens riches : il en sera souvent ainsi du crime de
banqueroute frauduleuse, des vols ou détournements commis par
des caissiers à l'égard de leurs patrons, des incendies volontaires,
et encore, dans ce dernier cas, il s'agira souvent de la maison du
paysan pauvre. A l'inverse, c'est dans les classes les moins for-
tunées que l'on trouvera ordinairement les victimes de tous les
crimes contre les personnes, lesquels, dans le total de la
criminalité, n'occupent pas moins des trois septièmes (2).
La réparation civile des délits mérite donc particulièrement
l'attention du législateur, la situation ordinairement digne
d'intérêt du créancier, le peu de pitié que mérite ici le débiteur,
tout devrait concourir à faire assurer davantage à la victime
d'une infraction le paiement d'une indemnité.
Si, regardant au delà de nos frontières, nous jetons un coup
d'oeil sur les législations étrangères, nous voyons qu'elles ne
paraissent pas beaucoup mieux partagées que
(1 ) Celte ie a été mise en lumière pour la première fois par M. Zuc»
ker. Rapport au Congrès de Paris, 1895. Bull, delà comm.ni-
tentiaire, IV, p. 67.
(2) En 1893,1838 accus, contre 2431 accusés de crimes contre les
personnes. H
DES DROITS-DE LA PERSONNE LÉSÉE 161
la nôtre. Dans les divers congrès internationaux, les cri-
minalistcsse sont accordés à reconnaître l'insuffisance en cette
matière des législations européennes. Partout les mêmes
fraudes, la môme insuffisance des lois pour protéger les
intérêts do la victime (1). Nous trouvons bien cà et là [au cours
de celte étude telle disposition utile dont notre législation ferait
bien de s'inspirer. Mais aucune de ses dispositions, et il n'y
a pas lieu de s'en étonner, — n'a la vertu magique d'assurer à la
victime partout et toujours le paiement de son dû, ce n'est que
réunies ensemble, groupées avec méthode que ces diverses
mesures, comme tout ce que peut créer la prévoyance
humaine, peuvent produire quelque effet. Peut-il suffire, par
exemple, comme le fait le Code Italien, de diminuer la peine
de celui qui réparc volontairement son lit, si d'un côté, celle
faveur ne s'applique qu'à un petit nombre d'in* fractions, si
d'autre part le délinquant n'a pas les moyens de réparer
actuellement le dommage? Ce n'est pas une mesure
judicieusement choisie, qui peut à elle seule suffire à atteindre
le but, ce n'est qu'un réseau de moyens appropriés, qui peut
rendre de réels services.
Aucune législation étrangère ne présentant un système
complet qu'il soit possible d'acclimater chez nous, ou dont on
puisse largement s'inspirer, une étude de législation comparée
serait ici hors de propos. Ënumérer quelques dispositions
éparses à travers les lois d'un pays étranger,
(1) Un magistrat espagnol, M. Armengol y Cornet, constate que plus
de 95 fois sur 100, la victime n'obtient pas réparatioh. Kapp. au congrès de
Paris, 1895. Bull, de In commission pénitentiaire, V,
11
I
162 DEUXIÈME PARTIE. — CHAI». !
constater partout l'insuffisance presque absolue 4e mesures
efficaces, nous faire l'écho des critiques que Cet état de
choses a provoquées, serait un travail fastidieux autant
qu'inutile. Lorsque nous étudierons séparément les
diverses mesures possibles pour améliorer notre législa-
tion, les lois étrangères nous offriront au contraire-un utile
appoint. Nous aurons à nous demander, à propos de
chacune des améliorations proposées, s'il n'existe pas
quelque règle de ce genre à l'étranger, si cette règle y a
donné tout ce qu'on en pouvait attendre, s'il est utile de la
transplanter directement chez nous, si elle n'appelle pas
auparavant quelque retouche. Nous n'étudierons pas de
système des lois étrangères, en notre matière il n'y en a
pas, mais nous chercherons à nous inspirer des disposi-
tions utiles qui peuvent exister dans ces lois.
II
Nous avons constaté le mal : l'insuffisance de notre lé-
gislation en matière de réparation civile des délits, il faut
maintenant rechercher les remèdes appropriés. Avant
d'aborder cette tâche délicate, examinons si, en dépit de
ses défauts, notre droit ne contient pas quelques solides
assises, sur lesquelles peut reposer tout l'édifice que nous
1
projetons. Les mesures nécessaires font défaut, sont mal
organisées, insuffisantes, la yictime d'une infraction n'a!
pas d'armes à sa disposition, ou n'a que des armes émous-
sées ou rouillées, tout cela appelle une transformation ;
DES DROITS DE LA PERSONNE LÉSÉE 163
mais un principe, celui do la réparation civile, ne doit-il
pas survivre ù tous ces changements ? Faut-il au contraire
lui substituas l'idée de l'amende à la partie lésée ? La
réparation civile, telle que nous l'avons étudiée, telle que
que nous l'avons vu se gager lentement au cours des
siècles, est-elle seulement une l'orme, quo doit temporai-
rement revêtir l'idée de justice humaine, mais destinée
dès maintenant à faire place à une conception plus par-
faite ?
Cette idée nouvelle de l'amende au profit de la partie
lésée jouit, à l'heure actuelle, d'une certaine faveur. Sans
parler des positivistes italiens qui s'en sont fait les apô-
tres convaincus, cette idée a trouvé faveur auprèa de bon
nombre de jurisconsultes et a péuétré dans plusieurs
gislations (1). Afin d'en pouvoir mieux préciser la portée,
nous allons d'abord parcourir les articles des codes
étrangers qui l'ont adoptée (2). Deux législations sont à ce
sujet particulièrement connues : celle de l'empire d'Alle-
magne et celle de l'Italie.
Le Code pénal allemand de 1870, porte (art. 188) que
dans les cas de diffamation ou de calomnie « lorsque l'in-
jure aura porté préjudice à la fortune, à la position, ou à
l'avenir de l'inculpé, le tribunal pourra, eu outre de la
peine prévue, prononcer au profit de ce dernier, sur sa|
demande, une amende qui n'excédera pas 2,000 thalers.
Il) V. Oarofalo. Ripparaziunc aile vittime del délilto, ch. III.
I.'ammenda a favore délia parte lésa, p. 24. V. également sa Crimi-
nologie et ses discours et rapports aux différents congrès. Cf. R. dej
la Grasserie, Revue critique, 1897, p. 35.
(2) V. sur ce point, Le Poitlevin. Etude sur le projet de Code pénal.
Revue pénitentiaire, 1803, p. 163.
164 DEUXIÈME PARTIE. CUAP. I
Dans ce cas, l'offensé ne pourra plus obtenir d'autres
dommages-intérêts ». L'article 231 permet également, en cas de
lésions corporelles, d'attribuer à la partie lésée une
1
composition
(Busse) de 2,000 thalers au maximum. El le payement de cette
composition exclut aussi le droit de demander d'autres
dommages-intérêts (1). Inspirées du même esprit, une série de
lois plus récentes ont étendu l'amende,en faveur de la partie
lésée, à des délits en matière de propriété littéraire, artistique et
industrielle (2). Ce sont là des innovations, la législation pénale
allemande n'offrait eu ce siècle aucun antécédent et, en parti-
culier le Code pénal prussien de 1850, dont la législation de
l'Empire s'est si souvent inspirée. La différence entre celte
composition et notre réparation civile est assez sensible. Le juge
allemand peut allouer un somme d'argent, qui ne soit pas en
rapport avec le dommage causé : il peut, sans violer la loi, en
présence d'un préjudice de quelques 1 marcks. accorder une
composition do 6,000 marks (2,000 thalers de l'ancien système
monétaire). Le juge français ne le pourrait pas. Toutefois, ce
pouvoir arbitraire du juge allemand reçoit deux limitations : il
faut qu'il y ait un préjudice causé, la loi le dit expressément (art.
188): ensuite la victime ne peut cumuler la composition et des
(1) V. ces art. Annuaire de législation comparée, 1871, p. 131 et
138.
(2) V. art. 18, loi du 11 juin 1870 sur les droits d'auteurs. Ann. de
lléffislat., i871, p. 205. Art. 15, loi 30 novembre 1874, sur lesmar-'
ques de fabrique. Ann., 1874, p. 140. — Art. 16, loi du 9 janvier 1876,
sur les droits d'auteurs pour les œuvres des arts figuratifs. A nn., 1876,
p. 100. —Art. 9. loi du 10 janvier 1876, sur la protection des œuvres
photographiques. Ann., 1876, p. 112. Art. 14, loi 11 janvier 1876,
sur les dessins et modelée industriels. Ann., 1876, p. 130.
DUS DI10ITS DE LA PERSONNE LBSÉB 16o
dommages-intérêts: de celte façon, elle recevra,en définitive,
son indemnité cl. ce que le juge voudra lui attribuer entre cette
somme et le maximum fixé par la loi. Si l'indemnité s'élève
déjà à quatre ou cinq mille marcha, la victimo n'obtiendra
guère plus par le système allemand que par le système
français. Si l'indemnité dépasse 6,000 marks, elle obtiendra
même moins, sauf à elle le droit de rononcer à l'amende et de
porter son action devant les tribunaux civils. On le sait, en
effet, et cela a donné certainement plus de relief à l'idée de
composition, dans le droit allemand, la victime ne peut joindre
son action à une accusation publique que dans des cas
exceptionnels, comme celui-ci. En principe, dans le droit
allemand, toute action en réparation est nécessairement portée
devant le juge civil (1).
L'amende en faveur de la partie lésée se rencontre aussi
dans le Code italien, mais dégagée des restrictions qu'elle
comportait dans le droit germanique. D'après le nouveau
Gode italien, fidèle en cela au Code, sarde de 1859 (2), « outre
les restitutions et le remboursement des dommages, le juge à
raison de tout délit qui offense l'honnenr de la personne, ou de
la famille, alors même qu'il ne leur a été causé aucun
préjudice, peut allouer à la partie offensée, qui en fait la
demande, une somme déterminée à titre de réparation » (art.
38).
(1) Art. 433. Code de procédure pénale allemande C'est une gle
qui existait déjà dans plusieurs états germaniques. Saxe, 434, Inst.
crim. ; grand-duché de Bade, art. 339. Instr. crim. CI
-
. Daguin. Code
de procédure pénale allemand, p. 233, note 1.
(2) Art. 73. Cette disposition avait été conservée dans les divers
projets : Mancini, Sitvelli et Pessiqa.
I
106 DEUXIEME: PARTIE. CHAP. I
Nous sommes ici en présence d'une notion nouvelle, et
complètement dégagée, ce n'est plus ici une simple action en
indemnité, mais une institution ayant un effet séparé, distinct et
indépendant, une véritable peine privée. Los travaux
préparatoires ont d'ailleurs mis ce point en pleine lumière. «
Cette paration, disait le rapport présenté à la Chambre des
Députés (i), est distincte du dommage moral dérivant, par
exemple, de la diminution, ou de la perle du crédit, ou de la
réputation sociale produite par un délit, qui atteint l'honneur ou
la pudeur d'une personne, ou du manque de direction d'une
famille, par suite du meurtre de celui qui la soutient. Le but de
la condamnation (ripparazione), ce n'est pas l'indemnisation
(risarcimenlo) d'un dommage direct, c'est la satisfaction de
l'outrago souffert, du ressentiment, du mécontentement produit
par l'offense sur l'âme de la victime, (la soddisfazione de!
oltraggio patito, del risentimento, del rammarico prodetto, dell
offesa sul aninio di chi ne e stato vittima)..., le but c'est de
renforcer l'efficacité de la répression, de constituer un
complément de pénalité » (2).
Ce passage suffit à mettre en relief le caractère de cette
amende privée, que l'on retrouve aussi dans le droit russe, à
montrer l'absence de corrélation qu'elle présente avec le
dommage éprouvé par la victime. Ce trait l'a fait rappro-
(1) ftelazione minisriale, p. 144,1887.
(i) Celle partie du code italien a été étudiée par Enrico Segré. La
ripparazione pecuniaria. Riv. pénale, XXXIV, p. 136. Il a développé
toutes les conquences pratiques du caractère de l'amende prie
notamment celles-ci : l'amende privée peut <Hre obtenue sans cons-
titution de partie civile — elle ne peut jamais être adjugée que par
le tribunal répressif lors de la condamnation du coupable.
c
DES DROITS DE LA IM5RSONNK LRSRK iffl
cher avec raison d'un certain nombre de réglés éparses dans
les législations civiles des différents peuples que l'on
rencontre aussi dans nos lois françaises et qui établissent de
véritables peines civiles. On pourrait notamment citer dans
notre Code civil les articles sur l'indignité successorale, la
révocation des donations pour ingratitude (art. 955), la
diminution des droits de l'héritier qui a recelé un objet
héréditaire (art. 792). Dans tous ces cas, la personne qui a été
lésée jouit d'un avantage qui sera souvent hors de proportion
avec le dommage subi. Mais la peine privée apparaît encore
beaucoup mieux en droit français dans les cas la
confiscation joue le rôle d'une réparation civile. Les œuvres
artistiques, les produits contrefaits, qui sont remis à la victime
de la contrefaçon, peuvent constituer pour elle un véritable
bénéfice. Si la confiscation a eu lieu, alors que fort peu
d'objets contrefaits avaient évendus, la contrefaçon aura pu
procurer un gain à celui qui en a été victime M).
De nombreux criminalistes appellent de leurs vœux la
généralisation des amendes privées. Il leur semble qu'il v a
un progrès à réaliser sur le droit actuel. Cette opinion a été
particulièrement défendue par M. Garofalo et! M. Alimena (2)
et elle a encore été soutenue tout récem-
(1) On trouvera une liste de peines admises dans divers pays:
Suède, Brésil, Venezuela, dans l'art, de M. R. delà Orasserle. La
participation de la partie lésée à l'action publique. Rev. crit. 1897, p.
35.
(2) Garofalo. Ouvrages, discours et rapports précités. Alimena.
Rapp. au Congrès de Berne. Bull, de l'U. 1. D. P. 2° année, p. 59.
Discours au congrès de Sl-Pétersbourg, 1890. Actes du congrès,
I. p. 193.
168 _ DEUXIÈME PARTIE. CIIAP. I
ment par M. delà Grasscrie. « Le voleur, dit-on (1), a délinqué,
en voulant s'approprier le bien d'autrui, autrui ne devrait-il pas
avoir le droit de s'approprier une partie équivalente du sien? Ne
devrait-il pas y avoir une rétorsion pécuniaire, de me qu'il y
a une rétorsion corporelle?... Cette peine est juste et utile, elle
ne fait double emploi, ni avec les dommages-intérêts, ni avec
l'amende, et elle serait un stimulant pour la répression, car
l'intérêt privé est très actif. Il faudrait, par conséquent, la
généraliser, car, cantonnée comme elle l'est, elle ne saurait avoir
un grand effet. On pourrait établir ce principe que, toutes les
fois que par vol, fraude, oudol, une personne a voulu nuire au
patrimoine d'autrui, en se l'appropriant, même quand ce fait ne
tomberait pas sous l'application de la loi pénale, elle devra
restituer non au simple, mais au double., quand il s'agit de
dommages consistant en lésions à l'honneur ou en lésions
corporelles... il devrait être permis d'allouer jusqu'à une fois et
demie le dommage constaté, caria situation faite par les
dommages-intérêts n'équivaut point à la situation première,
quand même on assurerait à la victime le même gain qu'elle
aurait auparavant ».
Malgré l'autorité de ses défenseurs, malgré l'appui qu'elle
trouve dans les législations récentes, l'amende on J faveur de la
partie lésée, ne nous parait guère offrir d'avantages. On veut que
la victime obtienne quelque chose de plus que l'indemnité, on
veut augmenter la portée de l'action accordée à la victime. Cela
aurait pour
(1) H. de la Grasserie, loc. cit.
r
DES DROITS DE LA PERSONNE LÉE 169
effet,dit-on, do stimuler la répression. Mais ce résultat ne
peut-il être obtenu par d'autres moyens ? C'est ce qu'on
peut contester ? Si l'on ouvre largement la voie
criminelle aux poursuites de la victime, si on lui donne
un chemin rapide et pou coûteux, pour obtenir une
indemnité, il'n'y a pas à craindre que la répression
sommeille, rien n'empêchera l'intérêt individuel de concou-
rir au bien social, aussi activement que s'il existait une
amende privée.
La réparation civile, telle que nous la recevons, lello
que nous l'avons vu dans notre jurisprudence, et surtout
avec les quelques améliorations que nous voudrons y voir
apporter, faisant état des intérêts moraux, des intérêts
d'affection blessés par le délit, cela n'est-il pas suffisant?
Nous tenons compte dans l'indemnité du dommage sous
toutes ses formes, dans la mesure nous lo pouvons.
Faut-il faire plus ? On le prétend, et ce dont on veut tenir
compte, c'est le sentiment do vengeance de l'offensé. Les
travaux préparatoires du Code italien le laissent
apparaître en parlant de la « satisfaction de l'outrage
souffert et du ressentiment Cela explique [pourquoi les
lois étrangères parlent principalement d'amendes privées
lorsqu'ils'agit d'atteinte à la personne ou à l'honneur, là où
le sentimeut de la vengeance apparaîtra le plus vif.
Qu'est-ce alors en définitive ? C'est le wergeld du droit
germanique, ce sont les peines du double, ou du quadru-
ple de l'ancien droit romain, ce sont les compositions des
peuples primitifs, c'est tout cela qu'on réintroduit sous ce
nom bâtard d'amende en faveur de la partie lésée. Les
défenseurs de ce système l'avouent hautement, les uns
11'70- DEUXIKMR PARTIE). — CIIAP. I
invoquant, h leur appui, le droit romain, d'autres disant qu'il faut
à la place du dédommagement actuel, tablir dans une certaine
mesure les antiques compositions (1)1 Est-ce un progrès ?
N'avons-nous pas vu, et c'est pour cela qu'il nous était
nécessaire d'insister sur l'histoire delà réparation civile,
n'avons-nous pas constaté que le progrès de la civilisation a
partout amené la disparition des peines privées? Le droit romain
les abandonnait en se perfectionnant. Les actions créées par lui
durant l'époque classique, et même avant, en faveur de la
victime d'un délit n'étaient pas des actions au double ou au
quadruple, mais des actions donnant droit au montant du
dommage causé. Le droit français a suivi la même voie. Il est
vrai que l'évolution du droit a de ces retours, qui, après un long
stade, ramènent les peuples non loin de leur point de départ. Les
institutions primitives, après une éclipse momentanée,
reparaissent quelquefois dans la vieillesse des peuples, mais
plus savantes, as souplies et perfectionnées. Serait-ce le cas
ici ? Le législateur moderne, aurait-ileu tort de ne pas faire,
dans nos lois, une place à la vengeance ? En accordant une
simple réparation du dommage causé, ne pousse-1- il pas la
victime à se faire justice elle-même ? De nombreux délits ne
sont-ils que (es représailles d'une personne exaspérée par une
insuffisante satisfaction ? Gela n'est pas impossible, cela paraît
même assez vrai pour certains pays, notamment pour l'Italie.
Mais le législateur doit avoir un autre but que de favoriser les
désirs de vengeance ; qu'il laisse la victime pour-
(1) Garofaio. Ripparazione, p. 85
DES BKOÎTS Dl LA l'RRSONNR LBSÉE 171
suivre plus librement la répression, cela est juste et moral. Par
là il créera un dérivatif pour ses sentiments de colère, dérivatif
qui dans un certain état de civilisation, peut suffire à peu près
empêcher la vengeance. Mais suivre aveuglément les instincts
de la victime, rétablir ce rachat de la vengeance, c'est un
métier duquel il ne doit pas s'abaisser, à moins d'absolue
nécessité. Ce serait un progrès mal entendu de vouloir faire
rentrer dans nos lois des sentiments grossiers et injustes que la
civilisation en a fait disparaître (1).
En outre, ce système de l'amende privée conduirait
nécessairement à l'arbitraire. Sur quoi mesurer cette amende ?
Sur le deg de ressentiment de la victime ? C'est le plus
logique, si l'on veut empêcher le retour de la vendetta. Mais
ce degré est essentiellement variable suivant les individus, et
il faudra admettre que la victime aura droit à une somme
d'autant plus élevée que son caractère sera plus violent et
qu'on pourra redouter davantage une vengeance contre son
agresseur. S'occupera-t-on de la perversité du coupable ?
Pourquoi alors favoriser plus ou moins la victime, selon le
caractère de son agresseur ? trouver une règle fixe, un
principe qui puisse guider le
?
juge
Tant qu'on s'inspire de l'idée de réparation,alors môme que
l'on tient compte des intérêts moraux lésés, on a une base
solide pour déterminer ce qu'il faut attribuer à la victime :
l'étendue du mal causé à la victime. Mors de là, les
,1) y. En ce sens. Àschenitlo. Délia cosLituzionedel parle civile .
Riv. pénale, tome XXVIII.
3
172 *
DEUXIÈME PARTIE. — CHAP. I
tribunaux n'ont plus rien pour mesurer, avec quelque
approximation, les sommes qu'il convient d'allouer aux
personnes lésées.
Mais la théorie que nous critiquons pourrait s'expliquer'
peut-être par une remarque déjà faite par nous. Nombre de
criminalistes étrangers se plaignent de ce que les tribu
naux sont trop avares en mesurant l'indemnité due à la
victime. Les juges seraient trop enclins à ne compter quo
le dommage matériel, et à l'évaluer de la façon la plus
slricte (1). L'amende, en faveur de la partie sée, paraît
avoir été simplement un moyon mal choisi, pour sortir do
cette conception étroite delà réparation. On no croyait pas
pouvoir arriver de plein pied à tenir compte des intérêts
moraux et des intérêts d'affection lésés, peut-être parce
qu'on n'ose admettre que l'argent peut représenter autre
chose qu'un dommage matériel. On hésite un peu à ad-
mettre l'extension complète de la réparation hors de la
sphère des intérêts pécuniaires. Pour parvenir au résultat
souhaité, mais sans vouloir aller au-delà, on a alors
échafaudé une autre théorie (2).
S'il en était ainsi, le désaccord serait plus apparent que
réel. Nous aurions combattu une expression dangereuse,
plutôt qu'une théorie opposée à la nôtre. Accorder à la
victime une indemnité qui représente les dépenses
(1) Garofalo. Loc. cit. Cf. Armengol y Cornet. Rapport précité.
(2j Une certaine incertitude plane ici sur les œuvres de M. (îaro- |
falo. Tantôt il parle de réparation (Criminologie. 3*éd. p. 240), tantôt
il regarde comme nécessaire d'établir une amende en faveur de la
victime (Ripparasione, p. 36). Il semble que l'intention du Code
allemand a été simplement de tenir compte des intérêts purement
moraux de la victime.
c
DES DROITS DE LA PERSONNE LÉSÉE 173
faites par elle, les perles subies dans sa fortune ou son
crédit, tenir compte en outre de l'atteinte portée à sa con-
sidération, de l'anxiété, du la douleur éprouvées par elle,
voilà peut-être ce que l'on veut en définitive, en tous cas,
la seule chose qui nous paraisse raisonnable.
CHAPITRE II
DES MOYENS DE RENDRE EFFICACE LA PARATION CIVILE
Benlham a distingué les différentes formes que peut
prendre la satisfaction accordée à la partie lésée. Ce peut
être une satisfaction honorifique, en cas de délit contre
l'honneur : elle consistera alors dans la lecture à haute voix
de la sentence. La satisfaction peut être substitutive,
lorsqu'elle est fournie par un autre que le coupable, comme
une personne civilement responsable. Elle peut être encore
vindicative, c'est alors la peine. Enfin, et le plus souvent,
se sera une satisfaction matérielle, une indemnité
pécuniaire donnée à la victime.
Nous n'avons rien à dire de la peine. Nous ne parlerons
pas non plus des rétractations faites à l'audience. Elles ont
constitué, jusqu'à ces dernières années, une peine pos-siblo
dans certains cas, peine disparue depuis la loi du 28
décembre 1894. Il ne sauraitétre question de rétablir ces
vaines protestations de sentiments qui n'existent pas. La
réparation d'un délit consistera donc, ou dans des mesures
de publicité, ou dans une satisfaction matérielle au profit
de la personne lésée, Mettons à part les restitutions faites
directement à la victime de l'infraction par la justice, le
droit de la personne offensée va se traduire
c
EFFICACITÉ DE LA H Kl'A RATION CIVILE 178
presque toujours par une créance de somme d'argent.
Comment assurer l'efficacité de cette créance. La gis-
lation actuelle étant insuffisante pour triompher de la
mauvaise volonté, de l'insolvabilité du délinquant, quelles
améliorations sont nécessaires. Quels moyen» donner au
créancier pour assurer son paiement?
Bien des améliorations ont été proposées, d'autres en-
core seraient peut-être possibles. Mais comment se recon-
naître dans cet infini dale de projets, si nous n'avions
en main un fil pour nous conduire, si nous ne possédions
un critérium auquel rapprocher les diverses idées émises,
si nous ne cherchions à fixer sous un de ses innombrables
aspects ces éternelles idées de justice auxquelles tout se
ramène. Autrement, n'ayant plus l'idée du droit, n'ayant
plus nulle prise où s'arrêter, nos jugements iraient flottant
au hasard des hypothèses, guidés plutôt par les sentiments
que par les raisons. Envisageant au contraire les choses
d'une façon plus abstraite, nous pourrons les considérer
déplus haut, nos conceptions générales seront moins
formées, peut-être, par la complexité des faits. Rocher-
chant des principes applicables à toutes les hypothèses,
nous pourrons mieux dominer le champ de nos recher-
ches.
La loi accorde à tous les créanciers une même protec-
tion. A tous elle reconnaît un droit de gage général sur
les biens de leur débiteur. Ils peuvent les saisir, les faire
vendre, poursuivre l'annulation des actes passés fraudu-
leusement, exercer les actions de leur débiteur. En cas
d'insuffisance de ses biens, la loi partage également l'actif
entre les créanciers, chacun étant payé au marc le franc.
1176 DEUXIÈME PARTIE. — CIIAP. Il'
Les créanciers peuvent bien jouir d'autres avantages : re-
cours contre des cautions, droits de gage ou d'hypothèque.
Mais c'est à eux à s'assurer ces divers bénéfices par une
convention spéciale. S'ils ne l'ont pas fait, si la valeur de
leur créance tombe à néant, ils ne peuvent s'en prendre
qu'à eux-mêmes. Il y a eu imprudence de leur part : il ne
devraient point contracter, ou ils ne devaient le faire que
sous d'autres conditions. Telles sont les considérations que
l'on développe ordinairement à propos de l'article 2092 du
Code civil. Fort exactes, lorsqu'il s'agit d'obligations
contractuelles, elles ne le sont guère lorsqu'il s'agit de
créances es sans la volonté du créancier. Un préteur, un
vendeur peuvent se reprocher d'avoir traité à la légère, de
ne pas s'être entouré de renseignements, de n'avoir pas
exigé des sûretés réelles ou personnelles. Le même
reproche peut-il s'appliquer à la victime d'un délit, et, en
général, à toutes les personnes qui deviennent créanciers!
sans leur fait (comme le maître à l'égard du gérant d'af-
faires) ? On ne peut soutenir qu'il ont suivi la foi de leur
débiteur. 11 n'est pas juste de les soumettre à la loi du
concours. Il n'est pas équitable d'en faire de simples cré-
anciers cliirographaires, de les traiter comme des créanciers
qui ont imprudemment contracté.
Une seconde raison, spéciale celle-là aux victimes d'une
infraction aux lois pénales, doit leur faire donner une
situation particulière : le peu de considération que mérite
ici la débiteur. Il est humain de présumer quo le biteur,
qui ne paye pas. est de bonne foi ; celle idée a pris do plus
en plus d'empire dans notre législation et les voies
d'exécution se sont adoucies à mesure. Mais, si une inoindre
A.
EFFICACITK DB LA RÉPARATION CIVILE 177
rigueur s'explique à l'égard de débiteurs ordinaires, elle a
peu de raison d'être à l'égard de délinquants. Une lé-
gislation bien faite peut admettre certaines voies d'exé-
cution contre des délinquants, certains droits pour les
créanciers, qu'elle repousse formellement quand il s'agit
d'autres débiteurs. Si la loi accorde à tout le monde des
faveurs que méritent seulement les débiteurs malheureux
et de bonne foi, encore est-il juste de les refuser aux
débiteurs les moins dignes de pitié. Les délinquants ne
sont guère [dignes de considération, et cela à un double
titre : parce qu'ils se sont obligés,par leur pleine volon, en
commettant le délit, ils ont accepté virtuellement le mal
qui en résulte pour eux. En outre, si le délinquant ne
répare pas le délit, on peut légitimement présumer sa
mauvaise foi. Il n'y a pas à supposer que le criminel aura
plus de scrupule à frauder son créancier qu'à violer la loi
pénale.
Ces considérations ne sont, après tout, que secondaires,
elle ne dominent qu'une faible partie des réformes possi-
bles en notre matière. Il est une dernière question autre-
ment vaste, autrement complexe, qui commande toute
cette étude, qui domine toutes les avenues dans lesquelles
on peut s'engager. Si l'on veut pénétrer notre sujet, il est
nécessaire d'apprécier sa valeur. La réalisation de Ja
réparation est-elle une fonction d'ordre social ? A quel
point l'intérêt public est-il attaché à l'efficaci de la répa-
ration? Faudrait-il, pour obtenir celle efficacité, sacrifier
au besoin d'autres intérêts ? A défaut d'autres moyens,
l'Etat devrait-il se charger de la réparation ?
La question est extrêmement délicate, les idées sont ici
12
178 DEUXIÈME PARTIE. CHAP, II
fuyantes ou mal assises, on marche sur un terrain mou-
vant, qui confine à ces grandes et complexes questions sur
le rôle de l'État. Les principes que l'on admet sur les
fonctions des pouvoirs publics, leur intervention, sont de
nature à influer sur la solution de la difficulté. Les ten-
dances de chacun, libérales ou restrictives, individualistes
ou non, sont de nature à aiguiller l'esprit dans un sens ou
dans l'autre, elles se reflètent toujours un peu dans les
opinions que l'on peut ici admettre. Essayons, avec toute
l'impartialité possible, de déterminer quelques principes.
Dans un sens très large, il est d'intérêt social que la
personne lésée obtienne satisfaction, comme il est d'intérêt
social que tout créancier puisse se faire payer, qu'aucun
débiteur ne commette de fraude. Toute inexécution d'obli-
gation se traduit par une certaine contraction de la vie
sociale, un certain arrêt dans son essor, le non paiement de
la réparation comme toute autre. En ce sens, l'efficaci de
la satisfaction est bien d'intérêt social.
Peut-on s'avancer davantage, prétendre qu'il y a vrai-
ment atteinte à l'ordre public, si la victime du délit reste
impayée ? Ne pourrait-on pas dire « le trouble causé par le
délit n'est réellement effacé qu'à une double condition : le
crime doit avoir été puni et réparé. Si l'une de ces deux
choses fait défaut, la peine ou la réparation, on n'a apporté
au mal qu'un demi-remède. Pour satisfaire la victime,
qu'au besoin on sacrifie d'autres intérêts, que l'État s'en
mêle, intervienne, soit pour attribuer d'office des
dommages-intérêts, soit même pour payer de ses deniers. »
On ne peut méconnaître le fonds de vérité que contient
EFFICACITÉ DR LA RÉPARATION CIVILE 179
un pareil système : la société souffre incontestablement
de la nonparation dulit. Toutefois elle n'en souffre que
d'une manière médiate, indirecte. Parfois, elle se trouve
plus vivement choquée, est-ce par cela seul que l'indem-
nin'est pas payée ? Non, c'est par suite de circonstances
extérieures accidentelles. On sera très affecté si la victime
est comptement ruie par le délit, le serait-on de même
si c'était une personne riche, n'ayant perdu qu'une faible
partie de sa fortune ? Trouverait-on qu'il faut encore pour-
suivre la réparation par les mêmes moyens, avec la même
énergie, y sacrifier tout autre intérêt ? Je ne le crois pas.
Le fait qu'une infraction demeure sans réparation pé-
cuniaire ne constitue pas en soi une atteinte à l'ordre
public. C'est un fait regrettable, sans doute, mais il ne
faut pas désirer l'éviter au point de vouloir sacrifier pour
cela l'intérêt du crédit public par exemple, ou appeler au
besoin le recours de l'État et de ses finances. Il ne peut
donc y avoir ici une nouvelle fonction d'ordre social. Si
cette fonction peut exister, ce ne peut être que de manière
restreinte, correspondant précisément aux cas le non
paiement do la réparation peut dégérer en un véritable
trouble social. C'est un point que nous aurons à détermi-
ner plus loin.
Insuffisamment protégée par la législation actuelle, la
victime d'une infraction aux lois pénales pourrait deman-
der deux séries d'amélioration : elle pourrait être mieux
180 DEUXIÈME PARTIS. — CUAP. H
armée' vis-à-vis du délinquant lui-même, de manière à engager
avec lui une lutte moins inégale ; elle pourrait obtenir des droits
de poursuite plus étendus, contre des personnes civilement
responsables. Al'égarddu délinquant des divers co-participants à
l'infraction, elle peut réclamer surtout des droits de coercition
plus énergiques; vis-à-vis des tiers étrangers au délit, elle
pourrait demander un droit de poursuite contre un plus grand
nombre de personnes. Dans le premier groupe de questions,
nous aurons surtout à examiner les moyens de contrainte
personnelle; dans le second, nous pourrons entrevoir la
conception moderne de la responsabilité.
II
La loi déclare les divers co participants d'un crime ou d'un
délit: auteurs, coauteurs ou complices, solidairement
responsables des dommages-intérêts, vis-à-vis do la victime.
C'est une disposition fort ancienne, on en trouve la trace dès le
xvi° siècle. Conservée par l'article 55 du Code pén., elle a été
reprise par les législations étrangères j le Code italien (art. 38),
le Code belge (art. 50), les Codes du Tessin,|de Neucbàtel (art.
25), de Genève, le Code finlandais de 1889, (eh. IX), le Code
du Brésil (art. 27) ; le projet de Code japonais (art. 53), et le
projet de revision du Code français (art. 49)l'ont aussi adoptée.
Le principe de solidarité ne parait guère contestable (1).
Lorsqu'un crime est
(1) V. J. Tissot. Philosophie du droit criminel. Rev. crit. 1859, p.
149. Cependant le droit russe parait admettre que les complices ne
sont tenus de l'indemni qu'à défaut de solvabilité des auteurs prin-
cipaux. V. Lehr. La nouvelle gislation pénale de la Russie, p.
30.
t
EFFICACITÉ DE LA RÉPARATION CIVILE
181
commis par plusieurs, il s'est formé entre les co-délinquants
une société, un accord, pour commettre le délit. Cet entente
est sans doute nulle, comme ayant un but illicite. Mais, tout au
moins, celte nullité ne doit pas être un moyen pour les
coupables de diminuer, leur responsabilité. La loi peut, sans
injustice, tirer parti, au prolit de la victime, de cet accord
préalable. Elle doit même eu tirer pleinement parti et édicter la
solidarité dans tous les cas sans exception. Des législations
étrangères se sont cependant écartées do cette règle ; le Code
pénal belge, et, plus récemment, le Code pénal japonais, ont
admis que le juge pouvait décharger l'un des inculpés de la
solidarité. Mais[cclte disposition a été rejetée du projet de
revision du Code français. C'est avec raison, il y a une
mesure d'adoucissement, qui ne peut être que dangereuse ou
inutile. Dangereuse,car on est presque obligé do se défier de
l'indulgence des juges; indulgence dont les rapports officiels
eux-mêmes se sont, plaints (1). Inutile, car l'exemption de la
solidarité n'a guère de raison d'être. Y a-t-il lieu de l'appliquer
à celui qui, sans avoir participé complètement à l'acte, était
d'accord avec l'auteur sur la façon de l'exécuter? Y a-t-il quel-
que raison de diminuer la responsabilité civile du complice
qui a fait le guet, sachant parfaitement que, pendant ce temps,
il so commettait un vol ou un assassinat? Evidemment non. Il
n'y a pas plus de raison d'être indulgent, pour le collaborateur
secondaire, avec qui l'auteur principal s'est entendu à peu près
de cette façon.: on essaiera
(i) V. Rapport sur la justice criminelle en France en 18, der-
nier paragraphe.
182 DEUXIÈME PARTIE. — CHAP. II
de commettre un vol, mais il est bien entendu que l'on ne
commettra pas d'assassinat; ou bien, pour donner un exem-
ple plus pratique, on portera des coups à telle personne,
mais il est convenu qu'on ne cherchera pas à la tuer. Si
l'auteur viole la convention, et commet un assassinat, dans
ce cas même, la responsabilité civile du complice doit
rester la même. Dans cette hypothèse, essentiellement
défavorable au système de la solidarité complète, on ne
peut s'en écarter qu'en vertu d'une assimilation erronée
entre la responsabilité civile et la responsabilté pénale.
La complicité, même avec des réserves faites par le
complice, suppose toujours, de la part de celui-ci,une faute
suffisamment grave ponr entraîner la responsabilité civile
du fait entier, l'obligation de réparer le tout. Au contraire,
au point de vue pénal, cette faute peut n'être pas suffisante
pour faire condamner à mort un complice qui n'a fait le
guet, ou fournir des indications qu'en vue d'un vol, si
l'auteur principal a commis un meurtre. Mais on peut
équitablement rendre le complice complètement respon-
sable des suites civiles de ce meurtre.Il y a faute évidente
de sa part : il a rendu le meurtre plus facile en favorisant le
vol. Sans son aide, le coupable n'aurait peut-être pas pu ou
osé faire ce qu'il a fait. L'assassinat n'a é que la suite
imprévue du délit qu'il avait accepté.
Une autre restriction au principe de la solidarité entre
les auteurs d'une infraction, a été admise par le Code
pénal français : la solidarité n'existe qu'entre les auteurs
d'un même crime ou délit, elle n'existe pas entre les
coauteurs d'une contravention. Cette limitation n'existait
pas dans le droit intermédiaire. La loi du 22 juil-
EFFICACITÉ DE LA RÉPARATION CITILB 183
let 1791 (litre II, art. 42), édictait ia solidarité même entre
les auteurs d'une contravention. Le législateur de 1810
s'est écarté de ce système, sans que les travaux prépa-
ratoires en indiquent la raison. C'est une restriction dont
aucun auteur n'a donné la justification:une législation
bien faite devrait la faire disparaître. C'est d'ailleurs ce
qu'a fait le projet de Code pénal français, ce que plusieurs
Codes étrangers ont déjà fait avant lui.
Outre cette extension do l'article 55 du Code pénal actuel,
une légère modification pouvait être utile au texte : un
simple renvoi aux articles 1200 et suivants du Code civil,
mettrait un terme à celle vieille controverse sur l'obliga-
tion in ioildum et l'obligation solidaire, la solidarité par-
faite et la solidarité imparfaite.
III
C'est un avantage, et qui peut être considérable, d'avoir
les codélinquanls pour obligés solidaires. Un seul des in-
dividus ayant participé au lit est-il solvable, la victime
peut obtenir son paiement. Mais le crime ou le lit peut
avoir été commis par une seule personue ou un seul des
auteurs a pu être découvert, la garantie qu'offrait la soli-
darité disparaît. Ou mémo le délit a été commis par plu-
sieurs, mais aucun des délinquants n'est d'une solvabilité
certaine, pour parler le langage de la pratique commerciale,
ce sont des [gens douteux, des gens sans grande surface.
Si l'on veut assurer efficace ment la réparation civile, il
faut donner à la victime d'aulres. sûretés.
18-4 DEUXIÈME l'AIITlE. — CIIAP. Il
Les législations étrangères ont expérimenté, les crimi-nalisles
ont proposé un certain nombre de moyens qui tous se ramènent
à cette idée : faire sortir la partie sée de sa situation de
créancier chirographaire. Placée comme' elle est, soumise à la
loi do la contribution, la victime n'obtient ordinairement de son
débiteur qu'un dividende dérisoire, gi elle obtient quelque
chose. L'idée devait naturellement se présenter à l'esprit de
donnera la victime] un droit de préférence vis-à-vis des autres
créanciers du coupable, ou tout au moins de certains autres
créanciers.
Dès l'Ancien Droit, la lrgislation française (1) avait fait, dans
cette voie un pas bien timide : on avait admis que la créance en
réparation civile serait préférée à l'amende. Rien n'est plus juste.
La condamnation à une amende n'a pas pour but d'enrichir l'Etat
: on ne peut prétendre que l'Etat a un droit absolu à l'amende, ou
il faudrait alors soutenir que celle-ci est une réparation du
préjudice causé à la société, que tous les citoyens se trouvent
moralement lésés par leur délit ; on leur attribue une indemnité j
collective, et que cette indemnité est perçue par l'État, comme
par leur représentant. Celte théorie, dans ses termes absolus, est
évidemment inadmissible : l'amende devrait alors être
prononcée dans tous les cas : elle devrait s'adjoindre (2) à toute
condamnation, quelque grave fût-elle. On pourrait même aller
jusqu'à sou-
(1) V. Imbcrt. Pratique judiciaire, livre III, ch. 1
er
, 9, p.
572 (éd. Guenoys).
(2) Ce serait presque rétablir la vieille règle a à tout méfaitn'échet
qu'amende » ce serait clarer qu'à tout méfait échet au moins
amende.
c
EFFICACI DE U RÉPARATION CIVILE 188
tenir que l'amendo doit se proportionner, non à la gravité
de la faute, mais à l'importance de l'émotion produite parle
lit, au dommage moral cau par tous les citoyens. En
réalité, la condamnation à l'amende n'a qu'un but :
infliger au coupable une privation qui l'empoche de re-
commencer, qui détourne ses imitateurs possibles. Si on
attribue l'amende à l'Etat, c'est que toute autre personne est
absolument sans droit pour y prétendre. Comme il faut bien,
en finitive, attribuer le produit des amendes à quelqu'un,
on admet, pour une partie, cette théorie que nous venons
de combattre : l'ensemble des citoyens indemnien la
personne de l'État (1). On no la prend pas pour une théorie
exacte, dont on peut déduire logiquement les con-
quences : elle est insoutenable ; mais on l'accepte un peu
cependant, c'est une idée qui est dans le droit à l'état
flottant, elle permet aussi d'expliquer dans une certaine
mesure, l'attribution d'une partie des amendes aux admi-
nistrations locales : communes, départements, c'est-à-dire
aux collectivités qui ont été le plus atteintes moralement
par* le délit.
L'État n'ayant, pour ainsi dire, aucun droit par lui-
même sur l'amende, il est juste qu'il cède le pas à la vic-
time, que celle-ci soit préférée sur les biens du débiteur.
(1) Cette idée, historiquement, a tenu sans doute une certaine
place, mais, au moyen-age, elle était fortifiée par une autre : le sei-
gueur prenait l'amende pour s'indemniser des dépenses que lui cau-
sait sa charge de juge. Cette idée a beaucoup perdu de sa valeur
depuis que les frais ont épayés par le condamné, mais elle n'est
pas absolument dépourvue de justesse aujourd'hui même : l'État ne
réclame du condamné que le paiement de frais spéciaux du procès ;
il ne lui fait pas payer une autre part de frais généraux de justice
criminelle : entretien de magistrats, d'officiers/le police judiciaire, etc.
o
186 DEUXIÈME PARTIE. — CBAP. II
D'ailleurs, il serait inadmissible que sa situation fut empirée
par ce fait que l'acte dommageable était plus coupable, que
son débiteur était condamné à une amende.
Cette préférence des dommages-intérêts sur l'amende,
pour juste qu'elle soit, n'est cependant pas suffisante. Si
certaines législations l'ont adoppurement et simple ment
(1), plusieurs ont été plus loin. Il faut d'adord citer l'avant-
projet de Gode pénal suisse, aux travaux de M. Sloos.
Cet avant-projet établit un système original. D'après
l'article 28 « le montant de l'amende et le prix de
réalisation des objets confisqués pourront être attribués en
tout et en partie au lésé à compte sur l'indemnité qui lui est
due » (2). La commission, chargée d'examiner ce projet, a
adopté cette disposition (3), en y ajoutant toutefois une
légère addition : « lorsqu'il ne paraîtra pas possible
d'obtenir du coupable la réparation du dommage », co qui
indiquerait semble-t-il, le désir délimiter l'innovation dans
sa portée. Cet article présente en Suisse une importance
particulière. La contrainte par corps y est abolie
comptement. Au contraire, le paiement île l'amende est
sanctionné d'uue façon énergique. Dans les législations
actuelles, par une peine privative de liberté ; dans le pro
jet, par un travail forcé jusqu'à complet paiement (art. 29).
(1) V. Code du canton du Valais (art.348) code du Tcssin {art.36),
de Neuchatel (art. 27), de Genève (art. 33): projet de Code nal
japonais (art. 60). C'est aussi le droit belge. V. Haus. Droit pénal
belge, II, n» 1618, p 294. Thiry. Droit criminel, n° 377., p. 259. —
C'est aussi ce que dit le Code brésilien de 1831, art. 36. Dans le code
russe (art. il et 63) l'amende n'est payée qu'après toutes les autres
créances.
(2) Avant-projet de Code pénal suisse, trad. Gautier, 1894.
(3) Elle forme l'art. 31 du nouvel avant-projet.
t
EFFICACITÉ DE LA PABAT10N CIVILE 187
Il y a donc de profondes différences entre les moyens de
contrainte, lorsqu'il s'agit des dommages-intérêts et de
l'amende, d'où un grand avantage pour la victime à pro-
Gter indirectement des moyens d'exécution spéciaux à
l'amende. Cela n'existe pas dans notre droit français :
amende, réparations civiles, sont sanctionnées par les
mêmes moyens ; l'introduction d'une règle analogue à
celle du projet suisse ne serait cependant pas sans intérêt,
et cela à deux points de vue.
Les deux dettes sont bien sanctionnées en droit par les
mêmes voies d'exécution : droit de saisie, droit d'exercer
la contrainte par corps, mais, en fait, l'Etat, il me semble,
se fait plus facilement payer que les particuliers : on le
paie plus vite, car on sait qu'avec lui, il ne faut pas compter
sur les atermoiements. Ensuite, si l'amende n'est payée
qu'après exercice de la contrainte par corps, la victime se
trouvera retirer le bénéfice de cette contrainte, sans avoir
eu à en supporter les frais.
Conviendrait-il d'introduire dans le droit français une
disposition analogue à celle du projet suisse, d'ajouter au
droit de préférence sur l'amende, le droit pour la victime
de se faire attribuer l'amende touchée par l'État ? Ce droit
de prérence renforcé (1), prolongé eu quelque sorte au-
delà de la distribution par contribution, ne semble soule-
ver aucune objection de principe. L'État va bien devenir
en fait le mandataire de la partie lésée, mais dans une
bien faible mesure. En tous cas, la disposition du Code
(1 ) Le droit de préférence de l'art. 54 du Code pén. français ne parait
pas exister dans le projet suisse, mais on peut très bien concevoir la
règle du projet suisse se combinant avec celle de notre droit actuel.
o
*88 DRUXIÈMK PARTIE. — CDAP. II
suisse ne nous semblerait admissible qu'avec la restriction qui
l'accompagne : si le juge le décide, et s'il ne paraît pas possible
d'obtenir la réparation. Il est inutile de dispenser la personne
lésée de poursuivre le coupable, quand elle le peut. Malgré cela,
il ne faut pas se le dissimuler, on rencontrerait de sérieux
obstacles d'ordre fiscal, si l'on voulait acclimater chez nous celte
disposition.
Certaines législations étrangères ne se sont pas contentées de
donner la préférence aux dommages-intérêts sur l'amende : pour
favoriser la réparation civile, elles ont fait dans cette voie un
pas'plus'décisif : elles ont donné à la partie civile un droit de
préférence, non seulement sur l'amende, mais même sur les frais
de poursuite dus à l'État. C'est ce qui a été admis par la loi du 10
mars 1879 pour la royaume de Saxe(l), mais seulement en
matière forestière (art. 4). C'est ce qui est admis de façon
générale par le Code pénal de Genève (art, 8 et suiv.), par le
droit espagnol, enfin parle Code pénal de la Basse-Californie
(art. 360) (2). Chez nous même, nous trouvons une décision
semblable : d'après l'article 5 de la loi du 18 germinal an VII : «
les indemnités accordées à ceux qui auront souffert un
dommage résultant du délit étaient prises sur les biens des
condamnés, avant les frais adjugés à la République. » Celte loi,
qui n'avait pas été votée sansdifficulté, n'eut qu'une existence
éphémère. Elle se trouva abrogée parla loi du 5 septembre 1807,
qui nous régit actuellement. )
Le retour à la législation intermédiaire constituerait,
(1) Annuaire de législation étrangère, i?84, p. 385.
(2) V. Matliauda. Il codicepénale.
i
EFFICACITÉ DE UPARATION CIVILE 189
pour la partie lésée, un avantago important. D'après les
dernières statistiques, la moyenne des frais en matière
criminelle est, pour chaque affaire, de 31G francs poulies
crimes contre les personnes et de 380 francs pour les crimes
conlre les propriétés. Si l'on ajoute à ces frais do poursuite les
frais d'exécution, on arrive facilement à une moyenne de cinq
cents francs de frais pour chaque affaire : Or cette somme se
trouve privilégiée : les frais d'exécution, en vertu dej l'article
2101 du Code civ.Jes frais de poursuite en vertu de la loi du 5
septembre 1807.Primés par ces créances, les dommages-
intérêts se trouvent rarement payés. Cet inconvénient est
beaucoup moindre, quand il s'agit de délits, car les frais en
matièro correctionnelle n'ont cessé de diminuer et, aujourd'hui,
la moyenne des dépenses de l'Etat n'est même plus de 12 fr.
par affaire.
Faut-il, modifiant la loi de 1807, revenir au système du
droit intermédiaire, ou tout au moins admettre la partie lésée
et l'Etat à concourir, à venir au même rang sur les biens du
débiteur ? Certains crimihalistes ont préconisé cette solution
(1). Ils en ont donné celle raison : l'Etat est en faute de n'avoir
pas empêché le délit, il ne peut pas, en se faisant payer le
premier, nuire aux droits de la partie civile, qui a été lésée à
cause seulement de la mauvaise surveillance de la police.
Sous celte forme.le raisonnement laisse place à bien des
critiques.Une bonne police peut bien empêcher les honnêtes
(1) \r. en ce sens Garraud, II, n» 12, p. 17. Pascaud. Rapport au
Congs pénitentiaire de Paris, 1895. Bull, de la commission, IV, p.
79. — Stoppalo. L'azione civile, etc. Rivista pénale*XXVIII, p.
197. Bonneville. Institutions compmentaires, p. 55.
o
190 DEUXIÈME PARTIR. — CHAP. II
gens d'être assassinés dans la rue, ou les cambrioleurs de
sauteries murs pour entrer dans les propriétés, mais peut
elle empêcher un chevalier d'industrie de profiter de la
naïveté de ses victimes, un faussaire de contrefaire Ja
signature d'un commerçant '/Evidemment non. Si la raison
donnée a de la valeur dans certains cas, elle porte
absolument à faux dans beaucoup d'autres. L'Etat, comme
chargé de la police, ne peut empêcher les délits que dans la
sphère de surveillance de la police, et cette sphère est loin
d'englober tous les actes de la vie civile. A ce titre, ce n'est
que dans certaines hypothèses limitées que l'Etat peut être
déclaré responsable des suites civiles du délit. Plus loin,
nous verrons s'il n'y aurait pas alors d'obligations plus
précises à lui imposer,s'il devrait non seulement céder le
pas à la partie lésée, [mais lui accorder une indemnité.
Pour résoudre la question, on peut faire appel à d'autres
raisonnements. L'Etat, en poursuivant lecrime, a fait des
frais, qui ont profité à ia partie civile : sans eux, Je cou-
pable n'aurait peut-être pas édécouvert. En tous cas, ils
ont permis d'aboutir à un jugement qui a liquidé les droits
de la victime, formé pour elle uo titre exécutoire. La partie
civile a donc retiré un avantage des frais qui ont été faits : il
est juste, sembie-t-il, qu'elle paie sa situation améliorée,
que les frais soient préférés à la créance en dommages-
intérêts. Il parait équitable de donner le second rang à la
personne lésée, comme le fait le droit actuel, Le privilège
du Trésor, h son égard, s'expliquerait comme le privilège
des dépenses faites pour la conservation de lu chose 'sur
l'objet conservé, (art. 21023°Codeciv.) Il y au-
4
EFFICACI DE LA PARATION CIVILE 191
rait certaine analogie entre les deux règles : toutes deux
seraient sorties de la même source.
A considérer les choses de cette façon, peut-être ne
tiendrait-on pas compte de tous les éléments que four-
nissent les faits ; à vouloir simplifier ainsi la question, on
risque d'aboutir à des solutions fausses. Il ne faut pas
oublier que les frais de poursuite ont eu lieu dans un inté-
rêt social. Ils ont pu profiter à la victime, mais ils n'ont
pas moins profià la société. Quand celle-ci, en la per-
sonne de l'Etat, supporterait une partie des dépenses
laites pour sa défense, ce ne serait que justice. Qu'elle
cherche à se cupérer contre le condamné, qui est la
cause do tout le mal, cola est admissible. Mais faut-il pous-
ser cette ie dans ses conséquences dernières, faut-il, sous
prétexte de faire supporter plus complètement au coupable
les suites de son crime, laisser la partie civile sans recours
efficace, employer tout le patrimoine au paiement des
frais de justice ? Non. Cela est inadmissible. Le condamné,
nous le supposons, n'a pas assez pour tout payer. De toutes
fons, la partie léséene recevra qu'une partie de sa créance.
D'autre part, la société que représente l'État a obtenu la sa-
tisfaction principale qu'elle demandait : la répression. Est-il
équitable que l'État ne perde rien sur les frais en se payant
le premier sur le patrimoine. Pendant ce temps, la partie
civile qui n'obtient qu'une satisfaction partielle, verra son
maigre dividende encore réduit de la valeur des frais.
Pour mettre fin à ce conflit, théoriquement le meilleur
serait de s'y prendre de la façon suivante : considérer
que l'État a eu tout ce qu'il demandait, puisque la peine a
été prononcée, puisque la pression a é assurée,
192 DEUXIÈME PARTIE. — CHAP. II
calculer ensuite quel dividende la partie civile obtient sur]
les biens du condamné et partager la perte à supporter sur
les frais en proportion de ces deux facteurs. Si la partie
civile n'obtient que moitié de sa créance, l'État, qui a
obtenu complète satisfaction devrait payer deux fois plus
de frais qu'elle, soit les deux tiers, la victime ne paierait
qu'un tiers. En fin de compte, l'État toucherait le tiers! des
frais, et les deux autres tiers seraient perdus pour lui. Plus
la partie lésée obtiendrait un dividende considérable, plus
elle supporterait une part importante des frais, ou, pour
parler exactement, plus l'Etat prendrait sur les biens une
part importante des frais. En tous cas, il ne pourrait jamais
prélever plus de moitié, tant que la victime ne serait pas
intégralement payée.
Cela serait très équitable. L'Etat, en la personne du mi-
nistère public, et la personne lésée, ont fait une affaire en
commun : ils ont poursuivi le délinquant chacun pour
obtenir ce à quoi il a droit. Des frais sont à payer, que
chacun en supporte sa'part, proportionnellement au béné-
fice qu'il a tiré de la poursuite, à la satisfaction qu'il a
obtenue.
Eu pratique, ce système serait beaucoup trop compliqué,
il faudrait une très longue liquidation, surtout s'il se pré-
sentait d'autres créanciers. Aussi, bien qu'équitable, il
donnerait lieu à de vives critiques. C'est pourquoi il nous
semble préférable d'admettre les deux créances sur le pied
d'égalité. Cela est simple, et en fait ne différerait pas
énormément de notre système. On éviterait ainsi les in-
convénienlsdu droit actuel, qui traite de façon si fâcheuse
les personnes lésées, C'est d'ailleurs cette solution qu'a
EFFICACITÉ DE LA REPARATION CIVILE 193
adopté le Congrès pénitentiaire de Paris en 1895 (1).
Malheureusement, une difficulté importante resto toujours :
les frais de justice criminelle ne peuvent être recouvrés dans
un grand nombrcdecas(2), les modifications que l'on propose
augmenteraient encore les pertes subies de ce chef par le
Trésor. C'est là, plus que du côté des principes, que se trouve
le véritable obstacle.
Il peut arriver assez souvent, et c'est ce que nous avons
supposé jusqu'ici, que l'État et la victime se trouvent seuls en
conflit pour se partager le faible patrimoine du délinquant.
Mais d'autres créanciers peuvent surgir : dans quel ordre
placer la victime du délit par rapport à eux ? Faut-il admettre
qu'elle ne sera classée par rapport à eux que comme créancier
payé au marc le franc : la victime et l'Etat figurant dans la
contribution selon leur raug ordinaire : la première comme
chirographaire, le second comme privilégié : tous deux
procédant ensuite, entre eux, à un second règlement, comme
cela se pratique entre l'amende et les dommages-intérêts.Faut-
il admettre, au contraire, un privilège de la partie lésée à
l'égard de tous les créanciers ?
La partie lésée qui a fait reconnaître son droit en justice
peut prendre hypothèque sur les immeubles du condamné :
c'est l'application pure et simple de l'article 2123 du Code civ.
Mais l'hypothèque judiciaire est, à l'heure actuelle
singulèrement menacée par les projets do réforme.
(1) Revue nitentiaire, 1895, p. 1001.
(2) En 1893, sur une somme de 11.053.171 fr. de frais à percevoir, on a
perçu seulement 4.321.661 fr.
13
1.94 DEUXIÈME PARTIE. — CHAP. Il
N'existe-t-il pas quelque raison pour conserver ou pour étendre
ici le droit de la partie lésée ?
Tous les crimiiialistes se sont montrés favorables à
rétablissement d'un privilège en faveur de la réparation due à la
victime du délit : privilège portant à la fois sur les meubles et les
immeubles du condamné. Le profit qu'en retirerait la partie
lésée serait incontestable, mais cela ne suffit pas pour légitimer
l'innovation. Y a-l-il de justes motifs pour empirer ainsi la
situation des autres créanciers? Ceux-là aussi, peuvent mériter
quelque intérêt. Dans les différents congrès et dans les écrits
parus sur la question depuis quelques années, on a partout
affirmé qu'il fallait donner un privilège à. l'indemnité due à la
victime. Presque nulle part ou ne s'est demandé s'il y avait de
bonnes raisons pour le faire. Seul, M. Fiorelli. dans sou discours
au Congrès d'anthropologie criminelle de Rome (i), a abordé
cette question. « Il me semble naturel, dit-il, que l'intérêt des
autres particuliers aussi bien que celui de l'Etat, doive céder le
pas à l'intérêt de l'offensé, ne fut-ce que parce que le particulier
a eu l'imprudence de contracter avec une personne à laquelle il
n'aurait pas se lier. Le fait que les créanciers ont laissé de
l'argent entre les mains du coupable, a peut-être contribué à faire
naître eu celui-ci le désir et la possibilité du crime ».
Nous laissons au rapporteur du Congrès de Home la res-
ponsabilité de celle seconde affirmation : même sous sa
(1) Acte» du Ctfugri's d'AnUiropologM criminolte «Je Hume tWawv
du i\ novembre iSKJ, p. '.VU.
BFFICACtTE DE LA RÉPARATION CIVILS 195
forme dubitative, elle parait bien osée, Il nous semble.au
contraire, très juste de mettre dans une situation différente
l'individu lésé, créancier malgré lui, et le prêteur impru-
dent qui n'a exigé de son emprunteur aucune garantie. Ce
n'est qu'un sentiment de fausse égalité qui a pu les faire
ranger dans la même situation : l'un n'a rien à se repro-
cher : est-ce de son plein gré qu'il a été victime du délit ?
L'autre au contraire ne peut s'en prendre qu'à lui, s'il n'est
pas payé : s'il avait été plus circonspect, il ne serait pas
soumis à la loi du dividende. Il est vrai qu'un pareil
raisonnement pourrait conduire singulièrement loin : si l'on
ne veut pas traiter la victime d'un délit pénal, comme un
prêteur imprudent, pourquoi soumettre à la contribution
au marc le franc la victime d'un délit civil, et en général
toute personne devenue créancière sans sa volonté, ou
sans son fait ? C'est profondément modifier le partage du
patrimoine entre les créanciers, c'est porter une profonde
atteinte à un des principes généraux de notre droit. Pour-
tant, en théorie, il n'y a rien de nature à effrayer ; de
pareils changements, pour importants qu'ils soient, ne
sont après tout que raisonnables. Dans notre droit même,
la loi du partage proportionnel entre créanciers reçoit
déjà de fortes atteintes. Pourquoi ces dérogations ne se-
raient-elles pas étendues? L'art. 2093 du C. civ. en établis-
sant le principe du partage au marc le franc a établi une
gle qui a sans doute pour elle l'avantage de la simplicité,
mais on peut se demander si elle a également pour elle
celui de l'équité. On pourrait peut-être établir une préfé-
rence pour tous les créanciers pour délit, ou même pour
toute personne devenue créancière sans sa volonté.
186 DEUXIÈME PARTIE. — CHAI». If
Ce sont des déductions qui auraient évidemment
besoin d'être contrôlées parla pratique : il faudrait, avant de
les adopter complètement, voir ce qu'elles donneraient!
comme résultats, voir si une gène trop grande n'en
résulterait pas pour les affaires. Il était cependant bon de
les énoncer: quand on accepte un raisonnement, il faul voir
jusqu'où il pout conduire, quitte à s'arrêter, s'il le faut, dans
les applications. En tous cas, un privilège sur les meubles
et les immeubles du délinquant pour garantir la réparation
civile parait admissible. Il faudrait maintenant chercher à
en Dxer la place au milieu dos priviges actuels.
Il paraît difficile de soutenir que la créance en domma-
ges-intérêts doit occuper le premier rang, et passer avant
tous les privilèges ou hypothèques. Ou il faudrait alors
prétendre que le paiement de l'indemnité à la victime est
une chose d'ordre public au premier chef, que l'ordre
social reste aussi troublé, si la victime n'est pas indem-
nisée, que si le crime n'est pas puni. Il y a sans doute dans
cette afûrmation une part de vérité lalenle, le délit n'est
pas complètement effacé si les effets matériels en substite,
je le reconnais. Mais, il ne faut pas l'oublier, c'est aussi un
résultat choquant et qui trouble l'ordre social, quand des
créanciers restent impayés. La victime d'un lit rite la
commisération, mais l'intérêt des autres créanciers a
quelque importance. Il ne faudrait pas, par excès de
générosité pour les personnes lésées, porter atteinte à
l'édifice niblement construit de notre crédit réel»
C'est le principe capital do notre régime hypothécaire
qu'un créancier qui obtient une sûreté à un moment donné,
doit désormais conserver son rang sur l'immeuble de son
EFFICACITÉ DE LA RÉPARATION CIVILE
197
débiteur, que rien ne pout diminuer ses droits et le faire
reculer à un rang plus éloigné. Il ne faut faire brèche à ce
principe, pas plus pour la victime d'un délit que pour toute
autre personne.
Le plus sage semble donc d'attribuer à la partie civile un
privilège analogue à celui accordé au Trésor à raison des frais
de poursuites (1). Sur les meubles, l'indemnité pourrait être
rangée après les créances des articles 2101) et 2102 du Code
civ. souvent minimes et nécessaires au crédit. C'est d'ailleurs
le rang accordé au Trésor. Sur les immeubles, le privilège du
Trésor est à peu près assimiune hypothèque inscrite au
jour où le mandat d'arrêt a été décerné. Il conviendrait de
donner la mémo situation à la partie lésée. Ce serait tenir
compte à la fois, de ses intérêts légitimes et des nécessités du
crédit. Tout en favorisant la réparation civile, on respecterait
ce grand principe du droit moderne, que l'hypothèque doit
donner au créancier un rang absolument lixe, que rien ne peut
changer.
Mais tous ces privilèges no seront qu'un vain mot, si l'on ne
prend soin de les fortifier, de les étayer par d'énergiques
mesures provisoires. Il ne suffit pas d'accorder à la victime
d'un délit un privilège que l'on accorde à d'autres créanciers
en présence d'un débiteur ordinaire. La pratique est pour
montrer que ces mesures, par elles-mêmes, ne sont pas
suffisantes. Bien souvent, avant que le jugement de
condamnation ne puisse être exécuté, les biens du condamné
se sont évanouis ou ne peuvent plus procurer le paiement.
Combien de banqueroutiers savent
(lj V. en ce sens. Bonneville. Institutions complémentaires du
régime pénitentiaire, p. 54.
198 DEUXIÈME PARTIE. — CIIAP. II
habilement faire disparaître ce qu'ils possèdent de plus
précieux.
Il reste, il est vrai, le secours de l'action paulienne. A
supposer qu'elle réussisse, ce sont toujours des frais pour
le créancier, de longs délais avant de pouvoir obtenir
paiement. Mais, à côté de quelques fraudes, dont on aura
pu fournir la démonstration péremptoire, combien de dé-
tournements restés ignorés, combien dont on ne peut
rapporter qu'une preuve morale insuffisante * pour per-
mettre la rescision? Lee annales judiciaires fourmillent de
ces actes de gens sans scrupules que l'on n'a pu complète-
ment démasquer.
Il ne faut point se reparaître d'illusions et penser que
quelques articles de loi auraient la vertu magique de ren-
dre toutes ces fraudes impossibles, que les faits sont une
matière malléable, et qu'une loi bien faite peut les modeler
à son gré. Tout au moins, pourrait-on empêcher les
fraudes de se produire pendant le temps de l'instruction.
Des mesures provisoires devraient pouvoir être prises,
pour empêcher toute soustraction des biens du coupable.
Le juge d'instruction serait naturellement désigné pour ces
référés d'un ordre spécial. Connaissant par lui-même si les
charges qui sent sur le prévenu sont sérieuses ou non,
ayant été à même de se rendre compte du dommage qu'a
causé le crime, de son étendue, il est mieux préparé que
qui que ce soit pour décider quelles précautions il y a à
prendre pour éviter toute disparition des biens du prévenu.
Il peut le faire sans aucun travail, sans aucun nouvel
examen de l'affaire. Il conviendrait, à cet égard, de se
montrer très large sur les mesures que le jugé d'instruc-
EFFICACI DE LA RÉPAtlATÏON CIVILE 199
tion pourrait ordonner. On pourrait lui permettre, sur
simple demande verbale de la victime, ou du ministère
public, de faire une estimation approximative de l'indem-
nipossible, d'ordonner aussit l'inscription d'une hypo-
thèque provisoire sur les biens du prévenu. Si le jugement
définitif reconnaissait l'innocence de la personne pour-
suivie, il ordonnerait en même temps la radiation de
l'hypothèque. Pour les meubles, le juge d'instruction
devrait pouvoir en autoriser la saisie provisoire pendant
le temps qui s'écoule avant le jugementfinitif. La victime
ne peut user, en effet, ni delà saisie revendication, laquelle
suppose qu'elle a un droit réel sur la chose, ni de la saisie
gagerie réservée au bailleur, (art. 819 Code Proc.) Quant
à la saisie foraine, elle ne pourra en user que si des effets
du linquant sont « trouvés en la commune qu'elle habite »
(art. 822 Code proc.), ce qui n'arrivera pas toujours. Il
faudrait suppléer ici à cette insuffisance. Pour les créances
du délinquant, il faudrait, toujours en vertu d'une ordon-
nance du juge d'instruction, autoriser la victime du délit
à former une saisie-arrêt aux mains des débiteurs du pré-
venu. Actuellement, elle ne le peut pas, car sa créance
n'est pas liquide ; pendant l'instruction du crime, le pré-
venu peut donc se faire payer par ses débiteurs et détour-
ner l'argent qu'il reçoit. Enfin, si besoin en est, le juge
d'instruction pourrait nommer un administrateur provi-
soire des biens du prévenu, chargé jusqu'au moment du
jugement d'empêcher tout détournement de valeurs et de
prendre les mesures conservatoires urgentes.
L'utilité de toutes ces mesures ne saurait être cou testée: |
tous ceux qui se sont intéressés à ces quesj
200
DEUXIÈME PARTIR. — CHAP. II
quelques années en ont demandé l'établissement. Nous ne
croyons pas non plus qu'elles doivent rencontrer de sérieux
obstacles dans le courant do plus en plus intense, qui se
manifeste en faveur de la réforme de l'instruction prépara-
toire (i). Tout homme poursuivi pour une infraction grave est
tenu en suspicion par l'opinion publique. Jusqu'à ce qu'un
jugement vienne reconnaître son innocence, ses affaires
subiront un arrêt momentané. C'est un fait contre lequel les
lois ne peuvent rien. Quelque adoucissement qu'on apporte
au sort dos inculpés, on n'enlèvera pas de l'esprit public celte
répulsion à contracter avec des gens poursuivis par la justice.
Au point de vue de l'opinion, le prévenu n'est, ni ne sera
jamais présumé innocent. Qu'importe alors qu'en droit Je
patrimoine de l'inculpé soit comme immobilisé : en fait, il l'est
déjà.
D'ailleurs il ne faudrait pas exagérer les mesures, que nous
proposons : lo juge devrait pouvoir être libre de no pas les
appliquer, de ne les appliquer qu'on partie, de les lover à tout
moment de la procédure. Il pourrait aussi se contenter de la
promesse d'une personne solvablo de réparer le dommage à
défaut do l'inculpé, ou admettre comme garantie le dépôt
d'une sommo d'argent affectée par privilège au paiement
do l'indemnité. Toutes ces mesures unies permettraient do
ne pas abuser des saisies provisoires et tout, en donnant des
sûretés à la victime, de ne pas nuire à un homme dont la
culpabilité n'est pas encore prouvée.
Nous avons toujours supposé que ces mesures provisoires
étaient autorisées par le juge d'instruction : cela
(1) Lequel a trouvé son écho dans la loi du 8 décembre 1897.
EFFICACITÉ DE LA REPARATION CIVILE 20t
suppose que l'affaire donne lieu à instruction. Il y a tou-
jours uno instruction préparatoire pour les crimes, il peut
y en avoir une pour les délits. Mais l'instruction prépara-
toire est, dans ce dernier cas, facultative : le prévenu peut
être cité directement devant le tribunal correctionnel.
L'intervention du juge d'instruction pour ordonner des
mesures provisoires n'est plus guère possible. Mais le lai
entre la citation et le jugement est très court : il no peut
n'être que do trois jours (art. 1481. crim.). Dans de sembla-
bles conditions, dos mesures provisoires sont le plus sou-
vent inutiles : le temps qui s'écoule avaut la cision du
tribunal est trop bref pour permettre beaucoup do fraudes.
De plus, leslits qui no donnent pas lieu à une instruction
seront souvent ceux qui auront causés le moins do dom-
mage : de petits vols, des abus de confiance minimes, quel-
ques coups et blessures. La question présenterait donc fort
peu d'intérêt. Cependant, il serait possible parfois, si l'af-
faire doit être remise à une autre audience, si uno fraude
spéciale est sur le point de se produire, d'autoriser en ce
cas une sorte de féré correctionnel, comme il existe un
réré civil. Avant le jugement, quand il n'y a pas d'instruc-
tion, nous n'avons pas de magistrat connaissant l'af-
faire, qui puisse statuer sur des saisies provisoires jugées
nécessaires, créons un magistrat qui connaîtra de ces me-
sures. On se trouve ici en présence de la mémo situation qui
a fait créer au civil le juge dos référés : pourquoi ne pas la
résoudre de la même manière ? L'usage de ces référés
sera plus rare, sera exceptionnel, mais la mesure sera
néammoins utile.
Aucune de ses mesures provisoires, aucun de ces privi-
202 DEUXIÈME PARTIE. — CBAP. II
lèges sur les biens n'ont été expérimentées dans les divers pays
étrangers. Seul, le Gode du Brésil à quelques dispositions créant
h la victime une situation particulière, d'après l'article 27 de ce
Code : en cas de crime, l'indemnité est garantie par une
hypothèque sur les biens du condamné datant du jour même du
crime. Mais les divers représentants de la science pénale sont
unanimes (1), pour demander l'établissement d'un privilège en
même temps que de mesures provisoires en faveur de la
victime. Nous ne pouvons que joindre nos vœux aux leurs.
I
IV
1
On peut rapprocher des mesures à prendre en faveur de la
victime, pendant l'instruction, les améliorations à apporter à la
réglementation du cautionnement, pour mise en liberté
provisoire. Pendant l'instruction, le juge peut toujours mettre
l'inculpé en liberté provisoire. Toutefois, cette mesure peut
n'être accordée que sous caution. Cette caution, fournie
ordinairement en espèces, garantit la représentation de l'inculpé
aux actes de la procédure et le paiement des frais et amendes
(art. 1J4 Inst. crim.). Si l'inculpé ne se représente pas, une
partie du cautionnement reste acquise à l'État. Ne serait-il pas
équitable que la victime, si elle ne peut se faire payer son
indemnité, put
(1) V. MM. Ali mena et Prins. Rapp. au congrès de Christiania.
Bull, de VU. I. D. P., et année.Armengaly Cornet. Zuc-
ker. Pascaud, Mme Lidia Poët. Rapp. précis au Congs de Paris.
Fioretti et Précone. Discours au Congrès d'anthropologie de Rome,
1885. Actes p. 363 et 374. Garofalo. Criminologie, p. 309 (2" édit.)
Kipparazione aile viltime de) delitto, p. 00. Stoppato, L'azione civile
nascente del delitto. Rivisla pénale, t. XXVIII.
a
EFFICACITÉ DE U RÉPARATION CIVILE 203
exercer ses droits sur la somme ainsi acquise au Trésor.
Qu'est-ce, en réalité, que cette caution confisquée au profit de
l'Etal ? En fait, c'est une amende prononcée sous condition
par le juge, et dont le paiement so fait d'avance. On veut
infliger une peine à l'inculpé qui, mis en liberté provisoire, ne
se représente pas au jugement. Nous avons démontré plus
haut combien il était juste que la réparation civile fut préférée
à l'amende. Pourquoi les mêmes raisons ne seraient-elles pas
bonnes, quand il s'agit d'une amende réglementée un peu
différemment (1).
Nous pourrions faire une observation analogue au sujet des
cautions de garder la paix admises par certaines législations
étrangères. Dans ces législations (Angleterre, Mexique, Gode
de procédure criminelle de New-York, art. 84 ; projets
suisses, art. 34 et 37), l'individu que l'on croit sur le point de
commettre un délit peut être obligé parle magistrat, à fournir
caution. Si le délit est commis, le montant de ce
cautionnement est acquis à l'Etal. Si le droit français
admettait cette curieuse institution, il serait équitable que la
personne lésée, put obtenir un droit sur ce cautionnement, au
cas elle ne pourrait se faire payer l'indemnité par le
coupable lui-môme. Nous n'avons pas à insister sur les
raisons de justice qui rendent cette disposition nécessaire. Les
faits parlent assez d'eux-mêmes. Est-il juste que l'État arrive,
au total, à retirer un bénéfice : l'acquisition du cautionnement,
de ce que le délit a été commis, que la victime, au contraire,
ne puisse se faire indemniser du préjudice subi.
(1) fjf. Mme Lidia Poël Rapport précité au Congr de Pari». U
204 DEUXIÈME PART». — IIAP. II
V
La solidarité, entre les codélinquanls, le privilège surle
patrimoine du condamné, ne peuvent être de quelque uti-
lité, que si le coupable possède quelques biens. Malheu-
reusement, co n'est qu'une exception, Si l'on rencontre
surtout des délinquants dans toutes les classes de la so-
ciété, on en rencontre surtout dans les classes pauvres. Il y
en a plusieurs raisons, tout d'abord, les classes pauvres sont
de beaucoup le plus grand nombre, ensuite certaines in-
fluences, qui agissent moins sur les classes aisées, peuvent
les pousser au délit. L'homme paresseux, s'il avaitun cer-
tain patrimoine.aurait pu vivre à ne rien faire, S'il est pau-
vre, il y a certaines chances pour qu'il fasse du délit son
moyen de subsistance. L'homme riche pourra trouver un
frein à ses penchants vicieux dans une bonne éducation,
cela sera plus rare chez les indigents.
Pour que la réparation civile des délits soit effective, il
est donc nécessaire de trouver le moyen de faire payer
même les indigents. Un moyen qui a é proposé, que
plusieurs législations déjà ont adopté, c'est d'attribuer à la
victime une partie du pécule du condamné à
l'emprisonnement.
La plupart des condamnés ne possèdent aucun bien:
mais, à défaut de capital, ils ont leur travail et ils peuvent
payer avec leur salaire l'indemnité due à leur victime. Or
la peine la plus usitée dans le droit actuel est la peine
privative de liberté : la prison. Et les condamnés à la
EFFICACITÉ DE LA RÉPARATION CIVILE 205
prison, sous quelque nom qu'on la désigne : emprisonnement
correctionnel, réclusion, sont obligés au travail. N'est-il pas
naturel d'employer une portion du salaire ainsi gagné à la
réparation du dommage causé par le délit? JLe délinquant
fournit une certaine somme de travail, elle [n'est pas très
considérable, il faut l'avouer, mais elle a une certaine
importance. A ce titre, il reçoit un salaire, il serait juste qu'une
partie au moins de ce salairo servit à payer cette dette
importante entre toutes : l'indemnité duo à la victime, que la
prison servit à acquitter la réparation civile comme la
réparation sociale. A l'expiration de la peine, le crime serait
effacé dans l'ordre matériel comme dans l'ordre moral.
Relever le condamné par le travail, employer ce même travail
à indemniser la victime, finalement rendre à la société au
homme régénéré et ayant acquitté toute sa dette : la scienco
pénitentiaire ne saurait avoir un idéal plus élevé, plus
conforme aux désirs de tous.
La législation française a malheureusement négligé
d'assurer le paiement de l'indemni par le travail du con-
damné. La distinction entre la réparation civile et la peine a
été poussée à un tel point, disons même a été tellement
exagérée dans ses conséquences, on en a oublié que ces deux
institutions devaient se prêter un mutuel secours. Le Code
pénal reconnaît aux détenus le droit (1) à une partie du
produit de leur travail (art. 21 et 41). D'après les règlements
en vigueur, cetto partie comprend les 4/10
(1) Pour la réclusion, le cule n'est pas obligatoire (art. SI. Cpén.);
en fait, les règlements reconnaissent au clusionnaire un droit aU
pécule.
206
DEUXME PARTIE. — CHAI'. Il
pour les condamnés à la réclusion et les 5/10 pour les
condamnés à l'emprisonnement. Le surplus est conservé par
l'Etat pour s'indemniser des dépenses faites par lui. Mais la
portion . du salaire attribuée au condamné, ce qu'on appelle le
pécule, no lui est pas remise directement en entier. Une partie
du pécule no lui est donnée qu'à sa sortie de prison. L'autre
portion seule lui est donnée pendant le cours de sa peine : il
peut en user pour adoucir son régime, envoyer des secours à sa
famille, ou même indemniser sa victime (I). Ce dernier emploi
est, en pratique, excessivement rare, bien peu de détenus sont
assez honnêtes pour s'en soucier. En fait la personne lésée
n'obtient, par cette voie, aucune satisfaction.
Quelques législations étrangères ont pris plus de soin des
intérêts de la victime : il faut d'abord citer la loi suédoise de
1737 : la première qui, à notre connaissance, ait accordé à la
partie lésée des droits sur le pécule du prisonnier. Mais cette loi
est, paraît-il, restée à peu près inobservée. Ce n'est pas d'ailleurs
la seule fois que des dispositions établies pour rendre effective
la réparation civile sont presque restées lettre morte. Le même
fait se passe en Espagne, où la loi accorde aussi à la victime des
droits sur les gains des condamnés : il n'y a qu'un précepte
légal jeu fait, la victime n'obtient rien. Des dispositions du
même genre ont été adoptées par la loi portu-
(1) Un rapport ts complet sur le pécule dans les diverses législa-
tions a été fait, à la Société des prisons, par M Boullaire, Revue
nitentiaire, 1892, p. 898. Les ordonnances du 2 avril 1817 et du
10 mai 1839 autorisent formellement cet emploi en faveur de la
victime. Le circulaire ministérielle qui accompagnait celle dernière
ordonnance prescrivait même de conseiller cet emploi aux tenus. V.
Bonne ville. Op. cit. p. 73.
EFFICACITÉ DE LA RÉPARATION CIVILE 207
gaise du 1* juillet 1867. En vertu de celte loi, un quart du
pécule du condamest attribué à la personne lésée. On peut
encore citer une gle semblable dans le droit italien. L'avant-
projet de Gode pénal suisse a également admis que « lorsque
l'auteur aura été condamné à une peine privative de liberté de
longue durée, le juge pourra attribuer au lésé le pécule afférent
au détenu, mais seulement jusqu'à la moitié » (1).
Les divers représentants de la science pénale se sont
montrés uuanimes à demander l'attribution d'une partie du
pécule à la victime du délit (2). Certains même se sont
avancés très loin dans cette voie : M. Enrico-Fcrri, au
Congrès de Rome, en 1885, a demandé, qu'après prélèvement
du coût des aliments, on attribuât les deux tiers du pécule à la
réparation civile (3). Au Congrès pénitentiaire de Paris, M.
Zucker a proposé d'attribuer à la victime tout le pécule,
déduction faite seulement d'une partie accordée à la famille
du détenu. Il pensait même que l'Etat n'avait aucun titre à
prélever les dépenses faites par lui, ou tout au moins ne
pouvait les prélever que si la personne lésée avait reçu
satisfaction (4).
(1) Art. 31. 2« avant-projet (art. 38 du 1
er
). Cette disposition existait
jà dans le projet de Code pénal préparé pour le canton de Zu-I rien
par M. Du us en 1835.
(2) Aliœena et Prins. Rapp. au Congrès de Christiania précités.
Flandrin, Zucker, Mme Lidia Poët. Rapp. au Congs de Paris précités.
— Perri. Discours à la Chambre italienne, le 19 mai 18*7. —j
Bonneville. Discours au tribunal de Reims, le 12 novembre 1845. et
Institutions complémentaires, p. 73. Stoppato, toc. cit. Boul-
laire, toc. cil. — Bérenger. La répression pénale, sa forme et ses]
effets, II, p. 325,
(3) Actes du Congrès pénitentiaire de Rome, compte-rendu des
séances, I, p. 425.
(4) Rapport précité.
208 DEUXIÈME PARTIE. — CHAP. II
En France, vers le milieu de ce siècle, Boni de
Marsangy et Bércnger ont proposé de faire des retenues
sur le salairedes prisonniers, pour assurer la réparation du
dommage. Plus récemment, cette opinion a été fendue
par MM. Flandin et Boullaire.
Malgré tant de défenseurs, cette opinion se trouve aux
prises avec des difficuls considérables, ou du moins Ton
peut douter qu'une réforme des règlements pénitentiaires,
sur ce point, amène beaucoup d'améliorations. La main-
d'œuvre pénale n'est et ne peut être très productive. L'ad-
ministration pénitentiaire doit s'arranger pour ne pas nuire
trop au travail libre, qui bien souvent réclame contre la
concurrence du travail des prisons. Elle ne dispose que
d'une main-d'œuvre inférieure : bien des condamnés sont
des gens sans occupation fixe, ignorant à peu près tout
métier, déshabitués du travail. Tous, par mauvais vouloir
ou par paresse, font le moins de besogne possible. D'autre
part, on ne peut supprimer le pécule de sortie sous peine
de vouer fatalement le libéré à la cidive. On ne peut non
plus supprimer les secours que le condamné ne peut
envoyer à sa famille : on ne saurait trop respecter les bons
sentiments restés debout dans une conscience délabrée. Et
puis, est-il juste de réduire complète-! ment à la misère des
innocents qui souffriront toujours trop d'un délit dont ils
ne sont pas auteurs ?
Enfin, ajoute-t-on, il est juste que l'État prélève les frais
qu'il est obligé de faire pour le prisonnier. Sur ce point,
toutefois, comme nous l'avons indiq (1), l'opinion
commune a été combattue très vigoureusement par
(i) V. p. »W.
EFFICACITE DE LA RÉPARATION CIVILE 209
M. Ziicker. « L'État, dit-il, n'a pas de titre pour se faire
rembourser. Au point de vue du droit civil, le litre man-
que. » Au point de vue du droit public, il faut que l'État
entretienne le prisonnier, sans cela celui-ci ne pourrait
subir sa peine. Cette obligation dérive de la position de
l'Etat. C'est à l'État à entretenir le prisonnier incapable de
travailler, ou qu'on ne peut contraindre à travailler, par
exemple, le prisonnier politique. Mais si l'on veut recon-
naître le droit de l'État, celui-ci pourrait bien céder la
prioriaux dommages-intérêts. Il est plus important que
la partie lésée soit satisfaite, quant à la réparation, que
l'État quant à ses frais.
Ce raisonnement, au moins dans sa première partie,
nous paraît exagéré. Est-il bien vrai qu'il n'y ait aucune
raison de rembourser l'État de ses dépenses ? L'État a
beauêlro obligé d'entretenir les prisonniers pour leur faire
subir leur peine, on ne voit pas pourquoi cet entretien ne
donnerait pas lieu à indemnité. Est-il plus juste que les
délinquants soient nourris aux frais du Trésor, c'est-à-dire
des contribuables, que de l'être à leurs propres frais ?
Sur ce point, l'opinion générale nous part justifiée, il
nous semble qu'elle a été contestée à tort. Mais nous ne
l'adoptons pas complètement pour cela. Elle nous paraît
faire absolument fausse roule,lorsqu'elle admet qu'il faut,
de toute nécessité, prélever les dépenses de L'État, avant
d'accorder aucun droit à la personne lésée. Cela est inad-
missible. L'État peut se diro créancier à raison des frais
d'entretien du prisonnier, nous le voulons bien. Mais toute
la question est de savoir si l'État mérite plus d'intérêt que
la partie lésée, s'il a plus de droit sur le pécule que la
14 é
210 DEUXIÈME PAR. CIIAP. II
victime. C'est ce que nous contestons formellement. Que
l'on prenne d'abord sur le produit du travail pour secourir
la famille du condamné, pour former un cule qui sera
donné au prisonnier à sa sortie, cela nous paraît cessaire.
Il y a à cela des raisons d'ordre public en quelque sorte : il
ne faut pas vouer le condamné à la récidive, et sa famille à
la plus affreuse misère. Mais dans quel intérêt supérieur
veut-on faire passer l'État avant la partie lésée ? Nous ne
voyons pour cela aucun motif décisif, personnel n'en a
jamais indiqué aucun. Laissons les donc venir en concours
: chacun se paiera au prorata de sa créance.
Cette doctrine, pour équitable qu'elle soit, a cependant
peu de chances d'être adoptée, il faut le reconnaître. Les
raisons budgétaires y formeront le plus terrible obstacle.
Les dépenses des prisons pèsent déjà d'un poids très lourd
sur le budget de l'Etat. Que serait-ce, si celui-ci perdait
une partie de ses droits sur le produit du travail des pri-
sonniers. D'ailleurs l'Ltat pourrait faire en matière pénale
d'autres sacrifices beaucoup plus utiles.
En maintenant même les déductions sur le pécule qui
nous paraissent nécessaires, ou dont on ne peut espérer
l'abolition, il serait possible cependant d'améliorer le sort
de la victime, de lui reconnaître certains droits sur les
gains des prisonniers. Sans être très considérables, ces
gains ne sont pas toujours à négliger : le pécule de sortie à
lui seul atteint parfois plusieurs centaines de francs. D'un
autre côté, dans beaucoup de délits, le dommage causé
n'est pas très considérable. Les anciennes statistiques cri-
minelles donnaient quelques indications sur l'importance
du dommage causé chaque anuée par les vols. D'après
KFFICACITK DR LA RKPARATIÛN CIVILE 211
ces statistiques, la moyenne du préjudice résultant d'un |
vol ne dépassait guère 300 francs (1).
Nous n'avons aucune raison dépenser que,depuis, cette
moyenne ail changée de façon bien sensible. Cela étant
admit, il en résulte que des prévements faits sur la cule
permettraient d'arriver à la réparation de bon nombre de
délits. Quand la peine d'emprisonnement dépasse une
année, il serait très souvent possible de faire obtenir à la
victime une somme suffisante. Les délits les plus nom-
breux, sinon les plus importants, seraient réparés.
Une modification des glements administratifs serait
fort utile sur ce point. A ce sujet, signalons un détail. Il
nous semblerait meilleur d'attacher une part fixe des
gains aux personnes sées que de s'en remettre à la dé-
cision du juge. La plupart des auteurs se rallient cepen-
dant à ce deuxième système ; il pourrait avoir de graves
inconvénients de nature à discréditer la réforme. Ce serait
d'abord une complication pour la comptabilité, ce qu'il ne
faut jamais négliger eu matière administrative. Ensuite, |
ou le juge attribuerait une part considérable à la victime,
et jetterait le trouble dans l'organisation du pécule, ou
bien il craindrait de gêner l'administration pénitentiaire j
et il n'attribuerait plus à la victime qu'une part insigni-
fiante ; de toutes lagons, on arriverait à des faits qui nui-
raient à la bonne application de la nouvelle règle.
Quel devrait être exactement le quantum qu'il convien-
drait d'attribuer à la victime ? C'est ce que nous ne pou-
vons fixer. Seuls les membres de l'administration péniten-
(1) Pour l'année 1850, elle était de 309 fr.
212 DEUXIÈME PARTIE. CI1AP. II
tiairc pourraient proposer un chiffre en toute connaissance de
cause.
Les droit» que nous avons reconnus à la partie lésée sur le
pécule des prisonniers, il faudrait évidemment les admettre sur
le produit du travail des transportés. Pourquoi le relégué, ou le
forçat, qui ont obtenu'unc concession, ne devraient-ils pas payer
à l'État une redevance qui serait versée à leurs victimes (1).
N'est-il pas scandaleux que le coupable puisse vivre heureux sur
son bien, tandis que la victime et sa famille sont dans la misère
par le fait du crime ? Est-il admissible que le criminel puisse
obtenir à bon compte une concession de terres, des secours en
nature, que la famille de la victime reste sans appui, sans soutien
? Tandis que le forçat est en cours de peine, ne serait-il pas très
juste que l'État verse à la victime, ou à sa famille, des sommes
représentant une partie du travail du condamné. Tout créancier
peut se faire payer directement une partie des salaires de son
débiteur. Si celui-ci est un criminel, il ne faut pas qu'il ait pour
cela moins de droits.
Toutefois, il ne faut pas se dissimuler les difficultés
auxquelles on se heurterait dans cet ordre d'idées. Il faudrait
ignorer complètement les obstacles contre lesquels il faut lutter,
pour organiser d'une façon â peu près satisfaisante les peines
coloniales. Déjà bien des efforts sont nécessaires pour obtenir
un classement très relatif des libérés. Ils pourraient être inutiles,
si l'on imposait
(1) Redevance en sus de celle établie par le cret du 18 janvier
1895, car cette redevance minime ne peut être attribuée à la victime,
c'est à peine la rente du capital con au libéré.
EFFICACITÉ DE LA PARATION CIVILE 213
aux concessionnaires de terre une contribution trop forte,!
pour la réparation civile de leurs crimes. Faire d'un malfaiteur
dangereux un colon attaché à la terre, un cultivateur sérieux
est déjà par soi-même une lâche assez malaisée, assez
laborieuse, sans qu'on vienne la rendro plus malaisée encore,
en voulant obtenir du condamné de quoi indemniser ses
victimes. L'idée do réparation civile n'est pas une idée qu'il
faut introduire partout et toujours dans la peine, admettre
complètement, quoiqu'il eh coûte. Trop d'intérêts sociaux
sontjengagés dans celle lutte entre l'administration
pénitentiaire etle criminel pour ne pas y subordonner l'intérêt
individuel, quelqu'imporlant soit-il.
L'idée de réparation, toutefois,comme cellej d'amendement,
est une de celles que la science [pénitentiaire ne doit pas
perdre de vue, mais qu'elle n'applique qu'en temps et lieux.
Dans ses peines les plus sévères, la loi conserve l'espoir de
l'amendement, ellen'oublie pas qu'il y a des heures où les plus
obstinés fléchissent, de meilleurs sentiments peuvent se
glisser chez les pires malfaiteurs. De même il ne faudrait
jamais oublier que, même où cela paraît le plus difficile, il est
parfois possible de faire entrer l'idée de réparation dans la
peine. C'est à l'administration pénitentiaire à aiguiller ses
recherches de ce côté : à imposer, quand cela lui parait
possible, une contribution à ses concessionnaires : forçats
libérés, ou relégués individuels, pour la restituer à leurs
victimes.
Quant aux relégués collectifs, aux forçats en cours de
peine, les même difficultés ne se présentent pas. Rien
n'empêche l'administration de donner aux personnes
'214 DEUXIEME PARTIS. CHAP. H
lésées des annuités représentatives d'une partie du salaire. Les
raisons budgétaires y forment le seul obstacle (1).
VI
Le travail des condamnés en cours de peine pourrait assurer
parfois une satisfaction suffisante à la victime. Mais le
dommage ne fut-il pas très considérable, cène peut, ce ne
pourra être la généralides cas. Il yen a plusieurs raisons. La
durée de la peine est rarement assez longue pour que le détenu
puisse gagner, par son travail, une somme considérable. Sur
près de 250.000 personnes prévenues de délit, 4.000 seulement
sontcondamnées àplus d'un an de prison (2). De'plus si la
législation entre dans les vues de la science pénale
contemporaine, l'emploi plus grand des peines pécuniaires
réduira d'autant le rôle de l'emprisonnement. Aux mesures
contrôle délinquant prisonnier, doivent donc s'ajouter des
mesures contre le délinquant libre ou libéré. Il faut assurer à la
victime le produit du travail libre comme celui du travail
carcéraire.
Ici, comme partout ailleurs, l'école italienne s'est signalée en
proposant les moyens les plus énergiques, en poussant jusqu'à
l'exagération une réaction salutaire contre la douceur des lois
actuelles.
M. Garofalo, a étudié particulièrement toutes ces ques-
(1) Cf. sur ces points Garofalo. Kippazione, p. 38 etsuiv. Fio-
retti. Rapport cité, i" partie, 2°, lelt. A.
(2) En 4894, 4.032 sur 249.466 prévenus.
d
EFFICACI DE LA RÉPARATION CIVILE
lions dans son ouvrage : Hipparasione aile vittime del
[délit lo ». (1)
11 distingue tout d'abord deux classes, parmi les personnes qui
n'ont pas de patrimoine, avec lequel réparer leurs délits. Dans la
première catégorie, il place les mé- • decins, les avocats, en
général, tous ceux qui exercent une * profession libérale, tous
ceux qui n'ont pas droit à un simple salaire, mais à un
traitement, à une quote-part de bénéfices. Dans l'autre, il place
les j ouvriers {opérai ma-*^ nuali), tous ceux qui ont droit à un
salaire journalier.
Le [ condamné de la première catégorie sera admis à
travailler librement à sa profession, mais il devra payer à la
caisse des amendes (2) une somme fixée d'avance, d'après ses
gains actuels. Cette somme sera déterminée de manière à
laisser au condamné seulement la partie de son sain
strictement nécessaire à la vie et à l'entretien de sa famille,
calculée sans aucun égard à sa situation sociale et à la vie
(qu'il mène. Il lui restera en somme la partie correspondante
au salaire minimum d'un ouvrier.
Pour les travailleurs manuels, qui sont rétribués avec un
salaire, on calculera le minimum jnécessaire pour eux, on
excluant tout ce qui peut constituer une satisfaction : vin,
liqueurs, tabac. Du salaire d'un libataire, on pourrait
déduire un tiers, ou un quart, sans qu'il manque d'aliments,
ou souffre une privation intolérable. Pour
(1) P- 46 et suiv. V. un résumé de ses idées dans la Criminologie,
trad. française, p. 358. et dans son rapport sur la question du Con-
grès de Bruxelles. Bull, de l'U I. D. P. 1" année, p. 53.
(2) Nous étudierons plus loin celte institution destinée à faire les
versements à la victime.
216 DEUXIÈME PARTIE. — C1IAP. II
celui qui a une famille, la question devient plus difficile, mais
sans arrêter l'ardeur réformatrice des positivistes. On enlèvera
moins à l'ouvrier s'il le faut, mais il ne sera' pas libéré, net-il
verser que les sous do poche qu'il dépense au cabaret.
Si le délinquant travaille chez un patron, l'obligation sera
imposée au directeur de verser une quotité déterminée du
salaire quotidien. Celui-ci devra, en outre, prévenir immé-
diatement do l'absence de l'ouvrier, dès qu'elle durera plus d'un
jour, à moins d'événement de force majeure. Aucun patron ne
pourrait s'exempter de ces obligations, sous peine de paiement
immédiat des intérêts de la somme due par l'ouvrier, ou même
de clôture de l'établissement.
La moindre inexécution de ces obligations par qui que ce
soit ; ouvrier, ou personne travaillant d'une profession libérale,
donnerait lieu à l'application d'une contrainte par corps, longue
et rigoureuse (1).
Une théorie aussi hardie, un système aussi radical, ne
pouvaient manquer de soulever de vives critiques. Elle présente
en effet le même caractère excessif, qui est la marque de
presque toutes les réformes préconisées par l'école italienne.
Dans sa réaction contre les défauts très réels du droit actuel,
presque toujours elle dépasse le but. Et, chose curieuse, ici elle
le manquo précisément pour n'être pas restée assez fidèle à ce
qui devrait être sa méthode. Son litre de positiviste devrait
indiquer une école procédant avec une rigoureuse
circonspection, s'appuyant
(1) Une torie presque identique a été soutenue par M. Fiorelli au
1" Congrès d'anthropologie criminelle. V. son rapport à ce Congrès.
Actes du Congrès, p. 34.
c
EFFICACITÉ DE LA REPARATION CIVILE 217
continuellement sur les faits, comparant toujours la pra
tique avec les données de la théorie. Tandis qu'elle devrait
plutôt pécher par la timidité de ses affirmations, nulle n'a
vance de solution avec plus de hardiesse, nulle no procède
plus par à priori. ,.
Sur la question que nous étudions, les théories nouvelles ne
sont guère positivistes que do nom, elles font singulièrement
bon marc des données do l'expérience et, adoptées telles
quelles, elles conduiraient à bien des mécomptes. Que veut
l'école positiviste en assurant l'efficacité de la réparation, en
donnant plus de place aux peines pécuniaires ? Etablir pour
les délinquants occasionnels une pénalité sérieuse et qui n'ait
pas. comme lu prison, le défaut de les pervertir plus
complètement, de les mûrir pour la récidive. Or, à quoi
aboutirait-elle avec la réforme qu'elle propose ? A.u résultat
qu'elle veut éviter : à faire du linquant un récidiviste. Quel
est le patron qui acceptera un ouvrier condamné pour un délit,
s'il s'expose à tous les inconvénients quo nous avons signalés
? Il suffit de lire les rapports présentés par les chefs des
patronages pour les libérés pour s'en convaincre. Tous les
employeurs, du moins dans nos pays( t ), éprouvent une très
grande répulsion à employer des délinquants. Coramentles
délinquants, même les plus repentants, pourront-ils trouver ou
conserver une place, si leurs patrons sont exposés, à cause
d'eux, à des mesures draconiennes, allant jusqu'à la fermeture
de leur établissement ? Accroître encore la difficulté qu'é-
(i) Cela existe, parait-il, à un degré beaucoup moindre en Amé-
rique..
218' DEUXIÈME PARTIE. CHAP. Il
prouve tout délinquant à trouver un emploi, faire tout pour
qu'il se trouve au lendemain de sa condamnation sans
travail, presque sans possibilid'en trouver, c'est préparer
des recrues pour la récidive, ou, comme disent les posi-
tivistes, mettre le délinquant dans les conditions voulues
pour commettre de nouveaux délits.
Les théories de M. Garofalo donneraient-elles de meil-
leurs résultats quand il s'agit d'artisans libres, ou de per-
sonnes exerçant des professions libérales ? Elles seraient
parfois plus acceptables, mais, bien souvent, aussi elles
auraient les mêmes inconvénients. Peut-on toujours raison-
nablement duire une personne au salaire strictement
minimum ? Certaines dépenses, un certain genre de vie,
peuvent être nécessaires dans bien des professions pour
conserver la clientèle. Un médecin peut-il raisonnablement
être réduit au salaire d'un ouvrier? Certains frais, superflus
pour d'autres, ne sont-ils pas pour lui d'une nécessité
absolue ?
Si la théorie que soutient l'école positiviste nous paraît
inadmissible sur certains points, nous ne nous faisons
nullement faute de l'adopter pleinement sur d'autres. Les
critiques que nous venons de formuler mises à part, il
nous semble parfaitement logique d'autoriser, d'une façon
large la saisie des produits du travail : salaires, appointe-
ments ou honoraires. Pourquoi, d'une façon générale, ne
pas suspendre toute insaisissabilité, dès qu'il s'agit de la
réparation civile ? Le juge ne pourrait-il pas déclarer
saisissables, dans une certaine mesure, les traitements, pen-
sions ordinairement insaisissables, sauf à agir avec une
certaine prudence ? 11 est vrai, et on l'a objecté dans les
t
EFFICACITÉ Dl LA RÉPARATION CIVILE 219
Congrès, que l'insaisissabilité est établie dans un intérêt
d'ordre public. Elle empêcha l'administration d'être gênée
dans son fonctionnement régulier par les dettes des employés
(1).
Cela nous parait bien exagéré. Tout d'abord, je ne pense
pas que le cas soit assez fréquent pour entraver réellement les
administrations. Ensuite, si l'ordre public est une chose
respectable, il ne faut point cependant en abuser. On tend bien
souvent à voir de Tordre public, il n'y a enjeu que des
intérêts bien minimes. On pourrait parfois n'en pas tenir
compte, sans que les choses en marchent plus mal. L'État
serait-il bouleversé, si un jugement réduisait un fonctionnaire
délinquant à la moitié de son traitement, quelques saisies-
anêts de plus jetteraient-elles un trouble si profond dans la
comptabilité publique .'
On a prétendu aussi que des saisies un peu importantes sur
les appointements auraient le tort d'atteindre la fa mille du
coupable autant que le coupable lui-même (2). L'intérêt de la
famille est certainement plus respectable que de prétendues
considérations d'ordre public : il est douloureux de réduire à la
misère des personnes autres que les délinquants. Mais, à ce
compte, il faudrait faire du titre de père de famille une
sauvegarde contre toutes les peines. Quoique l'on fasse, dès
que l'on veut châtier un; coupable, ou simplement faire payer
ua débiteur ordi-
(!) M. Berenini, discours au congrès d'Anthropologie criminelle de
Rome (1885). Actes du Congrès, p. 376. gj
(2) En ce sens Vanllamel. Au Congrès de Bruxelles. Bullet. de
l'Un. I. D. P., 1* année, p. 157 etPrceone, nu congrès d'Anthro-
pologie de Rome. Actes du congrès, p 374.
ZI
220 DEUXIÈME PARTIE. — CBAP. H
naire, on atteint indirectement des innocents avec lui. Cela
est épouvantable, mais on ne voit guère le moyen de
l'éviter sans de plus grands inconvénients. Tout ce que Ton
peut faire, c'est de ne pas admettre des mesures qui
frappent principalement les innocents. Or, ici, on ne fait
rien de semblable, surtout si on laisse les tribunaux libres
de faire saisir telle partie des gains qu'il leur plait.
Pour ce qui est de la saisie sur les salaires, la prudence
du juge sera ici une meilleure règleque les dispositions de
la loi. Que le juge, toutes les fois qu'un délit sera commis,
ordonne dans le jugement de condamnation la saisie d'une
partie des gains du coupable. Il pourra ainsi, selon les cas,
attribuer une part plus ou moins considérable à la victime.
Il pourra tenir compte de sa famille que le coupable a à sa
charge, de la situation de fortune de la victime, des
secours plus ou moins urgents dont elle a besoin, des
dépenses que le coupable est obligé de faire à raison de
l'exercice de sa profession. En un mot, laisser le juge sta-
tuer ex œquo et 6ono, s'en remettre pleinement à son esprit
d'équité, voilà le seul système admissible. Vouloir
conserver les dispositions du droit actuel sur l'insai-
sissabilité lorsqu'il s'agit de délits, c'est aboutir parfois à
des résultats déplorables. Permettre, comme M. Garafolo,
une saisie complète des gains, ce n'est point s'exposer à
moins d'inconvénients. Les faits sont très variables, trop
compliqués pour qu'on puisse les enfermer dans une dis-
position gislative. Que le juge établisse donc, pour cha-
que espèce la règle qui lui convient et que la loi n'essaie
pas de le gêner par une réglementation toujours un peu
arbitraire.
EFFICACITÉ DR LA RÉPARATION CIVttK
221
VII
Quelque large que soit une législation pour autoriser à
saisir les gains d'un délinquant, cela peut être encore in-
suffisant. Le débiteur peut ne pas trouver à louer ses ser-
vices. Devant un condamné, quoique soient ses affirma-
tions de repentir, ses promesses de bonne conduite, la
porte de plus d'un atelier se ferme. Les difficultés pour
trouver de la besogne se décuplent pour lui. La société,
pour toute réponse, doit-elle exécuter sur lui la contrainte
par corps, le faire rentrer dans cette prison, à laquelle il
méritait peut-être d'échapper ? Il est bien à craindre que
cette peine, car en fait c'en est une, ne soit pour lui une
cause de déclassement définitif.
Ne serait-il pas plus sage, au contraire, puisque cet
homme ne peut offrir ses gains, d'accepter en paiement la
seule chose qu'il possède, son travail? Puisque le délin-
quant ne peut payer en argent, pourquoi ne pas accepter
une sorte do dation en paiement, ne pas le faire travailler
au profit de son créancier ?
L'ancien droit romain, en présence de difficuls analo-
gues, avait admis une solution de ce genre. Le fils ou la
fille de famille qui avait commis un délit au préjudice d'un
tiers peuvent être livré à ce tiers à titro d'abandon noxal,
si le père de famille ne voulait pas payer la composition
du délit. Ces personnes devraient à la personne lésée des
services analogues à ceux qu'on exigeait des esclaves. Elles
étaient, à ce point de vue, servorum loco, bien que conser-
222 DEUXIÈME PARTIE. CUAI'. II
vaut leur qualité de citoyen et d'ingénu. « Le maître pouvait les
employer aux divers travaux de sa maison, mais il devait les
affranchir lorsqu'il se trouvait indemnisé, par son travail » (1).
Cette institution disparut dans le cours de l'époque classique,
et il fallut atteindre le milieu du dix-septième siècle, pour
retrouver des délinquants s'acquit tant en travail de leurs
obligations pécuniaires. A ce moment, le paiement en journées
de travail apparut, sinon pour les réparations civiles, du moins
connue moyen défaire acquitter les peines pécuniaires. A cette
époque, on vit l'acquittement en journées de travail employé en
Tliuringe, pour le paiement de l'amende.Depuis cette institution
n'a jamais disparue(2).
Au dix-huitième siècle, nous la voyons introduite en
Norwège par l'ordonnance du 6 décembre 1743 : elle instituait
le droit,pour les délinquants de payer l'amende par des journées
de travail exécutées en forteresse pour les hommes, et dans les
ateliers à filer pour les femmes. L'or-L'ordonnance du 12 juillet
1799 apporta un changement à ces dispositions : le travail pour
les hommes fut désormais exécuté à l'extérieur, sous la
surveillance de l'autorité militaire. En Suède, l'ordonnance
maritime du 24 janvier 1777 établit le paiement en travail des
amendes. Vers la même époque, la constitution de Pensylvanie
(1777), admettait que les criminels seraient employés à
travailler aux ouvrages publics « pour réparer le tort qu'ils
auraient fait à des particuliers » (section 39
e
).
(1) V. tiuq. Institutions juridiques des Romains, p.'184.
(2) Verhandlungen dem 23
e
". Deulscheu Jurislentages. Rapp. de
M. Felish. p. 28S.
EFFICACITÉ DK LA RÉPARATION CIVILE 223
Dans le courant de ce siècle, le paiement de l'amende en
journées de travail a été inscrit dans les principales
législations européennes. Sans parler des États Scandinaves
qui l'ont conservé (1), il a été admis par la législation russe
(ordonnance de 1864). Les principales législations allemandes
l'ont également adopté. Le remplacement de l'amende par des
journées de travail est un point qui reste régi par les lois des
divers États. Aussi l'Allemagne présente, sur ce point, une
certaine variété. Tantôt, et c'est le plus fréquent, les journées
de travail sont admises seulement comme mode de'paiement
des amendes en matières forestières. Tantôt, au contraire, elles
sont admises d'une façon plus ou moins étendue, pour le paie-
ment des autres amendes.
En Prusse, nous trouvons'cette institution dès la loi sur les
vols forestiers (Holzdiebstahlgesetz) du 7 juin 1821 (par S).
Elle fut reprise par le Gode forestier prussien de 1851, et par
la dernière loi sur les vols forestiers du 15 avril 1878 (2),
D'après l'article 14, le condamné peut, «sans être enfermé
dans un établissement pénitentiaire, être astreint à des travaux
forestiers ou communaux, en rapport avec ses forces et sa
condition ». En dehors des matières forestières, le travail en
paiement peut être admis à l'égard des condamnés à l'amende
qui appartiennent à la dernière classe (3).
(1) Pour la Sde acte royal du 23 mars 1807 et circulaire du 14
août 1832. — Pour la Norge, le travail pénal est régi par un acte
de 1842. Il est conservé par un projet de Code pénal déposé en 1888
par M. Genz (par 32).
(2) Ann. de législation étrangère, 1878, p. 165.
(8) Appartiennent à cette classe, les individus dont le revenu n'ex-
224 DEUXIÈME PARTIS. C11AP. II
En dehors de la Prusse, on rencontre ce paiement de
l'amende en nature, dans le duché de Bade en vertu delà
loi du 20 juin 1865 sur les contraventions forestières (I),
dans les principaux états saxons : Saxe royale, Thuringe,
Saxe Altenbourg. Dans ces derniers états, elle paraît
même admise d'une façon assez générale.
En Suisse,' la libération par des journées de travail a été
autorisée de façon générale par certaines législations
cantonales, ainsi que la loi fédérale du 30 juin 1849 sur la
procédure criminelle le leur permet. On peut citer, en ce
sens, la loi du canton de Schwilz, celle du canton de Vaud
dul7marsl875 sur les établissements de tention, d'après
laquelle, si l'amende est indépendante de toute autre peine,
le condamné qui ne peut ou ne veut la payer en argent,
peut se faire inscrire chez le receveur do l'Etat pour être
employé à des travaux publics (2).
Le nouveau Code pénal neufchfttelois à M. Cornaz,
contient des dispositions analogues (3), dans son article
28.
Plus récemment, l'article 29 du second avant-projet de
Code fédéral (art. 26 du 1
er
) admet que « si le juge croit la
poursuite inutile, ou si elle est demeurés sans résultat, le
condamné sera restreint à racheter l'amende en travail-
cède pas 1.000 marks. V. sur ce point Leroj-IJeaulieu. Traité de la
Science des Financée, tome I (chap. de l'impôt sur le revenu}.
(1) V. sur ce point : Wackler. Du konigiisebe sachsische und tlas
tliuringische StraCrédit.
(9) Un décret do même Kl al a admis ce même mode de paiement
pour la (axe militaire (décret du 2 février 1889, art. 38),
(3; V. Revue pénitentiaire, 1890, p. 37, le iiupporl de M. Leloir sur
ce projet.
EFFICACI DE LA RÉPARATION CIVILE 225
lant dans un établissement public de détention. Il pourra
toutefois être occupé au dehors, en particulier à des ouvrages
pour le compte de l'État. Autant que possible, il recevra une
occupation conforme à ses aptitudes.
Ces idées ont pénétré aussi dans le droit italien, et d'après
l'article 19 du nouveau Code pénal, le condampeut, sur sa
demande, être autorisé à se libérer par un travail exécuté au
profit de l'État, de la province ou de la commune (1).
En France, celte institution a trouvé place dans notre
législation, dès le milieu de ce siècle. La loi du 18 juin 1859,
en modifiant le Code forestier, introduisit dans l'article 210 la
disposition suivante : « L'Administration forestière pourra
admettre les linquants insolvables à se libérer des amendes,
réparations civiles et frais, au moyen de prestations en nature,
consistant en travaux d'entretien et d'amélioration dans les
forêts ou sur les chemins vicinaux. » L'extension de celte
disposition a été plus d'une fois demandée. Bonneville de
Marsangy proposait d'en faire une disposition générale, et en
18(53, il fit voter un vœu en ce sens au Conseil général de
l'Yonne (2).
Cette idée paraît actuellement se développer dans les
sphères législatives. Il y a une dizaine d'années, une propo-
sition de loi déposée par M. Michaux, sur le sursis et
(1) On trouvera des détails plus complets sur les lois étrangères
daus le rapport de Rosenfeld sur die Regelung der Geldstrafe. Bull,
de VU. I. Ù. P., 3« année.v.le rapport de Teichmann au Congrès pè^
nitentiaire de Rome. Actes du Congrès, II, p. 179, et surtout le rapport
précité de Feliah au 23« Congrès des jurisconsultes allemands.
(2) Amélioration de la loi criminelle, II, ch. X, section II*
par 3.
15
22b DEUXIÈME PARTIS. CUAP. Il|
l'atténuation des peines en cas de premier délit, portait que les
juges pourraient « convertir l'amende en journées de travail si le
condamné le demande ou s'il est insolvable, sans que le nombre
des journées puisse toutefois dépasser le nombre de celles de
contrainte par corps qu'aurait subi le condameu cas de non
paiement de l'amende » (1). De ce tableau de la législation
européenne, une idée se dégage, le paiement de condamnations
eu journées de travail se développe de plus en plus. Non
seulement les pays qui, comme la Suède, la Norwège, la
Tburingc, l'avaient admis dès longtemps, y sont restés H de! es,
mais cette institution n'a cessé de gagner du terrain eu Europe.
Toutes les législations nouvelles, tous les projets l'ont adoptée.
Chaque jour, (.'lie prend un plus grand essor. Celle marche en
avant d'une idée, marche incessante et sans à coup, s'impose à
l'attention. Jusqu'où peut-on aller dans celte voie cl, en
particulier, peut-on appliquer le paiement eu travail à la
réparation civile, comme ou l'a déjà proposé ? L'institution
nouvelle est-elle susceptible de cet accroissement considérable
? Ou, au contraire, n'aura-t-elle jamais qu'un lo limité ; des
essais plus
il) V. lie vue pénitentiaire, I88B, p. S85 et Journal officiel,
UK. Annexes du Sénat, a* 137, p. lui et n
j
45, p. 42. Cf. lin-
senfeld. Rapport précité. Cette proposition portait aussi que le*
joures de travail remplaceraient les journées de prison, lorsque la
peine pronone ne passerai! pas deux mois (art. 4). Cette idée a
été reprise, mais de façon plu» restreiale, par la projet de Coa* pé-
nal fraais. D'aps l'art. SI, les journées de travail pourront rem-
placer les arrêta dépoli.*. Mais, dans cas dans projet*, nous somme*
«n
plus don moyeu pour faire acquitter uae dette ea argent
EFFICACITÉ DE LA REPARATION CIVILE 227
larges seraient-ils voués à l'avortement ? Et même ne con-
tient-elle pas un vice ou des vices qui la rongent, qui
l'empêcheront d'être autre chose qu'une institution de pa-
rade, quelque chose comme un objet de vitrine, dans le
musée législatif, amusant à regarder, mais inutile en pra-
tique ?
Si l'on autorise les délinquants à payer en travail la répa-
ration du dommage causé par eux, ce ne peut-être par-un
travail exécu directement au profit de la victime. Aucune
modification législative ne sérail nécessaire pour cela.
Tout créancier peut permettre à son débiteur de racheter
sa dette en travaillant pour son compte : pour de petites
dettes, cela est d'une pratique courante dans nos cam-
pagnes. Mais un tel mode de libération ne peut s'appliquer
entre victime et délinquant. Les rapports entre employeurs
et employés ne peuvent exister que s'il n'y a pas, entre les
contractants, une hostilité trop aiguë. Si tendues que puis-
sent être les relations d'un patron avec son ouvrier, elles
supposent,tout au moins, que les sentiments d'aucun d'eux
n'ont éclaté dans un acte aussi brutal qu'un délit. Ajoutons
à cela que la victime a bien rarement besoin précisément
du genre de main-d'œuvre que pourrait lui offrir le
délinquant, souvent même elle n'aura pas besoin de main-
d'œuvre du tout.
Il fallait donc trouver un tiers, pouvant toujours accep-
ter de la main d'oeuvre, et venant de n'importe qui, celui-
ci verserait alors la valeur du travail à la victime. Par cet
intermédiaire, on pourrait faire ce qui n'est pas possible
directement. Ce tiers ne pouvait être que l'État, ou les
autres services publics : communes et déparlements. Seuls
228 DEUXIÈME PARTIE. - - CD Al». Il
ils peuvent, ou semblent pouvoir toujours accepter do la main
d'oeuvre.
Mais on peut se demander, s'ils sont réellement aptes à la
nouvelle besogne qu'on leur veut conGer. Ce paiement en
journées de travail a-t-il autant de succès dans la pratique que
dans les sphères législatives ? En Russsie tout d'abord, cela n'a
jamais été organisé que sur le papier (1). En Suède, elles
existaient depuis deux siècles, on y renonce peu à peu (2). En
Suisse, la loi du canton de Vaud de 1875 est restée sans effet.
Les condamnés préfèrent rester en prison, ils sont bien
logés, chauffés et nourris, plutôt que d'aller travailler au dehors
par les temps froids d'hiver (3).
En France, les résultats de la loi de 1859 ont été assez
médiocres. Dans beaucoup de départements l'administration
forestière no pratique pas ces transactions en nature. Il est vrai
qu'il en est autrement dans deux départements importants au
point de vue forestier : les Vosges et le Jura. Mais, « il est
généralement admis que cette mesure inspirée par les
meilleures intentions, n'a que peu de succès, en l'absence des
moyens de coercition, à l'égard de misérables pour la plupart
insensibles aux peines correctionnelles. Si l'insolvabilité est
absolue, il faut faire aux individus des allocations de
nourriture, qui peuvent s'élever au tiers de la valeur des
sommes dues, et qui sont
(1) Elles sont me supprimées par le projet du Code nal.
(2) V. Bull, âe l'V. I. D. P. 1892, p. 251,
(3j V. Revue nitentiaire, 1893, p. 890. Lettre de M. Gorrevon,
magistrat vaudois, sur ce sujet. Cf. Rosenteld, rapport précité,
il cite dans le même sens des clarations de Soldau au congrès de
Berlin. H
a. H
EFFICACITÉ DE LA RÉPARATION CIVILE 229
compensées par un allongement proportionnel du nombre des
journées. Il en résulte des complications, et par suite un
surcroit de travail que ne compense guère la mauvaise
besogne du délinquant. »
« Cependant, à mon avis, ajoute le fonctionnaire forestier
auquel nous empruntons ces ligues (1), on a dit beaucoup plus
de mal des transactions en nature qu'elles n'en méritaient, si
faibles soient les résultats obtenus, ils évitent la contrainte qui
est onéreuse pour le propriétaire de la forêt, et enfin la
répression n'est pas nulle, comme il arrive lorsque la
contrainte n'est en réalité pas exercée. Dans le Jura, dans les
Vosges, on obtient de bons résultats, et tout porte à croire qu'il
pourrait en être de mémo dans d'autres départements. Il faut
toutefois une condition, c'est que l'on n'ait pas affaire à de
mauvais drôles, à des récalcitrants, et à des gens trop pauvres,
ou trop parcs-sseux, car avec les premiers, on n'obtiendrait
rien el il serait même dangereux de les introduire en forêt
ils pourraient commettre de nouveaux délits, et aux autres, il
faudrait donner des allocations en nourriture, ce qui est fort
compliqué et peu pratique. »
Ces constatations de pratique étant faites, que faut-il penser
de ce paiement en journées de travail ? Peut-on l'appliquer à
la réparation civile ? Est-il susceptible de cette extension,
comme l'ont pensé plusieurs criminalis-tes (2) ? Nous ne le
croyons pas.
(1) Revue pénitentiaire, 1893, p.863.
(2) V. Garraud, II, no 93, p. 17. —Proal. Le crime et la peine, p. 488,
note 4. — Mine Lidia l'oêt. Rapport au Congrès de Paris. Bull, de la
Commission pénitentiaire, 11, p. 54.
230 DEUXME PARTIE. CHAP. H
L'institution a donné en France des résultats certaine-
ment meilleurs que ceux obtenus à l'étranger, du moins
dans les pays pour lesquels nous avons des renseigne-
ments. On peut même prévoir un certain nombre d'amé-
liorations qui l'amèneraient à un état très satisfaisant. Une
peine subsidiaire suffisamment dure pour olfrayer les délin-
quants, et beaucoup plus intimidante que la contrainte par
corps actuelle pourrait constituer pour l'administration une
arme solide: les condamnés travailleraient mieux, seraient
plus dociles, s'ils sentaient constamment l'aiguillon d'une
peine sérieuse à éviter. Cette menace d'une aggravation de
peine a été déjà reconnue cessaire par le jurisconsulte
allemand Fuld. Des allocations de secours en argent
devraient être réglées de façon à éviter ces complications
dont se plaignent les fonctionnaires forestiers. Il est certain
qu'un pareil genre de main d'oeuvre est une gêne pour les
administrations, qui tendent toujours à des organisations
simplistes, surtout chez nous. Encore faut-il, pour qu'elle
puisse se développer, cherchera réduire les complications,
la gêne à leur minimum.
Malgré ces changements, et peut-être les hommes de
pratique en prévoient-ils d'autres, le paiement en travail
n'est pas susceptible d'une extension indéfinie. Il a de sa
nature une sphère d'application assez restreinte. En en
faisant un usage modéré, on peut obtenir de bons résul-
tats, vouloir au contraire eu faire une application générale
à toutes les condamnations pécuniaires, ce serait s'exposer
à une cruelle déconvenue. Employer le paiement en travail,
pour faire acquitter toutes les amendes, semble être à peu
près le maximum de ce qu'on peut en tirer.
EFFICACITÉ DE LA RÉPARATION CIVItE 231
D'ailleurs, si nous exceptons la loi de Pe.nsylvanie de 1777, et
notre loi française du 18 juin 1859, les journées de travail
n'ont été partout employées, que pour assurer le paiement de
l'amende ou pour remplacer certaines peines [privatives de
liberté. Aller au-delà serait courir à un échec probable.
Nous n'insistons pas sur les difficultés d'organisation qui
s'accroîtraient avec le nombre des travailleurs. C'est tout autre
chose d'employer quelques individus à un travail forestier, ou
d'organiser une armée de délinquants sans cesse changée dans
sa composition. Ces inconvénients ont été souvent signalés
(1) et il n'est d'ailleurs pas complètement impossible de les
surmonter.
Il en est d'autres plus graves, qui pour nous forment un
obstacle à peu près insurmontable à un trop large emploi du
paiement en nature. Les travaux que l'Etat et les
établissements publics peuvent faire exécuter aux délinquants
doivent remplir plusieurs conditions : ne pas exiger
d'apprentissage, être d'une exécution et d'une surveillance
faciles. Le nombre est en somme assez limité. Ils se réduisent
à peu près à deux : les travaux dans les bois et forêts, et les
travaux de voirie. Or la France, parmi les états forestiers,
n'occupe qu'un rang assez éloigné. Plusieurs États européens
ont une surface de forêts moitié plus grande, ou même^
double. D'autre part, sur nos 9 millions d'hectares de forêts,
trois millions à peine sont aux mains de l'État, ou des
établissent) V. Les opinions des comités de Penne, Macerala,
Fermo. Actes du congs pénitentiaire de Rome G. R. des séances, I,
p. 203. - Cf. M. Foinltzky, même ouvrage, p. 197.
233 DEUXIÈME PARTIE. — CHAP. II
menls publics. Los travaux à opérer sur celte surface, ne
peuvent être que pour partie exécutés par des travailleurs
do hasard, un certain nombre exigent des ouvriers experts.
Ajoutez à cela que les masses forestières sont réparties
inégalement et couvrent surtout les départements les
moins peuplés. Ce genre de travail est donc très
insuffisant.
Restent les travaux de voirie. Mais il ne faut guère
compter employer les délinquants sur les chemins vici-
naux ; grâce à la loi do 1832 des travaux on nature d'une
valeur de 38 millions sont exécutés sur ces chemins par les
prestataires. Cette main-d'œuvre est plus que suffisante
pour les travaux nécessaires, à tel point que l'administra-
tion fait tous sos efforts pour faire payer en argent lo plus
de prestations possible.
On ne peut ajouter à ce flot do la main-d'œuvre libre, le
ruisseau de la main-d'œuvre pénale. A quels travaux de
voirie peut-on dès lors affecter les condamnés ? Aux
roules nationales et départementales et aux chemins ru-
raux. Et encore pour ces derniers, la main-d'œuvre sera
souvent inutile : les communes peuvent déjà y attribuer
une journée de prestation (loi du 20 août 1881, art. 10).
Elles préfèrerontet avec raison, une main-d'œuvre qui ne
leur coûte rien, àcette main-d'œuvre nale qu'il leur fau-
dra payer, et qui sera peut-être de qualité défectueuse. En
dehors des travaux sur les chemins publics, ajoutez encore
quelques terrassements, des travaux divers sur les
propriétés publiques et vous aurez à peu près la liste des
emplois pour le travail des délinquants.
On peut donc redouter que la matière no fasse défaut.
9
EFFICACI DE LA RÉPARATION CIVILE 233
Ou alors il faudrait ouvrir de nouveaux ateliers natio-
naux (1), et qui sait l'on pourrait s'arrêter dans cette
voie, quand l'on louche de si près au terrain brûlant des
revendications sociales ? Pourquoi reconnaître aux seuls
délinquants le droit au travail ?
L'inconvénient le plus grave, c'est que ces paiements
en travail devenant trop fréquents, il faudra réunir les
travailleurs en chantiers, pour faciliter la surveillance. On
retombera alors dans tous les vices de la prison. Ces vices
accouplés produiront partout la même dégradation, le
même abaissement de morali. On verra comme dans les
prisons se produire la même contagion du vice. De ces
réunions d'hommes pervertis, ne pourront sortir que des
hommes plus pervertis encore. A tous s'attachera la
même lare que s'ils sortaient de prison. Ceux, à qui on
aurait épargné la prison., se verraient infliger la peine du
chantier public. Le bénéfice pour eux serait mince. On a
prévu cet inconvénient et M. Aschrott a proposé de faire
travailler les délinquants avec des travailleurs honnêtes.
Mais est-onr que ceux-ci échappent complètement à
l'influence pernicieuse des criminels? Cette influence pour
être inoins grande, ou plus lente au début, n'en est-ello
pas moins à redouter ? On a diminué un peu l'intensité
des inconvénients, on ne les a pas fait disparaître. En
même temps, ne voit-on pas quelle quantité de travaux il
va falloir entreprendre, pour employer autant de bras !
Nos budgets de travaux publics, tant pour l'État que pour
(i) Ces travaux auront d'ailleurs l'inconvénient de ne pas offrir
une très grande régularité. Abondants par moments ils feront pres-
que complètement défaut à d'autres.
234 DEUXIÈME PARTIE. — CHAI*. II
les localités, reprendraient des porportions énormes. Et toutes
ces dépenses aboutiraient à augmenter le nombre des écoles du
vice.
Il nous semble donc que le paiement en journées de travail,
n'est susceptible que d'uu développement limité. Qu'on en
recommande une certaine extension, ou l'établissement, comme
l'ont fait depuis 4872 nombre de congrès de droit pénal, il n'y a
rien de mauvais (1). Nous souhaitons même grandement que
par des expériences prudemment conduites, des extensions
lentes, et bien mesurées, on arrive peu à peu à faire donner à
cette institution tout ce qu'elle peut rendre. Elle part de senti-
ments trop généreux, pour qu'on ne cherche pas à l'adopter dans
toute la mesure les faits le permettent. Cette mesure
maximum nous parait être à peu près l'emploi des journées de
travail comme mode de paiement de toutes les amendes. Pour
notre pays nous n'entrevoyons guère qu'il est possible d'utiliser
cette institution pour faire obtenir aux victimes le paiement de
leurs indemnités. Il se peut qu'il en soit autrement à l'étranger.
Des pays d'une civilisation plus récente, comme la Russie, qui a
les deux cinquièmes de son territoire en forêts, dont le réseau de
voirie est à peine ébauché, rencontreront certainement moins
d'obstacles. Ils auront, pour la main-d'œuvre, des débouchés qui
nous manquent. C'était aussi la situation delà
Pensylvanie,lorsqu'au XVIII* siè-
(1) Discussion au congs de Londres. Discussion au congrès
de Home. G. R. des ances, II, p. 199. Cela fut voté au congrès
allemand de PU. I. D. P. à Halle. Cf. Congs de Bruxelles de
1889,1™ question.
EFFICACITÉ DR LA PARATION CIVILE 238
Icle elle admit le paiement des réparations civiles en travail
au profit de l'Etat.
Cette limitation à l'emploi du paiement en travail dans
notre pays ne nous inspire d'ailleurs aucun regret. Par suite de
la dépopulation des campagnes, beaucoup de travaux ruraux
ne peuvent être exécutés. Les délinquants, s'ils ont la volonté
ferme de travailler, trouveront toujours de ce côté
employer leurs bras, où gagner un salaire pour indemniser peu
à peu leurs victimes. Sans l'intervention de l'Etat, les débiteurs
désireux de se libérer pourront le faire. Non seulement cette
extension démesurée du paiement en nature serait pleine
d'inconvénients, elle serait inutile. Pourquoi appeler le secours
de l'État, si l'on peut s'en passer. Une seule réforme, en ce qui
concerne les intérêts de la victime, nous semblerait donc utile
sur ce point : si les paiements d'amendes en travail se
généralisent, et passent dans notre Code pénal, que l'Etat
admette ici l'extension, que nousavons demandée, du privilège
de l'article 54 du Code peu. Si la victime ne peut rien obtenir
du délinquant, que l'État lui accorde la valeur de l'amende
qu'il a touchée en travail. C'est d'ailleurs ce que décide déjà la
loi prussienne du 13 avril 1878 sur les vols forestiers (art. 34)
(1).
(1) Annuaire de législation étranre, 1878, p. 165. Lavant-
projet de code pénal suisse (art. 28 et 31) admet une disposition ana-
logue.
236
DEUXIÈME PARTIE. — CHAP. II
VIII
Solidarité entre les co-délinquants, privilège sur les
biens du condamné, droit de la victime sur les gains du
coupable, toutes ces mesures, pour utiles qu'elles soient,
no sont pourtant pas suflisanles. Un créancier ordinaire
pourrait souvent s'en contenter. Mais la victime d'un délit
peut encore demander davantage, et avec raison. Ces
mesures suffisent à triompher d'une mauvaise volonpas-
sive, d'un débiteur qui ne fait rien pour s'exécuter. Il faut
plus pour être maître d'uno mauvaise volonté active, d'un
délinquant rusé et sans scrupule, qui fait tout pour se
soustraire à l'exécution. S'il a fait disparaître ses biens,
déposé l'objet de ses vols en lieu sûr, il faut une arme qui
vienne suppléer à l'insuffisance absolue de l'action
paulienne. Cette action exige des preuves, qu'il est souvent
difficile de fournir. Ensuite, elle ne peut répondre à tous
les besoins. Si le linquant a déposé son argent entre les
mains d'un tiers dont on ignore le nom, quel moven
juridique a-t-on pour lui faire rendre ce qu'il a ainsi
soustrait? Le droit ne peut donner aucun moyen direct
pour suppléer aux renseignements qui font défaut au
créancier. C'est pour cette raison que la contrainte par
corps nous semble nécessaire dans toute législation sou-
cieuse d'assurer la réparation civile des délits.
Notre loi française a bien conservé la contrainte par
corps. Même depuis la loi du 22 juillet 18f»7 qui l'avait
abrogéo d'une façon générale, elle peut être exercée par
EFFICACITE DE LA REPARATION CIVILE
237
la victime à raison do l'indemnité qui lui est due. Nous avons
examiné plus haut pourquoi cette mesure d'exécution ne peut
être utilisée, comment il se fait que les particuliers n'en usent
pas, il est inutile d'y insister à nouveau.
Si nous jetons un coup d'œil sur les gislations voisines,
nous voyons qu'elles ne sont guère meilleures que la nôtre.
Partout on eulend les mêmes plaintes sur l'insuffisance des
voies d'exécution sur la personne des délinquants. Ici, comme
en Suisse, la contrainte par corps a été abrogée de façon
absolue par la constitution (1). Là, comme dans le grand-
duché de Luxembourg (2), elle n'est plus possible que pour le
paiement de l'amende. La Belgique, dans sa loi du 27 juillet
1871, a suivi les traces de la loi française de 1867 : elle en a
conservé le vice capital : l'obligation pour le créancier de
consigner les aliments. Elle a réduit encore la durée de la
contrainte et ses cas d'emploi : elle ne peut durer qu'une
année; d'autre part elle ne peut plus être exercée qu'au dessus
de 300 fr., comme si pour les personnes pauvres ce n'était
déjà pas une somme élevée (3).
Le système français de la loi de 1867 est aussi à peu près
celui qui a été adopté en Italie, en vertu de la loi du 6
décembre 1877. Cette loi consacre l'abolition de la con*
(1) Art. 59 delà constitution dérale.
(2) Loi du 16 vrier 1877. Ann. degislation étrangère, 1897.
p. 567. Divers corps consultés avaient cependant deman la cou-
serration de la contrainte pour les dommages intérêts et frais, cette
opinion n'a pas triomphée.
(3) V. Haus. Droit pénal belge, II, n« 10:20 à 1030. Thiry. Droit
criminel, n° 376, p. 2U8.
238 DEUXIÈME PARTIE. — CHAP. II
train le par corps d'une façon générale : elle ne la maintient plus
que pour le paiement des dommages-intérêts et frais. encore
la durée de deux ans a été trouvée excessive : le débiteur ne peut
plus être enfermé qu'un au au maximum (1).
Le Code pénal espagnol marque un nouveau pas dans cet
adoucissement toujours plus grand de la contrainte par corps,
adoucissement qui n'est que le prélude d'une disparition
complète si une réaction ne se produit sur ce point. D'après
l'article 59 du nouveau code : « la responsabili personnelle
pour défaut de paiement de l'indemnité, Ou de l'amende, ne
devra pas être imposée à l'individu condamné à une peine
supérieure aux travaux forcés ». Grâce à cet article tous les
criminels qui ont commis les délits les plus graves : meurtre,
assassinat, viol ue sont pas soumis à la contrainte par corps. La
victime peut bien se faire allouer une indemnité par l'arrêt de
condamnation. Mais ce droit est pour elle sans utilité : elle n'a
pas à sa disposition de peine, pour menacer son débiteur ré-
calcitrant. Pour les peines qui s'exécutent en dehors d'un
établissement pénal, comme l'exil ou la déportation, en cas de
non paiement de l'indemnité, leur durée est accrue d'un temps
égal au tiers de la peine principale, mais en aucun cas la peine
ne peut être prolongée plus d'un an. Lorsque la peine prononcée
est une peine correctionnelle,l'emprisonnement est prolongé
suivant les mêmes règles, lorsque le condam n'a pas
complètement soldé l'amende, les dommages-intérêts eties frais.
Enfin si la peine principale était une
(2) Annuaire de législation étrangère, 1887, p. 367.
. EFFICACITÉ I)B LA RÉPARATION CIVILE 239
peine plus légère comme l'amende, le débiteur insolvable
lie peul être détenu que six mois au plus.
Partout l'emploi de la contrainte par corps se rétrécit
de plus en plus : plus on avance, plus la loi se montre cir-
conspecte pour en autoriser l'emploi, plus elle parait en
redouter les inconvénients. Quoi d'étonnant d'ailleurs,
quand partoulla pénalité devient plus douce, quand devant
la marée montante du crime et du délit, la société chan-
celle dans sa défense, site à repousser l'assaut avec éner
gie. La même pitié à l'égard des malfaiteurs a pénétré
dans tous les esprits. Le législateur a montré longtemps
plus de tendance à la clémence qula sévérité. Les ma-
gistrats se sont de plus en plus laissés gagner par l'indul-
gence que manifestait dé depuis longtemps l'opinion publi-
que. On a vu davantage les tribunaux condamner au mini-
mum de la peine ou user des circonstances atténuantes,
faire un large emploi des mesures de faveur mises à leur
disposition (1). Partout les barrres qui défendaient la so-
ciété se sont peu à peu affaiblies quand on n'a pas travail
à leur destruction.
Toutefois, les symptômes d'une action commencent
à se manifester. Les jurisconsultes les plus éminenls, des
magistrats distingués ont demandé qu'on agisse contre
cet état de choses alarmant à plus d'un titre. Sans
distinction d'école, ou d'opinions philosophiques, les
criminalistes sont plutôt portés à demander une ré-
pression plus énergique. « Ainsi que le reconnut Serran,
il) En police correctionnelle, sur249.166 pvenus, 138.06*5 ont eu
les circonstances atténuantes. Le sursis accordé en 1892 a 17.881 pré-
venus, l'a été en 1894 à 21.377.
240 DEUXME PARTIE. CHAP. II
l'adoucissement des peines a son époque, comme il a sa] mesure
(1). Il serait absurde de se figurer qu'on peut, en affaiblissant le
système pénal, le perfectionner indéfini-' ment, et, si quelques
philanthropes se repaissent encore de cette illusion, il est bon de
la leur enlever. Quand la crainte du châtiment n'intimide plus le
malfaiteur, la criminalité se développe. Non seulement la
société ne doit pas encourager le crime, mais elle est tenue de le
décourager. Or, depuis que la France, par exemple, note chaque
année le nombre de ses crimes et de ses délits, l'accroissement
des uns et des autres n'a point, pour ainsi dire cessé.
La série des cinquante dernières années (1838-1887) a
commencé par 237 accusés ou prévenus, elle finit par 552 par
100.000 habitants. Dans ce demi-siècle, la criminalité de notre
pays a donc augmenté de 133 pour cent. Il y a plusieurs
manières d'expliquer cet accroissement déplorable ; mais
comme aucune d'elles ne satisfait ni ne rassure l'opinion
publique, il est impossible que la société ne se demande pas si,
par amour de l'humanité, ses faiseurs de loi n'ont pas sacrifié
les premiers intérêts de l'humanité (2) ? »
Si le législateur se décide à tenir compte d'avertissements
aussi sages, nous croyons qu'il devrait le faire, non seulement
dans le domaine de la pénalité proprement dite, mais aussi dans
celui de la contrainte par corps. Si l'on veut restituer aux peines
la sévérité qui leur convieut,
(1) Discours sur la justice criminelle. Paris 170(1.
(2) Arthur Desjardins. Crimes ël peines. Revue des DeuaS-
Moncles, 4" janvier 1891, p. 190.
EFFICACI DE LA RÉPARATION CIVILE 241
il faut donner à la contrainte par corps le caractère intimidant
et énergique qui lui est nécessaire.
Répondant, et au-delà à ce desideratum, M. Garofalo a
proposé un système où l'on retrouve les exagérations, comme
les qualités des théories positivistes. Inspiré d'un esprit de
réaction salutaire contre la douceur excessive des lois
actuelles, il porte aussi la marque de cette énergie brutale que
laisse voir partout l'école italienne, et dans son ardeur à
atteindre le but, il va bien au-delà.
M. Garofalo distingue tout d'abord suivant que le con-
damné est solvable ou insolvable.
Si l'accusé parait solvable, dans lo plus bref lai possible,
il sera mis aux arrêts, s'il n'a payé la double amende (1) (nous
dirions l'indemnité et l'amende). En aucun cas, il ne faudra lui
donner une prorogation do terme, sauf s'il fournit uno caution
solvable. Les juges devront rigoureusement exiger que, si le
paiement immédiat n'a pas lieu, on fournisse une caution
satisfaisante. Si cette caution n'est pas fournie, tout délai sera
refusé. Peu importe le mal qui en résultera : que l'on doive re-
courir à des emprunts ruineux ; pour la partie civile, le juge
devra se montrer impitoyable. L'accusé sera laissé en prison
jusqu'à ce qu'il ait complètement payé.
Si l'on prétend que l'on ne possède pas assez pour satisfaire
ce que l'on doit, ou que l'on ne possède rien du tout, une
personne chargée par le tribunal devra faire une information.
S'il n'est pas possible de trouver trace de pos-
(1) L'amende due àVÉtal et celle due à la partie lésée. V. Sur ce
dernier point, p. 168.
16
242 DEUXIÈME PARTIE. CI1AP. II
sessions, ou de droits liquides, on lui infligera le traite-
ment des insolvables. Au cas opposé, au cas l'insol-
vabilité est simulée, le coupable continuera à rester en
prison jusqu'à ce qu'il ait payé. Il ne lui sera fourni que les
vivres strictement nécessaires et le prix devra en être
remboursé par lui.
Parmi les insolvables, M. Garofalo distingue ceux qui
exercent une profession libérale et les simples salariés. Les
uns et les autres doivent faire un prélèvement déterminé
sur leurs gains, pour s'acquitter de leurs condamnations. Si
les premiers manquent à leurs obligations,ils seront
conduits dans un établissement public ils pourront
amener leurs instruments de travail. Au cas ils ne leur
appartiendraient pas ou ne pourraient être transportés,
l'établissement pénitentiaire leur en fournira. Les produits
seront vendus par les soins de l'administration, ou ils
pourront être mis en vente dans les magasins du coupable
à charge parle gérant d'en remettre le prix. Ce prix sera
affecté aux penses d'entretien du condamné et à la
réparation du dommage causé par le délit. Celui, pour qui
la réclusion est un obstacle à l'exercice de sa profession :
avocat, médecin, devra choisir un autre métier: copier des
cartes, dessiner, traduire des livres, écrires des articles de
journaux.
Pour les simples salariés récalcitrants, on créerait des
compagnies d'ouvriers. Ces compagnies comprendraient
non seulement les récalcitrants, mais tous les délinquants
primaires de renommée douteuse, n'ayant pas un métier
stable, ni la volonté, ou la capacité pour un travail utile.
On y mettrait aussi les vagabonds et les oisifs, à cetlç
EFFICACITE DE LA REPARATION CIVILE 243
différence que la durée de la coercition pendrait de leur
bonne volonté, non des paiements qu'ils feraient. Ces ou-
vriers récalcitrants recevraient « un salaire nominal non
inférieur à l'ordinaire, mais qui serait retenu pour le paie-
ment d'une amende à l'État, et pour le dédommagement à
la partie lésée. L'ouvrier n'aurait droit à la nourriture
qu'autant qu'il aurait dûment gagné sa journée de travail ».
On le relâcherait après dommagement, mais seulement
s'il avait un emploi.
« Est-ce qu'on ne pense pas que c'est un moyen fort ca-
pable de faire reparaître tout à coup la somme qu'on croyait
disparue et qui a été confiée à des mains amies ...... Si la
somme a éréellement dissipée, le coupable travaillera
sans répit, pour dédommager la partie lésée ».
Ce genre de travail ne serait pas, affirme M. Garofalo,
une concurrence pour l'industrie privée. On emploierait
ces compagnies dans les travaux que l'Etat doit nécessaire-
ment faire exécuter : fortifications, ports, dessèchements
des marais. On ferait exclusion de toute idée de nouvel
établissement industriel fondé par l'État expressément
pour ces condamnés. On éviterait ainsi de décourager l'in-
dustrie libre. Enfin ce traitement n'aurait rien d'excessif:
il aurait été voulu par les linquants eux-mêmes, par leur
négligence à acquitter l'indemnité, sauf pour ceux qui ne
méritent aucune confiance, et qui seraient s l'abord
condamnés au travail forcé.
Restait une difficulté considérable, que M. Garofalo a
dit aborder : le dommage causé peut être tel, qu'on ne
puisse le parer par un travail me longtemps prolongé.
Tout d'abord, dit-il, on se montrera ici plus restrictif dans
244 DEUXIÈME PARTIE. CIIAP. II
l'évaluation du préjudice, on tiendra compte de la situation
économique et sociale de l'offenseur et de la victime. S'il
s'agit d'un délit contre la personne, ou contre l'honneur, on
pourra tenir compte de la condition personnelle des deux
parties. Mais ce n'est làqu'un palliatif insuffisant. Aussi,
l'auteur tente un nouvel effort, pour sortir de l'impasse
il est engage.
S'il s'agit d'un dommage, dont la valeur est connue avec
précision, il faut bien calculer l'indemnité, quelque soit la
condition économique du condamné. Mais comment exiger
par le travail le paiement de 100.000 ou de 150.00 0 livres ?
« Je réponds : dans ce cas, il est bien rare que celui qui a
fraudé une pareille somme ne puisse rien rendre.
L'impossibilité doit être présumée simulée jusqu'à preuve
contraire. On le menacera d'un emprisonnement illimité,
jusqu'à ce qu'il ait tout payé, y compris les frais
d'incarcération. Dans la majorité des cas, la somme re-
paraîtra comme par enchantement. »
Mais on peut acquérir la certitude à peu près complète
de l'insolvabilité non dissimulée, et ce cas est aujourd'hui
fréquent : presque tous les détournements de grosses
sommes sont faits par des gens qui perdent tout à jouer à
la Bourse. Dans de pareilles hypothèses, il faut bien re-
culer ; si déterminé qu'on soit à faire payer les délinquants,
il y aune limite qu'on ne peut pas dépasser. M. Garofalo a
le reconnaître lui-même. Une limite devra être établie,
pour que l'offenseur ne devienne pas comme un esclave
toute sa vie, qu'il puisse sortir de cet état. Une durée
maximum de cinq ans lui paraîtrait juste, si le coupable
travaille constamment de toute sa force, et dix
c.
EFFICACITE DE LA RÉPARATION CIVILE 245
ou même quinze ans, si le dommage est très grave. S'il n'a
pas fait tout ce qu'il peut, étant donnée sa condition
intellectuelle et physique, la limite sera supprimée ; et
l'homme oisif sera en présence d'une perspective de ser-
vitude illimitée. Si cela dure toute la vie, pou importe, cela
ne devra pas paraître chose inique, si l'on considère la
mauvaise volonté du coupable. Si par sa mollesse, il a peu
travaillé, tant pis pour lui. Ce cas d'ailleurs n'arrivera
jamais, ou très rarement, quand on saura que l'oisiveté ne
sera pas récompensée et que la limite de la contrainte sera
seulement pour celui qui a fait tout son possible (1).
Des propositions d'une telle vigueur à l'égard de tous
ceux qui ont encouru une condamnation pécuniaire ont
naturellement soulevé de vives protestations. On a sou-
ligné tout ce qu'il y aurait d'injuste, d'impraticable dans de
pareilles mesures.
Adopter de pareils procécés, a*t-on dit, ce serait faire
œuvre de démoralisation, parce que si l'on consulte la
conscience populaire, il est facile de voir qu'elle serait
rebelle à ces cruautés et à ce soin excessif de la réparation
(2). Ensuite, quelles complications des fonctions de l'État !
Pour tous ces condamnés, il faudra créer des éta-
(t) Cette théorie est expliquée complètement dans l'ouvrage :
Ripparazione aile villime del delitto, p. 43 à 59, dont les pages j
précédentes sont le résumé. Elle se trouve résumée dans les rapports
et discours du même auteur. V. aussi Criminologie, p. 353, 399
et 407. -
246 DEUXIEME PARTIE. CHAP. II
blissemenls publics d'arts et de métiers, des ateliers d'art ; pour
poursuivre des réparations privées ; pour se recupé-] rer de ses
dépenses, l'État devra se faire commerçant courtier, encourager
les arts et les études. En outre, l'organisation, la surveillance de
ces compagnies de travail rencontreraient de nombreuses
difficultés. Ces critiques nous semblent pleinement justifiées.
Il en est d'autres sur lesquelles quelques réserves nous
semblent nécessaires. On a prétendu que ces compagnies
d'ouvriers ne permettraient pas d'attribuer à la victime plus de
40 cent, par jour, soit environ 125 francs par an. Cela est peut-
être exagéré. Sans espérer des sommes bien considérables, on
peut faire fonds sur de meilleurs résultats.
Une autre objection a été présentée, on frapperait irré-
missiblement beaucoup de familles, on les réduirait à la
mendicité. Ce seraient pour les fils des coupables des con-
séquences irréparables ; on leur fermerait ainsi la voie d'une
instruction possible, de toute éducation et de toute entreprise.
La misère serait cause pour eux d'un abaissement moral et les
conduirait au vice.
Et puis ne faudrait-il pas que l'État, ou les communes,
pourvoient aux besoins delà famille, pendant que son chef
serait détenu pour le paiement de la réparation (1). Ce sont
des faits assurément très graves, mais qui prouvent moins qu'on
ne pense. Toutes les peines privatives de liberté produisent ces
tristes effets pour les familles des
(1) Sloppato. op. citait), p. 218 el suiv. C'est à cet article que nous
empruntons toutes ces critiques.
c
EFFICACI DE LA RÉPARATION CIVILE 247
détenus. N'y a-t-il pas ici comme l'intérêt supérieur qui
doit faire passer par dessus ces conséquences regrettables,
quitte à les atténuer ensuite par des palliatifs : la charité
légale ou privée ?
On a objecté également que l'on faisait au travail libre
une concurrence redoutable. Si les délinquants trouvent
du travail, ils vont augmenter la concurrence, avilir la
main-d'œuvre. Si au contraire, ils n'en trouvent pas, la
charge de pourvoir à leurs besoins va retomber sur l'État.
Nous ne voulons pas résoudre ici celte fameuse question
de la concurrence du travail pénal et du travail libre. Nous
répondrons simplement que l'objection présentée n'est pas
décisive. On ne peut légitimement récriminer parce que
tous les hommes valides travaillent, et qu'il y a trop peu
d'oisifs et de paresseux.
Sous ces quelques réserves, nous nous associons vo-
lontiers aux critiques présentées. On ne peut qu'être frap-
pé de ce qu'il y a de brutal et d'excessif dans ces formes
de l'école positiviste. Elles ont le tort de vouloir substi-
tuer à une indulgence trop grande parfois, une sévérité
presque sans limite. Pour assurer la défense de la société
elles font trop peu de cas de la justice que tout homme,
quel qu'il soit, peut légitimementclamer. Quelque consi-
dération que mérite la réparation civile, il ne faut pas
pour elle arriver à des iniquités pires que celles du droit
actuel.
Malgré eela, nous ne pensons pas qu'il ne faille tenir
aucun compte des propositions de M. Garofalo. Ce serait
un tort grave de négliger comptement les travaux d'une
école qui est venue à son heure, pour réagir contre un
o
248 DEUXIÈME PARTIE. — COAP. II
trop grand affaiblissement de la répression. Sans les suivre
jusqu'au bout, on peut s'engager dans la voie se sont
lancés les partisans des nouvelles théories. On peut
réparer et transformer celte institution boiteuse de la
contrainte par corps et en retirer un meilleur usage.
Pour cela, il faut tout d'abord lui donner un autre carac-
tère. Quoique la nature juridique de la contrainte par corps
soit assez indécise depuis la loi de 1867, par sa nature
générale elle se sépare encore beaucoup d'une peine. Au
fond, la contrainte n'est à l'heure actuelle qu'une voie
d'exécution sur la personne. C'est une épreuve de
solvabilité que l'on peut faire subir au débiteur qui ne paye
pas, mémo sans son fait. II a pu faire, pour payer, tous les
efforts en son pouvoir, peu importe, il ne paye pas : cela
sufGl pour qu'il puisse être contraint par corps. Voilà, sous
certaines exceptions, quelle est la doctrine générale du
droit actuel, et quelle était surtout celle des différentes lois
sur la contrainte par corps antérieures à celle de J8G7.
Une législation bien faite, il nous semble, doit s'écarter
dans une certaine mesure de cette conception, elle doit
tendre à faire de la contrainte par corps, une sorte de
peine, peine appliquée seulement au débiteur qui ne paie
pas par mauvaise volonté. Ce qu'il faut de plus en plus
chercher à faire et nous croyons que c'est au fond la
tendance générale, ce n'est pas à emprisonner toujours
le débiteur qui ne paie pas son créancier, mais celui qui,
de mauvaise foi, ne paie pas ses dettes. Ainsi, la
contrainte par corps s'éloignera de plus en plus d'une
conception qui traite de même façon tous les débiteurs,
c
EFFICACITÉ DE LA RÉPARATION CIVILE
249
sans souci de leurs bonnes ou mauvaises intentions. -
sormais, elle devra être une punition pour le débiteur
négligent, de mauvaise volonté, contre celui qui a fait
disparaître ses biens frauduleusement, plutôt qu'une me-
sure appliquée sans distinction à tout le monde, inflie
[parce que l'on ne paie pas et rien que pour cela. Autant la
contrainte par corps, comprise comme voie d'exécution
sur lu personne, applicable sans distinction, prèle le flanc
à la critique, autant la contrainte par corps, considérée
comme peine sui gênerLs pour les débiteurs de mauvaise
foi, nous parait échapper à tout reproche.
On sait quels griefs ont été invoqués contre cette insti-
tution. Tous portent à faux, si l'on ne fait plus de la con-
traintc qu'une peine éventuelle de la fraude. Dira-t-on
qu'elle est injuste contre le délinquant, qu'on lui inllige
ainsi une seconde peine pour le mémo délit, si par sa
bonne volon montrée, il peut y échapper ? Pourra-t-il
se plaindre qu'on le traite plus durement qu'un autre,
parce qu'il est pauvre, si la contrainte n'est encourue que
par sa gligence et sa paresse ? Tout reproche d'injus-
tice serait donc sans valeur ; lorsqu'on a puni le délit,
rien n'empêche de punir également le refus do le réparer.
Pourrait-on soutenir encore qu'elle est immorale et peut
constituer un moyen de pression à l'égard de la famille du
délinquant, un véritable moyen de chantage pour l'ame-
ner à payer. Un pareil reproche tomberait de lui-môme,
si la preuve de l'insolvabilité fait cesser la-contrainte. D'ail-
leurs on éviterait ce résultat plus immoral encore: laisser
un linquant narguer sa victime, faire exprès de ne pas
la payer, sachant qu'elle ne peut rien contre lui.
o
iaoO nuuxiÈMB PARTIS. CHAP, II
La contrainte par corps étant ainsi considérée, nous arrivons
à créer dans notre droit un lit nouveau : le débiteur qui de
mauvaise foi ne paie pas sera considéré comme commettant un
délit. Cela ne rappellerait en rien l'exécution in personam des
Romains, dont M. Garo-falo réclame le rétablissement. Cette
exécution avait lieu, en effet, sans tenir compte de la bonne ou
de la mauvaise foi, il en serait tout autrement des mesures que
nous proposons. Rien ne rappellerait moins la dure maxime des
temps primitifs: qui non soluit in aère lual in ente. 11 y aurait
plus de différence encore qu'il n'en existe entre la pénalité-
moderne et les anciennes vendettas.
Cotte conception du débiteur de mauvaise foi commettant un
délit, pour nouvelle qu'elle paraisse, ne l'est pas en réalité.
Dans notre droit français actuel, nous la trouvons appliquée.
Qu'est-ce que le failli qui dissimule son actif, et que la loi
déclare banqueroutier frauduleux (art. 591. Connu.) ? Qu'est-ce
sinon un débiteur, qui de mauvaise foi ne paie pas ses
créanciers ? Le failli qui a fait des dépenses excessives, et qui
est déclaré banqueroutier simple, n'est-ce pas simplement un
débiteur qui se met volontairement dans l'impossibilité de
payer, ou qui aug-, mente cette impossibilité (art. 585.
Comm) ? Plus net encore, le projet de Code pénal anglais de
1877, érigeait en une infraction punie d'un an
d'emprisonnement le fait par un débiteur de faire disparaître ses
biens pour tromper ses créanciers (1). Pourquoi n'établirions-
nous pas une
(1) V. l'Etude de M. Van Swindereo sur ce projet. Revue (le droit
international, 1885, p. 484.
t>
EFFICACITÉ DE LA RÉPARATION CIVILE 251
sorte de peine pour le linquant qui ne prouve pas son
impossibilité à indemniser sa victime ? A travers l'intérêt
individuel, l'intérêt social se trouve atteint : il y a un
devoir pour la société de réprimer un pareil fait.
La contrainte par corps étant conçue de cette façon deux
conséquences en coulent aussitôt. 1° La contrainte par
corps ne pourra être exécutée contre ceux dont la bonne
foi est établie. C'est une idée que nous avons suffisam-
ment mise en lumière pour ne pas y revenir. La con-
trainte n'étant exercée que contre les personnes de mau-
vaise foi, ou d'une bonne volonté douteuse, on peut la
rendre beaucoup plus sévère. Si nous laissons échapper
les personnes qui méritent intérêt, nous pourrons nous
montrer plus durs à l'égard de celles que nous attein-
drons. Ce régime, en me temps qu'il sera plus équita-
ble, sera donc aussi plus utile. Nous aurons moins à re-
douter de frapper des innocents, nous pourrons donc ag-
graver les mesures à prendre, créer une institution qui in-
timide véritablement les délinquants. Nous enfermerons
moins de gens, nous les châtierons davantage.
Dans cette organisation nouvelle de la contrainte par
corps, il faudrait tenir compte aussi d'une autre idée. Il
faudrait orienter la répression de ce délit de fraude sur-
tout de façon à faire payer l'indemnité Une atteinte lé-
gère en résulterait peut-être pour la société, mais ce
serait peu de chose auprès de l'intérêt matériel qui serait
ainsi satisfait. Lorsque la réparation est payée tar-
divement, une justice absolument exacte exigerait peut-
être qu'une peine fut quand même appliquée, qu'il y eut
un châtiment pour le retard frauduleux dans le paiement
o
252 DEUXIÈME PARTIE. — CflAP. Il
mais on peul penser qn'il est préférable do montrer ici quelque
indulgence, de faire quelque sacrifice par utilité pratique.
Une autre dérogation, plus importante en apparence qu'en
réalité, donnerait au délit que nous voulons établir une note un
peu spéciale. En cas de non paiement, la mauvaise foi du
débiteur se présumerait, ce serait à lui à prouver qu'il ne paie pas
parce qu'il ne le peut pas. Cette dérogation aux règles ordinaires
nous paratt cessaire pour éviter les fautes possibles, c'est
précisément le but I de la contrainte par corps de réprimer les
fraudes dont la preuve directe ne peut être fournie. En réalité,
cette exception au droit commun est sans grand inconvénient.
Une personne peut facilement montrer quels étaient ses biens
antérieurs, et expliquer comment ils ont disparus, il serait au
contraire très difficile de prouver directement la fraude.
D'ailleurs, ne l'oublions pas, nous sommes en] présence de
délinquants, et cette règle, ailleurs très rigoureuse, Test bien
moins ici (!)•
Enfin, le non paiement de l'indemnité constituerait encore un
délit d'un genre particulier pour une dernière raison. Ce serait
une peine éventuellement prononcée par le juge, au moment où
il examine le premier fait dommageable. Ce serait quelque
chose d'analogue à ces dommages-intérêts comminatoires, que
les tribunaux civils prononcent comme sanctions de leurs
jugements. En punissant le délit, le magistrat indiquerait une
seconde peine, pour le cas où le coupable no le réparerait pas.
(1) Si on voulait rétablir la contrainte de façon générale, nous
croyons qu'il ne faudrait plus admettre cette règle.
EFFICACI DE LA HKPABATIOS CIVILE 233
Ces principes connus, il devient facile d'expliquer les
changements pratiques à apporter, de donner une forme
plus matérielle à nos idées, de montrer ce que serait la
contrainte par corps avec cette physionomie nouvelle.
La contrainte par corps serait exercée contre toute per-
sonne présue solvable, jusqu ce qu'elle ait payé, ou
justifié de son insolvabilité. Pour celte preuve de l'insol-
vabilité, on exigerait d'autres preuves que celles actuel-
lement demandées par l'article 420 Instr. Crim. Le certificat
d'indigence délivré par le maire, accompagd'un extrait'
du le des contributions est insuffisant. Il faudrait com-
pléter ces attestations par une enquête administrative ou
judiciaire. Ayant dès lors une preuve plus probante, on
relâcherait immédiatement le délinquant, sans attendre
qu'il ait subi moitié de la contrainte comme le fait la loi
actuelle.
Quant aux personnes insolvables, dans le jugement de
condamnation, le juge fixerait la quole partjde leurs gains,
qu'elles devraient verser mensuellement à leurs créanciers.
Ce seraient de véritables termes de grâce que le juge
concéderait ainsi au linquant. Tant que le paiement
serait régulier, la contrainte ne pourrait être exercée, ce
qui serait très équitable. Mais si le délinquant manquait à
son obligation, la contrainte apparaîtrait alors. Devant la
mauvaise volonté du coupable, on userait des mesures de
rigueur. Puisque le délinquant se montre récalcitrant,
puisqu'il ne répond pas aux mesures de clémence prises
à son égard, on le fera emprisonner.
Mais la contrainte ne constituerait plus une simple dé-
tention sans travail obligatoire, comme elle l'est actuel-
le
254 DEUXIÈME PARTIE. CUAP. II
lement. Le contraint par corps se trouvant enfermé pour un
délit, serait obligé au travail comme tout autre prisonnier.
En même temps, on réaliserait cette réforme si souvent
réclamée (1) : on exempterait la victime de l'obligation de
consigner les aliments.
Bien plus, puisque le prisonnier fournit un travail, une
partie de ses gains devrait être employée à indemniser sa
victime, absolument comme cela devrait se passer pour le
pécule d'un prisonnier quelconque. Il est juste que son
travail, comme celui du travailleur libre serve à sinté-
resser la partie lésée. On peut espérer qu'il ne serait pas
improductif. La perspective de la liberté, pour le jour il
aurait acquitté sa dette, serait un stimulant de tous les ins-
tants à l'actividu prisonnier. La On de son incarcération
lui apparaîtrait comme la récompense de son labeur assidu.
En dehors du cas le coupable se serait acquitté par
son travail, la contrainte finirait aussi lorsqu'il aurait payé
au moyen des valeurs qu'il tenait cachées jusque là. Elle
devrait également prendre fin, ou ne pas avoir lieu, si le
débiteur fournissait une caution solvable. C'est ce qui
existe déjà actuellement, et ce qu'il faudrait conserver.
D'ailleurs fournir une caution, c'est, sinon payer, du
moins assurer le paiement. Il est de bonne politique d'ac-
corder cette récompense, comme au cas de paiement, c'est
augmenter d'autant l'efficacité de la réparation civile.
On libérerait également le condamné, lorsqu'on pourrait
croire qu'il est plus disposé à s'acquitter de son obliga*
(1) V. notamment Proal. Le crime et la peine, p. 488. Bonne-' ville,
Institutions complémentaires du régime pénitentiaire, J p. 54,
note 1.
EFFICACITE DE LA REPARATION CIVILE 255
lion. Comme on veut surtout utiliser la peine pour arriver
au paiement, il est inutile de retenir plus longtemps le
délinquant sous les verrous. Mais cette libération ne
serait que conditionnelle, il pourrait y avoir lieu
d'enfermer à nouveau le débiteur, si, une fois libéré, il ne
s'exécute pas encore.
Toutefois, il y aurait à ces mesures une limite. La du-
rée de l'emprisonnement ne pourrait dépasser une cer-
taine durée fixée par le juge. Cette durée aurait été fixée
dans les limites d'un certain maximum légalement établi.
Ce maximum inscrit dans la loi, ce serait la plus grande
durée d'emprisonnement que mérite la mauvaise volonté
à payer la victime. Peut-être même conviendrait-il
d'admettre non pas un seul maximum, mais deux. Celui
qui dissimule ses biens pourrait être enfermé plus
longtemps que le simple salarié qui n'économise rien pour
se libérer. Le fait du premier indique une mauvaise foi
évidente ; le fait du second, pour condamnable qu'il soit,
n'est après tout qu'une négligence. Quelle serait celte
durée qu'on ne pourrait dépasser ? Tout cbiffre serait
forcément arbitraire. On ne peut fixer que des approxi-
mations. Nous serions en tous cas peu disposés à admet-
tre les chiffres fixés par M. Garofalo, lesquels nous parais-
sent excessifs. La mauvaise volonté à payer ne peut mé-
riter une détention aussi prolongée que celle qu'il propose.
On pourrait, croyons-nous, s'inspirer avec raison des
peines fixées pour la banqueroute simple ou frauduleuse
par l'article 402 code Pénal (I ). Il y a une certaine analogie
il) D'après cet article, les banqueroutiers frauduleux sont punis
j
236 DEUXIÈME PARTIE. — CHAP. II
entre ces infractions et le délit assez spécial que nous proposons
do créer. Dans les deux cas, on est en présence d'un défaut de
paiement plus ou moins voulu. On pourrait tenir compte do ce
fait pour fixer la durée de la peine. Nous proposerions toutefois
d'établir ici des peines plus douces, car le commerce nécessite
des rigueurs particulières.Cinq années d'emprisonnement total,
en cas de dissimulation de biens, deux années dans les autres
hypothèses, nous paraîtraient suffisantes, en tous cas plus
équitables que ces détentions de dix, de quinze ans, ou même
perpétuelles qui ont été proposées par les positivistes.
Cette théorie de la contrainte par corps pourrait, sans
modification, s'appliquer au paiement des frais. Conviendrait-il
de l'appliquer à l'amende ? C'est un point que nous n'aborderons
pas, car on peut se demander si son paiement ne doit pas être
sanctionné par un emprisonnement subsidiaire au lieu de l'être
par la contrainte par corps, c'est une étude qui nous mènerait
bien loin de notre su-jet.
Telles sont les réformes qui nous semblent nécessaires dans
le domaine de la contrainte par corps. Elles tiennent compte,
dans une certaine mesure, des travaux des positivistes. Mais
elles restent davantage dans une juste mesure de la pénalité,
elles sont inspirées par une moindre rigueur, mais elles sont
beaucoup plus équitables. En même temps elles nous paraissent
échapper au reproche de faire trop
des travaux fors à temps et les banqueroutiers simples d'un em-
prisornlemeuL d'un mois au moins a deux ans au plus.
t
EFFICACITE DR LA PARATION CIVILE 957
intervenir l'État dans les intérêts civils. On l'a dit avec raison :
on comprend l'État vengeant les violations de l'ordre public,
de la tranquillité sociale, mais le comprend-on séquestrant par
force des débiteurs, à quelque catégorie qu'ils appartiennent-
(1) ? C'est l'erreur capitale des positivistes, d'avoir pensé
que l'État peut et doit faire payer les délinquants qui ne
s'exécutent pas, qu'il doit procurer la réparation des délits par
tous les moyens. L'État n'a pas à se mêler de ces difficultés.
Ce qu'on peut lui demander, ce n'est pas de mettre en
mouvement la formidable machine administrative, pour
assurer le paiement d'une dette privée, mais de punir les
délinquants qui veulent frustrer leurs victimes de l'indemnité,
comme il punit les commerçants banqueroutiers. Cette
mission d'intérêt public est évidemment dans le rôle de l'État.
Les fraudes graves d'un débiteur ne menacent pas moins la
sécurité des rapports sociaux que les vols, ou les escroqueries.
Établir pour les réprimer une contrainte par corps sagement
réglée, c'est donner aux personnes lésées les moyens de
défense indispensables. Ce n'est pas se substituer à l'activité
individuelle, c'est lui donner le soutien qui lui est nécessaire.
Ce n'est pas non plus punir deux fois pour un même délit, ce
n'est que punir tous les délits.
IX
Dans les nombreux travaux, auxquels on s'est livré
récemment au sujet de l'extension des peine pécuniaires,
(1) Stoppato. op. citâto, p. 220.
17
J
-58 DEUXIÈME PARTIE. CBAP. II
on s'est plus d'une fois demandé s'il ne conviendrait pas de
sanctionner le non paiement de l'amende par l'interdiction des
droits politiques. Des auteurs très autorisés en ces matières (1) :
Bonne ville de Marsangy, Schmolder se sont faits les défenseurs
de ces théories, .proposant de réputer le condamné récalcitrant
failli envers l'État, ou de le priver du droit de vote
(Ehrenzwang).
Il existe une ressemblance suffisante entre les moyens de
rendre efficaces l'amende et la réparation civile, pour qu'on
puisse se demander si ces moyens de contrainte indirecte ne
peuvent être étendus de l'une à l'autre. La question peut d'autant
plus se poser, que nombre de cri-minalistes, nous l'avons vu,
préconisent l'établissement d'amendes en faveur de la partie
lésée. Si l'on adopte leur système, on peut légitimement penser
que les mêmes sanctions doivent rendre efficace le paiement
des deux amendes.
Y a-t-il quelque raison d'admettre cette théorie? Convient-il
de mêler ainsi des questions d'ordre politique et d'intérêt
purement civil? De graves raisons peuvent le faire penser. C'est
blesser la morale de permettre à ce délinquant rebelle à la
justice d'exercer ses droits politiques, de prendre part aux
affaires du pays. On peut justement le frapper d'indignité, tant
qu'il ne s'est pas soumis. Quelle garantie d'honnêteté présente-t-
il dans l'exercice de ses droits? Sera-t-il plus scrupuleux pour
les affaires publiques que pour ses affaires privées?
Ces arguments méritent évidemment d'être pris en consi-
(1) Cf. Rosenfeld. Die Regelungder Goldstrafe. Bull, de VU. I.
D. P., 3« année, p. 199.
i
EFFICACIDE LA REPARATION CIVILE 259
dération. Toutefois la réforme ne pourrait avoir qu'une
utili limitée au point de vue de la réparation civile. La
privation de tous les droits, ou de certains droits civiques,
civils et de famille est déjà encourue à la suite des infrac-
tions les plus graves, sous le nom de gradation civique,
ou d'interdiction civique (art. 34 et 42 Pénal). Il serait
dangereux de la faire cesser, quand le coupable n'a pas
don d'autres preuves de son relèvement moral que le
paiement de l'indemnité. Il serait mauvais de restituer
aussi facilement tous ses droits à uu criminel, même pour
rendre lu réparation civile plus efficace.
A l'égard des autres condamnés, il faudrait les exempter
d'une privation, même temporaire, de leurs droits, toutes
les fois que le non paiement n'est pas motivé par la
mauvaise volonté. Peut-on légitimement frapper un
simple salarié dont les charges de famille absorbent tous
les gains, s'il ne paie pas? Cela serait évidemment injuste.
Celte privation temporaire des droits politiques ne pour-
rait donc qu'être facultative. me dans les limites on
pourrait l'admettre, cette privation, nous le craignons,
n'aurait qu'u je efficacité bien minime. Bien peu de lin-
quants y seraient réellement sensibles. Le cas, toutefois,
pourrait se présenter où'un condamné serait disposé à des
sacrifices pour rentrer dans ses droits-de citoyen et, à cet
égard, la règle pourrait présenter quelque utilité. Si
exceptionnelle que soit son efficacité, il serait cependant
admissible qu'on l'établisse. Mais les considérations d'or-
dre public et de moralijoueraient ici un plus grand rôle
que les intérêts de la personne lésée. On a proposé au
congrès des jurisconsultes allemands
260 DEUXME PARTIE. CDAP. II
de Brème (1), d'établir un autre moyen de contrainte indirecte :
l'interdiction des cabarets pour ceux qui ne paieraient pas
l'amende. On a prétendu que dans les campagnes cette mesure
pourrait avoir de l'efficacité. Pour un peu bizarre que paraisse
cette proposition, on peut ne pas l'écarter de prime abord. Mais
il est au moins prudent de réserver son opinion. Surtout avant
d'étendre cette mesure au paiement de la réparation civile, il
faudrait des essais qui permissent de la juger.
(1) Verhandtungen des 23» deutchen Juristeatages, p. 277.
CHAPITRE III
LA RÉPARATION CIVILE ET LA RÉPRESSION
Le préjudice social et le préjudice individuel qui résultent
du délit présentent entre eux un lien très étroit. Non seulement,
c'est le même fait qui leur donne naissance à l'un et à l'autre,
mais l'importance du préjudice individuel contribue souvent à
fixer celle du préjudice social. Un vol, une escroquerie, la
mise en circulation d'une traite fausse causent un trouble plus
grand à mesuie qu'il s'agit de sommes plus considérables. Le
préjudice social passant pour se former au travers du préjudice
individuel, en garde l'empreinte et se mesure plus ou moins
sur lui. La même connexité ne devrait-elle pas exister aussi
entre les sanctions dn préjudice social et individuel, entre la
peine et la réparation ? Si le coupable, à quelque moment que
ce soit, répare spontanément le dommage qu'il a causé,
l'atteinte portée à l'ordre public en est certainement diminuée.
Cependant la loi n'en tient expressément aucun compte (1). A-
t-elle eu complètement raison ? Cela ne devrait-il pas avoir
quelque influence sur la poursuite du lit comme sur la
fixation de la peine ? Une certaine
(1) L'art. 623. Instr. crbn. exige bien comme condition de la
réhabilitation que le condamné justifie du paiement des dommages-
intérêts, mai* il n'exige pas que ce paiement soit volontaire.
262 DEUXIÈME PARTIE. — CI1AP. III
dépendance de la pression vis-à-vis do la réparation ne
serait-elle pas plus équitable, plus conforme à l'exact
examen des faits?On peut le penser. Peut-être faudrait-il
renoncer ici à ce divorce complet des intérêts publics et
privés ? Cette séparation, pour juste qu'elle apparaisse
dans son principe, est peut-être exagérée, creusée trop
avant. Pour utile qu'il soit d'y insistera l'école, il no faut
pas négliger ce qu'il y a de commun, de connexe entre les
deux choses. Ce sont comme deux rejetons de la même
souche qui, pour prendre des directions différentes, n'en
doivent pas moins se protéger mutuellement. Notre loi
suc la réhabilitation n'a eu garde de l'oublier. Inspirées
par ces idées, plusieurs tentatives ont déjà été faites dans
diverses législations, des propositions nombreuses ont eu
lieu dans le domaine de la science. Elles ont eu pour but de
mettre parfois la poursuite dans une pendance plus
grande de la personne lésée, plus souvent de diminuer la
peine lorsque le dommage a été réparé, Ce] sont ces
mesures, éparses dans de nombreux travaux, que nous
allons examiner et apprécier. Elles constituent le prolon-
gement des moyens de contrainte indirecte que nous
avons étudiés au chapitre précédent : la contrainte par
corps, la privation des droits politiques. Si le coupable en
effet peut être sûr que la réparation du dommage
l'exemptera de la poursuite, ou diminuera sa peine, il sera
puissamment encouragé à indemniser sa victime. Daus
quelle mesure des innovations de ce genre sont-elles
possibles saus nuire à l'intérêt général, sans affaiblir la
répression ? C'est un point très délicat que nous allons
chercher à résoudre.
LA REPARATION CIVILE ET LAPRESSION 263
I
A l'époque barbare, et pendant une partie du Moyen âge, la
poursuite des crimes restait aux mains des personnes lésées
exclusivement. Dès que le pouvoir prit quelque conscience de
son rôle, il sentit tous les inconvénients d'un pareil système,
qui laissait souvent le crime impuni et la justice désarmée.
Trop faible encore pour beurter de front un principe très
ancien, l'autorité usa de détours. On peut suivre dans les vieux
auteurs les moyens curieux, je dirais presque amusants,
qu'elle employa pour réduire peu à peu le principe de la
poursuite, propriété de la victime (1). L'institution du
ministère public y ouvrit labrtVbe la plus grave, qui ne cessa
de s'agrandir avec le développement de cette utile institution.
Le monopole de l'action publique éebappa de plus eu plus aux
particuliers lésés. Mais, même sous l'empire de l'ordonnance
de 1670, la partie civile restait encore maîtresse de l'action, si
le délit n'emportait pas une peine afflictive (2). Cela même a
disparu. Aujourd'hui l'État reste maître incontesté de la place.
Quelques rares délits exigent seuls une plainte de la personne
lésée : dans tous les autres cas, le ministère public peut
librement poursuivre, malgré la victime, en dépit du
dédommagement qu'elle a reçu. Ce serait ôvi-
(1) V. L'intéressant expo de M. Esmein, Histoire de la procédure
criminelle, p. 43 et suiv., et. Tardif. Procédure criminelle au XIII* et
au xiv
c
siècle, p. 141.
(2) V. Esmein. op. cit. p. 221.
264 DEUXIÈME PARTIE. CHAP. III
déminent un avantage pour les personnes lésées de disposer de
l'action publique. Le coupable pourrait spontanément se décider
à réparer, s'il était sûr d'échapper ainsi à toute poursuite, si le
ministère public ne pouvait plus le traduire ensuite devant le
tribunal répressif. On peut trouver en ce sens plusieurs
législations, qui ont admis un nombre important de délits
privés. On peut citer notamment le droit norvégien,la
législation allemande, quoique le nombre de ces lits ait été
réduit en 1876, le projet du Code pénal suisse, qui exige la
plainte de la partie lésée pour certaines infractions assez graves
: les lésions corporelles (art. 62), l'abus de confiance (art. 73),
les détournements (art. 75 de la 2
e
rédaction) (1). Dans tous ces
cas, la victime a à sa disposition un moyen de contrainte
indirecte énergique. Tenant en sa main la poursuite pénale, elle
peut menacer de l'exercer, si t-lle n'obtient pas réparation.
M. Prins s'est montré le partisan déterminé de ces mesures et
il a avec insistance demandé le rétablissement des délits privés
(2) comme moyen d'obtenir réparation de délits ayant causé un
faible dommage. M. Garofalo s'est montré au contraire
l'adversaire non moins détermide ce système. « Un simple
citoyen, dit-il, devient ainsi l'arbitre de la fonction sociale, de
la répression. C'est à lui de juger s'il est convenable de faire
subir une peine à un
(1) Il y avait aussi un certain nombre de délits privés dans les codes
de Naples et de Sicile.
(2) Rapp. au congrès de Christiania. Bull, de VU. I. D.P p. 129, cf.
même Bull. 1™ année, p. lf>8. — Cf. van Swinderen. Projet de code
néerlandais. Revue de droit international, 1877, p. 273.
c
LA RÉPARATION CIVILE ET LA RÉPRESSION 265
violateur d'une loi sociale, s'il faut enfermer un délinquant ou
le laisser libre. L'Etat lui demande : voulez-vous qu'on
empêche cet escroc de profession de dévaliser d'autres
personnes, ou bien souhaitez-vous qu'il fasse aux autres ce
qu'il vous a fait à vous-même. Cela a quelque chose de
tellement étrange qu'où peut se demander si nous n'allons pas
en revenir à ces temps où le peine n'était que la vengeance de
l'offensé ou de sa famille » (1).
Cette dernière opinion nous parait en définitive la plus sûre.
Il serait évidemment sans inconvénient que la poursuite
dépendit de la victime, lorsqu'il n'y a pas à redouter que le
délinquant récidive. Mais peut-on fixer a vnori, d'une façon
générale, les lits pour lesquels cela n'est pas à craindre? Ne
risque-t-on pas de laisser la société désarmée devant des
individus dangereux"? Le vœu de la loi serait que le coupable
ne soit pas poursuivi, seu-ment s'il a réparé. Serait-il réalisé?
N'arriverait-il pas souvent que la victime négligente sachant
son agresseur insolvable, renoncerait à se plaindre, même sans
avoir reçu de satisfaction ? Les mêmes raisons qui firent
autrefois créer le ministère public se retrouvent, croyons-
nous, dans tous les délits. L'indolence des personnes lésées ne
doit pas empêcher la répression de faire disparaître le trouble
social du délit. L'expérience d'ailleurs, ne parait pas favorable
aux délits privés. L'Allemagne, en 1876, a réduit le nombre de
ces infractions, et au Congrès de Bruxelles. M. Seuffert, un
délégué allemand, déclarait que cette réduction n'était pas
encore assez con-
(1) Criminologie, p. 349. - cf. Kipparazione, p. 40. V. en ce sens
Zucker. Rapp. au congrès de Paris précité.
26fi DEl'XtÈME PARTIE. CHAP. II!
sidérable ol que la cessid'une plainte devait selon lui
être toute exceptionnelle. C'est d'ailleurs ce système qui
parait exister dans la majorité des législations européen-
nes.
Terminons ce chapitre par une remarque En fait, sinon
dans la loi, il existe chez nous quelquo chose d'analogue à
la théorie des délits privés. Sonvent, à la campagne, la
victime d'un délit très léger monace le coupable, s'il ne lui
fournit pas une certaine réparation, ou ne donne pas une
certaine somme aux pauvres, de déposer une plainte au
parquet. Le délinquant, pour éviter la dénonciation, est
bien obligé d'en passer par là, et le ministère public,
ignorant le fait, ne le poursuit pas. Pratiquement, on arrive
donc, pour ces infractions légères, au même résultat que si
elles constituaient des délits privés. On a les avantages de
ce système sans en avoir les inconvénients : car, si
l'infraction présentait une certaine gravité, le bruit en
viendrait aux oreilles du procureur ou de ses subordonnés
et il y aurait poursuite.
II
A défaut de ceslits privés, comme moyen de contrainte
indirecte, ne pourrait-on user d'une répression plus douce
à l'égard du délinquant qui, spontanément, a réparé le
dommage causé ? Une disposition de ce genre ne serait-
elle pas une utile invitation à indemniser la victime? Une
réduction assue de la peine pousserait plus d'un coupable
dans la voie du repentir actif. Dans notre droit actuel, le
c
LA REPARATION CIVILE ET LA RÉPRESSION '2071
linquant qui, de lui-même, a rendu l'objet volé ou offert
une indemnité à sa victime peut, en fait, compter sur
l'indulgence des magistrats ou du jury. Les circonstances
atténuantes, qui peuvent être appliqes pour tout motif,
pourront lui être reconnues. Parfois même, on verra le
jury, poussant plus loin l'indulgence, accorder un verdict
d'acquittement. Mais ce ne sont que des faveurs libre-
ment données, le tribunal répressif restait maître de ne
tenir aucun compte du repentir ainsi manifesté. Peut-être
serait-il meilleur de mettre au coupable le marché à la
main, de lui assurer une diminution de peine dès qu'il a
réparé le dommage.
C'est cequ'ont fait, à l'étranger, de'très nombreuses lé-
gislations (1). Il fautcitcr, parmi les principaux pays : l'Ita-
lie où, avant le Code actuel, cette disposition se trouvait
déjà dans le Code de Toscane : les principaux caillons
suisses : Tessin, Vaud, Unterwald. Oberwald, Berne, les
Grisons, Pribourg, Thurgovie, Schwitz. Toutefois le pro-
jet de Code pénal suisse n'a pas reproduit ces dispositions:
il permet simplement d'accorder les circonstances atté-
nuantes lorsqu'après le délit on montre un repentir sin-
cère (2). Une gislation analogue à celle des cantons
suisses existait aussi dans les législations du sud et de
l'ouest de l'Allemagne : la Bavre (nov_ de 1816, art. 11)
la Saxe ducale, la Saxe royale, la SaxeAltoubourg,la Saxe
Weimar, la Saxe Meiningen, la principauté de Schwarz-
(1) On trouvera dans un article de M. Brusa. Efficacia délia rip-
parasione (Rivista pénale XXIX p. 5) un exposé très complet des législation
européennes sur ce point.
(2) Art. 39 du 2» avant projet.
268 DEUXIÈME PARTIS. — CHAP. III
bourg Sonderhausen, la Thuringe, le Hanovre, le Wurtemberg,
le ducde Bade, le duché d'Oldenbourg. Cela existe aussi eu
Autriche ainsi que dans l'île de Malte. Enfin des dispositions du
même genre se retrouvent dans Je projet de Code autrichien de
1874, dans le projet croate de 1879 et le projet rédigé par M.
Zuppela pour la république de Saint-Marin.
Toutes ces législations, tous ces projets, présentent un trait
commun: elles n'accordent de faveur au coupable repentant que
s'il a commis un délit contre la propriété. Et encore celte règle
ne s'applique pas à toutes les infractions de cette espèce. Toutes
l'appliquent au vol même qualifié. Mais si quelques unes s'en
tiennent là, la plupart se montrent plus larges, elles réduisent
aussi la peine en cas d'appropriation indue par fraude, infidélité
ou abus de confiance comme le projet de Code russe, tantôt en
cas d'abus de confiance, d'administration frauduleuse, d'ap-
propriation indue de chose trouvée, de fraude et de cir-
convention de mineur comme le Gode toscan (1), Par contre, on
a généralement exclu de la liste les vols avec vio- | lenceou
menace auxquels la loi de Toscane joignait les vols sacrilèges et
les actes de pirarerie, et quelques lois suisses, les dommages
sans but de lucre. Au total, toutes ces dispositions étaient assez
restreintes comme application.
Quelles conditions exigent ces différentes lois pour accorder
une réduction de peine au coupable repentant ? Certaines
accordaient une diminution de nalité que la paration fût
totale ou partielle, la diminution étant
(1; Le projet ci"oale conlcnaitdes dispositions analogues. V.Ullinan.
Bemerkungen an ersten Theile etc. Gerichtsaal, 1880.
LA SÉPARATION CIVILE ET LA REPRESSION 269
moindre toutefois dans ce second cas (i). Mais ce n'était
pas, semble-t-il, le plus grand nombre. Beaucoup de gis-
lations n'accordent de faveur au coupable que s'il y a eu
de sa part réparation totale (2). Il en est ainsi notamment
dans le nouveau Code italien (art. 411). Ce système a été
l'objet de justes critiques. S'il y a réparation totale dans
cette législation, la peine est diminuée du tiers, au con-
traire, s'il manque seulement un centime à la réparation,
comme elle n'est plus que partielle, il n'y a plus que des
circonstances atténuantes et la diminution est seulement
d'un sixième. Une telle rigueur, a-t-on dit, se comprend
dans des lois qui promettent l'impuni totale au cas de
réparation volontairement faite, comme cela a lieu en
Autriche ou dans la Saxe royale. Cela ne se comprend
guère si l'on inflige encore un châtiment à celui qui elTace
entièrement le dommage causé. Le projet suisse nous
paraît, sur cette question, donner la formule la plus juste
lorsqu'il parle du coupable qui a autant qu'il était en son
pouvoir réparé le préjudice causé par le délit (3). On
échappe par au reproche fait à bon droit aux autres
législations de créer une loi plus favorable pour les riches
que pour les pauvres (4; : on apprécie le repentir actif
d'après l'intention plutôt que d'après les résultats ohlenus.
(1) V. en ce sens lois de Bavière, de Saxe royale, de Wurtemberg, de
Thuringe, des Grisons.
(2) Lois de Saxe Altenboiirg, Weimar, Meiuingen, Sonderhausen,
Hanovre, Wurtemberg, Bade, Autriche, Tessin, Vaud, Unterwald,
Oberwald, Berne, Malte.
(3) Il emploie cette formule (art. 53 et SU) à propos des condamna
tions et libérations conditionnelles.
(à) V. les observations de M. Precone. Actes du
r
Congrès
d'anthropologie criminelle, p. 374.
ZVO DEUXIÈME PARTIS. — CflAP. III
Plusieurs codes exigent aussi que la réparation soit faite par
le coupable lui-même (1). Le Code autrichien, plus libéral,
accorde les mêmes faveurs quand le délit est réparé par un
complice (art. 187). Plus libéral encore, mais à tort, selon nous,
le projet autrichien de 1874 et après lui le projet croate
accordaient leurs faveurs me si le lit était réparé par un
tiers quelconque.
Autre condition imposée par toutes les législations sur la
matière : la réparation doit être volontaire de la part du
coupable. Certaines législations allemandes paraissaient exiger
encore plus en demandant que le coupable ait agi librement.
Une dernière condition est imposée pour que la réparation,
volontairement faite, diminue ou supprime la peine : le
dommage doit avoir été effacé dans le délai Gxé par la loi.
Quel est ce délai ? Rien ne varie plus suivant les législations.
Ici, comme dans la loi badoise (art. 692), il sufût que la
sentence pénale ne soit pas en force de chose jugée. comme
dans les lois de Saxe Âllenbourg, de Weimar ou du Tessin, il
faut que la réparation ait lieu dans les vingt-quatre heures. La
plupart des législations demandent seulement qu'elle ail lieu
avaut l'ouverture de l'instruction, dit l'une, avant dénonciation à
l'aulorilé(Code autrichien, art. 187), ou toute recherche du
dommage (2), disent d'autres, ou alors que l'on n'était pas
suspect, comme dit la loi du royaume de Sa\e (art. 296),
expressions à peu près équivalentes, entre lesquelles il n'y a
qu'une nuance.
(4) V. Code Bavarois 1813, art. 337, Code de Thuringe (art. 48)
Code de Hanovre (art. 299). (2) Loi de Thuringe, art. 49.
LA PARATION CIVILE ET LA REPRESSION 271
Quel effet produit la réparation volontaire faite dans les
conditions prévues par la loi ? Ici variété plus grande encore.
Non seulement cet effet diffère suivant les législations, mais,
dans chaque législation, il diffère suivant les délits.
Quelquefois c'est une impunité complète et de plein droit,
comme dans le Code vaudois, la loi de Saxe royale, et les
projets autrichien et croate (1), faveur peut être exagérée,
surtout si on ne la refuse pas aux délinquants de profession.
Quelquefois, c'est l'impunité complète, mais seulement
facultative : Il en est ainsi dans le Code du canton de Berne,
pour le cas d'appropriation indue, (art. 221), dans celui des
Grisons et de Schwitz, pour les vols simples ou qualifiés,
sauf quelques exceptions toutefois.
Mais la plupart des législations ne se sont pas laissé aller à
cette indulgence excessive, qui peut nuire souvent à l'intérêt
social. Elles accoident, ordinairement, un simple
adoucissement de la peine. Tantôt, c'est une réduction d'un
tiers, comme dans la loi badoise, (par 295), dans la plupart
des lois saxonnes, dans le Code italien, dans le Code de
Fribourg ou celui de Berne (2). Tantôt, c'est une réduction de
moitié, comme dans le Code de Wurtemberg, dans celui du
Hanovre, de Hesseou de Toscane. Quelquefois la peine est
abaissée d'un ou de plusieurs degrés, comme dans le Code
maltais (art. 306), et différents projets de Code italien (3).
(4) Toutefois la toi saxonne excluait le cas de vol avec escalade ou
effraction et le Code Vaudois limite cette règle aux vols, escroqueries
et appropriations indues.
Ci) Dans ces deux dernres lois cetteduction ne s'applique qu'au
vol. (3) Notamment ceux pos en 1867,1868 et 1874.
272 DEUXIÈME PARTIE. — CflAP. ni
A cet exposé rapide des législations étrangères, nous devons
joindre l'exposé du projet présenté sur ce point, au Congrès de
Rome, par, M. Pioretti. Celui-ci a admis dans son principe
l'influence du repentir actif sur la peine, mais il en a proposé
une application bien plus large que les essais timides tentés
jusqu'ici. Les cas où la réparation volontaire diminuerait la
peine de plein droit seraient non plus l'exception, mais la règle :
ils comprendraient les lits contre les personnes comme les
délits contre les biens. On ne ferait plus d'exception absolue
que si le crime entraîne la mort ou l'internement dans un asile
d'aliénés criminels. Une différence cependant serait maintenue
selon qu'il s'agirait de délits contre les personnes ou de délits
contre les propriétés. Tenant compte de ce fait qu'un lit
contre les personnes n'est jamais aussi réparable qu'un délit
contre les biens, qu'une indemnité, si grande fut-elle, ne peut
jamais effacer complètement des violences ou des blessures, la
réduction de peine serait moindre dans le premier cas que dans
le second. La durée de la peine serait réduite du quart au lieu de
l'être de moitié, comme s'il s'agissait d'un délit contre les biens.
Le principe d'une réduction de la peine en cas de réparation
spontanément faite par le coupable a rencontré dans la science
pénale des défenseurs nombreux (1), et surtout il peut
s'appuyer par des raisons d'une grande valeur. Comme l'a dit
fort justement Bonne ville de Mar-
(1) V. Prins Rapp. cité. Bull, de VU. 1. D P, année, p. 133.
Garraud II, n° 12 p. 17. Flandin. Rapp. au Congs de Paris. Bull, de
lu commission pénitentiaire, III, p. 70. Bonneville de Mar-sangy.
Discours de rente au tribunal civil de Reims et Institutions
complémentaires p. 27.
LA RÉPARATION CIVILE ET LA RÉPRESSION 273
sangy, la peine se détermine par trois données : le dom-
mage causé, le préjudice porté à la société par le mauvais
exemple, la crainte de la perversité du coupable. De ces
trois raisons de punir deux se trouvent effacées par cette
réparation volontaire : le dommage n'existe plus, le cou-
pable allant au-devant de la condamnation, effaçant de lui-
même les suites de son crime donne à la société un gage
irrécusable de son amélioration morale. Ce repentir qui
agit, qui se traduit par des actes, est un repentir sincère,
il peut suffisamment garantir qu'il ne récidivera pas.
C'est donc une règle d'équité, de permettre au juge une
plus grande indulgence, lorsqu'il y a repentir actif.
Ce n'est pas, comme on l'a dit à tort, accorder une ré-
compense au délinquant qui accomplit volontairement son
devoir. En Soi, faire ce à quoi on est moralement obligé,
ne saurait mériter une récompense. Mais cette spontanéi
à s'exécuter, surtout tant qu'on peut espérer n'être pas
couvert, n'être pas condamné, cola dénote chez le -
linquant un état d'esprit, dont on ne peut pas ne pas tenir
compte. Ce n'est pas l'acte que l'on considère, c'est le
sentiment qu'il reflète.
Dans les législations les circonstances atténuantes
ne sont pas admises d'une façon générale, il est juste de
les autoriser en cas de repentir actif. C'est d'ailleurs ce
que fait le projet de Code pénal suisse. En France, les cir-
constances atténuantes étant toujours possibles, une sem-
blable disposition serait moins utile.
Mais cette atténuation, résultant de circonstances atté-
nuantes, reste toujours facultative. Les tribunaux ou les
jurés restent libres de ne pas l'accorder. Ne serait-il pas
18
274 DEUXIÈME PARTIE. — CI1AP. III
préférable de rendre la diminution de la peine obligatoire pour
le juge ? La perspeclive certaine d'une punition plus douce ne
déterminerait-elle pas plus souvent le délinquant à réparer son
crime ? De même qu'on promet d'avance l'impunité au
dénonciateur de certains crimes (1), ne pourrait-on aussi faire
d'une diminution de peine le prix du repentir actif ?
Transformer ainsi l'atténuation de facultative en obligatoire
pourrait peut être présenter un inconvénient. Le coupable
pourrait réparer uniquement pour bénéficier de l'indulgence
delà loi. Sûr d'être découverte! condamné, il réparerait
spontanément, mais cela ne dénoterait pas chez lui un repentir
sincère. Utile sans doute à la réparation, cette mesure pourrait
énerver la pénalité. A vouloir adopter dans la (oi ces mesures
trop précises de la pénalité si fréquentes dans certains Codes
récents, on risque do fausser les faits au lieu de les apprécier
plus exactement.
Ce danger que nous signalons nous parait particulièrement à
redouter dans les législations de la Saxe royale ou de Vaud, qui
accordent une impunité complète et obligatoire en cas de
restitution. C'est pour cette raison que nous n'approuvons pas
le vœu adopté sur ce point par le Congrès de l'Union
internationale de droit pénal de Cbris-tiana. D'après ce vœu,
pour les infractions légères contre la propriété, il n'y aurait pas
à prononcer de peine si, en temps opportun, le coupable a
indemnisé la victime (2). M. Prins demandait même, à ce
propos, qu'il fut établi
(1) V. l'art. 108 du Code pénal.
(2) Nous avons indiqué plus haut (p. 266) comment en fait on obte-
nait le même résultat sans en avoir les inconvénients.
LA ItKI'AllATlON CIVILE ET LA HKl'HKSSKlN 275
des ordonnances de renvoi conditionnelles. Le juge d'ins-
truction ayanl renvoyé l'affaire devant la juridiction de
jugement, ce renvoi serait non avenu si, avant l'audience, la
victime avait été indemnisée. Tout cela nous semble
critiquable. La défense sociale y perdrait plus qu'elle n'y
gagnerait : la répression pourrait être énervée si l'un donnait
au coupable un moyen assuré d'éviter toute punition.
Nous avons signalé l'inconvénient possible d'un acquit-
tement obligatoire eo cas de réparation spontanée,
l'affaiblissement de lu pénalité qui en pourrait résulter. Doit-on
pour cela rejeter à jamais de nos lois de pareilles
dispositions? Nous ne le pensons pas. Une atténuation réduite
delà pénalité : du tiers, ou du quart, par exemple, sans
sarmer la société pourrait rendre la réparation plus fréquente.
.Même obligatoire dans tous les cas, elle ne porterait.aucun
ombrage ni à l'intét social, ni à une bonne justice, quelque
doute planât-il encore sur le repentir sincèro du coupable. Un
crime reparé est toujours amoindri dans sa gravité, par ce seul
fait que le préjudice individuel n'existe plus, le préjudice
social qui le reflète, en est atténué.
Le principe d'une atténuation étant admis, il faudrait en
régler l'application, en flxer l'exacte limite
dans l'infinie variété des problèmes que présente la scieuce
pénale. Nous ne saurions discuter toutes ces questions de
détails ; complications inévitables de l'institution, au milieu
desquelles se sont débattues et se déballent encore les légis-
lations étrangères. Une pareille élude nous en Irai lierait
beaucoup trop loin. En outre pour nombre de points, il
11601034
276 DEUXIÈME PARTIE. CUAP. III
faudrait connaître l'opinion des magistrats étrangers qui
ont à appliquer cette institution, il serait périlleux de
vouloir se prononcer à priori, sans faire appel à l'ex-
périence.
Nous pensons cependant qu'il serait dangereux d'ad-
mettre une atténuation gale de la peine, lorsque le
dommage résulte d'un délit contre les personnes : l'in-
demnité tout d'abord n'efface jamais qu'incomplètement le
préjudice : elle ne peut effacer une blessure, comme une
perle d'argent. En outre, le caractère emporté des
délinquants nércssite souvent une peine vère, pour
empécber un nouveau délit. Et cet peine peut-être né-
cessaire, quelle que soit, pour le moment, la sincérité du
coupable repentant.
III
Le préjudice social, et p.ir suite la peine, qui en est la
sanction, présentent un certain rapport avec le préjudice
individuel. Dans une certaine mesure le (rouble social se
modèle sur l'étendue du dommage, s'étend, ou se restreint
avec lui. Peu à peu dégagée de la réparation par le lent
travail des siècles, la peine garde encore avec celle-ci
d'autres liens qu'unecommune origine historique. Ces deux
choses ont toujours entre elles ce trait commun de dérouler
du même fait : le délit. L'existence de ce lien ne doit-elle
pas se refléter dans l'application du sursis comme dans la
fixation de la peine? De me que l'on peut tenir compte
du repentir actif pour appliquer une condamnation
LA RÉPARATION CIVILE ET LA RÉPRESSION 277
plus douce, ne pourrait-on également en tenir compte,
pour accorder une condamnation conditionnelle ?
En vertu de la loi du 26 mars 1891, le juge peut eu con-
damnant un délinquant à la prison ou à l'amende lui
accorder un sursis à l'exécution de la peine ; ce sursis
d'abord provisoire, devient définitif aps cinq ans. Le juge
limité toutefois par certaines conditions est libre d'accor-
der le sursis pour tel motif qui lui plaît. Il est maître de
sa décision, maître aussi des raisons qui doivent la guider.
L'obliger à accorder le sursis, lorsque le coupable a réparé
le dommage, il n'en saurait être question. Il faut s'en
remettre aux tribunaux, si l'on veut que cette faveur ne
soit accordée qu'à bon escient. Il faut conserver à tout
prix à cette mesure, son caractère facultatif, si on en veut
tirer de bons résultats. Le coupable qui a réparé peut-être
indigne du sursis. Gela d'ailleurs n'a jamais été proposé.
Mais tout au moins, ne pourrait-on pas faire de la répa-
ration spontanée une condition cessaire du sursis? Avant
d'accorder au coupable une mesure, qui peut aboutir à
une exemption complète de peine, ne pourrait-on exiger
de lui ce témoignage de son repentir, lui demander dans
son passé un gage de sa conduite future '? Le sursis est
une fa\eur très grande pour celui qui en est l'objet. Ce
n'est pas se montrer trop sévère d'en limiter ainsi l'appli-
cation, de se refuser à l'accorder au hasard. En exigeant
cette condition, on empêcherait des gens indignes de pro-
fiter de cet avantage. En même temps, on rendrait plus
fréquente la réparation civile. Beaucoup de délinquants,
pour pouvoir profiter de la loi de 1891, indemniseraient
278 DEUXIÈME PARTIE. — CHAP. in
d'eux-mêmes leurs victimes. Celles-ci retireraient profit d'une
pareille mesure sans que la répression en souffrît.
Malgré la valeur de ces raisons qui nous paraissent décisives,
les législations en vigueur ne font nullement du repentir actif,
une condition du sursis. Il en est ainsi dans la loi française de
1891, comme il en était déjà dans la loi belge de 1888. Cela
tient certainement au peu de soin qu'ont pris les législations des
intérêls des personnes lésées.
Par contre, ces idées ont trouvé plus de faveurs dans les
congrès internationaux. Lorsqu'en 1890 les condamnations
conditionnelles furent discutées au congrès de Saint-
Pétersbourg, celui-ci exprima le vœu que le législateur, en les
adoptant, « ait en vue les intérêts de la sécurité sociale et ceux
de la partie lésée ». Au congrès de Paris de 1895, il fut
demandé dans plusieurs rapports, en termes un peu vagues
parfois» que le sursis fut accordé seulement si le préjudice avait
été réparé (1). Les mêmes idées ont trouvé place dans l'avant-
projet de Gode pénal suisse. D'après l'article 50, le sursis peut
être accordé pour les peines moindres de six mois de prison,
pourvu que le délinquant « ait, autant qu'il était en son pouvoir,
réparé le dommage causé par lui ». Il est bon de noter au
passage cette formule qui est très heureuse : elle permet en
effet, de tenir compte de la situation pécuniaire
(1) V. les rapp. de Mme Lidia Poët et de M. Flandin précités.
M. Garofalo, au Congs de Bruxelles lit une proposition aboutissant
à peu près au même sultat. Il demandait que le sursis ne fut ac-
cor que du consentement de la partie lésée. Sous celte forme, le
projet fut justement critiqué, comme soumettant l'intét public à
l'intérêt privé. Bull, de VU. I. D. P., \" année, p. 149 et suiv.
LA RÉPARATION CIVILE ET LAPRESSION 279
des délinquants, de ne pas rendre la loi plus sévère pour
les pauvres que pour les riches.
Ce n'est pas la seule façon dont on ait cherché à faire
servir la condamnation conditionnelle aux intérêts de la
personne lésée. Cette première combinaison de la répara-
tion et du sursis une fois formulée, on en a propo une
autre. M. Prinsa demanau congrès de Christiania que
pour les délits légers on prononçât « une condamnation
conditionnelle avec obligation de réparer le dommage
pour échapper à l'exécution de la peine. Si le coupable
acquitte le montant de la condamnation civile dans les
délais que le tribunal lui fixe, la condamnation à la peine
sera non avenue. » Sous cette forme, l'acquittement de la
paration ne serait plus la condition du sursis, mais la
condition pour que le sursis accordé devienne définitif.
L'adoption pure et simple d'un pareil projet ne serait pas
toujours sans danger. Ne pas fixer au coupable un autre
délai d'épreuve que celui qu'il mettrait à s'acquitter envers
sa victime, ce serait aboutir fatalement aux plus grandes
inégalités. Le délai d'épreuve serait presque supprimé
pour le délinquant jouissant de quelques biens : autant
vaudrait un acquittement pur et simple. La menace de la
peine resteterait suspendue plus ou moins longtemps
selon que le coupable serait plus ou moins riche, trouve-
rait à emprunter, selon que le dommage serait plus ou
moins grand. Pour la plupart de ces délits légers, le délai
d'épreuve sérail beaucoup trop court. L'intérêt privé se
trouverait ainsi proté aux dépens de la justice. Sous
cette forme, la proposition est inadmissible.
280 DENXIÈME PARTIS. — CI1AP. 1)1
Toutefois, on pourrait utilement s'en inspirer, permettre uu
juge d'établir un double terme pour le délai d'épreuve. Une
disposition motivée du tribunal pourrait décider qu'après cinq
ans la condamnation sera non avenue, seulement si le dommage
a été réparé. Les faits sont ici trop variables, les hypothèses se
ressemblent trop peu: une loi stricte ne peut intervenir, seul le
juge placé en face des espèces particulières peut le faire
utilement : il convient tout au moins delui en laisser le pouvoir
(1).
I
IV
I
Ce que nous avons dit au paragraphe précédent au sujet de la
condamnation conditionnelle, nous pourrions le répéter,
presque mot pour mot, à propos de la libération conditionnelle.
Pourquoi ne pas faire luire ici IVspoir d'une libération plus
proche aux yeux du prisonnier, s'il fait quelques efforts pour
indemniser sa victime? Par ce moyen moins de personnes
lésées resteraient impayées. Rien ne serait ici de nature à nuire
à la répression. Serait-ce se rapprocher des temps la
poursuite et la peine étaient à la merci des particuliers? Serait-
ce subordonner l'intérêt public à l'intérêt privé ? Faire dépendre
d'an intérêt secondaire cet utile essai de la liberté qu'est la
libération provisoire ? Nullement. C'est faire état d'un des
éléments qui peuvent le mieux prouver l'amendement
(1) Des mesures de ce genre se comprennent alors môme qu'on exige
pour accorder le sursis le repentir actif, si l'on demande seulement
comme le projet suisse qu'on ait réparé autant qu'on pouvait le faire.
«.
LA RÉPARATION CIVILS ET LA RÉPRESSION 381
du condamné. S'il fait des efforts pour payer sa victime,
s'il demande à ses parents, ou à ses amis de la payer en
son nom, on peut penser que son amendement se alise,
qu'il a le sentiment moral de sa faute, qu'il veut mainte-
nant vivre en honnête homme. Il y a un indice de son
relèvement, dont une bonne administration pénitentiaire
doit tenir compte.
Mais ce qu'on peut exiger du prisonnier, est-ce toujours
la réparation complète du dommage ? Faut-il admettre
cette pénalidifforme, dont la fortune du condamné jet-
terait le sort *? Non, il faut mesurer l'effort pécuniaire aux
facultés du coupable, n'exiger de chacun que ce qu'il pou-
vait raisonnablement donner, faire seulement de cette
obligation ainsi atténuée la condition delà libération con-
ditionnelle (1).
Quant à ne rendre la libération définitive qu'au jour
le condamné a payé toute sa dette, M. Prins et M. Garofalo
se sont faits dans les congrès les défenseurs de cette idée.
Nous ne croyons pas devoir l'admettre, tout au moins dans
les termes à peu près absolus elle a été formue. Le
système actuel a l'avantage d'être juste, de ne pas établir
de différence suivant l'importance du dommage, suivant
le travail plus ou moins lucratif du- libéré. L'un chargé
d'une nombreuse famille, attendrait peut-être dix ou
quinze ans, avant d'être définitivement libéré, tel autre sans
charge de ce genre, ayant des amis, trouverait facilement
à emprunter, ou pourrait, par son travail, se libérer en
(1) C'est ce qu'exige le projet de Code pénal suisse. L'article 33 se
sert des mêmes expressions que l'article KO sur le sursis, que nous
avons cité plus haut.
282
DEUXIÈME
PARTIE. CHAP. III
quelques mois. Si l'on veut entrer dans la voie que nous
examinons, on ne peut qu'admettre une simple faculté
pour l'administration de soumettre la libération définitive
à la réparation du dommage. Ou bien encore, on pourrait
n'accorder la libération définitive après le délai ordinaire
que le condamné a fait preuve d'un certain zélé à se libérer
comme il doit avoir fait preuve de bonne conduite. Sous
celte forme restreinte seulement, les propositions de M.
Prins nous paraissent admissibles (1).
V
Il nous reste à indiquer une dernière faveur, pour l'ob-
tention de laquelle on voudrait exiger la réparation du
dommage : c'est la grâce.
Cette exigence n'est pas nouvelle. Elle existait dans
notre Ancien Droit. Les lettres de grâce, de rémission ou
de rappel de ban contenaient toujours cette clause : «
satisfaction faite à la partie civile, si faite n'est » (2). Cette
mention a aujourd'hui disparu. Les décrets de grâce se
bornent à réserver les intérêts civils. Y aurait-il lieu d'im-
poser législativement un retour à l'ancienne pratique ?
Nous ne le pensons pas.
Outre la difficulconstitutionnelle qu'on rencontrerait
ici, le président de la République jouissant d'un droit
absolu, en vertu de la constitution de 1875, une pareille
(U Rapp.au Congs de Christiania. Cf. Flandin. Rapp.cité etZucker
rapp. cité.
(2) V. 1 Tactique de Masuer, éd. Guenoys, p 565. Cf. Breuiilac.
Des recours en grâce, p. 26 et Bonneville, Institut, complém., p. 65.
c
LA RÉPARATION CIVILE ET LA RÉPRESSION 283
mesure n'est guère compatible avec le rôle que doit jouer la
grâce dans nos institutions judiciaires. II peut être nécessaire
d'accorder cette faveur sans condition, pour satisfaire l'opinion
publique (1). Les intérêts des victimes, bien que respectables,
doivent s'effacer devant cet intérêt majeur. Nous souhaitons
seulement que l'administration tienne compte de la réparation
effectuée, l'exige si c'est possible, avant de présenter un
recours en grâce. Cette pratique pourra donner de bons
résultats. « Toutes les fois que, sollicité par les familles
d'obtenir la grâce, dit Bonneville de Marsangy, le ministère
public a exigé la réparation préalable, elle a eu lieu » (2).
Cette affirmation d'un magistral distingué mérite
considération.
On peut encore signaler, dans un ordre d'idées analogues,
une disposition de l'ancien Code autrichien, d'après laquelle la
prescription ne profite « qu'à celui qui s'est efforcé mitant que
possible d'indemniser la partie lésée. » (art. 208). Nous
sommes ici en complet désaccord avec M. Bonneville de
Marsangy qui préconisait cette règle parce que, dit-il (3), la
prescription est une sorte de grâce. Que la prescription soit
une faveur, sans doute, puisque c'est une promesse
d'impunité. Mais qu'il faille considérer ici l'intérêt de la
victime, c'est toute autre .chose. Il y a des raisons majeures
pour qu'après un certain temps, le crime
(1) On a des preuves morales de l'innocence du condamné. Elles ne
suffiraient pas pour faire viser le procès, il peut être utile de gracier sans
condition.
(2) Discours au tribunal de Reims. L'effet d'une pareille pratique serait a
considérer, si l'on songe qu'en 1894,2032 condamnés ont bénéficié de
mesures de clémence.
(8) Institutions complémentaires, p. 88.
284 DEUXIÈME PARTIE. — CIIAP. III
ou le délit ne puisse être poursuivi. De quel œil l'opinion
publique considérerait-elle une répression intervenant après
vingt ou vingt-cinq ans après. En vain répéterait-on qu'on le
fait, parce que la victime n'a reçu aucune satisfaction, on ne
verrait dans cette justice tardive qu'une mesure dont
l'opportunité est sujette à caution. Un arrêt intervenu quand le
temps a déjà effacé le crime, serait toujours suspecté d'erreur.
Loin de renforcer dans Fopi • nion publique le respect de la loi
pénale, il serait, au contraire, la source d'une réaction contre
cette même loi. Le Gode a donc sagement fait d'établir la
prescription sans condition, il y a là des nécessités de fait
auxquelles on ne peut échapper.
VI
La réparation civile, d'après l'opinion que nous avons
soutenue, pénètre déjà largement dans la répression. La
réparation spontanée procure une réduction de la peine. Avant
d'accorder le sursis, la libération conditionnelle, la j grâce, les
intérêts de la victime sont pris en considération. Depuis 1852,
une large place leur est faite dans la réhabilitation (1). Une
seule idée domine toutes ces réformes. On pourrait la résumer
par ce mot de Bérenger : le repentir, c'est toujours de
l'innocence. Indemniser sa victime, arrêter les effets de son acte
délictueux, c'est en effet, chez le coupable, l'indice d'une
certaine moralité, la preuve
(1) Article 623. 1nsLr. crim. modulé par la loi du 14 août 1885,
art. 10.
LA RÉPARATION CIVILE ET LA RÉPRESSION 285
d'un amendement spontané, c'est rendre moins nécessaire le
châtiment, puisque le relèvement moral du délinquant est déjà
accompli.
Dans la voie où nous nous sommes ainsi engagés, les
positivistes italiens ont été beaucoup plus loin. Les moyens de
contrainte indirecte que nous avons proposés ont chez eux une
vigueur et une énergie toute particulière. Préoccupés des
vengeances possibles de la victime, peu portés pour ce qu'ils
nomment avec dédain « un éclectisme doucereux », ils ont
réellement voulu mettre la peine au service de la personne
lésée, faisant de la réparation accordée la condition
indispensable des faveurs nombreuses que le législateur
moderne accorde aux délinquants dignes d'intérêt (1).
Pour radicaux que soient ces projets, ils ne sont qu'un le
reflet, une image bien estompée des propositions émises par
un des plus illustres philosophes contemporains, par H.
Spencer (2).
Spencer a été frappé de ce fait que les condamnations sont
fixées par les juges comme parla loi d'une manière arbitraire.
« L'équité veut, dit-il, que la contrainte imposée au criminel
soit suffisante pour assurer le salut de la société, mais non pas
plus grande. S'il s'agit de déterminer le genre de contrainte à
imposer, l'application de ce principe n'est pas difficile, mais
elle le devient grandement s'il s'agit d'en fixer la durée...
Actuellement la durée des peines prononcées est fixée d'une
façon tout à fait
(1) V. notamment Mme Lidia Pœt. Rapport au Congrès de Paris,
1895.
(2j La morale de la prison. Article publié dans la Quaterly Revieio,
juillet 1860. Il se trouve inséré dans les Essais de morale, de science
et d'esthétique, II, p. 311, Irad. française.
286 DEUXIÈME PARTIE. — CliAP. III
empirique ». Les lois fixent pour chaque crime un genre
de peine avec un maximum et un minimum, mais elles
1
procèdent arbitrairement, sous l'inspiration du sens moral'
et non du danger social quu cause chaque criminel. Entre!
les limites ainsi établies, le juge exerce son pouvoir dis-
crétionnaire, mais celui-ci considère uniquement le genre
particulier de la faute, les circonstances où elle a été
commise, le caractère présumé du prévenu. Au total la
fixation de la peine est une pure affaire de sentiment. Les
effets de cetto méthode sautent aux yeux. « Chaque jour,
on voit des peccadilles frappées d'emprisonnements très
longsj et, chaque jour des criminels si insuffisamment
punis, qu'à tout instant ils commettent de nouveaux
crimes, no f,lisant jamais que passer en prison ».
A ce système arbitraire, il faudrait substituer ce qu'il
nomme lui-même « une sorte de régulateur automatique
pour gler la durée de la détention », un ensemble de
règles qui fasse mieux concorder la durée de la contrainte
avec les convenances de chaque cas particulier.
Or, celui qui commet le mal, qui trouble ses concitoyens
dans leur activité peut être légitimement requis de défaire
autant qu'il se peut le mal qu'il a fait. « Ce principe, dans
un très grand nombre de cas, suffirait à déterminer une
peine dont la durée serait proportionnelle à la grandeur de
l'offense. Il est vrai que, si le malfaiteur est riche, la
restitution serait en général, pour lui, une faible peine.
Mais si, dans ces cas, en somme peu nombreux, celte règle
est insuffisante en ce qui concerne l'effet à produire sur le
criminel, toutefois, dans l'immense majorité des cas, dans
tous les cas où l'agresseur est pauvre, elle agirait avec
LA RËPARATtON CIVILE ET LA RÉPRESSION 287
efficacité. On exigerait une période de détention, dont la
longueur varierait avec la gravité de l'injustice et avec la
paresse ou l'habileté au travail de l'agresseur. Sans doute,
il n'y a pas de rapport constant, ni exact, entre l'injustice
commise par le coupable et la corruption de son cœur :
toutefois, la gravide l'injustice est, en général, une base
plus re pour déterminer la correction convenable que
les votes des majorité dans les Chambres et l'humeur des
juges ».
La réparation une fois accomplie, le criminel pourrait
être mis en liberté dès qu'il trouverait une caution pour
pondre de sa bonne conduite. Et me, si le coupable
n'avait commis qu'un délit léger, la délivrance suivrait
immédiatement la restitution achevée.
Parce sysme le droit pénal se trouverait métamorpho
jusque dans ses bases les plus profondes. De délaissée
qu'elle est aujourd'hui, du second plan elle se trouve
placée, la paration se trouverait appelée au premier. La
peine se trouverait presque effacée : ce ne serait plus
qu'un accessoire, un complément. La situation relative des
deux sanctions du crime se trouverait intervertie : la peine
s'exécuterait sous forme de réparation. Le moyen de con-
trainte le plus énergique serait par assurée à la partie
lésée. Son intérêt deviendrait de nouveau la mesure de la
répression. Une détention perpétuelle serait la seule pers-1
pective ouverte au délinquant paresseux qui refuserait de
s'acquitter. Quelque utilité que la victime' put tirer d'un
pareil système, il n'en serait pas moins mauvais pour l'in-
térêt général.
Nous n'avons pas à insister sur l'insuffisance de cette
-*8 DEUXIÈME PARTIE. — CBAP. III
répression pour tes crimes les plus graves, pour toutes les
infractions commises par des personnes riches. Ce sont là des
points sur lesquels il a même cherché quelques palliatifs (i).
Signalons seulement l'autre aspect du système, celui qui en fait
un moyen de contrainte indirecte on faveur de la personne
lésée : celui qui fait de la réparation du délit I a condition
indispensable pour être libéré. Que d'injustices en seraient la
suite nécessaire ! Tel individu dont le crime a manqué, pourra
en quelques jours, réparer le dommage, tel autre dont le crime
a réussi restera détenu des années, et pourtant tous deux sont
également coupables. Selon que la victime sera telle ou telle
personne, le préjudice sera plus ou moins grand et la durée de la
peine variera. Tel délinquant plus habile au travail sortira de
prison au bout de quelques mois, tel autre, infirme, ne gagna
que très lentement de quoi indemniser sa victime. M. Garofalo
lui-même, ordinairement peu enclin à l'indulgence a pensé que
ce système aboutirait souvent à des cruautés excessives. « Un
banqueroutier devrait travailler toute sa vie, dit-il, ce serait un
véritable esclavage. Il y aurait dans cette répression un
caractère de cruauté incompatible avec la civilisation moderne.
Une limite de la durée maxima da la coercition serait la pre-
mière modification à faireaux propositions de Spencer» (2).
D'ailleurs ces conclusions sont en opposition tranchée
(1)11clare notamment que, pour les crimes les plus graves, on
refusera la caution qui s'offrirait à pondre du coupable. Mais qui
fixera ces crimes? Il faudra donc s'en remettre au vote des Chambres
et a l'humeur des juges. Cette concession affaiblit évidemment le
système. ,
(2) Ripparasione aile vittime del delitto, p. 22.
c
LA REPARATION CIVILE ET LA REPRESSION 289
avec les principes sur lesquels Spencer revient le plus sou-
vent au cours de son étude. On peut sauvegarder sa liberté,
dit-il, mais « la inorale n'autorise rien de plus, ni châti-
ment ni vengeance ». « Nous devons laisser au coupable
autant de vie qu il se peut sans nuire au salut de la société.»
« On dit couramment que le criminel perd tousses droits,!
il se peut que la loi parle ainsi, mais non pas la justice ».
Ces sages maximes s'accouplent mal avec les conquences
auxquelles la théorie aboutit. Faut-il d'ailleurs s'étonner de
ces résultats ? Comment en serait-il autrement avec ce
système de pression pour ainsi dire canique? La peine
étant déterminée, indépendamment de la gravité morale du
délit, indépendamment de la perversité du coupable, elle
ne peut l'être que d'une manière aveugle et arbitraire, elle
doit heurter la justice autant que l'intérêt social.
VII
L'examen de ces divers projets permet de dégager les
principes qui gouvernent les rapports entre le préjudice
social et le préjudice individuel, qui doivent gouverner
ceux entre la réparation civile et la peine.
Le point de départ du préjudice social étant le délit, ses
diverses circonstances impriment sur lui une marque plus
ou moins profonde, en augmentent ou en diminuent l'im-
portance ; le préjudice individuel le fait comme tout autre.
Il est bien certain qu'un vol de vingt ou trente mille francs
émeut plus l'opinion publique qu'un abus de confiance ou
une escroquerie minimes. Mais le préjudice individuel
19
290 DEUXIÈME PARTIS. — CBAP. III
n'est jamais qu'un des éléments qui déterminent l'impor-
tance du préjudice social. A dommage égal, deux crimes
peuvent jeter dans la sociéun trouble bien différent. On
homicide par imprudence cause-t-il la même émotion qu'un
assassinat? El le meurtre d'un parent n'inspire-t-il pas plus
d'horreur que celui d'un étranger?
Ces principes sont évidents : ils ne doivent pas être
perdus de vue. Leur marque doit se retrouver dans les
rapports entre la réparation et la peine. Le dommage
causé à la victime est un des éléments qui donnent vie au
préjudice social; s'il vient à disparaître, celui-ci s'affaiblit
et il est juste d'en tenir compte pour diminuer la peine.
Dès que le préjudice individuel a disparu, de quelque
façon que ce soit, que le coupable ait payé malg lui,
qu'un de ses parents ait volontairement payé en son nom,
Tordre matériel se trouvant tabli, l'ordre social s'en
ressent, dans une certaine mesure. Mais cette mesure est
assez faible, cependant, pour que la latitude laissée au juge
suffise partout à l'apprécier.
Toutes les fois que la réparation est fournie par le cou-
pable lui-même, elle présente un autre caractère. Produi-
sant pour le coupable une diminution de son patrimoine,
elle lui cause en même temps une souffrance, quelque soit
le nom juridique qn'on lui donne, en fait, elle constituera
comme un supplément de peine. Le délinquant qui, sorti
de prison, aura encore à payer à l'offensé une indemnité
de dix ou quinze mille francs, va se trouver châtié très
sévèrement. Non seulement il se sera trouvé privé de sa
liberté par l'emprisonnement, mais il se trouvera atteint
dans ses biens par la réparation. Cette nouvelle souffrance
c
LA RÉPARATION CIVILE ET LA PRESSION 291
qu'il va avoir à subir, quel compte faut-il en tenir dans la
pénali ? Il sérail injuste de n'en tenir aucun. Deux crimes
peuvent dénoter chez leurs auteurs une égale perversiet
causer un préjudice très différent. Il est équitable que la
peine soit établie en sorte qu'un traitement équivalent soit
imposé aux deux coupables. Pour celui qui doit l'indeni-|
nité la plus forte, la peine proprement dite sera atténuée
d'autant. Le juge pourra se rapprocher davantage du mini-
mum, ou attribuer les circonstances atténuantes. En ce
sens, nous admettons que la réparation peut constituer
une nouvelle forme de la pénalité. Dans cette légère
mesure, nous admettons que l'indemnité peut tenir lieu de
peine, mais nous ne pensons point que cela puisse jamais
aller jusqu exempter le coupable de tout autre châtiment.
Reste un dernier lien à établir entre la réparation et la
répression. Lorsque le criminel donne volontairement sa-
tisfaction à sa victime, la peine doit en subir le contre-
coup. Quel est, en effet le but de la peine ? C'est de répon-
dre à l'idée de justice qui se trouve au fond du cœur de
tous les hommes d'assurer la protection de la société en
détournant le malfaiteur de recommencer, et les autres
individusde l'imiter. Ces raisons, sans toutefois disparaître I
s'affaiblissent si le coupable a volontairement paré son
crime. S'il a fait tout ce qui était en lui pour effacer le mal
qu'il a causé, il a, par cela même, donné une preuve de son
repentir, preuve dont on doit tenir compte. Il a donné un
gage de son relèvement moral qui le rend plus digne des
diverses faveurs légales : sursis, libération conditionnelle,
réhabilitation.
Voilà dans quelle mesure, assurément restreinte, la
£92 DEUXIEME PARTnsr^^caAPrm
peine et la répression doivent être unies ensemble, jusqu'à
i|iiol point elles nous semblent solidaires. Nous
Pavons précédemment constaté, certains criminalislcs ont'
été beaucoup plus loin dans cette voie. Préoccupés d'as-
surer à tout prix la réparation du dommage, ils ont voulu
établir, entre la réparation et la peine, une cohésion que la
nature des choses ne comportait pas. Leurs propositions
nous paraissent exagérées. Si nous croyons, comme eux.
que le droit moderne pousse trop loin la séparation entre
les effets civils et péuaux de l'infraction, nous ne croyons
pas que l'on doive réagir contre celte idée au point de
confondre deux choses bien disliiictcs
:
__
«.
5
CHAPITRE IV
DROITS DE LA VICTIME CONTRE LES PERSONNES ETRANGERES AU DÉLIT.
Pour obtenir réparation, la personne lésée peut appeler
en justice son agresseur, les coauteurs et les complices.
Tous ceux qui ont participé de près ou de loin au délit sont
exposés à ses poursuites. Elle peut s'attaquer à quicon-
que a sciemment favorisé l'infraction. Elle peut aussi
diriger son action contre un certain nombre d'individus
qui n'ont pas participé au délit : ce sont les personnes
civilement responsables : parents, commettant, etc. Ces
différentes personnes, pour nombreuses qu'elles puissent
encore paraître, ne sont que bien peu auprès de ce qu'elles
furent dans d'autres phases de la civilisation.
Partout les peuples primitifs ont tendu à rendre res-
ponsable des faits de l'individu l'unité sociale à laquelle
il appartenait. Tant que les clans ou les familles se main-
tinrent forts dans leur cohésion, tant que ces groupes,
sous leurs formes diverses, formèrent dans l'universelle
tourmente des premiers âges comme autant d'Ilots, dont
les éléments se prêtaient un mutuel soutien, les membres
du groupe répondirent l'un pour l'autre de leurs délits.
Ces petites sociés, que la nécessité de la défense main-
tenait plus fortes, devaient protéger l'étranger contre les
actes de leurs membres, comme elles protégeaient leurs
membres contre les exactions du dehors, solidaires pour
294 DEUXIÈME PARTIE. — CHAP. IV
la réparation comme pour la vengeance. Nous voyous celle
institution fleurir d'un même éclat chez les peuplades de la
Guinée, comme dans la Bohême ou la Russie du xiv
e
| siècle.
Elle se trouve dans les statuts des cités italiennes comme, sous
une autre forme, elle existait déjà dans les lois d'Hoël qui
rendaient le seigneur responsable des faits de ses vassaux (1).
la coutume ne l'établit pas, les rois la créent, comme
Edouard le Confesseur qui forma tout son royaume en friborgs
dont les membres répondaient les uns des autres (2).
Quand peu à peu l'ordre fut moins troublé, les groupes
s'atténuèrent, ces responsabilités disparurent, tombèrent en
désuétude, comme des branches mortes qui se détachent du
vieil arbre de la civilisation. Il ne resta plus que nos
responsabilités précises et limitées qui supposent une faute
plus ou moins apparente du responsable. Les législations
étrangères, qui se sont, en général, placées sur le même terrain,
ne différent guère de la tre que par des points de détail.
Parties des mêmes principes, elles ont abouti aux mêmes
conséquences (3). Elles ne peuvent donc nous offrir ni une
méthode, ni des exemples, si l'on veut conserver le point de
vue actuel.
Mais déjà, éternel retour des choses de ce monde, cette
théorie des responsabilités civiles qui paraissait une tbéo-rie
morte., momifiée dans le cadre étroit qu'elle avait
(1) V. de Gourson. Institutions odales des Bretons Rev. Wo-
lowshi, XXIX, p. 292.
(2) V. J. Tissot. Revue critique, 1859, p. 132. I
(3; V. toutefois sur la responsabilité des parents. Congrès ni
tentiaire de Rome. Documents, p, 433.
MOYENS D'ACTION CONTRE LES TIERS ETRANGERS 293
adopté depuis plusieurs siècles, semble reprendre une
nouvelle vie. Un nouveau rameau commence à se dresser sur
cet arbre racorni. Des travaux récents, plusieurs tentatives
législatives, peu fructueuses il est vrai, indiquent que cette
théorie prend une direction toute nouvelle, ou plutôt se
rapproche de ce qu'elle était autrefois. La responsabilité civile
de ceux qui ont directement facilité le crime étant insuffisante,
la liste des individus civilement responsables n'étant guère
susceptible d'accroissement (1), on a voulu obliger les
groupes à répoudre des délits de leurs membres. Mais avec
l'individualisme qui sévit de plus en plus, devant l'effacement
presque complet des groupements sociaux naturels, une seule
association paraissait encore assez forte pour pouvoir être
chargée de cette responsabilité : c'était l'État. C'est ce retour
sous une autre forme aux responsabilités anciennes que
plusieurs législations ont tenté et qui a été récemment
préconisé sous le nom de caisse des amendes.
La nécessité de donner un nouveau débiteur à la personne
lésée pour lui faire obtenir une réparation plus certaine, est
manifeste. Quelque serré et bien combiné que puisse être le
réseau dans lequel on enferme le délinquant, les cas la
victime obtiendra satisfaction complète, resteront toujours
limités. « il n'y a rien, le roi perd ses droits », disait un
vieux proverbe populaire. Il est bien difflcile de le faire
mentir. Il y a des insolvabilités absolues en présence
desquelles on ne peut rien; il y a chez les délinquants des
misères telles, qu'on ne peut songer à
(1) V. Cependant la torie de la solidarité de famille émise par
M. Saleilles Torie de l'obligation, p. 372. m
296
DEUXME PARTIE. — CIMP. IV
obtenir Ja plus faible somme. Quelque déterminé qu'on'
soit à se montrer énergique, il y a des impossibilités ma-
térielles et morales, devant lesquelles il faut s'arrêter.
Il faut ajouter à cela, et ce n'est pas le côté le moins
inquiétant du problème, le nombre effrayant d'infractions
dont les auteurs restent inconnus. Après avoir montré
l'augmentation du nombre des lits, quia passé de 394,000
en 1880, à 536,000 en 1893, l'auteur de la statistique cri-
minelle en France pour cette année s'exprime ainsi : « La
proportion des affaires que le parquet a cru devoir mettre
à l'instruction a subi à l'inverse une proportion décrois-
sante. Le nombre des classements sans suite a\progressé
avec celui des affaires, mais ce qu'il importe surtout de
remarquer, c'est l'augmentation numérique des abandons
de poursuite, parce que les faits présentant d'ailleurs les
caractères de crimes ou de délits sont restés inconnus, ou
parce que les charges contre les auteurs présumés sont
restées insuffisantes.
Ce nombre qui, en 1830, était de 33.731, est, à l'heure
actuelle, de 91.397 dont 17 assassinats, 28 meurtres, 1110
incendies volontaires, 605 abus de confiance, 1859 escro-
queries, 72.000 vols, etc. Il y a donc à l'heure actuelle près
de 20 0/0 des délits qui restent sans réparation, parce que
les auteurs n'ont pu en être découverts (1). »
(1) Il faut, en effet, ajouter a ces classements sans suite du parquet
les ordonnances de non-lieu rendues par les juges d'instruction pour
le même motif. Sur ce point, la statistique de 1894 nous donne d'in-
téressants renseignements. Elle indique 89 382 affaires laissées sans
poursuites parce que les auteurs du fait étaient restés inconnus ;
d'autre part, il y a eu 1700 ordonnances de non-lieu pour le mèm
e
motif, et 7386 parce qu'il n'y avait pas de charge suffisantes contre
les auteurs désignés.
c
' k ;*VKT,.
MOYENS D ACTION CONTRE LES TIERS ÉTRANGERS 297
En présence de ces faits, on comprend que l'on ait pu dire
que Tunique solution du problème était de faire intervenir
l'État pour la réparation pécuniaire des délits, en instituant une
caisse des amendes. Cette caisse serait administrée par le
ministère de la Justice, et elle aurait pour but de contribuer à
rendre effective la réparation due aux victimes du délit.
L'idée de cette institution n'est pas absolument nouvelle :
elle remonte à plus d'un siècle. On la trouve pour la première
fois dans le Code de Toscane de 1786 (art. 46, Codice
Leopoldino), qui créait, avec le produit des amendes, une
caisse destinée à indemniser les victimes d'erreurs judiciaires
et les personnes lésées dont l'indemnité restait impayée.
Malheureusement, cette disposition ne fut jamais exécutée.
Plus lard, elle fut reprise sans succès par Duport dans le projet
de Code d'Instruction criminelle qu'il présenta à l'Assemblée
constituante. Elle fut admise également dans le Code pénal
des Deux-Siciles de 1815. D'après l'article 35, les amendes,
ainsi que les sommes encaissées provenant des garanties,
cautions, cautionnements, ou du prix des objets confisqués,
étaient destinés à indemniser les innocents poursuivis et
ensuite les parties indigentes dans le cas où les coupables n'en
auraient pas le mojen. Les résultats ne furent pas plus heureux
qu'en Toscane : l'institution n'exista jamais que sur le papier.
La troisième tentative de ce genre n'eut pas plus de succès :
elle fut faite en Espagne dans le Code pénal de 1850 qui, plus
général que ses devanciers, disait : l'Etat doit indemniser, à
défaut du condamnera victime du crime ou délit (art. 123).
Tout se borna à l'inscription de
298 DEUXIÈME PARTIE. — CHAP. IV
cette maxime dans la loi. Depuis, de nouveaux essais ont été
faits dans le Code pénal portugais, et le Code pénal de la
Basse-Californie a créé, lui aussi, un fonds commun de
indemnizacione (art. 361 et 362). Ces dispositions ont-elles été
exécutées, si elles l'ont été, quels résultats ont-elles produit ?
C'est ce que nous n'avons pu savoir.
Sans se lasser de ce triple insuccès, les criminalistes
contemporains ont généralement proposé rétablissement de ces
caisses des amendes et leurs projets ont été tout récemment pris
en considération par le Congrès pénitentiaire de Paris. D'après
Jes idées éparses au milieu des travaux des Congrès, celle
caisse fonctionnerait à peu près de la façon suivante : Elle
recevrait tout d'abord, et ce serait la plus importante de ses
recettes, tout le produit des amendes et des confiscations. Bien
qu'à l'heure actuelle, les amendes perçues atteignent à peine
trois millions (1), on fonde sur elles les plus grandes
espérances. On sait, en effet, que la tendance actuelle de la
science pénale, tendance suivie par les législations et les projets
les plus récents, est de faire aux peines pécuniaires une place
importante dans la pénalité. On a largement, trop large-ment
peut-être, escompté ces réformes pour augmenter, dans une
grande proportion, le chiffre des sommes perçues. Au produit
de ces amendes s'ajouterait une portion prélevée sur le pécule
du condamné. La plupart des positivistes italiens y joignent les
indemnités dues à la victime, quand celle-ci se refuse à
accepter la somme offerte (2).
(1) En 1893, il a été perçu 2.973.195 fr. ; en 1894, 3.018.148 fr.
(2) V. en ce sens. Fioretti. Rapport précité. Garofalo Rippa-
r&zione, p. 45. — Ce point a été justement critiqué par M. Stop-
c.
MOYENS DACTION CONTRB LES TIERS ÉTRANGERS 290
Quel rôle jouerait cette caisse des amendes dans la répa-
ration des délits ? Le Code espagnol et le Code de Toscane,
nous l'avons vu, différaient déjà sur ce point. Et, aujourd'hui,
les représentants de la science pénale sont loin d'être d'accord.
Les uns, comme M. Fioretti, sont assez modestes dans leurs
prétentions. D'après cet auteur, la caisse des amendes
n'interviendrait qu'exceptionnellement. Si le crime a fait
perdre à quelqu'un ses moyens d'existence, et si le criminel est
insolvable, elle fournira à la victime une rente annuelle de
1,200 fr. au plus. Si l'offensé faisait vivre des membres de sa
famille, il sera attribué h chacun d'eux une rente de 600 fr. En
outre, lorsque la personne lésée se trouve privée d'aliments, le
tribunal, ou même les juridictions d'instruction peuvent lui
attribuer provisoirement une pension mensuelle de 200 fr. au
plus, payable par la caisse des amendes.
Ces propositions si modérées, si précises ne paraissent, pas
avoir été beaucoup suivies. La plupart des partisans de la
réforme ont vibeaucoup plus haut, ils aspirent à faire tenir
une plus large place à la caisse des amendes. Au lieu de ce
simple palliatif, pour éviter les abus les plus criants, pour
empêcher qu'un crime pût réduire les gens à la misère, ils ont
voulu que l'Etat, par la caisse des amendes, se présentât
comme le redresseur de tous les méfaits, vint réparer tout les
torts injustement causés.
pato. Si, par générosité, dit-il, on se contente de la peine proprement
dite, cela ne doit pas tourner à l'avantage d'un tiers. 'Quand le par-
ticulier se refuse à poursuivre la réparation du dommage, ce refus
fait devenir d'intérêt général la p nu-suite de ce a quoi le parti en liq
renonce.
300 DEUXME PARTIS. CHAP. IV ,'
c
Toute personne lésée pourrait s'adresser à la caisse des |
amendes, dès qu'elle ne pourrait obtenir satisfaction du
coupable.Quelques-uns même demandent qu'on aille plus
loin,que l'on supprime toute restriction à l'intervention du
pouvoir social. « Je voudrais, a dit un positiviste au congrès de
Rome (4) que l'État se rendit cessionnaire des droits de la
victime et leur donnât satisfaction, et cela spécialement dans les
crimes de sang, et qu'il contraignit ensuite par un travail forcé
l'offenseur insolvable à la réparation de sa dette contractée
onversl'État ». Pour les partisans d* cette opinion, les
prélèvements à faire sur les appointements du coupable ou le
pécule du prisonnier seraient versés à la caisse des amendes qui
aurait d'avance payé l'indemnité à la victime. La caisse
interviendrait ainsi dans tous les cas comme intermédiaire entre
le délinquant et sa victime (2).
On peut le voir par l'exposé de ces arides détails sur la
caisse des amendes, les projets sur ce point ne sont pas
complètement d'accord, ils diffèrent même sensiblement, ce
qui rend plus difficile d'en apprécier la valeur. De toutes
façons, on ne peut se dissimuler les obstacles budgétaires que
l'établissement de celte caisse des amendes rencontrerait.
Comment l'État n'hésiterait-il pas à renoncer au produit des
amendes ? C'est une recette de trois millions, et seule elle lui
permet de compenser les pertes par lui faites sur les frais de
justice criminelle (3).
(l; M. Lioy. V Actes du Congrès d'anthropologie criminelle,
p. 877.
(2) C'est notamment l'opinion de Garofalo. Ripparazione.
(3) En 1893, l'Etat a déboursé pour la justice criminelles 333.567 f.
MOYENS D ACTION CONTRE LES TIERS ÉTRANGERS 301
Nous parlons simplement pour l'État d'une perle de trois
millions ; c'est, nous le croyons, être trop modeste dans les
évaluations. Si 1 Etat doit, comme on le propose, réparer
entièrement tous les délits, dès que les coupables ne peuvent le
faire, trois millions soûl bien insuffisants pour obtenir ce
résultat. Les statistiques actuelles (1) nedonncnt
malheureusement aucun renseignement sur l'importance des
dommages causés parles crimes et lits. Mais si l'on consulte
le nombre des crimes qui causent ordinairement le plus grand
préjudice matériel, on se demande avec anxiété jusqu'où
l'Etat serait engagé, en voulant indemniser complètement les
victimes. La statistique des crimes dont les auteurs sont restés
inconnus, est à elle seule très significative. Pour toutes ces
infractions, l'État serait forcément responsable. Certaines, il
est vrai, n'ont causé -qu'un faible préjudice, on peut néanmoins
supposer que les obligations de la caisse des amendes seraient
considérables. On a répondu qu'il était permis de faire fonds
sur une augmentation du produit des amendes, une refoute
législative amènerait une extension telle des peines pécuniaires
que l'on pourrait probablement parer à tout. Nous avons Jà-
dessus quelques hésitations. Nous sommes évidemment ici sur
un terrain très mouvant, sans point d'appui solide. Les
chiffres fout absolument défaut comme base de
raisonnement. Malgré cela, nous craignons que les amendes,
même employées plus largement, ne
Les frais perçus se sont montés a 4.321.661 fr., soit une perte d'un
million, composée et au-delà par les amendes.
(1) U en était autrement dans certaines statistiques anciennes. En
1850, la statistique constatait pour 15 ans 75 226 vols. Pour 02.008, le
302 DEUXIÈME PARTIE. CI1AP. IV
soient insuffisantes pour atteindre le but désiré (1). D'ailleurs,
certains partisans tout au moins de la caisse des amendes
admettent que l'Etat, en cas d'insuffisance devrait pourvoir
à la réparation, des délits sur ses ressources générales.
C'est un pas en avant qui place la question sur un terrain plus
élevé et plus vaste : la responsabilité de l'État. C'est envisagé à
ce nouveau point de, vue, que le projet a été principalement
défendu, qu'on l'a étayé des arguments les plus ingénieux, et
qu'il importe de le critiquer. On n'a sans doute pas négligé de
dire, ce qui est parfaitement exact, que l'État n'a par devers lui,
aucune raison décisive pour s'approprier le produit des
amendes. Quelle que soit en effet la tradition bien des fois
séculaire qu'il puisse invoquer en sa faveur, il n'y a
logiquement aucun droit. Dans un intérêt général, pour
réprimer certains désordres, il a fallu infliger à certains citoyens
une diminution de leur patrimoine, il a été nécessaire de leur
imposer une amende. Les sommes ainsi obtenues reviennent-
elles nécessairement à l'Étal comme son dû? N'y aurait-il pas
beaucoup plus de motifs pour les répartir entre les victimes des
délits qui restent empayées ?
C'est ici surtout que l'on s'est plu à affirmer la responsabilité
de l'Étal. De fait, ces affirmations concordent avec les
tendances les mieux marquées de notre époque. A mesure
qu'on songe davantage, sur certains points au moins,— à
assurer la protection de l'individu contre l'Étal, lares-
préjudice était connu : il s'élevait à J9.198.050 fr., soit 1.279.870 fr.
par an. Or, depuis, le nombre des vols a angine nié de 150 0/0. (1)
C'est aussi l'opinion de M. Fiorelle. Loc. cit., p. 363.
MOYENS D'ACTION CONTRE LES TIERS ÉTRANGERS 303
Iponsabili pécuniaire de celui-ci s'affirme plus souvent.
Depuis plus de dix ans déjà, le Conseil d'Etat, se lançant dans
une voie toute nouvelle., a proclamé plus largement la
responsabilité de l'État en matière de travaux publics, sortant
même pour cela des principes ordinaires du droit civil (1).
Plus récemment, c'est la loi du 8 juin 4895 sur les indemnités
aux victimes d'erreurs judiciaires, qui attribue une réparation
aux personnes injustement condamnées. C'est celte marche
progressive de la législation affirmant la responsabilité de
l'Etal qui se dessine ici. pourrait-elle plus justement
apparaître ? Si le délit a lieu, si l'auteur n'a pu être découvert,
ou s'il a pu auparavant faire disparaître ce qu'il possédait, la
faute en est à l'État. Il est équitable qu'il en supporte les
conséquences. Il a mal rempli ses fonctions de protecteur de
l'ordre. « On paye à l'État pour avoir la sécurité, si les lois
sont insuffisantes ou mal appliquées, si elles permettent aux
criminels de se livrera leurs méfaits, les sujets de l'État, en
compensation de leurs sacrifices ont le droit d'exiger que les
lois soient modifiées, les criminels punis efficacement, la
réparation du préjudice accordée. Et si le délinquant ne la peut
rendre effective, l'Étal interviendra subsidiai-remenl pour la
faire obtenir. Cela est de toute justice (2). » Celte idée
d'ailleurs ne serait point absolument nouvelle dans nos lois.
Le germe s'en trouve déjà, il n'y a plus qu'aie développer et à
l'étendre. La loi du 5 avril 1884 admettant la responsabilité
des communes eu matière d'attroupements n'adopte-t-elle pas
cette idée pour un cas
(!) V.-Cons. d'Etat, 22 mai 1885. Sir., 87. 3. 13. . (2) M.
Armengol y Cornet. Rapport cité.
«04 DEUXIEME PARTIE. CMAP. IV
spécial? Les communes sont obligées à raison de la négli-
gence de leurs administrations. Si celles-ci n'ont pas pris
toutes les précautions nécessaires pour maintenir l'ordre,
les finances communales en supportent les conséquences.
Pourquoi celle disposition ne serait-elle pas généralisée. L
Etat pourrait répondre à bon droil de ce qu'il n'a pas em-
pêché les délits.
A un autre point de vue celte responsabilité de l'État
n'est-elle pas un moyen assez juste, en tous cas le seul
possible, de donner effet à ce qu'on a appelé la com-
plicité sociale ? Jusqu'à un certain point, en effet, celle
complicité existe, elle est incontestable. Beaucoup d'actes
de la vie bien que non contraires aux lois sont non seule-
ment des atteintes à la morale, mais de véritables ferments
qui aident le délit à se développer. Le journaliste qui peu à
peu inculque à ses lecteurs la haine de l'ordre social établi,
l'homme dont la vie n'est qu'un exemple de vice et
d'oisiveté, tous les gens qui observent seulement cette
plaisante justice, dont parlait Senèque, qui consiste à être
justus ad legem, ne sont-ils pour rien dans les crimes qui
se commettent? Leurs paroles ou leurs exemples ont
contribué à réveiller des appétits endormis, à détruire de
bons sentiments dans l'âme des pauvres et des simples.
Tous ceux qui exercent une semblable iufluence ne sont
pas sans encourir une certaine responsabilité pour tous les
délits qui se commettent. On peut le croire, sans ad-
mettre, comme certains l'ont fait, que « les conséquences
de tous les actes, el par conséquent des délits doivent être
attribués à l'action simultanée de facteurs innombrables,
c
MOYENS D ACTION CONTRE LES TIERS ETRANGERS 305
auxquels ils obéissent » (1). Il n'est pas besoin d'affirma-
tion philosophique de ce genre. L'homme, même libre
n'en subit pas moins l'iniluence du milieu, et cette in-
fluence suffit pour engendrer une responsabilité, contre
tous ceux qui l'ont exercée. Si elle n'est pas l'unique facteur
du délit, elle est au moins un des facteurs qui ont con-
tribué à son existence. De toute fon, il est donc admis-
sible que la société réponde des délits qu'elle a provoqués.
Pourquoi celui qu'un hasard a souvent signé pour
être la victime d'un délit n'a-t-il de recours que contre le
malfaiteur, sans tenir compte de tous coux qui, incons-
ciemment peut être, ont favorisé le lit ? Cette responsa-
bili morale certaine, trop fugitive et trop tenue pour se
traduire par une responsabilité légale distincte et précise,
ne/peut-elle se traduire juridiquement par ce qu'on a ap-
pelé- « une responsabilité diffuse » ? Si les individus ne
peuvent être directement poursuivis, l'Etat incarnera tou-
tes ces responsabilités occultes, il indemnisera au nom des
divers membres de la société. Dans une certaine mesure,
la société, comme l'a dit M. Ferri, a le criminel qu'elle
mérite. Il n'y a qu'un pas pour admettre qu'elle doit être
responsable des crimes qui se commettent, et que, par
l'État qui la personnifie juridiquement, elle doit les réparer
(2).
Enfin on a soutenu que la réparation des infractions 0
doit être une fonction de l'État et représenter un de ces
(1) V. notamment Dorado. Revue de sociologie, 1894. p. 602.
(2) Ces idées n'ont été nulle part exprimées positivement, mais elles nous
semblent impliquées par les idées que développe M. Dorado, hoc. cit.
20
306 DEUXIÈME PARTIE. CJJAP. IV
moyens indirects de corn bal Ire le crime que Ferri appelle les
Hostilutivi penali» (1). Ce sérail un moyen d'empêcher, en tous
cas de rendre plus rares ces vengeances de la victime, ces
vendetta qui paraissent avoir tant préoccupé certains
criminalistes.
Ce dernier argument nous paraît peu décisif. Car celte
vendetta, que les auteurs italiens mettent un si grand zèle* à
vouloir réprimer, n'existe pas chez nous. On en trouve des
traces dans quelques régions, comme en Corse, mais c'est peu
de chose dans l'ensemble de la criminalité du pays. Ou peut
aussi se demander si le paiement d'une indemnité suffirait à
éteindre des mœurs bien anciennes, des tendances qui sont
innées. C'est peut-être matérialiser trop les sentiments de ces
gens-là de penser qu'ils ont uniquement pour cause une perte
pécuniaire, et qu'une simple réparation pécuniaire les ferait
évanouir.
Quant aux autres arguments, c'est en réalité une conception
toute nouvelle de la responsabilité qu'ils mettent au jour.
Jusqu'ici, la responsabilité reposait sur un fait précis : action ou
omission, peu importe, mais déterminante exactement quanta
son époque, ou sa nature. On se maintenait donc sur un terrain
très solide.
On voudrait ici inaugurer une responsabilité d'une nature
tout autre, n'ayant plus les mêmes exigences, ne reposant plus
sur des faits précis, mais en quelque sorte sur des inductions.
L'Etal serait responsable, comme n'ayant pas maintenu Tordre,
prévenu ou poursuivi les délits,
(1) M. Venezian. 1
er
Congres d'anthropologie. Acte» du Congrès,
p. 873.
le.
MOYENS D'ACTION CONTRE LES TIERS ÉTRANGERS 307
sans qu'on ait à mettre à sa charge aucun fait positif. Sur ce
point, la théorie nous parait tout à fait exagérée. Peut-on
considérer l'Etat comme obligé d'empêcher tout lit? Nous
l'avons déjà indiqué, il ne peut prévenir les infractions que
d'une façon limitée. La surveillance qu'il exerce par la police
ne peut s'étendre partout. Il y a des .crimes qu'il n'était pas en
son pouvoir d'empêcher. C'est exiger de lui des capacités plus
qu'humaines. De ce chef, on ne peut d'une façon générale,
l'obliger à indemniser les personnes lésées. Toutes les fois
qu'il y a faute prouvée à sa charge, qu'on le rende responsable,
cela est juste, mais on ne peut aller plus loin.
Quant à la responsabilité sociale, que l'on voudrait traduire
juridiquement par la responsabilité de l'Etat, elle nous paraît
reposer su** des faits parfaitement exacts. Mais elle aboutit à
des conséquences peu équitables. Les particuliers, qui au
travers de l'Etat, vont se trouver répondre des délits commis,
et qui s'acquitteront sous forme d'impôts, le feront-ils
réellement dans la proportion de leur responsabilité morale ?
Qui oserait le soutenir ? Cette futation n'est pas pleinement
décisive, nous le reconnaissons. Si le besoin de faire pénétrer
dans la loi cette responsabilité morale dont nous parlons
s'imposait absolument à l'esprit, il faudra passer par-dessus
ces inconvénients. Mais c'est surtout au point de vue
économique que la responsabilité de l'Etat peut
-
rencontrer
des objections.
Sous une forme un peu tournée, mais très reconnais-
gable, ce serait un pas vers la solution d'une question éco-
nomique très discutée : l'assurance par l'Etat. Le Trésor se
trouverait ainsi l'assureur de tous les dommages cau-
308 DEUXIÈME PARTIE. CM A P. IV
ses par les lits, il paierait les indemnités aux personnes
lésées, et il se récupérerait en morcelant, cette responsa-
bilité entre tous les citoyens sous forme d'impôlsytelle une
assurance mutuelle ayant réparé les pertes des sinistrés
répartit les sommes payées entre les mutualistes qui eu
supportent chacun leur part. Dans celte conception de. la
responsabilité de l'État, l'impôt jouerait pour une certaine
partie le rôle d'une prime d'assurance. Et dans l'espèce,
l'analogie serait assez grande, car l'impôt étant proppr-J
tionnel au revenu de chacun présenterait une certaine
proportion avec l'intensité du risque qui est la régulatrice
de la prime.
Considérés de celte façon, les projets que nous éludions
recueilleraient pour ce seul motif un certain nombre de
si/ffrages. Des esprits éminents n'ont-ils pas caressé ces
projets grandioses de sortir l'humanité de cette demi sé-
curilé., son expansion est paralysée au moyen de l'as-
surance par l'État. Celui-ci se ferait le protecteur plus
complet de la sécurité, non content de prévenir le mal, il y
apporterait le remède. Par la réparation, il ferait disparaître
le dommage produit, comme par les moyens préventifs, par
la police sous toutes ses formes, il l'empêche de se
produire. Il serait alors complètement le prolecteur de
l'ordre au lieu de n'exercer ses fonctions qu'à demi. I Mais
cette conception généreuse a rencontré un accueil assez
froid. Les esprits les plus impartiaux, les plus dégagés de
tout esprit d'école s'y sont montrés peu favorables. On en a
souligné les inconvénients pratiques : on y regarderait de
moins près s'il s'agissait de faire contribuer le Trésor
public. L'État de celle façon détruirait le fécond
H
MOYENS D'ACTION CONTRE LES TIERS ÉTRANGERS 309
principe de l'assistance mutuelle et par là même les liens
sociaux gui se forment librement au sein des associations
privées, d'après les affinités diverses, les habitudes sociales
fi).
Chose curieuse, et qui montre bien le lien el qui existe
entre la responsabilité de l'Etal en matière de dé-lits et
l'assurance obligatoire par l'Etat, ce sont des critiques
analogues qui ont été formulées par les ad versai ras Id'une
caisse des amendes, par ceux qui ne veulent, pour elle qu'uu
rôle restreint. Si l'Etat prenait à sa charge la-réparation de tous
les délits, les gens, a-l-on dit, s'enlcjï* draieut pour faire croire
à l'existence d'un délit. On y regarderait peu à frauder le
Trésor, car une solidarité répandue outre trente millions
d'habitants s'atténue aisément, si elle ne disparaît pas tout à
fait. Celte sécurité complète, dans laquelle on s'endormirait,
émousserait un des plus puissants stimulants de l'activité
humaine. « Le délit cesserait d'être compté parmi les maux qui
affligent la société et l'on perdrait, par cela même, le plus
puissant ressort qui pousse l'humanité vers son amélioration
morale, en lui inspirant, pour le délit, une horreur d'autant plus
forte et sincère qu'elle est plus réellement intéressée. Le délit
perdrait sa note caractéristique la plus saillante si l'Etat était
toujours prêt à pourvoir, au moyen de fonds publics, au
dédommagement qu'il comporte » (2).
Comme l'assurance par l'Etat, la réparation des délits par
l'État serait une cause d'affaiblissement du lien social.
(1) V. Cauwès. Economie politique, III, n" 1079, p. 579.
(2) V.Fioretti. Rapport précité p. 363 et suiv. — Cf. Tarde : Philosophie
pénale, p. 497. Ziicker. Rapport précité.
310 DEUXIÈME PARTIE. — CBAP. IV
Dans les pcliles communautés d'habitants, la crainte!
commune du délit, tout au moins de certains délits,
comme le maraudage, l'incendie, sont une des causes qui
resserrent puissamment la solidarité sociale. Serait-il bon
d'effacer tout cela ? N'anerait-on pas uu affaiblissement
d'initiative, une détente regrettable dans l'activihumaine,
si l'intérêt commun n'était plus excité de la même façon
par celui de chacun ?
C'est pour toutes ces raisons qu'il faut, nous le croyons,
renoncer à cette conception grandiose de l'Etat assurant, à
ses frais, la réparation des délits, couvrant d'une complète
protection les intérêts privés menacés. Des fraudes
nombreuses, l'affaiblissement d'une solidarité qui peut
être féconde, seraient le prix dont il faudrait payer trop
cher cette ingénieuse conception d'une caisse publique
indemnisant les victimes de toutes leurs perles. Sans dis-
tinguer si l'Etat serait ou non obligé de subventionner ces
caisses des amendes sur ses ressources générales, les
mêmes inconvénients se produiraient, la même sécurité
complète, et en apparence gratuite amènerait les mêmes
effets regrettables-
Est-ce à dire que l'État doive rester complètement inac-
tif, qu'il n'y ail rien à changer dans la destination des
amendes, que le pouvoir social doive rester complètement
impassible devant les difficultés se débat la victime.
Nous ne le pensons pas. Si l'Etat, ne peut sans inconvé-
nient, jouer ce rôle prépondérant qu'on voudrait lui attri-
buer, il peut avoir un rôle complémentaire. Son interven-
tion, dans une mesure restreinte, sera utile en même temps
qu'elle évitera toute objection.
«
MOYENS D'ACTION CONTRE LES TIERS ÉTRANGERS 311
Il faut tout d'abord tenir compte ici d'un mouvement
qui, pour s'être opéré en dehors de la loi, n'en a pas moins
une importance capitale. Nous voulons parler du velop-
pement prodigieux qu'a pris, dans ce siècle, l'assurance
sous toutes ses formes.
Sans doute, il n'y a pas d'assurance spéciale qu'on
nomme assurance contre les délits. Mais n'a-t-on pas as-
suré le risque de certaines infractions ? L'assurance
terrestre la plus ancienne, l'assurance-incendie, ne met-
elle pas le propriétaire à l'abri de ces deux infractions
très fréquentes (1) : l'incendie volontaire (article 434 du
Code nal) et l'incendie par imprudence (art. 458 du
Code pénal). L'assurance sur la vie ne peut-elle indemni-
ser les héritiers du meurtre de leur auteur. L'assurance en
cas d'accidents, en cas de maladie, ne couvre-t-elle pas le
risque des homicides, des blessures par imprudence, des.
coups et blessures entraînant une incapacité de travailler.
Nous pourrions citer presque toutes les assurances :
l'assurance des titres transportés contre la perte ou le vol,
etc. Ces dernières anes n'ont-elles pas vu éclore
l'assurance contre les attentats anarchistes qui couvre uni-
quement les pertes résultant d'un crime ?
Le prodigieux épanouissement des assurances, en moins
d'un siècle, permet de bien inaugurer de leur avenir. Quel
que soient les imperfections qu'elles présentent, et qui
sont loin d'être irrémédiables, on peut en espérer de nou-
veaux développements. Dans l'immense, champ d'action
(1) On a constaté en 1893,1654 incendies ayant un caractère délictueux,
dont 1110 n'ont pu donner lieu à poursuite, tes auteurs étant restés
iuconnus.
12
DEUXIÈME PARTIE. — C1IAP. IV
qui lui est ouvert, l'assurance peut encore parcourir de nouveaux
stades. Les premières étapes sont déjà franchies : les personnes
pouvent se couvrir des conséquences des crimes les plus graves,
les immeubles sont assurés contre le sinistre le plus fréquent pour
eux : l'incendie, les meubles commençant à l'être contre les vols.
Il appartient à l'avenir de compléter ces mesures, d'en répandre
l'usage dans les urs. Une faut pas négliger non plus de tenir
compte de l'existence de ces sociétés de secours mutuels, dont
l'importance croissante a rendu nécessaire une législation
spéciale à leur égard. Si elles ne fout pas disparaître le préjudice
qu'un délit cause à l'un de leurs membres, tout au moins dans
certains cas, elles en atténuent l'importance, surtout s'il s'agit
d'un délit contre,la personne. Le passé donne tout lieu de croire
que, d'ici peu d'années, les particuliers pourront ainsi se mettre
à.l'abri des principaux délits. (1). Ou peut d'autant plus t'espérer
qu'actuellement l'assurance a déjà revêtu le* caractère
scientifique qui lui est nécessaire. Ses lois, ses principes, sont
aujourd'hui connus ; il n'y a, pour ainsi dire, plus qu tirer de
nouvelles conséquences, à appliquer les règles qui la gouvernent
aux différents risques qui se présentent.
L'assurance, quelque étendue et perfectionnée qu'elle soit,
présente toutefois un défaut. En fait, elle ne s'applique jusqu'ici
qu'aux classes les plus aisées. Soit insouciante, soit
impossibilité, les classes les plus pauvres ne s'assu-
(1) Il y a cependant une certaine limite à l'assurance : ne serait-ce
que le chiffre de primes à payer, v. Lerjy-Beaulieu. Economie po-
Éj'igwsj^HJg 403.
MOYENS D ACTION CONTRE LES TIERS ÉTRANGERS
313
rent pas. Ceux qu'un délit réduit aussitôt à la misère la plus
noire, n'ont pas ce secours pour en sortir. Il serait à souhaiter
que cette situation changeât, que les crimes, tout au moins
contre les personnes, ne vinssent pas plonger toute une famille
dans un état lamentable. La loi doit-elle ici intervenir ? L'Etat,
protecteur naturel des pauvres et des humbles, n'a-t-il pas un
rôle à jouer ? Nous le croyons volontiers. Ou ne saurait
admettre ici la sèche formule spencérienne. « Un besoin
public, jusqu'à ce qu'il soit satisfait d'une manière spontanée
devra rester sans satisfaction aucune » Dans celle mesure, il
nous semble parfaitement admissible que l'Étal crée une caisse
des amendes servant à indemniser les personnes laissées sans
ressource par un crime ou un délit. La responsabilité générale
de l'Etat nous "paraissait discutable. Celte responsabilité res-
treinte' nous parait s'appuyer sur des raisons d'humanité
décisives. Lorsqu'un délit vient à jeter la ruine dans une
famille, il est juste que l'État ne se contente pas de veiller à
l'intérêt social, qu'il prenne aussi soin de l'intérêt privé, si
cela est nécessaire, qu'il accorde des secours à la victime ou à
ses enfants. Ainsi conçue, ainsi restreinte dans son rôle, celle
caisse des amendes ne serait donc autre chose qu'une
institution de charité légale. Ce serait; un fonds de secours que
la loi laisserait à la disposition des juges, pour aider les
victimes à sortir de leur situation malheureuse. Ils pourraient
ainsi mettre fin de suite aux misères que le délit ou le crime
ont pu créer. .11 conviendrait même, pour atteindre le but
d'une façon plus complète, que les magistrats instructeurs
puissent attribuer des allocations provisoires payables sur cette
caisse. Le
314 DEUXIÈME PARTIE. — CHAP. IV
juge d'instruction, qui en reconnaîtrait la nécessité, ferait
provisoirement payer par la caisse des amendes une pension à
la victime laissée sans aucune ressource. Etant donné co
caractère de l'institution, la somme accordée à la victime ne
serait pas nécessairement équivalente au dommage subi par
elle. On pourrait même, à cet égard, fixer un certain maximum
aux allocations ainsi faites (1) pour que leur répartition, entre
les intéressés, présentât une certaine régularité. Un recours
serait évidemment reconnu à l'État contre les délinquants pour
les avances aiusi faites
Conçue de cette façon, avec ce rôle modeste, celle insti-
tution serait plus facilement réalisable, d'un poids moins lourd
pour un budget déjà obéré, elle pourrait plus facilement être
pratiquée. Elle réaliserait tout ce qu'on peut, en somme,
demander à l'Etat : supprimer les abus les plus criants. Il ne se
faut point leurrer de ce chimérique espoir de voir In pouvoir
social remédier»à tous les maux dont souffre l'humanité. Ceux
qui se sont endormis dans ces rêves sont tristement retombés
dans une réalité pleine de déceptions. Ces institutions
gigantesques, destinées à couvrir l'humanité contre tous les
maux, n'aboutissent souvent qude pesantes administrations,
sources d'abus, pleines de formalités et de tracasseries, objets
de fraudes de toutes sortes, qui retardent plus l'humanité dans
son progrès qu'elles ue l'avancent. Faut-il ici encore se laisser
séduire par un mirage trompeur ? Que d'essais
(D M. Fiorettiest entré à ce sujet dans des détails assez développés.
T. le rapport cité.
c
MOYENS D'ACTION CONTRE LES TIERS ETRANGERS 315
pour faire faire à l'humanité un grand pas en avant n'ont abouti
qu'à des chutes ! Que la loi cherche donc simplement à
empêcher les faits les plus criants, comme dans une
catastrophe, l'Etat vionb remédier aux misères les plus
affreuses. Qu'elle laisse donc le champ libre à l'initiative
individuelle, ou plutôt qu'elle lui laisse le champ qu'elle a dé
conquis. Son rôle doit se borner à suppléer à celte activité,
elle fait défaut, non point à la supplanter dans une fonction
qu'il remplirait moins bien.
CHAPITRE V
LA RÉPARATION CIVILE ET LA PROCÉDURE CRIMINELLE
À l'étude des droits de la victime contre son agresseur,
s'oppose naturellement celle des moyens pour les mettre
en œuvre. A la partie théorique du sujet, s'oppose une
partie pratique : une élude de procédure. Ailleurs secon-
daire, la question de procédure revêt ici une importance
toute particulière. La victime ne peut guère obtenir satis-
faction sans plaider. Que de difficultés, en effet, soulève
la liquidation des dommages-intérêts. Rien de plus délicat
que de déterminer le préjudice exact : souvent sera
nécessaire l'intervention du juge entré deux personnes que
leurs rapports antérieurs ne portent guère à la conciliation.
Ajoutez à cela la nécessité de mesures énergiques, de
moyens de contrainte, pour triompher d'un débiteur sans
scrupule, toutes choses pour lesquelles il faut obtenir un
litre exécutoire, demander aux tribunaux de mettre la
force publique au service de la victime. Si la victime veut
obtenir réparation, c'est donc le plus souvent le procès
forcé. Tandis que, dans les rapports ordinaires, la justice
n'a à intervenir qu'exceptionnellement, plaider est ici une
nécessité trop fréquente. Les arrangements amiables
n'étant point la règle, les questions de procédure prennent
ici un relief tout particulier.
LA REPARATION CIVILE ET LA PROCÉDURE CRIMINELLE 317
Ce relief, elles le doivent encore à une autre cause, et
c'est ce qui nous permet d'aborder ici cette question. La
personne lésée peut porter son action devant le tribunal
civil, comme un créancier quelconque. Mais elle peut
aussi saisir de sa demande le tribunal répressif. En dehors
do la voie commune, elle se trouve en compagnie de
tous les autres plaideurs, une voie spéciale lui est ouverte;
plus rapide, elle trouve, dit-on, des juges plus favo-
rables à ses prétentions. Mais cette route est, en fait,
parsee d'obstacles, elle l'expose à des lourdes dépenses.
Ce sont ces inconvénients qu'il s'agit de pallier, auxquels
il faut chercher un remède. Des améliorations en cette
matière seraient le complément indispensable de toute
réforme législative en fait de réparation civile des délits.
I
Une des formes les plus urgentes, celle dont la justice
a été de tout temps reconnue, à laquelle les criminalisles
se sont montrés unanimement favorables, est celle concer-
nant la consignation et le paiement des frais. Il y a une
double obligation imposée aux parties civiles qui est la
source des plus grands inconvénients. Souvent elle éloigne
du prétoire les plus dignes d'intérêts ; pour ceux qui se
risquent à agir, elle ajoute de nouveaux fraits aux pertes
déjà subies. Que la répression ne souffre souvent de ces
mesures de iiscalilé exagérée, que bien des particuliers,
par crainte des frais, préfèrent iester dans l'inaction, ne
pas môme dénoncer les délits à l'autorité, et, sui-
318
DEUXIÈME PARTIS. — CHAP. V
vant l'expression vulgaire, laisser les coupables « aller se faire
prendre ailleurs » c'est un fait dont on ne peut guère douter.
Fait particulièrement regrettable à notre époque, la
criminalité a pris des proportions sans cesse grandissantes,
la répression rencontre chaque jour plus de difficultés à
atteindre les coupables, et ce ne serait pas trop de tous les
efforts combinés des magistrats et des particuliers, pour résister
à ce flot envahissant.
On sait quelles charges l'esprit de fiscalité a fait peser sur les
parties civiles. Toute partie civile qui provoque des frais de
procédure, en se constituant dgtns une plainte, est obligée de
consigner la somme présumée nécessaire pour les couvrir. En
outre, en matière de police correctionnelle ou de simple police,
la partie civile, même on obtenant gain de cause, est condamnée
aux frais, sauf son recours, souvent illusoire, contrôle coupable
(1). Cette seconde règle est déjà plus restreinte qu'elle ne l'était
primitivement. De 1814 à 1832, elle s'étendit en effet aux
matières du grand criminel elles mêmes : pendant celte période,
la responsabilité des parties civiles pour les frais était absolue.
En modifiant partiellement cet état de choses, le législateur de
183*2, dans les travaux préparatoires condamna implicitement
la règle toute entière. Et cependant il l'abrogea qu'à moitié.
Au petit criminel, elle est resiée debout,éternel objet ilo justes
critiques. Eu 1845, Bonneville de Marsangy en demandait la
complète suppression, faisant observer, avec raison, que « tant
qu'on voudra, dans les questions de justice, compter l'intérêt.
(i) Nous renvoyons aux développements que nous avons consacré
plus haut a ce sujet.
LA REPARATION CIVIL! ET LA PROCEDURE CRIMINELLE 319
du Trésor public, on tombera dans l'iniquité »(1). Un demi-
siècle plus lard, le Congrès pénitentiaires de Paris, était
encore obligé de présenter le vœu que la partie lésée obtenant
gain de cause ne fut jamais condamnée aux frais. Nous ne
pouvons que nous y associer et demander, nous aussi,
l'abrogation d'une mesure injuste et d'une fiscalité mal
comprise. Injuste, car elle fait subir une perte d'argent au
particulier qui a contribué à assurer la répression ; d'une
fiscalité mal entendue, car la réforme que nous demandons
serait peut-être moins onéreuse pour le Trésor, qu'elle ne le
paraft tout d'abord. La répression se trouvant ainsi activée, on
pourrait, jusqu'à un certain point, espérer un plus grand
produit des amendes. Dans une certaine mesure, la forme
s'équilibrerait elle-même. Il y aurait donc toutes raisons pour
que notre législation marchât ici sur les traces des législations
voisines.Celles-ci en effet, ne possèdent plus des gles
semblables à la nôtre : il en est ainsi en Italie, il en est île
même en Belgique depuis longtemps déjà (arrêtés royaux de
1849 et du 18 juin 1853).
Peut-être même serait-il possible d'aller plus loin. Lorsque
la partie lésée aboutit à un échec, est-il toujours juste pour
cela de la condamner aux dépens ? Si elle n'a fait que se
joindre à une procédure déjà intentée par le ministère public,
n'est-elle pas excusable? Est-il absolument équitable de lui
faire payer tous les dépens ? Elle n'a fait que suivre le
ministère public. Qui des deux s'est montré le moins prudent ?
Ne comprendrait on pas que les dépens fusseut partagés entre
elle et l'État, ou même
(1) Discours au tribunal de Reims. -Cf. institutions compl. p.30.
320 DEUXIÈME PARTIE. CBAP. V
qu'elle payait seulement ceux causés par son intervention?
Rien ne serait plus juste. C'est d'ailleurs pour cette solution que
s'est prononcé le Congrès pénitentiaire de Paris, en demandant
que, dans notre cas, les frais d'intervention fussent seuls à sa
charge.
Il reste un second aspect de cette question des frais où
l'intérêt fiscal apparaît beaucoup moins: nous voulons parler de
l'obligation de consigner les frais. Cette obligation doit elle être
abrogée ? Les obligations voisines ailleurs plus formatrices,
se rapprochent ici de notre droit français. C'est le Code de
procédure pénale italien qui oblige la partie civile à déposer les
frais (art. 565). C'est la loi belge de 1849 sur les frais de justice
qui complète et précise l'article 160 du décret de 1811 fi),
exigeant la consignation dans tous les cas, me pour une
simple intervention. Deux motifs peuvent être présentés à l'ap-
pui de ces décisions. L'obligation de consigner est un frein,
imparfait peut-être, mais très réel pour bien des poursuites
téméraires. Cette gênante obligation empêche le tribunal d'être
encombré de mesquines taquineries, de débats sans intérêts
comme sans dignité, elle permet aux juges d'écouter mieux des
affaires plus sérieuses, d'y consacrer tout leur temps. Pour
souhaitable que soit le but à atteindre, le moyen employé n'est
guère bon, il serait à désirer qu'on eu découvrit de meilleurs.
Cette consignation des frais est une digue bien mal construite
pour arrêter le flot des poursuites engagées sans raison. Tandis
que, pour les plaideurs sans fortune elle est un obstacle
(I) V. hevuede droit français et étranger, 1849, p. 586.
LA REPARATION CIVILE ET LA PROCÉDURE CRIMINELLE 321
très grand, d'autres De regardent pas à ce sacrifice pour
satisfaire leur passions.
On peut invoquer en faveur de la consignation des frais
une considération plus puissante. Elle évite que les pertes
du Trésor, déjà si considérables sur les frais de justice cri
minelle (i), ne le deviennent plus encore. Sans cette règle,
beaucoup de procès criminels seraient engagés, l'État
ne pourrait obtenir paiement des frais. Il y a là un moyen
nécessaire pour le mettre à l'abri de toute éventualité.
Cet argument nous paraît avoir une certaine importance.
Cependant, ne pourrait-on pas apaiser les craintes du Trésor
sans rendre obligatoire, dans tous les cas, la consignation
des frais ? Pourquoi ne pas se contenter de toute mesure
équivalente : d'une consignation de titres à la Caisse des
dépôts et consignations, de la présentation d'une caution
solvable ? Les particuliers seraient ainsi moins gênés dans
leur poursuite et, en même temps, l'intérêt fiscal ne subi
rait aucune atteinte. Il
Même ramenée à la situation d'un plaideur ordinaire, quant
à la responsabilité des frais, la victime peut encore souhaiter
d'autres améliorations. Elle est encore placée dans une
situation défavorable : elle ne peut, jusqu'ici, obtenir le
bénéfice de l'assistance judiciaire devant le tribunal répressif.
Préférant la voie plus lente des tribunaux
(1) En 1893, sur 11.053.171 fr. de frais à percevoir, l'Étal a reçu
021,661 fr.
322 DEUXIÈME PARTIE. — Cil A P. V
èivils, elle aurait pu profiter de la loi du 22 janvier 1851. j Après
avoir justifié de son indigence devant le bureau d'assistance, elle
aurait pu être dispensée de toute dépense, à l'occasion du
procès. Provisoirement, elle n'aurait payé aucun droit fiscal :
timbre, enregistrement, etc.; un avoué un huissier, un avocat
auraient occupé gratuitement pour elle. Veut-elle au contraire
agir devant le tribunal répressif, la scène change : rien de pareil
ne lui est accordé. Devant la justice criminelle, la partie civile
indigente ne jouit d'aucune faveur particulière. Elle est
simplement exemptée de la consignation des frais parle décret
de 1811. Sauf cette exception, elle doit, comme tout autre
plaideur, payer les officiers ministériels qu'elle emploie,
acquitter les divers impôts qui pèsent sur les procès. Les
présidents des cours d'assises et des tribunaux correctionnels
peuvent et doivent même parfois désigner un avocat d'office à
l'accusé ou au prévenu indigent, ils peuvent faire citer les
témoins qu'ils signent Rien de semblable n'est prévu, quand
il s'agit de la partie civile. Est-ce une négligence involontaire du
législateur de 1851 ? Nullement. L'hypothèse a été
formellement prévue lors des travaux préparatoires, mais les
intérêts de la partie civile n'ont pas paru avoir besoin de cette
protection. « Rien n'est plus facile à la partie civile, a-t-on dit
(1), que de trouver un avocat ou un avoué qui lui rende
bénévolement le service de poser des conclusions pour elle. La
plaidoirie de l'avocat de la partie civile est en général de peu
d'utilité. Du reste, si la personne lésée par un crime ou par un
délit n'a pas obtenu
(1) Rapport de M. de Valimesnil à l'Assembe nationale.
t
LA RÉPARATION CIVILE Et LA PROCÉDURE CRIMINELLE 323
la réparation devant le tribunal criminel ou correctionnel, elle
peut, aprèa la condamnation de l'auteur du crime ou du lit,
intenter une action devant la juridiction civile, et, si elle est
indigente, obtenir l'assistance à raison de cette action ».
Cela est vrai, mais est-il bon, pour la justice, de recom-
mencer cette nouvelle instance ? Le tribunal répressif a pris
connaissance de l'alTaire, il en possède tous les éléments ;
sans aucun travail nouveau, il peut liquider les dommages-
intérêts dus à la victime. Est-il cessaire de recommencer nu
nouveau procès, d'aller porter devant d'autres juges, parfois
devant les mêmes juges, la question de réparation civile ? Il y
a une autre raison plus spéciale. Sans aucun acte de procédure,
ou à peu près, les intérêts civils pouvaient recevoir
satisfaction. Si Ion s'adresse ensuite aux tribunaux civils, et
que la victime obtienne l'assistance judiciaire, c'est une longue
suite d'actes que les'divers officiers ministériels devront faire
gratuitement. On aggrave ainsi la charge, déjà lourde, que] la
loi de rHtôl fait peser sur eux, alors que cela pouvait être si
facilement évité.
En outre, la partie civile n'a-t-elle jamais qu'à psenter une
demande pour obtenir des dommages-intérêts ? Nous
admettons qu'un avocat ou un avoué veuille toujours présenter
sa demande. Mais la partie civile peut avoir à citer des
témoins. Il se peut aussi que, le parquet refusant de
poursuivre, elle veuille citer directement le linquant devant
le tribunal correctionnel. aussi, trouverait-elle un officier
ministériel disposé à agir gratuitement, à payer de ses deniers
les droits de timbre et d'enregistrement ?
324 DEUXIÈME PARTIE. — CHAP. V
Il faut donc constater ici une certaine lacuno dans la loi sur
l'assistance judiciaire. Nous ne croyons pas que la pratique l'ait
comblée. Nous ne possédons pas, malheureusement de
puissantes associations de charité, analogues à ces
misericordias du Portugal et du Brésil qui, pendant si
longtemps, ont assuré à tous les plaideurs pauvres, un avocat et
un procureur. Peu favorisées par la loi, insuffisamment séparées
des partis politiques, nos associations de charité végètent
péniblement. Elles sont bien loin de penser à jouer un rôle
un'peu considérable.
Il serait à souhaiter, puisqu'il faut s'en remettre à la loi que la
loi fut complétée sur ce point. Le législateur de 1851 s'est
montré trop réservé pour prêter son appui à la partie civile : il
serait nécessaire de combler la lacune qu'il a volontairement
laissée. D'autres Ëtats d'ailleurs l'ont déjà fait. Il en est ainsi en
Italie. Il en est de même dans le grand-duché de Luxembourg
les deux lois de 1843 et de 1869 admettent le bénéfice du
pro Deo en toute matière, même pour les actes extra-
judiciaires. Plus récemment, la loi belge du 30 juillet d 889 a
déclaré que « la partie civile pouvait être admise au bénéfice do
la procédure gratuite..., si son indigence est établie» (1). (art.
13).
Nous souhaitons que la législation française s'inspire de
l'exemple que donnent les législations voisines, qu'elle étende
l'assistance judiciaire aux demandes des personnes lésées
portées devant les tribunaux répressifs, qu'elle ne ferme plus
aux nécessiteux la voie la plus commode pour
(1) Cela n'existait pas auparavant. V. Pandecles Belges, Assis-
tance judiciaire.
i
LA REPARATION CIVILE ET LA PROCÉDURE CRIMINELLE 32S|
agir. C'est lo vœu qu'a formulé le Congrès pénitentiaire do Paris
en 1893 (1).
Toutefois l'application de ce principe ne se fera pas sans
difficulté. Si l'on n'y prend garde, on ouvrira la porte aux
accusations téméraires et même diffamatoires de tous les
indigents. Le remède serait pire que le mal, si Ton exposait
tous les citoyens aux poursuites les plus injustifiées. Que
l'assistance judiciaire donne lieu à des abus en matière civile,
cela est déjà mauvais : il est toujours regrettable que des gens
soient exposés sans raison aux ennuis d'un procès. Mais, en
matière criminelle, l'inconvénient est bien plus grave : ce n'est
pas la fortune seulement, c'est l'honueur des personnes qui se
trouve menacé, cela est très dangereux surtout si le
poursuivant est un homme sans surface, à qui il est bien
indifférent d'être condamné à des dommages-intérêts, à raison
d'une poursuite téméraire. Nous croyons donc que, pour
remédier à ce danger autant qu'il est humainement possible, il
faudrait se montrer plus sévère, lorsque lu prétendue victime
demande à intenter l'action. On pourrait exiger, par exemple,
l'unanimité des membres du bureau d'assistance pour accorder
le bénéfice delà loi do 1851. On pourrait aussi permettre la
contrainte par corps contre lo plaignant condamné à des
dommages intérêts, cela d'ailleurs a déjà été proposé.
Lorsque la victime se contente d'intervenir dans l'instance
déjà engagée par le ministère public, la solution du problème
serait plus facile. Lorsque les magistrats du parquet ont
engagé une poursuite, il y a tout lieu de supposer
(1) V. en ce sens le rapport de M. Pascaud.
326 DEUXIÈME PARTIE. — CHAP. V
qu'elle est bien fondée (1). Une seule preuve resterait à faire
pour que la victime méritât l'assistance judiciaire : celle de son
indigence. Le problème se trouverait donc considérablement
simplifié, l'on rencontrerait moins ces abus que la faiblesse des
bureaux d'assistance a laissés s'introduire (2). Toutefois Userait
nécessaire dans cette hypothèse de l'intervention d'une partie
civile indigente d'organiser une sorte de référé d'assistance. Les
pays étrangers ont presque tous adopté des mesures pour faire
statuer provisoirement sur l'assistance, si cela est cessaire. Ici
de semblables mesures seraient évidemment indispensables, la
procédure se trouvant engagée devant le tribunal répressif, la
victime n'a que peu de temps pour présenter sa demande.
IIJ
Disposée à exempter des frais la personne lésée, toutes les
fois qu'il y avait quelque raison de le faire, la science pénale a
été encore plus loin dans cetto voie. Exempter des frais celui
qui gagne son procès, admettre l'assistance judiciaire pour la
partie civile indigente, ce n'est, après tout, que donner les
mêmes droits devant un tribunal répressif que devant une
juridiction civile. C'est poser comme principe que ce qui est
juste devant une juridiction, doit l'être aussi devant l'autre, et
rien do plus. Ne pourrait-on pas se montrer plus généreux :
exonérer la victime de tous les frais, alors même que sa
demande
(i; En fait,les demandes où le parquet échoue ne dépassent pas 6 0/0. (2)
En fait près de moitié des demandes des assistés sont rejelées par
les tribunaux.
LA REPARATION CIVILE rr LA PROCEDURE CRIMINELLE 3Î7
sérail repoussée, et lui faire obtenir des dommages-intérêts
sans qu'elle le demande?
Dam le droit actuel, les restitutions sont ordonnées d'office
parle juge, mais les dommages-intérêts ne peuvent ètro
accordés qu'autant qu'ils sont demandés. Or, toute demandé ae
dommages-intérêts implique constitution de partie civile. D'où
une responsabilité cuniaire, tantôt certaine, tantôt
simplement possible. Si on est devant le tribunal
correctionnel, la partie civile sera nécessairement condamnée
aux dépens; si on est, au contraire, devant la Cour d'assises,
elle supportera ou non les frais, suivant le résultat dos
poursuites. Au contraire, s'il ne s'était agi que d'une restitution,
aucune condamnation aux frais n'aurait été encourue, la
restitution ayant lieu en dehors de toute demande de sa part.
Les deux choses concordent évidemment assez mal : la chose
volée est retrouvée, c'est une restitution, elle a lieu d'office; ne
l'est-elle pas, c'est une demande d'indemnité : on peut encourir
la condamnation aux frais. Bon ne ville de Marsangy avait
proposé de mettre fin à celte discordance en attribuant les
dommages-intérêts d'office comme les restitutions. Il pouvait
citer à l'appui, le Code autrichien de 1803. Dans son article
522, il portait que le tribunal devait éclaircir d'office par
l'instruction le dommage causé par le lit, et si la valeur .du
dommage était parfaitement connue ainsi que la personne de
la victime « décider dans la sentence do condamnation quelle
somme était due par le délinquant pour indemnité. Cette
décision était ensuite signifiée par le tribunal criminel à
chacun de ceux en faveur de qui l'indemnité est accordée ».
Mais la victime restait libre
328 DEUXIÈME PARTIE. — CI1AP. V
de s'adresser au tribunal civil pour prouver qu'il lui est dû une
indemnité plus forte (art. 523).
Ce système, abandonné un moment par le Code autrichien de
1850, fut presqu'aussitôt repris par celui de 1853, mais le Gode
de 1873 l'a définitivement abrogé (1). De fait, cette idée
rencontre aujourd'hui peu de faveur. Ce n'est point que la
science pénale ait pris une toute autre direction, mais une idée
voisine paraît l'attirer davantage. Il est assez peu logique que le
juge statue d'office sur quoi que ce soit, cela cadre mal avec un
des principes les plus nets du droit moderne : à savoir que les
juges n'agissent que sur réquisition. Aussi, on a généralement
proposé que le ministère public présentât dans tous les cas une
demande de dommages-intérêts, en même temps qu'il conclut à
l'application de la peine.
Prise dans cette forme plus nouvelle et plus logique, ainsi
mise en harmonie avec les principes généraux du droit, l'idée a
rencontré beaucoup de partisans dans les divers congrès
internationaux. Le Congrès d'anthropologie criminelle de
Rome en 1885 exprimait le vœu que les dommages-intérêts
soient demandés d'office par le ministère public. Plus
récemment, cette conclusion était votée par le Congrès
pénitentiaire de Paris. Cependant, la question donna lieu à un
très vif débat, et la réforme proposée rencontra de redoutables
adversaires (2).
(i) Il semble que ce système existe en Egypte au moins en cas de
meurtre. cret du 13 novembre 1883. (Ann. 1883, p. 782).En tous
cas cela existait dans le droit sarde (art. 5 livre 4 titre SO.Pén.), dans
la coutume du pays messin (art. 25), dans celle de St. Sever et d'Arc.
— V. Bonneville. Institutions complémentaires, p. 43.
(2) Notamment MM- Leveillé, Telljer, Woulfert, Pieranloni.
t
LA RÉPARATION CIVILE ET LA PROCÉDURE CRIMINELLE 329
D'ailleurs, la justification de cetteforme n'allait pas sans
difficulté. Si l'on admet avec l'école positiviste, que la
paratiop civile est une fonction d'ordre social, rien n'est
plus aià justifier, il doit nécessairement en être ainsi.
Le ministère public, représentant de l'intérêt social, est
naturellement désigné pour requérir dans tous les cas des
dommages-intérêts en même temps que la peine. Bien
plus, en agissant ainsi, il ne faut que requérir toute la
peine : la réparation du délit étant une des formes de la
répression, les magistrats du parquet doivent, à ce sujet,
réquérir une condamnation, comme s'il s'agissait d'une
amende, ou d'un emprisonnement.
Mais pour ceux qui n'admettent pas le principe de la
réparation civile fonction sociale, la question devenait
singulièrement délicate, et pourtant de nombreux crimi-
nalistes ont demandé ici l'intervention du ministère pu-
blic. « Le ministère public a t-on dit, représentant la so-
ciété, représeate_a_/oWiori le citoyen pour lequel le trou-
ble social caupar l'infraction a eu ses conquences les
plus tangibles » (1). Rien ne part plus discutable. Le mi-
nistère public représente l'ensemble des citoyens, mais jus-
qu'ici il ne peut représenter aucun citoyen en particulier,
Combien ce mandat tacite qu'on voudrait lui attribuer se-
rait différent de ce qu'on est convenu d'appeler la repré-
sentation de la socté par les magistrats du parquet ! Dans
ce second cas, ce sont les intérêts très inconsistants de
chaque citoyen qui viennent se réunir ensemble pour for-
mer cel intérêt de premier ordre : l'intérêt social, dont le
M) y. les rapports de MM. Prias et Flandin au Congrès de Paris,.
330 DEUXIÈME PART». — CHAP. V
soin est confié au ministère public. Celui-ci réunit en lui ces
intérêts si fragiles et en fait un droit qu'aucun particulier ne
peut exercer. Tout autre serait ce mandat légal .dont on
investirait les magistrats du'parquet : cette représentation d'un
particulier ayant un droit déjà formé juridiquement, cette
demande de dommages intérêts faite au nom d'un individu qui
garde le silence. C'est une véritable immixtion dans les affaires
privées, de la part du représentant de l'État, immixtion sans
rapport avec les fonctions actuelles du ministère public.
D'autres arguments pourraient être invoqués pour justifier
l'innovation proposée. Il y a tout d'abord une raison de pure
pratique, de rapidité dans l'administration de la Justice.
Lorsque les magistrats ont pris connaissance d'une affaire, il
est à souhaiter qu'ils puissent l'examiner sous toutes ses faces,
en tirer toutes les conséquences légales qu'elle comporte. Un
délit a éexamipar le tribunal répressif, les magistrats ont
considéré l'importance du préjudice, la perversité du délinquant
et ils ont appliqué une peine. Est-il nécessaire de rouvrir un
nouveau débat devant d'autres juges, pour constater
l'importance du dommage t C'est même cette raison, soit dit en
passant, qui nous paraît décisive en faveur de notre système
français qui, à la différence des lois allemandes, hollandaises
ou de New-York admet toujours la partie lésée à joindre son
action à l'action publique. Ces lois étrangères sans aucun
avantage sérieux (1), ont l'inconvénient d'amener deux ins-
tances là où une seule suffirait, d'augmenter les frais, d'oc-
(I) V. sur ce point Fournier. Procédure criminelle aux Etats-
Unis p. XVIII.
t
LA RÉPARATION CIVILE ET LA PROCEDURE CRIMINELLE 331
cuper inutilement les magistrats. Notre système français
échappe on partie à ces défauts. Ne pourrait-on l'y faire
échapper complètement en chargeant le ministère public
de demander les dommages-intérêts pour la victime ?
Cette réforme présenterait pour la personne sée des
avantages que l'on n'a pas manqué de faire valoir. Ses
droits se trouveraient liquidés, elle obtiendrait un titre
exécutoire, sans qu'elle ait aucune démarche à faire. En
outre, quoiqu'il arrivât, elle échapperait à toute condam-
nation aux frais. Le ministère public échouerait-il dans la
demande présentée en son nom, elle n'aurait pas de frais
à payer.
Par contre, tout cela conduirait à des conséquences un
peu extraordinaires. Un droit va ainsi se trouver exercé
sans la volonté de son titulaire. Un individu majeur, libre
par conséquent de tous ses droits, va recevoir pour ce cas
spécial une sorte de représentant légal, chargé de proger
ses intérêts. Dans le droit actuel, tout créancier est libre
d'agir en justice s'il lui plaft, et quand il lui plaît, Ici, il
en sera tout autrement, la' liquidation judiciaire de sa
créance se fera de plein droit, sans aucuno intervention
de sa part.
On apeoit tout de suite à quel défaut pratique on va
aboutir. La victime, qui n'a- pas été partie à l'instance, va
pouvoir se plaindre parce qu'elle a été mal défendue. Le
ministère public, à l'entendre, a demandé des dommages-
intérêts trop faibles. Il n'a pas tenu compte de toutes les
pertes qu'elle a subies. Elle devrait avoir droit à une
indemnité plus forte. Ces récriminations du plaideur mé-
content ont été psentés par les adversaires de la réforme
332 DEUXIÈME PARTIE. — MAP. V
comme qn inconvénient inévitable. On peut cependant y
pallier dans une certaine mesure. Il faudrait autoriser la
personne sée à exercer une sorte de tierce opposition
contre le jugement statuant sur l'indemnité. La victime
prétendant que le jugement ne lui a alloué qu'une somme
trop faible, aurait une voie de recours devant un autre
tribunal pour se faire allouer ce qui lui est dû. C'est une
institution de cegenre qu'avait créé le code autrichien de
1803 qui accordait des dommages-intérêts d'office. La vic-
time pouvait en faire relever le chiffre en s'adressant au
tribunal civil (1).
Par ce moyen très simple, l'inconvénient que l'on a
signalé, serait incontestablement diminué. On peut croire
pourtant, qu'il ne serait pas complètement effacé. La per-
sonne lésée pourrait soutenir que le premier jugement
elle n'est pas intervenue crée un préjugé contre elle, que
le magistrat d'appel saisi seulement de la question civile
sera toujours disposé à confirmer le jugement précédem-
ment rendu. C'est un inconvénient de fait possible
contre lequel les dispositions législatives seraient vaines.
On ne voit pas quel remède on pourrait y apporter.
Le plus grand inconvénient de celte intervention du
ministère public, c'est peut-être d'être inutile. Si l'on ad-
met les réformes que nous avons proposées, la partie ci-
vile intervenante ne répondra jamais que des frais de son
intervention. Est-il utile de la décharger de cette respon-
sabilité éventuelle fort légère ? Mars la grande utilité de
la réforme serait d'accorder des dommages-intérêts à la
(1) M. Fioretti prévoit des moyens de recours analogues. Rapp.
cité.
c
LA RÉPARATION CIVILE ET LA PROCÉDURE CRIMINELLE 333
victimo sans qu'elle ait de marches à faire. Ne pourrait-on
pas y aboutir par un moyen bien plus simple. La personne
lésée figure toujours comme témoin dans le procès criminel. Il
suffirait que le président t obligé de lui demander si elle
veut réclamer des dommages-intérêts (1). Il lui indiquerait à
quelles conditions elle peut le faire séance tenante et quelle
responsabilité elle encourt. On pourrait compléter cette
disposition en déclarant que, sur la demande do la victime, le
président lui désignera d'office un avocat pour soutenir sa
réclamation.
Au cas seulement où la victime est décédée, cette mesure se
trouverait en défaut. Il est très possible que dans ce cas les
héritiers ne figurent à l'instance à aucun titre. On pourrait
alors enjoindre au ministère public de prévenir les héritiers
par simple lettre recommandée de la date du procès criminel
et de leur indiquer qu'ils pourront y faire valoir leurs droits.
Ces mesures,très {.impies donneraient satisfaction à tous
les intérêts. On peut croire que la victime, le plus souvent,
choisirait la voie criminelle pour obtenir satisfaction.
Lorsqu'elle ne le ferait pas, c'est presque toujours qu'elle
aurait des raisons sérieuses: il s'agirait, par exemple, d'une
liquidation difficile : d'autres documents, d'autres témoins
seraient nécessaires. Ce ne seraient probablement que des cas
exceptionnels.
Cette réforme nous parait sufûsante, quoique nous sou-
haitions grandement la réunion dans une même instance
(1) Le Code autrichien de 1873 contient une disposition de de genre.
11 prescrit que le juge demande au témoin s'il se porte partie civile
I (art. 172).
*
334 DEUXIÈME PARTIE. C11AP. V
dos débats sur la peine et sur la réparation. Il y a à cela, non
seulement l'avantage d'une simplification, d'une économie de
temps, mais un avantage d'un ordre plus élevé. Il est juste que
le magistrat tienne compte de l'importance du dommage causé
par le délit pour mesurer la peine. Nous l'avons déjà signalé, le
préjudice social se modèle dans une certaine mesure sur le
préjudice individuel ; quelque séparé qu'il soit de lui, il en
garde la trace. Dans l'application de la pénalité, l'attention du
juge doit donc se porter l'importauce du dommage. Elle ne
saurait être mieux attirée sur ce point que si le juge doit la
fixer, si le môme jugement statue sur la réparation et sur la
peine (1). Il y a tout à gagner, aussi bien pour la simpli-fjcation
de la procédure à ce que les deux débats se trouvent réunis.
Mais cette réunion, nous la désirons, non pas comme, une
chose imposée par la loi, mais comme librement voulue par la
victime. Un créancier ne doit jamais avoir à exercer sa créance
que quand il lui plaît. Que le législateur provoque les personnes
lésées à choisir la voie criminelle pour obtenir réparation, pour
cela que la partie civile ne soit plus traitée avec la même
rigueur, que la responsabilité des frais retombe plus rarement
sur elle : rien n'est plus désirable.Mais pourquoi créer cette
protection particulière, qui peut créer contre la partie civile un
préjugé regrettable ? Ne suffit-il pas de lui permettre un
(1) C'est peut-éU'e pour celle raison que le Code autrichien de 18731
impose au juge de fixer l'importance du dommage dans tous les casj
quoique l'indemnité ne soit plus attribuée d'office.
t
LA REPARATION CIVILE ET LA PROCEDURE CRIMINELLE 33$
exercice facile do ses droits ? Faut-il encore les exercer
en son nom ? (i)
IV I
C'est certainement dans les questions de responsabilité
des frais, d'assistance judiciaire que la personne lésée
pourrait demander les améliorations les plus importantes.
En dehors de ce champ de réformes, elle se heurtera
toujours à un puissant intérêt, l'intérêt fiscal, on peut en-
trevoir cependant un certain nombre d'améliorations qui
réaliseraient dans la loi plus d'harmonie, éviteraient un
certain nombre de résultats choquants et d'une façon gé-
nérale ouvriraient plus largement pour la partie lésée la
porte du tribunal criminel.
Le tribunal répressif est compétent pour statuer sur
l'action civile dés qu'il est sais de l'action publique mais
à cette conditiou seulement. s qu'il reconnaît que le
fait soumis à son appréciation ne constitue pas un délit,
il doit se déclarer incompétent sur l'action civile qui peut
en résulter. La victime est condamnée aux dépens, et elle
doit s'adresser aux tribunaux civils, pour obtenir
satisfaction. Cependant devant la Cour d'assises, il en est
autrement. me eu cas d'acquittement, la cour peut
encore condamner l'accusé acquitté à des dommages-
intérêts, si elle trouve dans le fait incriminé les caractères
d'un délit civil. Devant les tribunaux de simple police, ou
de police correctionnelle, la règle reprend son
(1) C'est aussi l'opinion de M. Stoppalo. Rivista pénale, XXVIII,
p. 197.
336 DEUXIÈME PARTIE. — CHAP. V
empire .' le prévenu acquitté ne peut plus être condamné à des
dommages-intérêts. On a craint que pour user de la voie plus
rapide du tribunal correctionnel, on n'alléguât sciemment
l'existence d'un délit alors qu'en fait, il s'agissait d'un simple
quasi-délit. La crainte d'une erreur volontaire de juridiction a
fait abandonner ici la règle admise devant les assises.
On peut penser cependant que dans bien des cas cette crainte
n'est pas fondée. Si le tribunal de police peut être saisi sur
citation de la partie lésée, il l'est plus souvent à la requête du
ministère public (1). Dans ce cas la fraude que l'on
semble redouter est-elle à craindre ? Nullement. Quel danger y
aurait-il, à ce que les prévenus' poursuivis par le parquet
pussent, même en cas d'acquittement, être condamnés à une
indemnité ? Dans cette hypothèse au moins,il serait possible
d'établir devant le tribunal correctionnel la même règle que
devant la cour d'assises. Peut-être même, lorsque la victime a
saisi le tribunal par citation directe pourrait-on adopter un
système analogue. Toutefois une différence devrait être faite
pour éviter les fraudes. En ce cas ce serait une simple faculté
pour le juge de statuer sur les intérêts civils. Soupçonnerait-il
une fraude, il renverrait l'affaire au civil. Lé demandeur
paraîtrait-il au contraire de bonne foi, le tribunal examineraitla
question des dommages-intérêts. Cette mesure ne serait pas sans
intérêt pour la victime d'un délit. Il n'y a point de délit pénal
sans intention mau-
(i) ËD police correctionnelle en 1893 : 227.511 prévenus furent pour-
suivis par le ministère public et 6920 seulement sur citation de partie
civile.
c
LA REPARATION CIVILE ET LA PROCÉDURE CRIMINELLE 337
vaise, or rien n'est plus délicat, plus fragile que la preuve
d'une intention. On peut souvent craindre d'y succomber.
Dans cette crainte, la victime d'un délit pénal se trouve
alors vers la voie plus lente, plus coûteuse que lui offre la
juridiction civile. Ne serait-il pas plus juste que, sans
redouter un échec, elle put s'adresser au tribunal répres-
sif ?
V
Dans le même ordre d'idées, il serait encore à souhaiter
que les voies de recours fussent ouvertes plus largement
à la partie civile. Dans plusieurs cas, le droit d'appel, le
recours en cassation lui sont si strictement limités qu'elle
ne peut recourir contre une ordonnance ou un art, qui,
méconnaissant le caractère criminel d'un fait, l'oblige à
clamer son indemnité aux tribunaux civils. Nous avons
signalé plus haut quelles voies de recours lui faisaient dé-
faut : nous n'avons pas à revenir sur l'étude du droit ac-
tuel. Qu'il nous suffise de dire que ces limitations ne nous
semblent nullement justifiées. Dans le combat que la vic-
time peut engager devant le tribunal répressif, il faut
qu'elle ait à sa disposition toutes les armes légales. Elle
devrait pouvoir recourir contre toutes les décisions des
juridictions d'instruction ou de jugement, sauf à décider
que le recours exercé par elle seule n'aura pas effet que,
quant à ses intérêts civils. Il faut que « la mise en mou-
vement de l'action publique, en tant que dans ses rapports
avec l'action civile, elle est nécessaire pc ur l'obtention
d'une indemnité, procure dans la limite du possible, à la
22
338 DEUXIÈME PARTIE. — CHAP. V
partie lésée, le moyen d'avoir une réparation. C'est mani-
festement ce qui n'aurait pas lieu si l'impulsion donnée était
arbitrairement arrêtée avant d'avoir franchi toutes les étapes
judiciaires dont elle est susceptible. » (1).
VI
Parmi les règles étroites qui limitent si rigoureusement les
droits de la personne lésée, il faut encore citer la règle des
articles 637 et 638. Instr. Crim. D'après ces articles, l'action
civile née du délit ou du crime se prescrit par le même délai
que l'action publique. On a essayé de donner de cette règle bien
des raisons. Tous les jurisconsultes se son t efforcés d'en
présenter des motifs satisfaisants. Les uns ont dit qu'après trois
ou dix ans, les preuves du crime ou du délit étaient disparues,
que cela expliquait la règle. Mais leur a t-on fait remarquer, s'il
n'y a plus de preuves, les tribunaux s'abstiendront de con-
damner, sans qu'il y ait pour cela besoin de règle. D'autres ont
vu un moyen pour mettre fin aux angoisses du coupable,
comme si les intérêts de la victime ne méritaient pas plus
d'intérêt que ceux du délinquant. D'autres enfin, et c'est
aujourd'hui l'opinion dominante, ont parlé du scandale possible,
si l'on revenait au droit commun. Après dix ou quinze ans, on
verrait le coupable désormais à l'abri de la peine, convaincu de
son crime, devant les magistrats désormais impuissants à le
poursuivre où à
(i) M. Pascaud. Rapp. au Congrès de Paris.
c
LA REPARATION CIVILE ET LA PROCEDURE CRIMINELLE 339
le condamner. Quelle atteinte ne porterait-on pas à la sécurité
sociale si on laissait rappeler les crimes qui n'ont pu être
réprimés ? On réveillerait inutilement les souvenirs de faits
qu'il vaut mieux laisser peu à peu oublier.
Ces raisons, qui ont été maintes fois répétées, ne nous
paraissent pas décisives. Elles ne suffisent pas à nous
expliquer ce résultat évidemment bizarre, à savoir que l'auteur
d'un crime ne peut être poursuivi en paration que dix ans,
tandis que l'homme, simplement imprudent ou maladroit,
peut, pendant trente ans, se voir réclamer une indemnité à
raison de sa faute. Le résultat scandaleux que l'on a voulu
éviter à tout prix me paraît quelque peu imaginaire. S'il y a en
droit la même publicité pour les débats civils et criminels, en
fait il en est bien autrement. Le public, qui suit avec intérêt les
audiences des cours d'assises, s'inquiète fort peu des procès
qui se dénouent au tribunal civil, presque tous restent ignorés
de lui. Seul le monde judiciaire y prête quelque attention.
Mais à supposer que, dans des cas exceptionnels, lebruiten
franchit la porte du prétoire, le mal serait-il si considérable ?
Croit-on que le souvenir d'un délit, après quatre ou cinq ans,
pourra soulever dans le public une émotion réelle ? Croit-on
même qu'un crime, rappelé après quinze ou vingt ans, attirera
beaucoup les regards- de la fou^e ? Pour quelques crimes très
graves, on peut le soutenir (1), mais, dans la grande majorité
des cas, le public ignorera ou suivra froidement la lutte qui se
déroule devant le tri-
(1) Mais on peut se demander si, pour ces crimes très graves, l'ho-
micide volontaire notamment, le délai de dix ans n'est pas trop
court. Nous ne sommes pas éloigné de le croire.
340
DEUXIÈME PARTIE. — CHAP. V
bunal civil. Et puis, celui qui après longtemps, sera pour-
suivi à raison d'un crime sera souvent connu en fait : les
débats du tribunal n'ajouteront rien, déjà auparavant son
nom a circulé de bouche en bouche, les journaux de la
localité l'ont plus ou moins clairement désigné. Tout ce
scandale, que causerait un retour au droit commun, est
donc un peu chimérique : il n'y a pas de raison suffi-
sante pour maintenir les articles 637 et 638 du Code d'Ins-
truction criminelle qui sont un véritable piège bien des
gens se laissent prendre. S'il s'agit d'un fait où l'intérêt ci-
vil est plus en jeu que l'intérêt pénal, le créancier un peu
négligent se voit opposer la prescription après un court
délai. Les recueils de jurisprudence sont remplis de faits
de ce genre, notamment en matière d'homicide par impru-
dence.
On peut donc penser que l'abrogation de ce lien entre
les prescriptions civiles et pénales serait une utile réforme.
C'est l'opinion de plusieurs magistrats distingués (1). Plu-
sieurs législations récentes s'y sont ralliées. C'est la Fin-
lande qui, après avoir adopté cette idée dans la loi du 14
janvier 1873, l'a reprise dans son Code pénal de 1889 (2).
C'est aussi l'Italie qui, innovant sur le Code pénal sarde,
décide, dans l'article 102 du nouveau Code, que « la pres-
cription de l'action pénale ne préjudicie pas à l'action civile
quant aux restitutions et au remboursement des domma-
ges ». Des dispositions analogues se retrouvent dans le
(1) V. Proal. Le crime et la peine, p. 486. Muleau. Prescription
de l'action publique et de l'action civile en matière pénale.
(2) V. Annuaire, 1879, p. 749, et année 1889, p. 838.
c
LA REPARATION CIVILE ET LA PROCEDURE CRIMINELLE 341
Code pénal mexicain de 1872 (art. 364), dans le droit
grec (itoivuoi SotovofAia art. 8, 10 et 11), dans le Gode pénal
russe (art. 167), dans le Code pénal de Saint-Marin (art. 5).
Si le système français a encore été maintenu en Belgique
par la loi du 17 avril 1878 (1), ce ne fut pas sans une vive
résistance. Toutefois, nous devons avouer qu'il a été encore
consacré par plusieurs lois étrangères : le Code de procédure
pénale genevois de 1884 (2), la loi roumaine du 31 mars
1873 (3), le Code des Pays-Bas, ceux de nombreux can
tons suisses : Valais, Berne, Argovie, dans le Code d'ins
truction criminelle égyptien (art. 277). I
Vil
A côté de ces questions toutes secondaires, se pose., dans
le domaine de la procédure pénale, un problème autrement
ardu, d'un ordre bien plus élevé, qui prendra plus d'im-
portance encore qu'aujourd'hui, si les réformes proposées
entrent dans le domaine législatif. Dans quelle mesure la
personne lésée par une infraction aux lois pénales pourra-t-
elle porter sa demande devant les tribunaux répressifs ? Le
pourra-t-elle proprio motu dans le silence, et même malgré
l'opposition du ministère public ? Au contraire, ne pourra-t-
elle saisir le juge d'instruction, porter directe-
(1) Art. 21 et 22 delà loi. V. Annuaire, 1878, p. 443.
(2) Art. 203 à 205. Annuaire, 1884, p. 572.
342 DEUXIÈME PARTIE, CBAP. V
ment son action devant le tribunal répressif, qu'avec l'agré-
ment des magistrats du Parquet ? Ne pourra-l-elle même,
1
comme cela a lieu dans certains pays, qu'intervenir dans
l'instance déjà engagée par le ministère public ? A l'heure
la réparation civile prend, aux yeux des criminalistesJ
une importance si grande, où tout le monde demande,
pour la partie civile, des règles moins onéreuses, le pro-
blème ne peut manquer de se poser à nouveau. La voie
criminelle, devenant plus avantageuse pour la personne
lésée, dans quelle mesure faudra-t-il la lui ouvrir, et par
conséquent, dans quelle mesure pourra-t-elle, en poursui-
vant son intérêt privé, mettre en mouvement l'action pu-
blique ?
Question de premier ordre dans la procédure criminelle,
et question complexe, car on peut la prendre à plusieurs
points de vue. On peut se demander, tout d'abord, dans
quellemesureilconvient.de mettre l'action publique à la
disposition des particuliers, de laisser ainsi un simple ci-
toyen se faire le représentant de l'intérêt social. Ainsi
considérée, la question se pose partout, même dans les
législations qui, comme le Code allemand, n'admettent
pas que le juge criminel ait à s'occuper des intérêts civils.
Mais elle peut être envisagée sous un autre jour, et c'est
sous cet angle que nous devons-la prendre. Du moment
qu'on admet, comme notre Code français, que les deux
questions de peine et d'indemnité peuvent être unies
dans une même instance, du moment que l'action publique
et l'action civile peuvent être soumises ensemble au même
juge, l'intérêt du problème augmente aussitôt. On crée
pour la victime un moyeu spécial d'obtenir satisfaction.
c
LA PARATION CIVILE ET LA PROCÉDURE CRIMINELLE 343
On lui donne le moyen d'avoir un titre exécutoire sans passer
par les formalités plus longues des tribunaux civils. Dans
quelle mesure l'aura-1-elle? On sait dans quels termes notre
loi a répondu. Si l'on excepte un point la question est
controversée, elle a partout adopté la' solution la plus libérale.
C'est encore ce système qui doit être maintenu et développé.
La solution la plus favorable aux droits de la victime doit
encore triompher, mais admise cette fois sans controverse
possible. La loi doit faciliter sans réserve l'accès des tribunaux
aux intérêts privés. Non seulement elle doit maintenir le droit
de citer directement le prévenu devant le tribunal de simple
police, ou de police correctionnelle, elle doit reconnaître aussi
à la victime le droit de saisir le juge d'instruction par la plainte
déposée entre ses mains. Pour utile que soit le droit de citation
directe, il est en effet insuffisant : il suppose que les auteurs
du délit sont parfaitement connus, que la victime sait quel est
le délinquant. Ce n'est que l'exception. Le plus souvent, le
coupable aura su se dissimuler. Réduite à ses moyens
d'investigation privés, la victime peut-elle espérer le
découvrir? Sans secours, abandonnée à elle-même, comment
saisir le tribunal civil ou le tribunal criminel? Suffit-il qu'elle
prouve qu'il y a eu délit, n'a-t-elle pas aussi à montrer quel en
est l'auteur? Pouvoir demander réparatiou à la juridiction
civile, ou citer directement en police correctionnelle, c'est
souvent trop peu. Si l'on ne veut pas laisser la victime à la
merci du ministère public, si l'on ne veut compromettre ses
intérêts privés eux-mêmes, il faut lui permettre de saisir
directement le juge d'instruction.
3*4 DEUXIÈME PARTIR. — CHAP. V
Qu'on interroge l'histoire de notre droit : dans l'ancien
régime, comme sons l'époque révolutionnaire, les particu-
liers levés ont toujours pu faire ouvrir une instruction.
Malgré le rôle sans cesse grandissant du ministère public,
les lieutenants criminels purent toujours commencer les
interrogatoires sur la requête des personnes lésées. La
royauté,à son apogée, n'y changea rien dans l'ordonnance
de 1670. La Révolution, novatrice en toutes choses, suivit
encore la même voie, comme la seulo compatible avec les
principes de liberté partout proclamés. La loi de (791,
celle de l'an IV, ne différent pas beaucoup sur ce point.
Dans l'une comme dans l'autre, la personne lésée peut
s'adresser au juge de paix, lui demander de dresser des
procès-verbaux, d'entendre des témoins. Non seulement
c'est elle qui fait ouvrir l'instruction, mais elle y participe.
Le juge de paix, en instruisant, doit suivre certaines de ses
indications : son intervention n'est pas moindre-pendant la
procédure qu'au début même. Cette sage et libérale
tradition fut continuée par la loi de pluviôse an IX jusqu'à
la veille du Code d'instruction criminelle-Mais, depuis
1807, ces principes ont perdu de leur précision.
L'incertitude des textes, l'incertitude plus grande encore
de la pratique ont jeté sur cette question une regrettable
incertitude. Tout est ici devenu flottant et indécis.
Si l'on veut poursuivre jusqu'au bout les réformes en
faveur de la réparation civile, si l'on ne veut point s'arrê-
ter à mi-chemin, il faut sortir du marais l'on piétine ici
depuis près d'un siècle, se replacer franchement dans la
tradition du droit intermédiaire, donnera la victime,
• *
LA RÉPARATION CIVILE ET LA PROCÉDURE CRIMINELLE 345
outre le droit de citation directe, le droit de saisir le juge
d'instruction.
Nous n'ignorons pas les objections que ces propositions
ont soulevées, l'opposition triomphante rencontrée par
elles dans les assemblées législatives, notamment au -
nat en 1883. Mais ces objections ne nous paraissent ou
inexactes ou peu décisives. Est-il vrai, comme on l'a af-
firmé, que « l'État ne doit pas aux particuliers ses juges
d'instruction ? » Les pouvoirs sociaux n'ont-ils pas tous
pour but de pourvoir aux intérêts des particuliers ? Ne
doivent-ils pas, autant que cela est compatible avec le
bien de tous, férer à leurs demandes ? Les corps judi-
ciaires, ne travaillant jamais qu'à appliquer la loi à des
hypothèses particulières, n'agissent-ils pas presque tou-
jours à la requête des particuliers ? Le refus d'agir sur
leurs quisitions n'est-il pas si contraire à la fonction de
magistrat, que la loi en fait un crime : le déni de justice ?
Quant à ces poursuites injustifiées ou diffamatoires.
sont-elles autant à craindre qu'on le croit ? Les chantages
seraient-ils autant à redouter qu'on veut bien le dire ? Ne
seraient-ils pas beaucoup plus rares qu'ils ne peuvent
l'être par la citation directe ? Le juge d'instruction ne
pourra-t-il pas discerner facilement les plaintes sans fon-
dement et rendre de suite une ordonnance de non-lieu.
^'ailleurs, n'est il pas à remarquer que les abus.de pour-|
suites des personnes lésées deviennent plus rares. Les
particuliers paraissent aujourd'hui moins aveuglés par la
passion qu'autrefois. Les poursuites intentées à leurre-
quête aboutissent moins souvent à des acquittements.
346 DEUXIÈME PARTIS. CHAP. V
La proportion des échecs, dans leurs poursuites, s'est abaissée
de 4G 0/0 à 32 0/0 c'est-à-dire qu'à l'heure actuelle leurs
demandes sont presque aussi souvent jugées fondées qui ne
l'étaient autrefois celles du ministère public (i). Cet
assagissement des particuliers ne prouve-t-il pas combien sont
exagérées les craintes de poursuites diffamatoires ? D'ailleurs
ne pourrait en prévenir ces abus en réprimant plus sévèrement
les dénonciations calomnieuses.
Ce droit,pour la victime, de saisir le juge d'instruction par sa
plainte, obscur, incertain dans le droit actuel ; plusieurs
législations l'ont formellement proclamé.
Citons tout d'abord le Code de procédure pénale belge 1878.
D'après l'article 63, la personne lésée peut porter plainte devant
le juge d'instruction et l'obliger ainsi à informer. Celui-ci est
simplement tenu de demander au ministère public ses
conclusions. Mais, malg son opposition, il doit commencer
son instruction. S'il refuserait de le faire, la partie civile
pourrait recourir devant la Chambre d'accusation qui pourrait
alors évoquer l'affaire (2).
Le Code espagnol, qui réserve une -large place aux par-
ticuliers dans la poursuite des infractions, leurs permet de se
porter accusateurs dans les mêmes conditions et avec les
mêmes droits que le ministère public.
Dans le projet de Code pénal japonais, que son rédacteur,
M. Boissonade, a si fort imprégné des idées francai-
(1) V. sur ce point. Rapport sur la justice criminelle, en
1894.
(2) V. Nourrisson. De la participation des particuliers à la
poursuite des crimes et délits-
t
LA RÉPARATION CIVILE ET LA PROCÉDURE CRIMINELLE 347
ses, la plainte de la partie lésée oblige le juge d'instruction à
statuer lorsqu'elle est accompagnée d'une constitution de
partie civile (art. 125).
Il semble bien qu'il y a des dispositions analogues dans le
droit portugais, où les personnes atteintes par le délit ont une
action criminelle privée.
Dans d'autres codes, plus éloignés par leur esprit du Gode
français de 1808, on retrouve des dispositions du même genre.
En Autriche, depuis 1850, les accusations privées tiennent une
large place dans la procédure criminelle. Le Gode de 1873
décide que le juge d'instruction est saisi par la plainte de la
partie civile (art. 92). Si le ministère public refuse d'intenter
l'action, ou abandonne l'action commencée, la partie civile a
le droit de soutenir et de mener à fin l'accusation publique,au
lieu et place du ministère public. Il est alors accusateur privé
subsidiaire (Subsidiarsnklager).
Enfin, dans plusieurs législations, l'action civile ne peut
être réunie à l'action publique, les personnes lésées peuvent
mettre en mouvement cette dernière action. Est-il besoin de
citer l'Angleterre, le pays classique des poursuites exercées
par les particuliers ? Il en est de même dans plusieurs
républiques américaines, aux Etats-Unis, au Brésil. En
Allemagne même, où l'omnipotence de l'Etat rencontre tant
de défenseurs, lorsque le ministère public se refuse à
poursuivre, la personne sée peut s'adresser au tribunal
régional supérieur, ou au tribunal de l'Empire, ceux-ci
peuvent alors ordonner au ministère public de poursuivre (1).
(1) Art. 170 etsuiv., Code de procédure pénale. V. sur ces points:
Nourrisson. Delà participation des particuliers à la poursuite
348 DEUXIÈME PARTIE. CBAP. V
L'exemple de ces nombreux codes étrangers est suffi-
sant pour la démonstration que nous voulions en tirer. Il
montre l'inanité des craintes émises au Sénat en 1883, la
possibilité délaisser les personnes lésées saisir directement
le juge d'instruction. Si le système alors voté par la haute
assemblée pénétrait dans notre législation, il pourrait nuire
à la juste répression des délits, et aussi à la prompte ré-
paration des dommages causés par eux. Ce second point
de vue, qui seul nous intéresse ici, pour être moins im-
portant, n'est pas à dédaigner. Non seulement la victime
devrait recourir à la voie plus lente, plus coûteuse des
tribunaux civils, mais même, comme nous l'avons signalé,
elle se trouverait sans droit utile, lorsqu'un agresseur est
resté inconnu.
des crimes et lits, p. 112 et suiv.. —César Bru. De f exercice de
l'action publique par les simples particuliers. Revue générale
du droit, 1892, p. 511 et 1893, p. 5.
CONCLUSION
Parvenus à la fin de cette étude, nous pouvons mieux
dégager les principes qui doivent gouverner la réparation
civile. Arris au terme du chemin, jetons un regard en
arrière, non pour mesurer le terrain parcouru, ou pour
contempler le court sillon que nous avons suivi dans te
champ immense du droit, mais pour en déterminer la
direction, pour voir quelle idée en explique les sinuo-
sités.
Une théorie se dégage, dont les conséquences se font
sentir sur tous les points que nous avons examinés, c'est
la théorie positiviste. Le Congrès d'anthropologie crimi-
nelle de Rome en a dégagé le principe dans une formnle
parfaitement nette : « La réalisation de la réparation est
une fonction d'ordre social ». Ce principe admis, les con-
séquences s'en déduisent logiquement, elles appellent
comme une cessité la plupart des réformes qu'ont pré-
conisées les positivistes italiens. Sauf des divergences
possibles sur certains points, elles ne peuvent qu'être
adoptées si Ton concède le point de départ. Si l'efficacité
de la réparation est d'ordre public, un privige absolu sur
les biens du coupable, la réparation subsidiaire des délits
par l'État, la subordination des diverses faveurs légales :
350 CONCLUSION
sursis, grâce, libération conditionnelle au dédommagement
de la victime sont les corollaires de ce principe. La répa-
ration civile se présente alors sous un jour singulièrement
éclairé. Toutes ces mesures d'efficacité forment un tout
puissamment lié, dont toutes les parties se rattachent à une
même idée, comme à un fiât créateur. Elles viennent du
même point de départ, comme elles convergent vers le
même but. C'est réellement une théorie de la réparation
civile qui déroule ses curieuses conséquences à travers
toutes les questions.
Pour tous ceux qui, comme nous, ne confessent pas le
credo de la nouvelle école, les réformes possibles, ne se
présentent pas avec ce caractère d'imposante unité. Si
nous ne voulons nous résigner à l'inefficacité déplorable
de la législation actuelle, et qui voudrait le faire? la
question devient plus embarrassante. Nous n'avons plus
rien qui nous impose, avec lame force, lasolution desdif-
ficultés. Nous n'avons plus un principe conducteur au mi-
lieu du dédale où nous pénétrons. Ou plutôt notre principe
est toujours celui du droit actuel : la réparation civile est
et reste pour nous d'intérêt privé.
Par notre principe, sommes-nous voués à un lamenta-1
ble avortement dans nos efforts? Sommes-nous obligés de
nous enliser dans les dispositions du droit actuel ?Non. Les
projets que nous avons soutenus, nous le croyons,
démontrent suffisamment le contraire. Même en conser-
vant les anciens principes, on peut aboutir à d'utiles réfor-
mes, remédier à bien des inconvénients. Sans doute nos
propositions n'ont pas la puissante unité, quj caractérise ici
le système positiviste. Nous faisons appel à de plus
t
CONCLUSION
351
nombreux principes, nos projets sur la réparation civile
sont le point de convergence d'idées multiples. Si nous
subordonnons un certain nombre de faveurs légales au
dédommagement de la victime* c'est qu'il nous semble
une preuve indispensable du repentir. Si nous rendons
plus énergique la contrainte par corps, c'est que le refus
de paiement fait de mauvaise foi doit être puni comme un
véritable lit. Si nous accordons un privilège à la per-
sonne lésée pour son indemnité, c'est qu'elle n'a pu se
faire attribuer de sûretés conventionnelles, etc. Nos pro-
positions ne sont donc pas les conquences d'un même
principe. Chacune s'appuie sur une raison spéciale. L'unité
ne se trouve plus que dans le but qu'elles poursuivent.
Moins proches les unes des autres, puisqu'elles ne sont
pas animées comptement d'un même esprit, puisqu'elles
coulent de raisons différentes, nos propositions peuvent
paraître bien paies, en présence des formes si franches
de couleur chères aux positivistes. Cela est possible.
Mais peut-être aussi sont-elles plus aiment réalisables,
placées aux prises avec les difficultés de l'application, peut-
être en sortiraient-elles plus facilement victorieuses.
Mais ce serait peu qu'elles puissent vivre, quels résul-
tats donneraient elles ? Il ne faut point ici se leurrer de
l'appât de trop grandes espérances. C'est chimère de
penser que de bonnes lois pourront accorder pleine satis-
faction aux intérêts individuels. Elles ne le peuvent pas,
pas plus que la science nale ne parvient à effacer le mal
social du crime. En dépit des améliorations, la réparation
civile pourra parfois encore rester en souffrance. Le mal
aura été atténué sans avoir disparu. Tout ce que je pro-
CONCLUSION
pose et ce que je défends, o'approche que de bien loin l'i-
déal que l'on rêve atteindre.
Dans cet éternel non-fini que sont les choses de ce
monde, comment la réparation des délits arriverait-elle
seule à s'épanouir dans la perfection 1 Les faits, plus forts
queles lois, se dérobent à leur étreinte. La science légis-
lative ne tient réellement le tout de rien. Même dans les
matières la loi semblerait devoir triompher des faits,
ceux-ci lui manquent, le terrain se dérobe sous ses pas, on
n'arrive qu'à des approximations. Les lois, même les mieux
conçues, rencontrent toujours des obstacles qu'elles
viennent battre éternellement sans les détruire.
Dans l'universelle complexité des faits, les lois, pour
avoir une place importante, ne peuvent faire que peu de
chose. Plus on les regarde de près, plus on voit qu'elles
dispensent peu l'homme de l'effort personnel, qu'elles ap-
pellent au contraire cet effort pour les compléter. Ce bien,
toujours plus grand, que l'esprit conçoit et que le cœur
réclame, comment en approcher si, à l'effort des lois, ne
se joint celui des individus. C'est à eux à atténuer la fatale
insuffisance des lois. Là le législateur ne peut rien et
recule impuissant, l'individu peut encore beaucoup. Il a ce
que n'aura jamais la machine administrative : à la charité
de la bourse, il peut joindre celle de l'intelligence et du
cœur, du bon conseil et de la consolation.
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TABLE DES MATRES
Introduction historique.
PREMIÈRE PARTIE
Le droit actuel.
Distinction de l'action publique et de l'action civile.
Ses conséquences. Principes qui dominent le
droit actuel en matière de réparation civile. Leurs
conséquences ............................................................. 271
CHAPITRE PREMIER. — PRINCIPES DE LA REPARATION CIVILE. 35
I. Le préjudice individuel. Conditions de la respon-
sabilité. Une faute. Un préjudice. Ce préju
dice doit résulter directement du délit ....................... ^ 35
II. Des personnes qui peuvent exercer l'action en indem
nité................................................................................. 12
III. Portée de l'action. Ce que l'on peut obtenir.
Réparation d'honneur. Publicité du jugement.
Confiscation, Restitution. Indemnité pécuniaire.
Sa mesure. La réparation est-elle accordée de fa
çon assez large ? ........................ ,................................. 44 |
CHAPITRE II. — DES GARANTIES PERSONNELLES ATTACHEES
A LA CRÉANCE EN INDEMNITÉ .......................................................... . 55 !
I Des personnes qui peuvent être poursuivies en répara-
tion..................................................................... ••>IÇT ^ I
360 l'ARlJC DBS MATIÈHES
I. Les coparticipants du délit. Solidarité gui existe entre
les auteurs d'un crime ou d'un délit. Son application
aux délita connexes. — Son existence de plein droit,
indépendamment des complications de procédure. — La
solidarité et les contraventions.
Utilité pratique de la solidarité.....................................
.'/+
56
II. Responsabilité collective et responsabilité individuelle. — Les
personnes civilement responsables à l'heure actuelle
Responsabilité des parents. Son étendue. Exemples.
Son utilité pratique. Responsabilité des commettants pour
les préposés. Définition des préposés. Distinction des
actes entraînant responsabilité du préposant. Effet pratique
de cette responsabilité. Responsabilité des instituteurs.
Responsabilités spéciales. Leur utilité pratique. Les
responsabilités découlant des contrats. Insuffisance de ces
responsabilités... 64
CHAPITHB III. — DES GARANTIKS REELLES ATTACHEES A LA
UHÉANUB iSN INDEMNI..........i»...i»i£. ............................................. 93
Privilège de l'indemnité sur l'amende. Hypothèque
judiciaire. Cautionnement des fonctionnaires et
officiers ministériels ................ „*»................................. 93
CHAPITRE IV. — VOIES D'EXECUTION SUR LA PERSONNE ET
SUR LES RIENS DU COUPABLE ............................................................. 98
Nécessité de triompher de la mauvaise volonté du débi
teur.............,^ ................................................................. 98
I. Le créancier peut-il saisir les biens du coupable
clarés insaisissables par la loi ou la volonté de
l'homme. — Intérêt pratique.................................t ........ 98
II. La contrainte par corps. Ses règles. —Des dispo
sitions qui en empêchent l'efficacité. La réhabilita
tion et le paiement de l'indemnité .^.^y^v.
• •
TABLE DES MATIÈRES 361
III. Conclusions générales. — Ce que valent toutes les
I mesures d'efficacité étudiées. Ce qui fait défaut.............. 107
CHAPITRE V. — LA REPARATION CIVILE ET LA PROCEDURE
CRIMINELLE ..........................................................................................
111
L'esprit de la loi vis-à-vis de la paration dans la pro
cédure criminelle ........................................................... 111
I. Toute réparation doit être demandée. Exceptions,
confiscation, restitution.................................................. 113
II. Division du chapitre .................................................... 116
III. Droit de saisir la justice civile ou la justice criminelle.
Quelles régies limitent ce choix..................................... 117
IV. Droit d'intervention de la partie civile dans l'instance.
Du droit de provoquer l'exercice de l'action publique et
spécialement de saisir le juge d'instruction................ .
r
119
Y. Insuffisance des voies de recours. Du pourvoi
contre les arrêts de nou lieu.*— Du pourvoi contre
les acquittements prononcés en Cour d'assises. En
quoi cela nuit à la partie civile....................................... 123
VI. Du droit pour les tribunaux répressifs d'accorder des
dommages-intérêt en cas d'acquittement. Inconvénient qui
en résulte pour la victime .............................................. 127
VII. Obligations quant aux frais. —Obligation déconsigner les
frais. Responsabilité des frais. Effet déplorable de ces
mesures.................................................. ..................... 1SB|
CHAPITRE VI. — PRESCRIPTION DE L'ACTION EN REPARATION
CIVILE................................................................................................ ••
13
*
La gle de l'art 637. Instr. Crim. - Ses motifs.
Ses résultats pratiques ................................................... !»*
Conclusion.......................................*.<*«$& 7................ 1*0
363
TABLE DES MATIERES
DEUXIEME PARTIE
Améliorations législatives
La question des peines pécuniaires. Son lien avec la
réparation civile. — La question de la réparation.
Les discussions des Congrès auxquelles elle a
donné lieu. — Plan de la deuxième partie ....................... 141
CHAPITRE PREMIER. — DES DROITS DE LA PERSONNE LESEE. 1521
I. Les principes du droit moderne. La notion de
réparation développée. Les droits de la victime sur
l'action publique diminuent. — Défiance à son égard.
La réparation civile laissée toujours plus dans
l'ombre. Insuffisance de la loi française et des lois
étrangères ........................................................................ 152
II. L'amende en faveur de la partie sée. Législa
tions allemande et italienne. — Discussion.................... 163
CHAPITRE II. — DES MOYENS DE RENDRE EFFICACE LA REPA
RATION CIVILE ....................................................................... 174
Des diverses formes que peut revêtir la réparation. -
Principes qui doivent guider le gislateur dans les
réformes à établir. Le créancier mérite faveur
pareequ'il n'est pas devenu tel volontairement
Parceque le délinquant ne mérite guère considération.
L'efficacité de la paration est-elle une fonction
d'ordre social ?................................................................ 174
I. Division du sujet................................................................ 179
II. Solidarité. — Le juge ne doit pas pouvoir y sous
traire certains délinquants. — La solidarité doit
s'appliquer aux auteurs d'une contravention ................... 180
III. Préférence des dommages-intérêts sur l'amende. —
Système du projet suisse à cet égard. — Classement
TABLE DES MATIERES 363
des dommages-intérêts par rapport aux frais. Le système
le plus pratique. Comment il faut placer la victime par
rapport aux créanciers chirographaires.
Des mesures provisoires à établir pour empêcher
les fraudes ..................................................................... 183
IV. Du droit à donner à la partie civile sur les cau
tions pour liberté provisoire Du droit à accorder
sur les cautions de garder la paix publique pour les
pays qui les admettent..................................................> 202
V. Nécessité de trouver le moyen de faire payer les
linquants sans patrimoine. Quels droits convient-il
d'accorder à la victime sur le cule du prisonnier ? - -
Législation étrangère. Des prélèvements néces
saires sur le pécule. — Quid des frais d'entretien ?
Utilité d'un prélèvement sur le pécule en faveur de
la partie lésée. Des prélèvements à faire sur le
travail du transporté en cours de peine ou libéré.. i, ' 204
VI. Des saisies à permettre sur les appointements
Théorie de M. Garofalo. - Mesures proposées par lui
au sujet des ouvriers et de ceux exerçant des profes
sions libérale». Critique. Nécessité de s'en re
mettre pleinement au juge ............................................. 214|
VII. Du paiement en journées de travail. Législations
étrangères. Loi française. Les résultats prati
ques. — Améliorations possibles dans l'organisation.
Limites de l'emploi possible des journées de travail. 221
VIII. De la contrainte par corps. Nécessité de la
contrainte par corps pour assurer le paiement des
dommages-intérêts. gislation comparée.
L'adoucissement général de la contrainte par corps
a correspondu à l'adoucissement de la pénalité.
Mouvement en faveur d'une pénalité plus sévère.
Nature nouvelle que doit révéler la contrainte par
•™4 TABLE DES MATIÈRES
corps. Système de M. Garofalo. Mesures contre les
solvables, contre les insolvables. Situation des
biteurs de très fortes sommes. Critique de ce sys
tème. Réformes possibles. Comment il faut con
cevoir la contrainte par corps. Son organisation
H pratique ............................................................................. 236
XI. Des privations de droits politiques. Des raisons
pour les admettre. Efficacité. L'interdiction du
cabaret............................................................................. 257
CHAPITRE III. — LA REPARATION CIVILE ET LA REPRESSION. 261
Rapports du préjudice individuel et social de la répara
tion et de la peine................................................................ 261
I. Les délits privés. — Leur utilité pour contraindre à
la réparation. — Législations étrangères. — Incon
vénients de cette institution........................................... 263
II. Diminution de la peine à raison de la réparation vo-
H lontairement effectuée. — Législations étrangères. —
Projet de M. Fioretti. — Discussion............................... 266
III. Faut-il ne prononcer la condamnation conditionnelle
H que si le coupable a réparé. — Faudrait-il établir que
le sursis deviendra définitif le jour où le délit sera
entièrement répara ?........................................................ 276
IV. Doit-on n'accorder la libération conditionnelle que
si le coupable a fait tout son possible pour réparer ?
Faut-il ne rendre la libération définitive que le jour
où la victime a obtenu satisfaction ?.................................. 280
V. La grâce doit-elle dépendre de la réparation ? —
Faut-il faire dépendre la prescription de la répara-
il tion.................................................................... 282
I VI. Théorie de H. Spencer. — Principe. — Système
proposé. — Critique....................................................... 284
VII. Des rapports entre la réparation et la répression. 289
*
TABLE DÈS MATIERES
365
CHAPITRE IV. MOYENS D'ACTION CONTRE LES TIERS ETRAN
GERS AU DELIT...................................................................... 293
Les personnes civilement responsables. — Les législa-
j tions primitives sur ce point. Les principes du droit
actuel. —Retour sous une autre forme à la responsa-
H bilité collective. La caisse des amendes. Pro-jets
développés dans les Congrès. — Les arguments
invoqués.— Le point de vue juridique. Discussion
des arguments. Le point de vue économique.
Dans quelle mesure l'intervention de l'État peut ici se
justifier .......................................................................... 293
CHAPITRE V. — LA REPARATION CIVILE ET LA PROCEDURE
CRIMINELLE......................................................................... 316
Importance de la procédure en notre matière ................... 316
I. De l'obligation de payer les frais. — Des modifica
tions à apporter dans les cas la partie civile gagne
et dans ceux elle perd. Faut-il conserver l'obli-
gation de consigner les frais. — Législations étran-
I gères.— Discussion ......................................................... 321
II. L'assistance judiciaire n'existe pas devant les tribu
naux répressifs. Motifs donnés. — Leur insuffisance.
Nécessité d'établir ici l'assistance judiciaire. — Ré
glementation . .;.>•«'> ....................................................
III. Des dommages-intérêts à accorder d'office, ou sur la
demande du ministère public. — Quelles raisons peuvent
justifier cette réforme ? Inconvénients possibles. Des
mesures que l'on peut adopter....................................... 326
IV. Du droit à des dommages-intérêts en cas d'acquit-
tementdu prévenu. — Inconvénients du droit actuel.
Réformes possibles................................................. 335
V. Nécessité d'ouvrir plus largement les voies le recours
à la partie civile.......................................... ■■ 337
VI. De la prescription de l'action civile par la même laps
de temps que l'action publique. Raisons données si
l'appui. Leur insuffisance. Législations étrangères
................ i.........................................................., .......... J
VII. Il est nécessaire de laisser la victime librement
mettre en mouvement l'action publique, et principa-
lement de saisir par sa plainte le juge d'instruction.
Législations* étrangères. ................................................
CONCLUSION......... •• —.............................................••••
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